ABACUS (ἄβαξ)

Généralement, table rectangulaire de pierre, de marbre, de poterie, etc ; on donne aussi ce nom, dans un sens plus particulier, à divers autres objets qui ont la forme d'une tablette plane.

  1. Une tablette employée dans des opérations d'arithmétique et faite pour calculer par dizaines : semblable à celle dont se servent encore les Chinois (Davis, China, ch. 19), et qu'on appelle communément la table de Pythagore.

    La gravure représente un original publié pour la première fois par Velser (Histor. Augustan.). Il est divisé en compartiments par des rainures parallèles qui le traversent : dans chacune est introduit un certain nombre de cheveilles avec un bouton à chaque extrémité, pour qu'elles puissent se mouvoir le long des rainures sans en sortir. Les chiffres représentés par les chevilles dans chaque rainure sont marqués sur la rainure même : les plus longues, au bas, désignent les unités ; les plus courtes, au haut, les décimales.

    Une table couverte de sable était employée pour le même usage : les lignes étaient tracées pareillement sur le sable, et, au lieu de chevilles, on se servait de cailloux pour faire les calculs (Pers. Sat. I, 131). Cette table était désignée par le même nom, aussi bien que la table dont se servaient les géomètres pour tracer leurs figures (Apul. Apol. p.429 Varior).
  1. Une table de jeu, partagée de la même façon en compartiments, servait pour un des anciens jeux de hasard et de calcul : probablement, celui qui se rapproche le plus de notre trictrac, le ludus duodecim scriptorum, ou le jeu des douze lignes (Caryst. ap. Athen. X, 46).

    La gravure représente un original en marbre, de l'ère chrétienne, trouvé dans des fouilles à Rome. On remarquera qu'il est divisé, comme nos trictracs, en quatre tables séparées par des lignes entrecroisées de chaque côté, et que chaque côté lui-même est divisé en douze compartiments, par le même nombre de lignes, d'où vient le nom de duodecim scripta.


    L'inégalité des lignes sur lesquelles se mouvaient les pièces, et des intervalles qui les séparent, tenait à la nécessité de laisser assez de place pour une inscription grecque qui, dans l'original, couvre le centre, mais qu'on a omise dans la planche pour plus de commodité. En voici le sens, suivant la traduction de Saumaise : «A ceux qui jouent ainsi aux dés, Jésus-Christ donne assistance et victoire lorsqu'ils écrivent son nom avec les dés.»
    La table ici figurée était employée dans un jeu mêlé de hasard et de calcul, tel que notre trictrac : c'est ce que nous prouvent les lignes tracées sur sa surface, qui forment les points sur lesquels les jetons se mouvaient ; c'est ce que prouve aussi l'inscription qui implique que le déplacement des jetons était déterminé d'abord par le hasard d'un coup de dé. Le nom d'abacus était celui qui convenait le mieux à la table employée pour un tel jeu : cela est visible par la nature de sa surface, divisée en lignes parallèles et ressemblant exactement pour l'aspect à la table à compter ; cela est encore visible par cette circonstance que c'était en réalité une table sur laquelle on comptait des chiffres. En effet, on y additionnait les chiffres amenés par le dé pour déterminer le déplacement des jetons. Voir l'épigramme grecque citée par le docteur Hyde, et Christie (Ancient greek games, p.42), où un jeu semblable est décrit en détail.
  1. On appelle aussi abacus la table de jeu employée dans un autre jeu de calcul fort ancien, le ludus latrunculorum ; mais elle se rapproche plus de nos échiquiers et de nos damiers (Macr. Sat. I, 5). Quoique de pareils jeux remontent à une très haute antiquité et qu'ils soient représentés à la fois par les artistes égyptiens et par les artistes grecs, cependant on n'a pu établir la manière précise dont la surface de la table était divisée. En effet, elle est toujours présentée de profil et l'on ne voit que les hommes et non la face de la table.
  1. L'abacus était encore un buffet pour exposer la vaisselle d'argent, les vases à boire et les ustensiles de table dans le triclinium ou salle à manger (Cic. Verr. IV, 16 ; Juv. III, 204 ; Plin. H.N. XXXVII, 6). La figure, copiée d'après une lampe d'argile, représente un de ces buffets avec l'argenterie qui le couvre. Il se compose de deux tables, l'inférieure supportée par deux pieds, et la supérieure par un pied en console, qui repose sur la table inférieure. Les buffets du genre le plus simple étaient de marbre, et les plus précieux de bronze ; la surface en était quelquefois percée de trous pour recevoir les vases qui se terminaient en pointe ou par une base étroite, et qui, par conséquent, ne pouvaient se tenir debout.
    C'est là, à ce qu'il semble, l'interprétation la plus naturelle de multiplices cavernae (Carm. XVII, 7, 8) ; car le terme dont on se sert pour marquer qu'on étale de la vaisselle sur un buffet est exponere (Petr. Sat. 73), et il serait employé à tort si, d'après le sens reçu, ces cavernae étaient des compartiments, comme les cases d'un cabinet où l'argenterie serait plutôt cachée qu'étalée.
  1. Une table de marbre employée pour revêtir les parois d'une chambre (Plin. H.N. XXXV, 1). Quelquefois toute la surface de la paroi était couverte de ces tables, comme on le voit dans un appartement du palais de Didon, d'après le Virgile du Vatican ; quelquefois on n'y appliquait que des caissons ou des panneaux comme ornement ; et comme l'extravagance est ordinairement accompagnée de mauvais goût, de temps en temps le marbre lui-même était peint (Plin. H.N. XXXIII, 56) ; quelquefois enfin un revêtement de stuc ou de ciment blanc et dur, qui pouvait recevoir un très grand poli, était détaché par la scie de la paroi d'une vieille maison et appliqué comme abacus au lieu de marbre. Voyez, dans Vitruve, VII, 3, 10, un passage que Becker, dans son Gallus, p.23 n°11 de la traduction anglaise, applique aux buffets, mais évidemment à tort.
  1. Une tablette carrée que les premiers constructeurs plaçaient sur la tête de leurs colonnes de bois : ils ménageaient ainsi une large surface plate pour recevoir la poutre qui supportait le toit, et ils préparèrent ainsi la création des chapiteaux (Vitruv. IV, 1, 11).

    Il est à croire que cette simple tablette resta pendant une assez longue période l'unique chapiteau ; et dans l'ordre dorique, le plus ancien et le plus simple des ordres grecs, elle ne perdit jamais son caractère original ; mais elle demeura encore, avec l'unique addition d'un autre membre plus petit (l'echinus), la partie proéminente et la plus imposante du chapiteau. L'invention d'ordres d'architecture plus riches modifia la grandeur, la forme et le caractère de l'abacus, quoique le nom se conservât toujours et s'appliquât au couronnement de tout chapiteau. Ces variétés sont expliquées et éclaircies tout au long au mot capitulum.
    La figure représente une de ces tombes sculptées dans le roc à Beni-Hassan, que M. Georges Wilkinson fait remonter jusqu'à 1740 avant JC. Elle est tout à fait curieuse pour les traces primitives qu'elle a conservées de ce style de construction que le travail, l'art et le raffinement des Grecs perfectionnèrent peu à peu et embellirent jusqu'à ce qu'il arrivât à la plus parfaite de toutes les constructions, le temple dorique. Il n'y a là ni base ni plinthe ; les colonnes sont cannelées ; le chapiteau se compose d'un simple abacus ; une seule poutre ou architrave forme l'entablement et supporte une sorte de corniche sculptée qui prétend imiter un toit de roseaux : et comme il n'y a pas de frise (zophorus) entre elle et l'architrave, nous pouvons la rapporter par induction à une période où les bâtiments étaient seulement couverts par un toit extérieur (tectum), sans soffite ou plafond (caelum) ; car les poutres qui formaient le plafond se montraient extérieurement par cette partie qu'on appela dans la suite une frise. Voyez zophorus.