Chapitre 33 |
A Palamos, pendant les divers entretiens que j'eus avec la
duchesse douairière d'Orléans, une circonstance
m'avait particulièrement ému. La princesse me
parlait sans cesse du désir qu'elle avait d'aller
rejoindre un de ses fils qu'elle croyait plein de vie, et
dont cependant j'avais appris la mort par une personne de sa
maison ; j'étais donc disposé à faire
tout ce qui dépendrait de moi pour adoucir un malheur
qu'elle ne pouvait tarder à connaître.
Au moment où je quittai l'Espagne pour Marseille, la
duchesse me confia deux lettres que je devais faire parvenir
à leur adresse. L'une était destinée
à l'impératrice mère de Russie, l'autre
à l'impératrice d'Autriche.
A peine arrivé à Alger, je parlai de ces deux
lettres à M. Dubois-Thainville, et le priai de les
envoyer en France par la première occasion. «Je
n'en ferai rien, me répondit-il aussitôt.
Savez-vous que vous vous êtes comporté dans
cette circonstance comme un jeune homme sans
expérience, tranchons le mot, comme un étourdi
? Je m'étonne que vous n'ayez pas compris que
l'Empereur, avec son esprit quinteux, pourrait prendre ceci
en fort mauvaise part, et vous considérer, suivant le
contenu des deux lettres, comme le fauteur d'une intrigue en
faveur de la famille exilée des Bourbons.»
Ainsi, les conseils paternels du consul de France m'apprirent
que, pour tout ce qui touche de près ou de loin
à la politique, on ne peut s'abandonner sans danger
aux inspirations de son coeur et de sa raison.
J'enfermai mes deux lettres dans une enveloppe, portant
l'adresse d'une personne de confiance, et je les remis aux
mains d'un corsaire qui, après avoir touché
à Alger, se rendait en France. Je n'ai jamais su si
elles parvinrent.