Chapitre 34 |
Le dey régnant, successeur du dey
décapité, remplissait antérieurement
dans les mosquées l'humble office d'épileur de
corps morts. Il gouvernait la Régence avec assez de
douceur, ne s'occupant guère que de son harem. Cela
dégoûta ceux qui l'avaient élevé
à ce poste éminent, et ils résolurent de
s'en défaire. Nous fûmes informés du
danger qui le menaçait en voyant les cours et les
vestibules de la maison consulaire se remplir, suivant
l'usage en pareil cas, de juifs portant avec eux ce qu'ils
avaient de plus précieux. Il était de
règle, à Alger, que tout ce qui se passait dans
l'intervalle compris entre la mort du dey et l'intronisation
de son successeur ne pouvait pas être poursuivi en
justice et restait impuni. On conçoit dès lors
comment les fils de Moise cherchaient leur
sûreté dans les maisons consulaires, dont les
habitants européens avaient le courage de s'armer pour
se défendre dès que le danger était
signalé, et qui, d'ailleurs, avaient un janissaire
pour les garder.
Tandis que le malheureux dey épileur était
conduit vers le lieu où il devait être
étranglé, il entendit le canon qui
annonçait sa mort et l'installation de son successeur.
«On se presse bien, dit-il ; que gagnerez-vous à
pousser les choses à bout ! Envoyez-moi dans le Levant
; je vous promets de ne jamais revenir. Qu'avez-vous à
me reprocher ? - Rien, répondit son escorte, si ce
n'est votre nullité. Au reste, on ne peut pas vivre en
simple particulier quand on a été dey
d'Alger.» Et le malheureux expira par la
corde.