Chapitre 17 |
L'anecdote que je vais raconter prouvera amplement que la
religion était, pour les moines chartreux du
Desierto de las Palmas, non la conséquence de
sentiments élevés, mais une simple
réunion de pratiques superstitieuses.
La scène du fusil, toujours présente à
mon esprit, me semblait établir que le jeune moine
aragonais, poussé par ses passions, serait capable des
actions les plus criminelles. Aussi, je fus très
désagréablement impressionné, lorsqu'un
dimanche, étant descendu pour entendre la messe, je
rencontrai ce moine qui, sans mot dire, me conduisit, par une
série de sombres corridors, dans une chapelle
où le jour ne pénétrait que par une
très petite fenêtre. Là je trouvai le
père Trivulce, qui se mit en mesure de dire la messe
pour moi seul. Le jeune moine la servait. Tout à coup,
un instant avant la consécration, le père
Trivulce, se tournant de mon côté, me dit ces
propres paroles : «Nous avons la permission de dire la
messe avec du vin blanc ; nous nous servons pour cela de
celui que nous recueillons dans nos vignes : ce vin est
très bon. Demandez au prieur de vous en faire
goûter, lorsque, en sortant d'ici, vous irez
déjeuner avec lui. Au surplus, vous pouvez vous
assurer à l'instant de la vérité de ce
que je vous dis.» Et il me présenta la burette
pour me faire boire. Je résistai fortement, non
seulement à cause de ce que je trouvai
d'indécent dans cette invitation jetée au
milieu de la messe, mais encore parce que, je dois l'avouer,
je conçus un moment la pensée que les moines
voulaient, en m'empoisonnant, me venger sur moi de l'avanie
que M. Biot leur avait faite. Je reconnus que je
m'étais trompé, que mes soupçons
n'avaient aucun fondement ; car le père Trivulce
reprit la messe interrompue, but, et but largement le vin
blanc renfermé dans une des burettes. Quoi qu'il en
soit, lorsque je fus sorti des mains des deux moines, et que
je pus respirer l'air pur de ta campagne, j'éprouvai
une vive satisfaction.