Description d'Ernest Breton, in Pompeia (3eme édition 1870)
Atrium de la maison du poète |
L'habitation désignée sous ce nom et quelquefois aussi sous celui de Maison d'Homère à cause des peintures tirées de l'Iliade qui la décoraient, est située sur la rue des Thermes, en face de cet établissement et à l'angle de la rue de la Fullonica, qui la sépare de l'habitation de Pansa (1) ; elle fut déblayée de 1824 à 1826. Il est probable que, malgré sa dénomination moderne, elle ne fut autre chose que la demeure d'un riche joaillier ; en effet, les deux boutiques 1 et 2 qui se trouvent à la façade communiquent avec le prothyrum au lieu d'être indépendantes, et dans ces boutiques on a trouvé un grand nombre de bijoux, entre autres : deux colliers d'or, une corde d'or tressée sans soie, quatre bracelets imitant des serpents, dont l'un ne pesait pas moins de deux cent vingt grammes, quatre boucles d'oreilles ornées chacune de deux perles, plusieurs anneaux d'or très pesants, dont l'un avait un large chaton recouvert d'une lame de cristal de roche, et destiné à recevoir des cheveux ou un portrait, etc. |
On y a recueilli en outre une foule de coins et d'instruments en bronze et en fer qui durent servir à la fabrication de ces joyaux, des poteries, un petit poêle portatif d'une forme bizarre, et une lampe magnifique. On y trouva aussi plusieurs squelettes. L'emplacement qu'occupe cette maison est un peu irrégulier, mais l'architecte a su rendre ce défaut insensible à l'intérieur.
La porte était, comme à l'ordinaire, flanquée de deux piliers; sur celui de gauche on voyait écrit en lettres rouges aujourd'hui effacées :
M. HOLCONIVM AED.
C. GAVINIVM...
Cette inscription, qui devait être une invocation semblable à celle que nous avons vue à la même place à la porte de Pansa, était malheureusement incomplète, et ne nous apprend rien sur le propriétaire de cette belle habitation.
La porte à deux vantaux tournait sur pivots dans deux crapaudines de bronze fixées dans le marbre. Le seuil en mosaïque trouvé le 2 mars 1825 représentait un chien enchaîné avec ces mots : CAVE CANEM, prenez garde au chien (2), précaution moins fâcheuse pour les visiteurs que la présence de l'énorme molosse qui souvent accompagnait le portier (3). Cette mosaïque forme aujourd'hui le seuil de la salle des objets précieux au musée de Naples.
Après avoir franchi le prothyrum 3, on trouve un atrium toscan A, pavé en mosaïque, et qu'ornaient de nombreuses peintures dont presque tous les sujets sont tirés des poésies d'Homère ; on y voyait les Adieux d'Achille et de Briséis, une des plus jolies peintures antiques qu'on connaisse ; Chryséis rendue à son père, que quelques antiquaires croient être Hélène réunie à Ménélas ; la Chute d'Icare ; Oreste, Pylade et Electre, Junon cherchant à détacher Jupiter de la cause des Troyens, enfin une Vénus nue avec des cercles d'or aux jambes, que Gell ne craint pas de comparer à la Vénus de Médicis pour la pose, à la Vénus du Titien pour le coloris ; à ses pieds est une colombe tenant dans son bec une branche de myrte. De toutes ces peintures, la plupart au musée, il ne reste en place qu'un petit génie ailé bien conservé, et le fragment inférieur d'un tableau avec un Triton dont le torse est admirablement dessiné et qui devait conduire un char, et un Amour tenant un trident. |
Adieux d'Achille et de Briséis
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Au centre de l'atrium est le compluvium avec un joli puteal de marbre. A droite en entrant on trouve la loge du portier 9, puis une chambre 8, qui ne conserve plus des peintures qui la décoraient que des panneaux jaunes avec un soubassement rouge et quelques arabesques. La première chambre à gauche 6 avait une porte et une fenêtre, disposition assez rare, et un renfoncement creusé dans le mur pour le dossier du lit ; sa décoration était simple et du même genre que celle de la chambre précédente. La chambre 5 était beaucoup plus riche ; pavée en mosaïque, elle présente sur ses parois des panneaux alternativement jaunes et rouges, séparés par des architectures ; au centre des panneaux rouges étaient de petits Amours dont il ne reste qu'un seul ; les panneaux jaunes contenaient trois sujets : à gauche l'Enlèvement d'Europe tout à fait effacé, au fond Phryxus et Helé où l'on ne voit plus que la tête de Phryxus, et à droite une composition très malade, Apollon et Daphné, sujet obscène souvent reproduit à Pompéi. Au-dessus règne une frise sur fond blanc représentant des Amazones debout sur des chars combattant des ennemis à pied. Dans les panneaux également jaunes et rouges de la chambre 4 sont peints des oiseaux. En face de cette pièce, de l'autre côté de l'atrium, est une ala 7 pavée en mosaïque noire et blanche ; ses parois n'avaient que de simples ornements en architecture peinte, au-dessus d'un soubassement présentant des plantes sur fond noir.
Au fond de l'atrium est le tablinum B où se trouvait à droite une peinture médiocre, mais l'une des plus intéressantes par le sujet ; elle est
aujourd'hui au musée. On y voit un poète assis en costume d'esclave, et dans lequel on croit reconnaître Térence lisant ses vers devant six personnages, parmi
lesquels Apollon et Minerve qui semblent l'applaudir. Le pavé de cette salle est en mosaïque ; au centre était une composition trouvée le 2 mars 1825, qui a
été enlevée et portée au musée ; elle est placée à juste titre au nombre des plus curieuses découvertes faites à
Pompéi ; c'est une répétition théâtrale, c'est l'intérieur des coulisses, le choragium, d'un théâtre antique. On y voit
le choragus, le régisseur, entouré de masques scéniques et de ces objets divers que les modernes nomment accessoires, faisant répéter leurs
rôles à deux acteurs costumés en satyres ; un troisième, aidé d'un habilleur, s'efforce de passer une tunique qui paraît être trop
étroite. |
Choragium, in Roux, tome V, mosaïques, planche 32 |
A gauche du tablinum et par exception communiquant avec lui est une petite salle carrée 14, un tabularium, qui dut servir à contenir les archives ; sa décoration est simple ; ses panneaux offrent seulement au centre des oiseaux, une panthère, et des masques scéniques sur fond blanc. Cette pièce était éclairée sur la rue de la Fullonica par une fenêtre de 0m 61 sur 0m 91, placée à 2m 28 du sol, élevé lui-même de 0m 60 au-dessus du pavé de la rue.
La salle C fut probablement une bibliothèque. Après avoir franchi le corridor D, on se trouve dans le péristyle E, décoré de grands panneaux rouges et entouré de portiques de trois côtés seulement ; sur le quatrième se trouve dans l'angle, et adossé à la muraille, un laraire 10, petite niche très élégante, où l'on a trouvé une statuette de Faune. Dans le petit jardin qu'enferment les portiques, on a recueilli la carapace d'une tortue et plusieurs gouttières de terre cuite en forme de crapauds. A gauche du péristyle sont deux chambres à coucher, cubicula, 11 et 12, ayant, comme le tabularium, de petites fenêtres sur la rue de la Fullonica ; dans la première on voit Vénus et l'Amour pêchant à la ligne, Ariane abandonnée et Narcisse se mirant dans la fontaine ; ce dernier sujet est presque effacé. Aux autres panneaux sont des guirlandes et des Amours dont deux très bien conservés ; l'un tient un coffret, l'autre un thyrse. La seconde chambre offre trois petits paysages dont un effacé, deux cerfs, deux panthères et une chèvre.
A côté de ces chambres existe une sortie dérobée, un posticum 13. Dans l'angle de ce passage, près du laraire, on trouva le 30 janvier 1825 une très belle statuette de marbre représentant un Faune.
A droite du péristyle sont deux salles ; la plus petite F fut la cuisine; on y voit encore le fourneau, et dans l'angle à droite les latrines ; la plus grande G dut être le triclinium. Cette pièce, longue de 5m 95 sur 5m 60, et que protège un toit moderne, était richement décorée et offrait plusieurs peintures très remarquables ; on y voit au milieu d'élégantes arabesques, quatre charmantes danseuses, quatre héros, dont un est détruit, Léda présentant à Tyndare Castor, Pollux et Hélène dans un nid, Vénus, Adonis et l'Amour, composition dont la partie supérieure est très endommagée, et Thésée abandonnant Ariane, une des belles peintures de Pompéi ; Ariane est endormie, Thésée monte sur son vaisseau aidé par un de ses matelots, tandis que deux autres hâlent sur des cordages ; Minerve du haut du ciel semble applaudir à la résolution du héros. Les mosaïques du pavé blanc et noir représentent des poissons, des cygnes et d'élégantes arabesques. Enfin sous le péristyle, auprès de la porte du triclinium, se trouvait une peinture bien précieuse, si, comme tout semble l'annoncer, elle est une copie du fameux Sacrifice d'Iphigénie de Timanthe, ce tableau si vanté par Pline (4) et par Cicéron. Cette belle composition, très bien conservée et d'assez grande proportion, a été portée au musée.
Cette habitation avait un second étage ; on distingua dans les premières fouilles, parmi les fragments du pavé en mosaïque qui étaient tombés au
rez-de-chaussée, une tête de Bacchus et quelques autres figures. Sur le mur occidental de cette maison, à l'entrée de la rue de la Fullonica, on voit encore quelques
restes de cette inscription : NUMERII POEMATA ACCIPIES, tu recevras les poésies de Numerius.
(1) Dans son beau roman intitulé Les Derniers Jours de Pompéi, Bulwer a fait de cette maison l'habitation de son
héros, l'Athénien Glaucus. |
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(2) «A gauche de l'entrée, près de la loge du portier, était peint sur le mur un énorme dogue
enchaîné, et au-dessous on avait écrit : Gare, gare le chien ! Cave, cave canem» (Pétrone, Sat. XXIX). |
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(3) TRANION : «Attendez, je vous prie, que je voie si le chien... |
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(4) «L'Iphigénie de Timanthe a été célébrée par les éloges des orateurs (Cicéron, de Oratore, XXII). L'ayant représentée debout près de l'autel où elle va périr, l'artiste peignit la tristesse sur le visage de tous les assistants et surtout de Ménélas, puis, ayant épuisé tous les caractères de la douleur, il voila le visage du père, ne trouvant plus possible de lui donner l'expression convenable». (Pline, XXXV, 39). |