Chapitre 5 - Le Caire (suite) - La citadelle - Les mosquées

Nous sommes allés aujourd'hui visiter la citadelle. Elle est, je l'ai déjà dit, bâtie sur la croupe du Mokattam, qui s'élève au nord de la ville et la domine. Comme nous sommes logés dans la partie méridionale, près de la place de l'Ezbekieh, il nous faut, pour nous y rendre, traverser le Caire dans toute sa largeur. Après avoir franchi le Mousky, le quartier des Juifs et celui des Bazars, nous entrons dans les quartiers des artisans. Un bruit assourdissant de marteaux annonce de loin la rue des chaudronniers : à la suite sont les bourreliers, puis les corroyeurs, puis les marchands de pipes, et ainsi de suite. Au Caire, chaque commerce, chaque industrie a son quartier et sa rue, comme dans nos villes du moyen âge. Une ressemblance de plus avec nos villes d'autrefois, c'est que chaque quartier avait ses portes qui se fermaient à la nuit : les portes subsistent encore en beaucoup d'endroits ; mais elles sont déjetées, vermoulues, et depuis longtemps elles ont cessé de tourner sur leurs gonds.

On monte à la citadelle par une rampe en spirale, assez douce pour que les voitures puissent la gravir : à droite et à gauche s'élèvent de vieilles mosquées en ruine, avec leurs minarets ébréchés par le temps et comme calcinés par le soleil. C'est à Méhémet-Ali qu'est due cette route nouvelle, large, commode, plantée d'arbres. Il n'y avait autrefois, pour arriver à la citadelle, qu'un chemin étroit, escarpé, taillé dans le roc, qui allait, plus à l'est, déboucher sur la place de Roumelieh par une porte en demi-ogive, flanquée de deux tourelles.

C'est dans ce vieux chemin, à droite en montant, que se passa, en 1811, le drame terrible qui consolida dans le sang la domination du pacha. Arrivé au pouvoir à force d'habileté et d'audace, de persévérance et de souplesse ; confirmé par la Porte dans le gouvernement de l'Egypte, qu'on lui laissait par cette raison principalement qu'on n'eût pas pu le lui ôter, Méhémet-Ali n'avait plus d'adversaires que les mameluks, milice turbulente et redoutable qui, pendant cinq siècles, avait dominé la province et lui avait donné des maîtres. Bien que décimée et singulièrement affaiblie par la conquête française, elle tenait en échec le nouveau gouvernement, et faisait peser sur le pays le poids d'une féodalité brutale et d'une anarchie dévorante. Longtemps ce fut entre le pacha et les mameluks une suite de combats, de vengeances, de représailles : chassés du Caire, mais toujours menaçants, ils s'étaient retirés dans la haute Egypte et de là entretenaient dans tout le pays une agitation continuelle. Enfin, à la veille de sa grande expédition contre les Wahabites, ne pouvant laisser derrière lui des ennemis aussi dangereux, Méhémet-Ali demanda à la ruse ce que la force ouverte n'avait pu lui donner.

Avec des paroles de réconciliation, avec des promesses et des présents, il attira au Caire ses adversaires. Des fêtes somptueuses devaient avoir lieu pour le départ de l'expédition d'Arabie. Le 1er mars 1811, tous les mameluks sont invités à la citadelle : c'était là que résidait le pacha. Ils s'y rendent avec douze à quinze cents cavaliers de leur suite, revêtus de leurs plus riches costumes et de leurs plus belles armes. Méhémet-Ali les reçoit sous une tente magnifique, et leur offre les sorbets et le café avec une cordialité faite pour dissiper tous les soupçons. La fête terminée, les mameluks se retirent aux sons d'une musique militaire ; mais, parvenus au bas de ce chemin étroit et abrupt dont j'ai parlé, ils trouvent fermée la porte massive qui donne sur la place de Roumelieh. Des Arnautes, troupes dévouées au pacha, les enveloppent par derrière : ils se voient cernés, traqués dans une gorge profonde, bordée de hautes murailles. Au même instant, un feu terrible éclate de tous côtés : de toutes les meurtrières pleut sur eux une grêle de balles. La résistance était impossible ; ils n'avaient pas même de cartouches.

Quelques-uns, avec la rage du désespoir, poussant leurs chevaux au travers de la mousqueterie, reviennent sur leurs pas et tentent, le sabre à la main, de se faire jour. Ceux qui tombent aux mains des Arnautes sont conduits devant le pacha et décapités. Un seul échappa : il se nommait Amyn-Bey. Parvenu dans la grande cour du palais, poursuivi par la fusillade jusqu'à la plate-forme du mur d'enceinte, et n'ayant qu'à choisir entre deux genres de mort, il lança son cheval de la terrasse haute de plus de vingt mètres. Le vaillant animal fut tué sur le coup ; l'homme, quoique meurtri, se releva, et, grâce à quelques Arabes qui eurent pitié de lui, put quelques jours après se réfugier en Syrie.

Certes, si la politique explique un pareil acte, rien ne peut l'absoudre ; pour avoir eu un précédent dans le massacre des Strélitz par Pierre le Grand, pour avoir servi de modèle au massacre des janissaires par le sultan Mahmoud, il n'en est pas moins odieux. Ce qu'on peut dire de mieux pour l'excuser, c'est qu'à l'anarchie stupide entretenue par cinquante tyrans il fit succéder un despotisme unique et intelligent qui devait être un bienfait pour l'Egypte. Quoi qu'il en soit, de ce jour le pouvoir de Méhémet-Ali fut affermi ; et le pacha put travailler sans obstacle à la réalisation de ses projets d'agrandissement et de réforme.

La citadelle du Caire est une véritable ville. Ses trois enceintes, qui ont un développement de plus de trois kilomètres, renferment, en effet, plusieurs palais avec leurs jardins, douze mosquées, des casernes, des arsenaux, des tribunaux, des places d'armes, sans compter des ministères et des archives. Nous laissons nos ânes dans la première cour, et nous nous acheminons à pied vers la grande mosquée. C'est Méhémet-Ali qui l'a construite : commencée vers 1820, elle n'a été achevée que peu d'années avant sa mort.

Un vieux Turc, qui fume assis sur ses talons, vient nous mettre aux pieds des chaussons de grosse toile blanche, qui s'attachent avec des ficelles par-dessus nos souliers. Cette cérémonie accomplie, on nous introduit dans une vaste cour carrée qui précède la mosquée. Cette cour est magnifique ; la richesse de la matière éblouit vraiment le regard : le pavé, la fontaine qui est au milieu, tout ornée de riches sculptures, la galerie soutenue de colonnes, qui forme les trois côtés de la cour opposés à la mosquée, tout est en marbre blanc ; et sous ce ciel d'une inaltérable sérénité on ne voit jamais, comme dans nos climats humides, comme en Italie même, le marbre se noircir ou se couvrir de mousses vertes ; il garde éternellement sa blancheur immaculée et l'éclat que lui a donné la main de l'ouvrier.

L'intérieur de la mosquée est plus riche encore. Le revêtement des murailles et les colonnes qui portent la voûte sont en albâtre oriental, cette belle pierre d'un jaune pâle, aux larges ondes transparentes et laiteuses. Les frises sont peintes de couleurs vives ; et autour de la coupole centrale pendent, au bout de longues chaînes ornées de touffes de soie, une innombrable quantité de lampes. Dans l'angle à droite en entrant s'élève, derrière une grille dorée, le tombeau de Méhémet-Ali. Tout cela est splendide, et le premier aspect est merveilleux. Mais si la matière est admirable, l'art est médiocre. Ce n'est plus là cette architecture arabe, si légère et si hardie, si élégante dans ses caprices, dont nous avons déjà pu en passant contempler les monuments dans les rues du Caire ; et l'on est tenté de répéter au pacha le mot du sculpteur grec : «Ne pouvant la faire belle, tu l'as faite riche». Mais est-il besoin d'aller jusqu'en Egypte pour trouver des exemples d'une semblable décadence, et voir dans l'art religieux la richesse remplacer le beau ?

A côté de la grande mosquée se trouve le palais du vice-roi. C'est un édifice moderne et de pauvre apparence. L'intérieur répond au dehors : luxe et mauvais goût, mélange de barbarie et de civilisation ; des antichambres délabrées, des corridors sales et enfumés, où pendent d'ignobles quinquets, conduisent à des salles dorées et entourées de riches divans. A côté de meubles de Boule ou de palissandre sculpté, on voit une mauvaise table de noyer, boiteuse et couverte d'une toile cirée. Près du trône est le fauteuil de repos du vice-roi, un fauteuil gigantesque, où trois hommes tiendraient à l'aise. L'obésité, on le sait, est l'infirmité des Turcs : on dirait d'un mal endémique, et qui les atteint tout jeunes. Bien que Méhémet-Ali fût Grec d'origine1, sa race semble déjà s'être abâtardie sous l'influence énervante du climat et subir cette loi d'appesantissement précoce. Son petit-fils, Abbas-Pacha, était un véritable Turc, au physique et au moral ; son fils Mohammed-Saïd, le pacha actuel, affligé avant l'âge d'un embonpoint monstrueux, ne paraît pas être d'une autre nature. C'est un fait général et souvent observé, sans qu'on en rende bien compte, que les races étrangères, les races européennes surtout, s'altèrent et dépérissent en Egypte. Les enfants européens y meurent presque tous avant la dixième année. Dans les familles mêmes qui résistent à cette influence pernicieuse, le type primitif dégénère promptement ; et dès la seconde ou la troisième génération, il a dépouillé à peu près toutes ses qualités premières. Les Ptolémées en ont laissé dans l'histoire un curieux exemple : la race de l'héroïque Lagus vient finir en cet être difforme qui fut flétri du sobriquet de Physcon, c'est-à-dire le Ventru ou l'Enflé. La dynastie des mameluks n'a échappé à cette dégénérescence que parce qu'elle se renouvelait incessamment, comme chacun sait, au moyen de l'esclavage.

Il y avait, naguère encore, près du palais du vice-roi, des ruines du plus haut intérêt : c'étaient les restes d'un palais de Saladin, que la tradition appelait de son nom (Yousouf) le Divan de Joseph. Ce monument, qui datait de la meilleure époque de l'art arabe, n'avait pas, dit-on, pour la pureté du style, son pareil dans toute l'Egypte. Les derniers restes en ont disparu : on a brisé ses colonnes de granit pour bâtir quelque caserne.

C'est Saladin qui a construit la citadelle. C'est lui aussi qui, pour la fournir d'eau, a fait creuser dans la montagne sur laquelle elle est assise cette citerne prodigieuse qu'on appelle le Puits de Joseph. Ce puits a une profondeur de cent mètres ; on peut descendre presque jusqu'au fond au moyen d'une rampe en spirale creusée dans l'épaisseur du rocher, et si douce qu'un âne peut la monter. L'eau est élevée par une roue à chapelet que font tourner des boeufs ou des chevaux. C'est vraiment là une oeuvre colossale et digne d'un grand homme. Nous descendîmes jusqu'à mi-chemin à peu près. Je remarquai que plus de la moitié des pots de la chaîne étaient brisés. La machine n'en continue pas moins à marcher, bien que donnant à peine la moitié de l'eau qu'elle peut donner. Qu'importe ? Elle doit tourner ; elle tourne. Quand les pots seront tous cassés, on songera peut-être à les remplacer.

En sortant de la citadelle, nous nous avançons jusqu'au bord de la terrasse qui domine le Caire : on appelle cet endroit le Saut du Mameluk, en souvenir de l'audacieuse évasion d'Amyn-Bey. De là on a une vue admirable. A nos pieds s'étend la ville immense, avec ses toits gris en terrasses, avec ses dômes et ses minarets innombrables ; à gauche, on aperçoit le vieux Caire et les arcades élevées de l'aqueduc du sultan Touloun, qui apportait l'eau du Nil à la citadelle ; à droite, les tombeaux des califes, vaste champ de ruine et de désolation ; en face, Boulaq et ses entrepôts ; puis, étincelant sous le soleil et enveloppant de ses flots dorés des îles verdoyantes, le Nil qui traverse majestueusement ces plaines fécondes, toutes couvertes de jaunes moissons, de palais, de villas, de jardins. Au loin, une ligne jaune tranche sur les champs de verdure : c'est le désert, au-dessus duquel se dressent, posées à la limite même où il s'arrête, les grandes pyramides de Ghizeh, et, en remontant le fleuve jusqu'aux bornes de l'horizon, les quatorze pyramides plus petites de Sakkarah. Il y a peu de spectacles au monde qui soient plus variés et plus saisissants : il n'y en a pas peut-être qui réunissent ainsi les splendeurs du ciel, les richesses de la nature, la poésie des souvenirs, la grandeur des monuments et la solennité du désert.

Nous sommes sortis de la citadelle par la porte qui s'ouvre au sud sur la place de Roumelieh. Cette place est une des plus grandes et des plus animées du Caire. Près de là se trouve la mosquée du sultan Hassan, que nous devions visiter.

Il y a seulement trente ans, l'entrée des mosquées n'était pas ouverte sans quelque difficulté aux Européens : il fallait être accompagné d'un janissaire du consulat ; souvent même il était prudent de revêtir le costume oriental. Quant aux femmes, elles n'y étaient jamais admises. A cette époque, il n'était pas rare même que l'habit européen fût insulté dans les rues. Le savant Belzoni, en 181S, fut frappé d'un coup de sabre à la jambe par un Turc qui trouvait qu'il ne se rangeait pas assez vite. La longue domination de Méhémet-Ali a singulièrement modifié sous ce rapport l'état des choses, et introduit la tolérance dans les moeurs égyptiennes. Soit indifférence religieuse, soit calcul politique, il voulut que les diverses religions et les divers cultes fussent respectés dans ses Etats. Intéressé à attirer et à retenir les Européens près de lui, son premier soin devait être de leur assurer une sécurité entière. Aujourd'hui, grâce aux relations de plus en plus fréquentes de l'Europe avec l'Egypte, et au nombre croissant des voyageurs qui visitent ce pays, les habitants du Caire voient sans étonnement les giaours parcourir leurs rues et même entrer dans leurs mosquées, conduits par un simple drogman. La seule condition imposée est qu'on quitte ses chaussures, ou qu'on mette des babouches par-dessus.

La mosquée du sultan Hassan est de la plus belle époque (1386), et, bien qu'à demi ruinée, mérite une attention particulière. Ses minarets sont les plus élevés et les plus élégants du Caire : sa coupole est d'une grande hardiesse. Comme d'habitude, les murs, à l'extérieur, sont peints de bandes alternativement rouges et blanches ; une large corniche les surmonte. La mosquée s'ouvre, sur une rue latérale, par un portail en ogive décoré de pendentifs ou grecques : ce portail est un admirable morceau d'architecture, orné avec goût, noble et gracieux à la fois. On traverse un beau péristyle, et par un passage obscur où se tiennent les gardiens on entre dans une vaste cour carrée, pavée en marbre, entourée de trois côtés de chapelles et de bâtiments où logent les ulémas ; les murailles qui en forment l'enceinte sont couronnées de trèfles sculptés ; au milieu de la cour, une fontaine avec une colonnade octogone, et recouverte d'une jolie coupole, verse l'eau des ablutions. Au fond est le sanctuaire, élevé seulement d'un degré au-dessus de la cour, et dont le pavé est entièrement revêtu de nattes. Les murs portent des inscriptions à demi effacées, des incrustations de marbre, de nacre ou d'émail.

Derrière le sanctuaire est une grande salle, dite salle du tombeau, carrée, surmontée d'un dôme, et qui n'offre plus que le spectacle de la ruine et de l'abandon le plus affligeants. A peine peut-on distinguer encore sur les murs les caractères gigantesques qui y retraçaient les versets du koran ; la coupole effondrée laisse passer le jour en plus d'un endroit, et sert d'asile aux corbeaux et aux chauves-souris. Dans les angles, des pendentifs en bois merveilleusement sculptés, vermoulus et disjoints, s'affaissent et menacent ruine : demain peut-être ils tomberont en poussière sur la tête des croyants, qui ne mettraient pas un clou pour les soutenir.

Au milieu de cette salle délabrée s'élève, entouré de sa balustrade en fer, le tombeau du sultan Hassan, aussi poudreux et aussi dégradé que tout ce qui l'entoure. Le cercueil est tourné vers la Mekke. Aux pieds du sultan est placé un livre à fermoirs d'argent : c'est un koran que Hassan copia tout entier de sa main.

En dépit de l'état de dégradation où les Turcs ont laissé tomber ces magnifiques monuments, on ne peut se lasser d'en admirer l'élégance hardie, la fantaisie pleine de grâce, la richesse pleine de bon goût. On imagine aisément quel devait en être l'éclat, quand s'ajoutaient à l'effet de cette architecture tant de détails aujourd'hui ternis ou disparus : vitraux coloriés, boiseries découpées à jour, plafonds peints et dorés, lambris de marbres précieux, pavés de marqueterie, lampes innombrables se balançant du haut des coupoles. De tout cela, il ne reste guère que les débris : les monuments des Arabes, vieux de cinq à six cents ans, semblent à peine plus épargnés par le temps que les temples des Pharaons.

Après la mosquée du sultan Hassan, les plus intéressantes du Caire sont celle du sultan Touloun et celle d'El-Azhar, ou mosquée des fleurs. Toutes deux comptent parmi les modèles de l'architecture arabe. Je n'en donnerai pas la description, tous ces monuments étant à peu près, et sauf quelques détails, construits sur le même plan. Au reste, la mosquée de Touloun est aujourd'hui défigurée : Ibrahim-Pacha en a fait un hôpital militaire. On a démoli la fontaine, construit des murs entre les colonnes, dans les galeries. Il y avait en Egypte, au Caire même, dix palais inhabités, abandonnés, qui eussent pu servir au même emploi : on a mieux aimé déshonorer un admirable monument.

El-Azhar est à la fois une mosquée et une université où se donnent divers enseignements scientifiques et religieux, et une sorte de caravansérail où trouvent asile les pèlerins de toute nation qui font le voyage de la Mekke. On raconte que ce fut là que logea Soleyman el-Halegy, l'assassin de Kléber, en arrivant de Syrie. Il y enflamma son fanatisme aux prédications des docteurs de la loi ; fanatisme qui n'était point, au surplus, celui d'une âme basse ni d'une nature vulgaire. Il eût été capable d'héroïsme comme il fut capable de crime, l'homme qui, pendant qu'on lui brûlait le poignet, impassible et fier, n'ouvrit la bouche que pour se plaindre qu'un charbon ardent fût tombé sur son bras, «cela, disait-il, n'étant pas dans la sentence». Une mosquée, dans les idées des musulmans, n'est point un temple où Dieu habite et fait sentir sa présence : c'est tout simplement une maison de prière, un lieu de recueillement et de contemplation où les hommes se réunissent pour adorer le Dieu unique et éternel. Leur religion, en effet, n'a d'autre dogme que celui de l'unité de Dieu ; point de culte proprement dit, ni de symboles : à l'origine même elle n'avait pas de prêtres, ou du moins tout fidèle pouvait en remplir les fonctions. Une pensée élevée et pieuse fit bientôt placer auprès de ces monuments destinés à la prière des établissements utiles, des collèges, des bibliothèques, des asiles pour les pauvres, les infirmes et les pèlerins. Sous ce rapport El-Azhar fut de tout temps un des plus riches et des plus importants établissements de l'islamisme. Ses écoles réunissaient autrefois jusqu'à vingt mille élèves de tous pays. Aujourd'hui encore les cours de son université sont suivis par tous ceux qui se destinent aux professions civiles et religieuses. L'instruction y est gratuite. Dans les dépendances, se trouve un hospice appelé la Chapelle des aveugles : trois cents aveugles de tout âge y sont entretenus aux frais de la mosquée. Cette mosquée était autrefois propriétaire de grands biens : elle en a été, comme toutes les autres, violemment dépouillée par ce fameux décret de confiscation qui fit passer entre les mains de Méhémet-Ali le sol tout entier de l'Egypte. Le pacha, en s'emparant des immeubles qui appartenaient aux établissements religieux et charitables, s'était bien engagé à leur servir des revenus suffisants pour leur entretien ; mais cet engagement ne paraît pas avoir été tenu toujours bien fidèlement, et l'importance de ces grandes fondations a par suite considérablement diminué.


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