Cet ensemble de courtes pièces poétiques fut publié en 80 après JC, à l'occasion de l'inauguration de l'amphithéâtre Flavien, le Colisée.


1. L'AMPHITHEATRE DE DOMITIEN

Que la barbare Memphis ne nous parle plus de ses merveilleuses Pyramides ; que Babylone exalte moins ses murailles ; qu'on cesse de vanter le temple élevé par la molle Ionie à Diane Trivia, et l'autel d'Apollon, construit avec des cornes d'animaux ; que la Carie ne porte pas aux nues son Mausolée, et parle avec moins d'emphase de ce tombeau suspendu dans les airs. Tous ces monuments le cèdent à l'amphithéâtre de César ; lui seul doit par dessus tous occuper les voix de la Renommée.

2. LES MONUMENTS PUBLICS DE DOMITIEN

Là où le radieux colosse contemple les astres de près, où la voie agrandie se prête au jeu des machines de théâtre, resplendissait naguère dans toute sa magnificence l'odieux palais d'un tyran ; et ce palais, à lui seul, remplissait Rome entière. Là où s'élève aujourd'hui l'imposante masse d'un magnifique amphithéâtre, se trouvaient naguère les étangs de Néron. Là où nous admirons ces Thermes construits avec tant de rapidité, et dont le luxe nous étonne, était un champ agrandi aux dépens des maisons de quelques malheureux. Là enfin où nous voyons s'étendre le portique de Claude, se terminaient les bâtiments du palais impérial. Rome est rendue à elle-même, et ces lieux qui avaient été les délices d'un tyran, César, sont devenus, sous votre règne, les délices du peuple.

3. SUR LE CONCOURS DES ETRANGERS A ROME, ET SUR LEURS ACCLAMATIONS

Quelle nation assez lointaine, assez barbare, qui n'ait à Rome, pour l'admirer, un représentant ? Le montagnard du Rhodope et de l'Hémus, cher à Orphée, est ici ; on y voit le Sarmate qui s'abreuve de sang de cheval, l'Ethiopien qui boit les eaux du Nil à sa source, celui dont les rivages sont battus par les derniers flots de la mer. L'Arabe y accourt avec le Sabéen, et le Cilicien y est arrosé des parfums de son pays. Le Sicambre aux cheveux tressés et bouclés s'y rencontre avec l'Ethiopien crépu. Mille langues différentes s'y parlent ; mais tous ces peuples n'en ont qu'une pour vous nommer, César, le père de la patrie.

4. A CESAR, SUR LA PROSCRIPTION DES DELATEURS

Cette foule odieuse, ennemie de la paix , de l'ordre et du repos, qui ne cherchait qu'à s'enrichir des dépouilles d'autrui, est reléguée dans la Gétulie, dont les sables ne suffisent point à tant de coupables ! Le délateur subit l'exil qu'il faisait naguère subir aux autres.

5. AU PEUPLE ROMAIN SUR CES MEMES DELATEURS

Le délateur proscrit fuit loin de Rome ; la vie nous est rendue : tenons compte à César de ce nouveau bienfait.

6. SUR LE SPECTACLE DE PASIPHAE

Croyez que Pasiphaé s'est accouplée avec le taureau de Crète ; nous en avons vu un exemple. Que l'antiquité cesse donc, ô César, de n'admirer qu'elle. Tout ce que la renommée nous en a dit, la scène le reproduit devant tes yeux.

7. SUR UN COMBAT DE FEMMES AVEC DES ANIMAUX

César, ce n'est pas assez que l'invincible Mars déploie pour toi sa valeur ; Vénus elle-même se mêle aux combats.

8. SUR LE MEME SUJET

La renommée célébra le glorieux exploit d'Hercule, terrassant dans une vaste vallée le lion Néméen. Que l'antique crédulité se taise ; car dans cet amphithéâtre, témoignage de votre munificence, ô César, nous avons vu un pareil miracle accompli par la main d'une femme.

9. SUR UN CONDAMNE DONNANT UNE REPRESENTATION VERITABLE DU SUPPLICE DE LAUREOLUS

Tel Prométhée, enchaîné sur un roc, en Scythie, nourrit de ses entrailles renaissantes l'insatiable vautour, tel ce Lauréolus, attaché à une véritable croix, vient d'offrir sa poitrine nue à un ours de Calédonie. Ses membres déchirés palpitaient, inondés de sang, et son corps tout entier n'était plus un corps. Soit qu'il eût assassiné son père, égorgé son maître, ou dérobé, dans sa fureur sacrilège, l'or de nos temples, soit qu'il eût tenté d'incendier Rome, le scélérat avait sans doute surpassé les crimes dont parle l'antiquité, et ce qui ne fut jadis qu'une fiction devint ici un supplice réel.

10. SUR LA FABLE DE DEDALE

Dédale, quand tu es ainsi déchiré par un ours de Lucanie, que tu voudrais alors avoir tes ailes !

11. SUR UN RHINOCEROS

C'est pour vous, César, que ce rhinocéros exposé dans l'arène a combattu au delà de ce qu'il promettait. Comme il baissait la tête ! combien sa fureur était terrible ! Quelle force il y avait dans cette corne pour laquelle un taureau n'était qu'un manequin !

12. SUR UN LION QUI AVAIT BLESSE SON MAITRE

Un lion ingrat et perfide avait mordu et blessé son maître ; il avait osé ensanglanter les mains qu'il devait si bien connaître : mais il paya la peine d'un tel forfait, et souffrit patiemment des traits, lui qui n'avait pu souffrir des coups. Quelles doivent être les moeurs des citoyens sous un prince qui force jusqu'aux bêtes féroces à s'adoucir ?

13. SUR UN OURS

En se ruant, en se roulant sur l'arène sanglante, cet ours s'est ôté le moyen de fuir ; il s'est empêtré dans la glu. Que les brillants épieux rentrent dans leurs gaines ; qu'on cesse de brandir et de lancer les piques ; qu'on chasse et qu'on saisisse la proie dans les airs, si l'on veut employer l'art de l'oiseleur contre les quadrupèdes des forêts.

14. SUR UNE LAIE QUI MIT BAS PAR UNE BLESSURE

Dans un de ces exercices sanglants de la chasse que nous offre César, une laie qu'avait percée un léger javelot mit bas un marcassin par l'ouverture même de la blessure. Cruelle Lucine ! est-ce là mettre bas ? Elle fût morte volontiers percée de bien d'autres traits, pour ouvrir à toute sa portée le chemin de la vie. Qui niera maintenant que Bacchus soit né de la mort de sa mère ? Oui, vous devez croire qu'un Dieu naquit ainsi, puisqu'une bête vient de le faire.

15. SUR LE MEME SUJET

Frappée d'un trait pesant et mortellement blessée, une laie perdit et donna la vie en même temps. Qu'elle fut adroite la main qui lança le fer ! Je croirais que ce fut celle de Lucine. La bête expirante éprouva la double puissance de Diane, par le fait de sa délivrance et par celui de sa mort.

16. SUR LE MEME SUJET

Une laie, près de son terme, mit bas avant le temps et devint mère par une blessure. Le marcassin ne fut pas tué, mais pendant que sa mère mourait, lui courait. Que le hasard est habile !

17. SUR LE CHASSEUR CARPOPHORUS

La gloire immense que tu as acquise, ô Méléagre ! en tuant le sanglier de Calydon, n'est qu'une portion bien petite de celle de Carpophorus. Il perça de son épieu un ours qui se précipitait dans l'arène, et le premier de ceux qui furent jamais sous le pôle arctique ; il terrassa un lion d'une taille inconnue jusqu'alors, et dont la défaite aurait illustré la main d'Hercule ; enfin, il étendit mort le plus agile des léopards. Et, après ces victoires, quand il en recevait le prix, il était encore tout dispos.

18. SUR HERCULE PORTE AU CIEL SUR UN TAUREAU

Ce taureau qui s'élance de l'arène et monte dans les airs n'est point l'oeuvre de l'art, mais de la piété. Un taureau avait porté Europe à travers le liquide empire de son frère, un taureau porte aujourd'hui Hercule dans le ciel. Comparez la fable de Jupiter et celle de César. Le poids était le même pour les deux taureaux ; mais le dernier s'éleva davantage.

19. SUR UN ELEPHANT QUI ADORAIT CESAR

Cet éléphant si pieux et si humble, qui vous adore, César, et qui tout à l'heure était si redoutable au taureau, n'agit point ainsi par ordre, ni parce qu'un maître le lui a enseigné : il sent, croyez-moi, aussi bien que nous, la présence de votre divinité.

20. SUR UN TIGRE APPRIVOISE REVENU TOUT A COUP A SA FEROCITE, A LA VUE D'UN LION

Habitué à lécher la main d'un maître confiant, un tigre, la merveille et la gloire des montagnes de l'Hyrcanie, a déchiré de sa dent impitoyable un lion furieux. Jusqu'ici, on n'avait rien vu de pareil. Tant qu'il vécut dans les forêts, ce tigre ne fut jamais si audacieux ; mais, depuis qu'il est parmi nous, il est devenu plus féroce.

21. SUR UN TAUREAU ET UN ELEPHANT

Ce taureau qui tout à l'heure, excité par les flammes, faisait voler dans les airs les débris des mannequins, et en jonchait l'arène, tomba enfin, frappé par la défense d'un éléphant qu'il croyait enlever aussi facilement que les mannequins.

22. SUR UN COUPLE DE GLADIATEURS

Ici on voulait Myrinus, et là Triumphus : César, par un signe de chaque main, les promit tous deux. Il ne pouvait mieux clore ce plaisant débat. 0 l'ingénieuse bonté d'un prince invincible !

23. SUR UN SPECTACLE D'ORPHEE

Tout ce qui se passa, dit-on, sur le mont Rhodope du temps d'Orphée, l'arène, César, l'a représenté devant vous. On y vit marcher les pierres et courir une forêt merveilleuse, telle que fut, dit-on, celle des Hespérides ; on y vit les bêtes fauves pêle-mêle avec les troupeaux, et une foule d'oiseaux voltiger au-dessus de la tête du poète. Lui-même périt, déchiré par un ours ingrat. Ici, le fait est aussi réel que l'ancien récit est fabuleux.

24. SUR UN RHINOCEROS

Tandis que, tout tremblants, les piqueurs excitaient le rhinocéros, et que celui-ci prenait son temps pour rassembler ses forces, on doutait que le combat annoncé eût lieu. Tout à coup l'animal, donnant cours à sa rage, enlève d'un coup de corne un ours monstrueux, aussi facilement que le taureau lance les mannequins dans les airs.

25. SUR CARPOPHORUS

Avec quelle assurance la main vigoureuse et jeune encore de Carpophorus dirige les coups d'un épieu dorien ! Il porte sur sa tête, et sans se gêner, deux taureaux ; il immole le féroce bubale aussi bien que le bison. Le lion fuit devant lui, et court tomber sous les traits d'autres chasseurs. Va maintenant, peuple impatient, et plains-toi qu'on te fasse attendre !

26. SUR UNE NAUMACHIE

Qui que vous soyez, spectateurs venus trop tard des pays lointains, et qui voyez ces jeux pour la première fois, ne soyez point dupes de cette Bellone navale, de ces flots pareils à la mer. Là fut la terre, il n'y a qu'un moment. En doutez-vous ? Attendez que l'eau, en se retirant, mette fin aux combats ; ce sera fait en un moment. Vous direz alors : La mer était là tout à l'heure.

27. SUR LE SPECTACLE DE LEANDRE

Cesse d'être surpris, Léandre, que les flots t'aient épargné dans tes voyages nocturnes : ce sont les flots de César.

28. SUR LEANDRE

Lorsque l'audacieux Léandre allait visiter l'objet de ses amours, et qu'accablé de lassitude, il pliait sous l'effort des vagues, le malheureux adressait, dit-on, ces paroles aux flots menaçants : «Epargnez-moi, lorsque je vais ; ne me noyez qu'à mon retour».

29. SUR DES NAGEURS

La troupe docile des Néréides joua au sein de ces flots, et traça sur les eaux complaisantes cent figures variées. Ici, elles figurèrent le trident aux pointes menaçantes et l'ancre aux dents recourbées ; là, nous crûmes voir une rame, et plus loin un vaisseau ; puis la constellation des fils de Léda, chère aux matelots, puis les larges ondulations des voiles gonflées par le vent. Qui donc a conçu l'idée de ces jeux merveilleux sur le liquide élément ? Ou Thétis les apprit à César, ou bien elle les apprit de lui.

30. SUR CARPOPHORUS

César, si l'antiquité eût vu naître Carpophorus, l'univers eût été plus facilement délivré de ses fléaux : un taureau n'eût point effrayé Marathon, un lion la forêt de Némée, un sanglier le Ménale. Cette main armée eût d'un seul coup abattu toutes les têtes de l'hydre ; elle n'eût frappé qu'une fois la Chimère. Elle eût vaincu, sans le secours de Médée, les taureaux aux pieds de feu, et, seule, brisé les chaînes d'Hésion et d'Andromède. Comptez les travaux qui font la gloire d'Hercule : n'est-ce pas les surpasser que de vaincre en une fois vingt animaux féroces ?

31. SUR UNE NAUMACHIE ET D'AUTRES SPECTACLES REPRESENTES SUR L'EAU

Auguste mérita des éloges pour avoir fait combattre des flottes et retentir sur les mers la trompette navale. Mais que sa gloire est petite auprès de celle de César ! Thétis et Galatée ont vu dans leur empire des animaux sauvages et inconnus ; le Triton a vu des chars brûler la route sur l'onde écumeuse ; il a pris leurs chevaux pour ceux de son maître ; et tandis que Nérée dispose les vaisseaux pour le combat, il refuse d'aller à pied sur son élément. Enfin tout ce qui se passe dans le Cirque et dans l'Amphithéâtre est reproduit dans les eaux du magnifique César. Qu'on ne nous parle plus du lac Fucin ni des étangs de l'indolent Néron ; les siècles futurs ne connaîtront que cette seule naumachie.

32. SUR LES GLADIATEURS PRISCUS ET VERUS

Quand Priscus et Vérus prolongeaient le combat, sans fixer la victoire, on demanda souvent à grands cris quartier pour ces athlètes. Mais César était le premier à souffrir la loi qu'il avait faite. Cette loi déclarait la lutte terminée quand un des combattants avait levé le doigt. Jusque-là César permettait souvent qu'on leur donnât à manger et qu'on leur fit des présents. Cette fois pourtant, il trouva un moyen de mettre fin à ce combat toujours égal. Avantages, défaites, tout se compensait parfaitement chez nos deux champions. César envoya à l'un et à l'autre la baguette de congé et la palme de la victoire, juste récompense de leur adresse et de leur courage. Nul prince, vous excepté, César, n'eut le bonheur de voir deux combattants tous deux vainqueurs.

33. A CESAR (Fragment)

César, excusez ces vers improvisés : celui-là ne mérite pas votre disgrâce, qui s'empresse trop de vous plaire.

34. AU MEME (Autre fragment)

Céder au plus fort, c'est n'être ni sans mérite ni sans courage ; mais qu'elle est lourde à subir la victoire d'un faible ennemi !

35. SUR UN DAIM ET DES CHIENS

Chassé par des chiens agiles, un daim fuyait, cherchant à les dépister à force de ruses et de détours. Il s'arrêta aux pieds de César, comme pour le supplier et lui demander grâce ; et les chiens ne le touchèrent pas... Il avait reconnu César, et c'est ce qui le sauva : car César est un dieu ; sa force est sacrée, sa puissance l'est aussi : croyez-le, les bêtes ne savent pas mentir.

36. AUTRE FRAGMENT, EXTRAIT DE L'ANCIEN SCOLIASTE DE JUVENAL

Race des Flaviens, quel tort a fait à ta gloire ton troisième héritier ! Il valait tout autant, ou du moins, peu s'en faut, que tu n'eusses pas les deux autres.