Ernest Breton - Pompeia (1870)

Ce tombeau, découvert en août 1812, était sans aucun doute, au point de vue archéologique, le plus intéressant de tous ceux découverts à Pompéi ; sa disposition est à peu près la même que celle des monuments de Naevoleia et de Calventius, mais les matériaux en sont moins riches. Le cippe, élevé sur trois gradins et reposant sur le soubassement qui contient la chambre sépulcrale, n'est qu'un massif carré en briques dont le couronnement n'existe plus. Le devant est couvert d'une plaque de marbre dont un angle est brisé, ce qui avait malheureusement fait disparaître quelques lettres de l'inscription qui récemment a été complétée :

A. VMRRICIO A. F. MEN.
SCAVRO
II. VIR. I. D.
HVIC DECVRIONES LOCVM MONVM.
ET HS IN FVNERE ET STATVAM EQVES TR
FORO PONENDAM CENSVERVNT
SCAVRVS PATER FILIO

«A Aulus Umbricius Scaurus Menenius, fils d'Aulus, duumvir chargé de rendre la justice, les Décurions ont décerné l'emplacement d'un monument, deux mille sesterces pour ses funérailles et une statue équestre dans le forum. Scaurus père à son fils».


J. Overbeck - Pompeji (1856)

Le grand soubassement élevé sur trois degrés présentait deux rangées de bas-reliefs en stuc, autrefois coloriés, monuments des plus curieux ; moins de deux ans après leur découverte, dans la nuit du 5 mai 1814, une forte gelée avait déjà fait tomber plusieurs figures ; on chercha à assurer les autres par des crampons, ce qui n'empêcha pas entièrement un nouveau désastre ayant la même cause en février 1816. Nous avions cependant encore vu une grande partie des figures en 1830 ; à chacun de nos voyages, nous en avons trouvé quelques-unes de moins, et aujourd'hui tout a disparu, à l'exception du bas-relief placé au-dessus de la porte. Heureusement Mazois et Millin avaient pu dessiner ces sculptures si précieuses peu de temps après leur découverte. Peut-être nos lecteurs nous sauront-ils gré, bien que les monuments n'existent plus, d'en donner ici une description empruntée en partie aux ouvrages des deux antiquaires français, en partie à nos propres souvenirs.

«La rangée supérieure des bas-reliefs se prolongeant au-dessus de la porte représentait les combats de gladiateurs qui eurent lieu aux funérailles de Scaurus et fournissait les renseignements les plus précieux sur leur armement et leur manière de combattre; on y comptait huit paires de gladiateurs de différentes classes.

A. Baumeister - Denkmäler des Klassischen Altertums (1888)

Les deux premiers combattants à gauche du spectateur sont des cavaliers, equites ; ils portent comme tous les autres des casques à visière et sont armés de la lance, hasta, et du bouclier rond nommé parma. Ils sont désignés par leurs noms grossièrement tracés en noir, accompagnés d'un chiffre qui annonce le nombre de victoires que chacun d'eux a remportées. Le nom du premier, Bebrix, indique évidemment qu'il sortait d'un des pays que les Romains appelaient barbares, la Bébrycie, contrée célèbre dans l'antique histoire de l'Asie ; quinze fois déjà il a été vainqueur ; son adversaire, Nobilior, ne compte que onze victoires.

Deux gladiateurs émérites, dont l'un triompha quinze fois, et dont l'autre a déjà remporté trente victoires, regardent leur combat appuyés sur un scutum, grand bouclier qui au besoin couvrait entièrement le corps du combattant accroupi.

A. Baumeister - Denkmäler des Klassischen Altertums (1888)


A. Baumeister - Denkmäler des Klassischen Altertums (1888)

Les deux gladiateurs suivants sont représentés à la fin du combat ; l'un d'eux presque nu, portant autour des reins une sorte de tablier, subligaculum, et protégé seulement par un casque à visière et une ocrea ou bottine de bronze, est un vélite ou soldat armé à la légère. Quoique victorieux dans seize combats, il vient cette fois d'être blessé à la poitrine ; il a laissé échapper son long bouclier, son scutum, et sa lance sur laquelle son adversaire pose le pied ; il s'avoue vaincu, et, se tournant vers le peuple, il lève le doigt pour demander grâce ; l'hoplomaque, soldat pesamment armé, qui vient de remporter sur lui sa cinquième victoire, attend pour l'achever la réponse des spectateurs, qui fut une condamnation, car au-dessus de la tête du vaincu on voit la lettre fatale Θ annonçant qu'il fut mis à mort. Les noms de ces deux combattants étaient illisibles.

A. Baumeister - Denkmäler des Klassischen Altertums (1888)

Les quatre personnages suivants offrent une scène encore plus cruelle. On y voit deux secutores et deux retiarii. Nitimus, rétiaire cinq fois victorieux, a combattu contre un secutor dont le nom est effacé, mais qui n'était point indigne de lutter avec lui, puisqu'il a triomphé six fois dans différents combats. Son courage a été moins heureux dans cette rencontre ; Nitimus l'a frappé à la jambe, à la cuisse, au bras gauche et au flanc droit ; son sang coule en abondance ; en vain a-t-il imploré la pitié des spectateurs ; il est condamné, mais comme le trident n'est pas une arme sûre et prompte, c'est le secutor Hippolitus qui rend à son camarade ce cruel et dernier service. Le malheureux gladiateur fléchit le genou et présente la gorge au fer mortel sur lequel semble le pousser Nitimus, son vainqueur. Sur le second plan on aperçoit le rétiaire qui doit combattre Hippolitus.

A. Baumeister - Denkmäler des Klassischen Altertums (1888)

Enfin, un des gladiateurs du sixième groupe a laissé tomber son bouclier, action infamante dans tous les genres de combats ; il semble fuir devant son adversaire qui le poursuit et s'apprête à remporter sur lui sa sixième victoire.

Au-dessus de ces derniers bas-reliefs était une inscription presque effacée, où l'on a pu cependant déchiffrer le nom d'Ampliatus, dans lequel Millin croit reconnaître celui du personnage auquel fut consacré le tombeau ; cette opinion pourrait être admissible, car nous savons par une inscription du temple d'Isis qu'il existait à Pompéi une famille de ce nom ; mais, d'un autre côté, nous avons appris, par une inscription trouvée dans la basilique, que ce nom était aussi celui du maître d'une famille ou troupe de gladiateurs».

La suite du bas-relief se trouve, ainsi que je l'ai dit, au-dessus de la porte du monument, et s'est conservée en partie.

A. Baumeister - Denkmäler des Klassischen Altertums (1888)

Le premier groupe est formé de trois personnages ; un Samnite a été vaincu par un Mirmillon, qui s'apprête à l'immoler sans attendre la réponse du peuple auquel le vaincu a recours ; mais le lanista ou maître des gladiateurs arrête son bras. Enfin la dernière paire offre un combat semblable dans lequel le Mirmillon tombe frappé à mort par son adversaire grièvement blessé lui-même.

A. Baumeister - Denkmäler des Klassischen Altertums (1888)

La seconde rangée de bas-reliefs, ainsi que ceux qui décorent les trois gradins qui portent le cippe funéraire, et dont quelques-uns sont conservés sur les faces du nord et du midi, retracent des luttes d'une autre espèce ; ce sont des combats de bestiaires, contre des animaux de toutes sortes, ou d'animaux entre eux, combats que les Romains appelaient chasses, venationes. Parmi les animaux on reconnaissait des lions, des panthères, des sangliers, des loups, des chiens, des cerfs, des gazelles, des taureaux et jusqu'à des lièvres. Les épisodes, habilement variés, rendaient cette suite fort intéressante ; il y avait surtout une scène très curieuse, qui montrait comment on familiarisait les jeunes bestiaires avec l'aspect et les hurlements des bêtes féroces et comment on leur apprenait à les combattre.

A. Baumeister - Denkmäler des Klassischen Altertums (1888)

On y voyait un jeune homme, encore peu habile dans ces sortes de combats, attaquant une panthère irritée. L'animal portait un collier auquel tenait une longue corde nouée par l'extrémité opposée à la sangle qui ceignait un taureau qui ne faisait que retenir un peu l'élan de la bête féroce, sans paralyser entièrement ses mouvements.

A. Baumeister - Denkmäler des Klassischen Altertums (1888)

La chambre sépulcrale que renferme le soubassement recevait l'air par un petit soupirail ; c'est un columbarium entouré de quatorze niches, et dont la voûte qui porte le cippe est soutenue par un pilier carré, percé à jour sur ses quatre faces et formant ainsi une espèce de tabernacle qui était fermé d'un côté par un rideau épais attaché à des clous, et des trois autres par des vitres ; il était sans doute destiné à recevoir une urne, ou plutôt une lampe. Ce tombeau avait dû être violé à une époque postérieure à la destruction de Pompéi, car toutes les urnes avaient été enlevées et les ossements qu'elles renfermaient vidés dans les niches ; on n'a trouvé autre chose que ces débris et une petite lampe de terre cuite.


Extrait du Pompeia d'Ernest Breton (3eme édition 1870) avec illustrations complémentaires (références signalées sous les images)