(Choros), Choeur. - L'acception primitive de ce mot, «lieu affecté à la danse», s'est fort étendue avec le temps. De bonne heure il est dit de la danse elle-même, d'une troupe qui danse en chantant, enfin des poésies ainsi chantées, qu'elles appartiennent au genre mélique ou au genre dramatique.

Le choeur dansant et chantant à la fois, tout en restant à un endroit déterminé d'où il ne sort point, personnage collectif qui figure dans les cérémonies religieuses et les représentations théâtrales de la Grèce, organe de la poésie d'un Pindare, d'un Eschyle ou d'un Aristophane, ne date point de l'époque héroïque. A l'origine nous rencontrons deux éléments qui demeurèrent d'abord distincts avant de s'associer et de s'unir comme ils le sont dans le choeur : le chant d'une troupe qui s'avance d'un pas cadencé, et la danse exécutée d'après le rythme d'un air chanté ou joué par un personnage qui ne fait point partie de la troupe des danseurs.

Dans l'Iliade, les Achéens, après avoir offert à Apollon un sacrifice expiatoire, chantent un péan en l'honneur du dieu. Vers la fin du poème, lorsqu'Achille a tué Hector, il invite ses compagnons à le suivre vers les vaisseaux en chantant cet hymne triomphal : «Nous avons acquis une grande gloire, nous avons tué le divin Hector que les Troyens invoquaient comme un dieu». Dans le premier exemple les chanteurs sont assis, dans le second ils marchent. Dans l'hymne à Apollon Pythien, nous voyons le dieu se rendant à Pytho en jouant de la lyre, tandis que les Crétois le suivent d'un pas cadencé en chantant le Péan.

Le chant et la danse sont attribués à des personnages distincts dans la description homérique du bouclier d'Achille et dans celle qu'Hésiode donne du bouclier d'Hercule. De jeunes hommes et de jeunes filles reviennent de la vigne en portant des corbeilles pleines de raisin. Au milieu d'eux un enfant chante un beau linos en s'accompagnant de la lyre. Ils s'avancent avec lui en bondissant et en chantant un refrain. - De jeunes hommes et de jeunes filles dansent en se tenant par la main. Tantôt ils tournent rapidement, tantôt ils se disposent en rangs qui se font face. Un aède joue de la lyre, et deux kubistêtêres, littéralement deux sauteurs [Cernuus], bondissent au milieu d'eux. Homère compare ce choeur (choron) à celui que Dédale avait composé à Cnosse pour la belle Ariadne. La fête qui a lieu à l'occasion d'un mariage présente deux parties : le cortège des jeunes filles s'avance au chant d'un hyménée ou épithalame ; de jeunes danseurs tournent au son des lyres et des flûtes.

Dans le Bouclier d'Hercule, Hésiode décrit la fête de l'hyménée avec plus de détails, tout en restant fidèle à la conception générale du tableau homérique. La peinture du komos, troupe joyeuse de jeunes gens qui s'avancent en chantant et en dansant au son de la flûte, est le développement de la seconde partie de la description que présente le bouclier d'Achille.

Nous n'insisterons pas sur cette période naïve où le chant et la danse s'unissent à toutes les manifestations de la vie, et qui est le berceau de la civilisation hellénique. On y reconnaît déjà en germe la plupart des genres dont le développement remplit l'histoire de la poésie grecque. Mais la transition entre l'époque primitive et les temps classiques est souvent difficile à marquer. Il semble que de bonne heure un progrès dont personne ne peut être regardé comme l'auteur unique et qu'explique suffisamment la parenté de l'orchestique et de la musique, amena à constituer le choeur chargé de chanter et de danser en même temps. Ses services étaient requis en une foule de circonstances, car la poésie mélique, bien différente de la poésie lyrique moderne, a plutôt pour objet des intérêts généraux. Si elle est le charme des cercles intimes, elle est surtout l'ornement des fêtes publiques, une partie essentielle du culte. Elle emprunte à la musique et à l'orchestrique toutes leurs ressources, aux arts plastiques toutes leurs séductions, pour être à la hauteur de sa fonction. La chorégie [Choregia], institution si respectée et charge si lourde, est une preuve du soin que les Grecs mettaient à donner à l'exécution solennelle des oeuvres lyriques une magnificence et une perfection en rapport avec l'importance que ces poèmes avaient dans la célébration de fêtes qui intéressaient également la ferveur religieuse et l'amour-propre national.

La poésie mélique a donné naissance au genre dramatique. Par une de ses branches, le dithyrambe, elle aboutit à la tragédie et au drame satyrique ; par lechoeur phallique elle aboutit à la comédie, mais dans le drame elle s'est réservé une place : le choeur y reste son représentant.

Nous examinons ici le choeur dramatique sous ses trois formes : tragique, satyrique, comique. A l'article Dithyrambus il sera traité du choeur cyclique ou dithyrambique. Aux articles Pyrrhica et Tibicen il sera traité des choeurs de pyrrhichistes et de joueurs de flûte.

  1. [Théâtre grec]
    1. Choeur de la tragédie

      Le choeur cyclique ou dithyrambique était composé de cinquante personnes. Ce nombre fut peut-être l'origine du chiffre des douze choreutes qui étaient attribués d'abord à chaque tragédie. Le poète présentait en effet une tétralogie, ou quatre pièces, au concours dramatique, et il semble naturel qu'on lui ait accordé pour la représentation de son oeuvre un choeur égal au choeur dithyrambique. Ce chiffre de douze fut élevé à quinze par Sophocle et ne subit plus de modifications.

      Le choeur est un personnage collectif qui d'ordinaire représente l'opinion publique, et qui prend part au drame au moins autant par ses actes que par ses réflexions ou ses conseils.

      Sa composition varie suivant les sujets traités par le poète. Dans le Prométhée d'Eschyle, pièce toute mythologique, ce sont les nymphes Océanides qui assistent aux souffrances du héros enchaîné et torturé. En général les choreutes sont du même sexe que les personnages principaux et leur sont unis par des relations particulières. Le poète s'attache moins fortement à l'égalité de l'âge. Dans Electre, des amies, plus âgées qu'elle, s'efforcent de consoler la jeune princesse. Dans Philoctète, Néoptolème est accompagné à Lemnos par des guerriers plus âgés que lui, et dans ses autres pièces Sophocle nous offre encore des choeurs de vieillards que recommandaient sans doute à son choix la connaissance plus complète de la vie et une sagesse plus douce.

      L'usage ne permettant pas d'employer les femmes dans les représentations théâtrales, les choreutes comme les acteurs [Histrio] étaient toujours des hommes. Leurs masques [Persona] et leurs costumes variaient suivant les pièces. On conçoit que la danse étant une partie de leurs exercices, ils étaient dispensés de chausser l'incommode cothurne.

      Les citoyens athéniens étaient seuls admis à faire partie du choeur. Le lieu consacré aux évolutions du choeur était l'orchestre, bien que le choeur ait pu paraître sur la scène quand l'action y réclamait sa présence. Il quittait rarement l'orchestre avant la fin de la pièce ; parfois il en sortait pendant l'action pour y revenir ensuite, comme dans Ajax de Sophocle, dans Alceste et Hélène d'Euripide. D'ordinaire le choeur arrivait sur l'orchestre par le côté droit de la scène, qui était regardé comme représentant la ville elle-même, tandis que le côté gauche représentait la campagne ou l'étranger. Il faut remarquer que le choeur est composé le plus souvent de personnages natifs du lieu de l'action, et qu'au théâtre de Bacchus, à Athènes, les spectateurs avaient à leur droite le port et la ville, à leur gauche la campagne et l'étranger. Le choeur arrive par le côté gauche dans les Suppliantes, Prométhée, les Euménides d'Eschyle, Philoctète de Sophocle, les Phéniciennes, les Suppliantes, Iphigénie à Aulis, les Bacchantes, Hélène d'Euripide.

      Le choeur tragique, comme le choeur satyrique et le choeur comique, se présentait sous une forme quadrangulaire. Cette forme, si différente de la ronde primitive des choeurs cycliques, offrait au théâtre de très grands avantages parce qu'elle se prêtait aux évolutions les plus variées et les plus compliquées. Elle paraît avoir été empruntée au choeur dorien qui était aussi quadrangulaire.

      Le choeur était formé sur trois rangs (stoichoi) de quatre choreutes quand le nombre total était de douze, de cinq quand ce nombre fut devenu de quinze. La file (zugon) fut toujours de trois choreutes.Le choeur marche kata stoichous, ou par rangs, quand il s'avance par trois hommes de front sur cinq hommes de profondeur ; kata zuga, ou par files, quand il s'avance par cinq hommes de front sur trois hommes de profondeur.

      Les choreutes faisaient parfois leur entrée sans être rangés de cette façon régulière, mais un à un. Une tradition veut que les Furies dans les Euménides d'Eschyle se soient précipitées en désordre sur la scène de manière à effrayer les spectateurs.

      Les trois rangs de choreutes portaient des noms différents, qui s'expliquent aisément,si l'on considère comment les spectateurs voyaient le choeur. Celui-ci faisant son entrée par la porte située à la gauche de la scène (droite du théâtre), les cinq choreutes qui se trouvaient les plus rapprochés du public avaient celui-ci à leur gauche : ils étaient dits aristerostatai. En faisant un quart de tour à gauche ils faisaient face au public aux yeux duquel ils formaient la première ligne. De là leur autre nom de prôtostatai. Ce rang était regardé comme le plus honorable. On y plaçait les meilleurs chanteurs, les plus habiles danseurs, parce qu'il était le plus éxposé à l'attention du public : le coryphée et les deux parastates, comme on le verra plus loin, s'y trouvaient aussi.

      Les choreutes qui formaient d'abord l'aile droite, puis le troisième rang, s'appelaient dexiostatai et tritostatai : c'étaient les plus rapprochés de la scène.

      Les deuterostatai, ou choreutes du second rang, étaient dits aussi laurostatai parce qu'ils remplissaient le vide entre les deux autres rangs. Cette place, réservée aux choreutes les moins habiles, était aussi la moins honorable. On appelait enfin kraspeditai ou psileis les trois derniers choreutes des trois rangs.

      Les termes employés pour désigner les choreutes étaient empruntés à la tactique militaire. Dans ses évolutions le choeur était guidé par un chef, le coryphée, koruphaios. Il occupait la troisième place du premier rang, de celui qui était le plus rapproché des spectateurs. Il est probable que lorsque le choeur venait de l'étranger, c'est-à-dire lorsqu'il entrait par la porte de gauche, le rang composé des meilleurs choreutes se trouvait encore le plus rapproché du public, sans que pour cela on ait songé à changer les dénominations ordinaires des rangs. Il est aussi probable qu'après le premier chant du choeur (parodos), on opérait une évolution, et que le coryphée se plaçait près de la scène. C'est avec lui en effet que s'entretiennent les personnages principaux, c'est lui qui représente le choeur auprès d'eux.

      A côté du coryphée, à sa droite et à sa gauche, étaient les deux parastates (parastatai), chefs subalternes qui l'aidaient dans sa tâche. Il y avait ainsi deux demi-choeurs (êmichoria) qui agissaient sous la direction commune du coryphée. On a supposé qu'un terme particulier, dichorie (dichoria), exprimait cette division du choeur en deux moitiés composées de personnages différant par l'âge, le sexe ou la condition. Le fait est certain pour les Oiseaux d'Aristophane où le choeur est formé de douze oiseaux mâles et de douze oiseaux femelles, probable pour les Suppliantes d'Eschyle où le choeur est formé de six Danaïdes et de six servantes. Quand le choeur était composé de douze personnages, il n'y avait sans doute qu'un parastate ; le coryphée conduisait le premier demi-choeur et le parastate conduisait le second.

      A l'exemple de Sommerbrodt et de Muff nous joignons à ces indications des tableaux qui les rendront plus intelligibles.

    2. Choeur de quinze choreutes faisant son entrée par rangs (kata stoichous).


      Choeur de quinze choreutes faisant son entrée par files (kata zuga).

      Dans les tableaux suivants le signe D indique la place occupée par le coryphée, le signe 0 la place occupée par les parastates.

      Choeur de quinze personnes. Entrée par rangs.


      Choeur de quinze personnes. Entrée par files.


      Choeur de douze personnes. Entrée par rangs.

      Le choeur, qu'il ne fît que passer sur la scène ou qu'il s'y arrêtât pour chanter la parodos, descendait sur l'orchestre, appelé aussi thymèlè, par des degrés qui le reliaient à la scène. Là il devait chanter et danser, souvent faire les deux choses à la fois. Des lignes (grammai), destinées à régler ses évolutions, étaient tracées sur le plancher de l'orchestre. Des joueurs de flûte accompagnaient ses chants et ses danses. Des officiers publics (Epimelêtai) veillaient à la discipline des choreutes.

      Les chants du choeur (ta chorika) se distinguent en parodos, épiparodos, stasimon, hyporchème, komnws, exodos.

      La parodos est, dans la tragédie comme dans la comédie, le premier chant du choeur, y compris les hypermètres anapestiques qui en précèdent immédiatement la première strophe dans quelques tragédies. C'était à l'origine, l'étymologie le prouve, le chant qui accompagnait l'entrée du choeur, mais dans la suite l'usage donna ce nom au premier grand morceau chanté par le choeur tout entier.

      L'epiparodos est évidemment un chant qui succède à la parodos, soit que le choeur revienne sur l'orchestre après l'avoir quitté, soit qu'il remplace un autre choeur.

      Les stasima sont les chants que le choeur fait entendre une fois qu'il occupe sa place sur l'orchestre. Dans la construction de la tragédie, les stasima se rencontrent régulièrement aux moments où l'action éprouve un temps d'arrêt, et séparent deux épisodes ou actes. Ils remplissent en quelque façon l'entr'acte, et on comprend qu'ils devaient se rapporter étroitement au sujet de la pièce afin que celui-ci fût toujours présent à la pensée des spectateurs.

      Le choeur tragique, comme le choeur dithyrambique, chantait en dansant. Les noms de strophe, antistrophe, épode qui désignent les parties constitutives du dithyrambe, répondent aux mouvements que le choeur opérait, allant vers la droite pendant la strophe, vers la gauche pendant l'antistrophe, s'arrêtant pour l'épode.

      Sa danse ordinaire, l'emmeleia, était grave et solennelle. Mais quand l'action prenait un caractère plus émouvant, au dithyrambe succédait l'uporchêma, genre plus vif et plus animé qui était accompagné d'une danse d'un caractère analogue. L'hyporchème affectait trois formes : tantôt les choreutes dansaient en chantant, tantôt les uns dansaient pendant que les autres chantaient, tantôt le coryphée chantait seul tandis que le choeur dansait. L'étude de la danse antique et de ses moyens d'interprétation dramatique se trouvera à l'article Saltatio.

      Le mot kommos, dérivé de koptein, frapper, désigne un chant plaintif pendant lequel la personne affligée se frappe la poitrine. Ce genre est commun à tous les personnages de la tragédie et n'est pas particulier au choeur.

      L'exodos, grand choeur final, contre-partie de la parodos, termine les Perses, les Suppliantes, les Euménides d'Eschyle. Mais à dater de Sophocle le mot exodos est le terme technique pour signifier le dernier acte, la partie de la pièce qui suit le dernier choeur. Il n'est pas employé pour désigner les quelques vers qui terminent souvent la tragédie, et qui ne sont pas un chant chorique proprement dit, mais qui sont débités par le coryphée pendant la sortie du choeur.

      Le choeur ne chantait pas seul, mais était toujours soutenu par la flûte. Un joueur de flûte le précédait quand il arrivait sur l'orchestre, accompagnait ses chants pendant toute la durée de la représentation, et continuait à jouer pendant qu'il sortait, une fois la pièce terminée. Le choeur chantait à l'unisson. Il est incontestable que les Grecs ne songèrent jamais à associer les voix autrement. Mais le fait est moins certain pour les instruments qui accompagnaient le choeur. A l'origine ils ne servirent qu'à renforcer l'ensemble choral, à bien marquer la mesure, à donner plus de sûreté à l'exécution de la mélodie. Mais il est possible qu'avec les progrès de l'art et aussi de la science harmonique, on ait employé la flûte à exécuter des variations sur le motif de la mélodie chorale.

      Il faut distinguer le chant proprement dit du choeur ou melos, et le récitatif noté ou parakatalogê. Ce récitatif qui, à l'origine, était accompagné par un instrument à corde, le clepsiambe, le fut ensuite par la flûte. L'examen seul de la métrique des parties du choeur permet de reconnaître quand il y avait melos ou parakatalogê. On comprend que les morceaux vraiment lyriques appartiennent au premier genre, et que l'on doit attribuer la plupart des autres au second.

      Les figures ci-dessus reproduisent des peintures découvertes par un voyageur, Pacho, dans une nécropole de Cyrène, au commencement de ce siècle. On jugea d'abord qu'elles devaient représenter des jeux funéraires. D'après M. Wieseler, qui les a commentées, nous avons ici la représentation de choreutes distribués en trois groupes, chacun réunissant sept personnes. En effet, le choeur qui accompagnait un choraules paraît avoir été composé de sept chanteurs, non seulement dans les fêtes apolliniques, mais aussi bien dans toutes circonstances. Le premier groupe qu'on voit ici entoure un choraules, le suivant un cithariste, le dernier des acteurs tragiques en costume, coiffés de perruques que surmonte l'oncos [Persona], et debout sur des supports qui doivent probablement représenter le cothurne. Les premiers sont donc des choeurs de musique, le dernier seul est proprement un choeur tragique.

    3. Choeur du drame satyrique

      Dans le drame satyrique le choeur contenait le même nombre de personnes que dans la tragédie, c'est-à-dire douze ou quinze, et faisait aussi son entrée en forme de carré long. Les seules différences que nous ayons à relever entre les deux choeurs résultent de ce qu'ici les choreutes sont toujours des satyres, personnages d'une allure libre et licencieuse [Satyri]. Les costumes et la danse offrent donc un caractère particulier, conforme aux situations et aux paroles. Les choreutes devaient être tous vêtus de la même manière, et rien ne prouve que Silène, le père nourricier de Bacchus, ait fait partie du choeur, où il aurait rempli le rôle de coryphée.

      Les satyres portaient un masque au nez camus et aux oreilles pointues. Le front était tantôt chauve, tantôt garni de cheveux. On distinguait le satyre grisonnant, le satyre barbu, le satyre imberbe, le satyre roux. Les masques d'un même choeur semblent avoir été pareils.

      Le costume des satyres paraît avoir été assez varié à en juger par l'énumération suivante : une peau de faon, une peau de chèvre ou de bouc, une peau de panthère, un manteau bigarré, un vêtement couleur de pourpre, etc.

      Dans la figure ci-dessous, les satyres n'ont que le masque et un caleçon de peau de bouc muni du phallus et d'une queue. Cette représentation est plus conforme à la nudité dont il est parlé dans l'Art poétique d'Horace.

      Il est difficile d'établir dans quelle mesure les divers costumes attribués aux satyres soit par la mythologie, soit par les arts plastiques, étaient observés dans le choeur satyrique. Il est possible que la nudité des choreutes n'ait été qu'apparente, qu'ils aient porté un vêtement collant analogue à nos tricots. Il est enfin peu probable qu'ils aient eu les pieds nus comme nous le voyons dans notre figure. En entrant sur la scène, ils portaient sans doute leurs attributs ordinaires, le thyrse et le tambour. Ils s'en débarrassaient, ainsi que d'une partie de leur costume, pour danser.

      La danse du choeur satirique était la sikinnis. A l'origine, à l'époque d'Eschyle et de Pratinas, elle présentait encore une certaine gravité religieuse. Mais le caractère licencieux et lascif prédomina bientôt, et on nous la peint généralement comme une danse rapide, bondissante, sans rien de pathétique, conforme en tout point aux sentiments qui animaient les serviteurs de Dionysos. Le Cyclope d'Euripide est un document précieux pour l'étude du caractère et des meurs du choeur satyrique.





      La figure que nous donnons représente d'une façon complète et intéressante la dernière répétition d'un choeur satyrique. Elle a lieu en plein air, dans un lieu consacré à Dionysos. Au milieu, sur un lit de repos, se tiennent le dieu lui-même, en compagnie de son épouse Kora-Ariadne, et une femme, sans doute la Muse, qui de sa main gauche élève un masque, et à qui Himéros tend une couronne.

      Nous trouvons ensuite trois acteurs : un héros inconnu, Hercule et Silène ; puis onze choreutes dont deux se distinguent des autres par le costume ; deux musiciens ; un joueur de flûte auprès duquel on lit le nom du célèbre Pronomos et un joueur de cithare ; le maître du choeur ou chorodidascalos, Démétrius, tenant un rouleau (volumen) dans la main gauche, en ayant près de lui un autre plus grand, peut-être un étui. Un seul des choreutes est représenté dansant. Sa position nous donne une idée des figures (schêmata) de la sikinnis. Sa main fait le geste appelé deixis [Saltatio].

      Un des choreutes, Eunikos, se distingue de ses compagnons en ce qu'il porte un caleçon d'étoffe brodée. Il est à remarquer que les feuilles de lierre, ornement consacré à Bacchus, ne se retrouvent pas sur les masques.

    4. Choeur de la comédie

      Les poètes seuls de la comédie ancienne ont employé le choeur. Organe des opinions personnelles du poète, il disparaît de l'orchestre dès que la comédie moyenne fait son apparition sur la scène. Dans la comédie ancienne, telle surtout que nous la connaissons d'après Aristophane, le choeur est à la fois l'élément féérique du drame et l'interprète du poète. Il entraîne l'esprit dans le monde de la parodie, et n'en est que plus autorisé à plaider en forme, une fois le moment venu, la cause que soutient l'auteur. Pendant que sur la scène se démènent les caricatures de personnages connus, dans l'orchestre dansent et parlent d'étranges choreutes que l'on croirait empruntés aux récits ésopiques, nuées, oiseaux ou guêpes. Cette fantaisie railleuse fait mieux ressortir l'hyperbole comique de l'action, des personnages scéniques et du dialogue. Horace a tort de supposer que les excès du choeur provoquèrent une répression qui le condamna à un silence honteux. La tyrannie des Trente enleva aux poètes le droit de parler des choses publiques, comme elle supprima toutes les autres libertés, et, une fois la démocratie rétablie, deux raisons firent maintenir la suppression du choeur comique. L'une fut la nécessité de diminuer les dépenses des représentations théâtrales, l'autre l'évolution qu'accomplissait la comédie elle-même : s'écartant de plus en plus de la forme antique, elle allait aboutir au genre dont Ménandre resta le modèle et qui a reçu le nom de comédie nouvelle.

      Le choeur comique était composé de vingt-quatre choreutes. Comme le choeur tragique, il s'avançait par rangs et files, en forme de carré long, tantôt par quatre hommes de front et six de profondeur, tantôt par six hommes de front et quatre de profondeur. Le choeur comique faisait ordinairement son entrée par la porte de gauche (en se plaçant au point de vue de la scène) parce que le choeur représentait le plus souvent des personnages indigènes. L'aile gauche faisait alors face aux spectateurs et contenait pour cette raison les meilleurs artistes. L'aile droite avait la scène à sa droite, Lorsque le choeur se décomposait en demi-choeurs, il y avait naturellement douze choreutes de chaque côté.

      L'entrée du choeur n'avait pas toujours lieu dans cet ordre régulier. Les Oiseaux d'Aristophane nous donnent un exemple curieux de la liberté qu'avait le poète de faire apparaître dans l'orchestre ses choreutes de la manière la plus inattendue et la plus divertissante. Dans les Grenouilles les choses se passent d'une façon encore plus originale. Les grenouilles ne se montrent pas aux spectateurs : c'est derrière ou sous la scène qu'elles font entendre leur Brekekekex Koax Koax. C'est seulement lorsque Dionysos a réduit au silence ces clameurs importunes, et après une scène de transition, qu'arrive le choeur des initiés chantant un bel hymne en l'honneur du dieu.

      Les chants du choeur comique, tels que la parodos et les stasima, n'ont jamais l'étendue et la valeur lyrique qui leur donnent une si grande importance dans la tragédie. Mais la comédie ancienne a la parabase, sorte d'intermède qui consiste en un véritable discours que le choeur adresse au public. L'origine de la parabase est obscure. On peut supposer que, formant une marche du choeur au milieu de la comédie, elle est sortie des cortèges phalliques dont les ébats capricieux furent la forme première du genre lui-même et qui ont légué, comme héritage à la comédie ancienne, ce ton de franchise impudente et aggressive, ces plaisanteries indécentes, souvenir évident du culte rustique de Bacchus. Quelques vers de Susarion : «Ecoutez, peuple, ce que vous dit Susarion, etc...» paraissent indiquer que le poète acteur des premiers temps se tournait à un certain moment vers les spectateurs et leur adressait un discours.

      Telle que nous la possédons, la parabase est l'endroit du drame où le poète, laissant de côté l'action et son sujet, entretient le public tantôt de questions générales intéressant l'Etat, tantôt de ses propres affaires. Elle est composée, quand elle est complète, de sept parties qui sont : le kommation, la parabase (parabasis) proprement dite, le makron ou pnigos, l'ôdê ou strophe (strophê), l'épirrhêma, l'antôdê ou antistrophe (antistrophê), l'antépirrhéma. On groupe ces sept morceaux en deux systèmes dont le premier contient le kommation, la parabase, le pnigos. Il était débité par le coryphée.

      Le kommation est une sorte d'introduction à la parabase proprement dite : il est écrit en vers lyriques, comme l'indique le nom lui-même. La parabase proprement dite s'appelle aussi l'anapeste, parce que d'ordinaire elle était écrite dans le mètre anapestique. Elle s'achève avec le pnigos ou makron, ainsi nommé parce qu'il fallait le débiter tout d'une haleine.

      Pendant le kommation le choeur a opéré une évolution en dansant et s'est rangé en face des spectateurs : de cette évolution vient le mot lui-même de parabase. La parabase proprement dite est débitée pendant qu'il garde cette attitude, et n'est accompagnée d'aucun mouvement de danse. Elle est consacrée à l'expression des idées personnelles du poète.

      Le second système consiste en quatre morceaux : deux morceaux lyriques du choeur tout entier, chantés en strophe et antistrophe correspondantes, et deux récitatifs trochaïques du coryphée dont le premier est placé entre la strophe et l'antistrophe. La partie lyrique célèbre la cité ; les récitatifs contiennent des recommandations et des conseils politiques.

      Peu de comédies ont une parabase régulière et complète. Tantôt les deux systèmes sont séparés par un épisode, tantôt l'un est absent. Les Oiseaux ont deux parabases, mais la seconde est incomplète. Dans les Thesmophoriazousae les éléments constitutifs de la parabase se retrouvent, mais disséminés entre les scènes. Il y aurait encore bien d'autres exemples de diversité à relever : on comprend que la comédie ait eu dans sa forme une liberté pareille à celle dont elle jouissait pour le fond. Ce qui est vrai de toutes les pièces où il y a une parabase (huit sur onze dans le théâtre d'Aristophane), c'est qu'elle y est absolument étrangère à l'action, qu'elle y est un intermède que les spectateurs attendaient avec curiosité, et qu'elle devait produire un effet dont il est difficile de se faire une idée juste, sur la multitude qui assistait à la représentation.

      La danse ordinaire du choeur comique est la kordax. Le caractère en était burlesque et licencieux : c'était encore un souvenir des choeurs phalliques, aussi bien que l'attribut célèbre qui faisait partie du costume des choreutes. Les personnages de la scène se livraient parfois aussi à des exercices orchestiques de même nature. Aristophane, qui reproche à Eupolis d'avoir fait danser d'une façon indécente la mère d'Hyperbolos, ne s'est pas refusé de montrer Dikaeopolis dans les Acharniens et Philocléon dans les Guêpes formant des pas ridicules. La kordax pouvait cependant affecter un caractère grave et religieux, puisqu'elle était usitée dans le culte d'Artémis à Elis.

      La kordax, semble-t-il, n'était pas la seule danse de la comédie. L'imagination du poète avait à cet égard une liberté dont le ballet final des Guêpes est un exemple : il paraît en effet se rapprocher plutôt de la sikinnis satyrique. Il est aussi fort malaisé de se figurer quels mouvements devaient exécuter les choeurs des Nuées et des Oiseaux. L'étude du texte et des rythmes écarte toute idée de l'emploi de la kordax.

      Le costume du choeur était déterminé par sa composition, et était en général le même pour les choreutes : chevaliers et Acharniens dans les pièces de ce nom, paysans attiques dans la Paix, initiés dans les Grenouilles, femmes attiques dans les Thesmophoriazousae et les Ekklesiazousae, vieillards ou femmes dans les demi-choeurs de Lysistrata. A l'origine, avant la construction du grand théâtre attique, les choreutes se barbouillaient le visage de lie : Aristophane fait allusion à cet usage quand il appelle la comédie une trygodie (chant de la lie). On comprend que dans bien des pièces où la chose n'avait pas d'inconvénient, le choeur ait pu paraître sans masque et à visage découvert, mais l'emploi du masque était nécessaire toutes les fois que le choeur représentait des personnages féminins ou symboliques. On s'imagine difficilement comment pouvaient être costumés les Oiseaux, les Guêpes, les Nuées. Avec de tels choreutes, Aristophane entrait de plain-pied dans le domaine de la féérie. Nous voyons que les Oiseaux étaient munis, suivant l'espèce, d'aigrettes ou de longs becs, que les Guêpes portaient au coccyx un aiguillon pointu et extensible, que les Nuées étaient de vieilles femmes au nez long et monstrueux. «On ne doit pas cependant se figurer ces choeurs d'oiseaux, de guêpes, de nuées, etc..., comme composés de véritables figures d'oiseaux, de guêpes, etc. De nombreuses allusions du poète permettent de supposer que c'étaient plutôt des composés de figures humaines et de corps d'animaux dans lesquels le poète s'appliquait à faire bien ressortir telle partie du masque choisi qui lui importait le plus. Dans les Guêpes, par exemple, qui représentaient la foule des juges athéniens, l'aiguillon était la chose principale ; car il signifiait le style avec lequel les juges écrivaient leur vote sur une tablette cirée. On voyait donc ces juges-guêpes s'agiter en bourdonnant et murmurant, et tantôt allonger, tantôt retirer une longue lance qu'ils avaient attachée à leur corps comme un gigantesque aiguillon. La poésie ancienne, par son symbolisme plastique, se prêtait beaucoup à produire cet effet comique, par la seule vue du choeur et de ses mouvements. C'est ainsi que, dans une des pièces d'Aristophane (le Gêras), les vieillards entraient, couverts, en signe de leur âge, d'une peau de serpent, qui s'appelait également gêras, et qu'ils secouaient soudain, pour s'agiter tout à coup et pour se démener en folâtrant avec une licence excessive». Un vase peint qui a été publié par Minervini, avec des explications dans l'examen desquelles nous n'entrerons pas, paraît représenter deux choeurs comiques,

      l'un (ci-dessus) composé de personnages qui défilent au son de la flûte, chevauchant sur des autruches ; l'autre (ci-dessous) de personnages guerriers montés sur des dauphins.


      Ces personnages grotesques, dansant et chantant dans l'orchestre, formaient comme l'encadrement du drame comique, et le détachaient en quelque sorte de la réalité vulgaire pour le placer dans le monde du rêve et de la fantaisie. Les comédies-ballets de Molière, avec leurs Trivelins, leurs Scaramouches, leurs matassins, leurs Egyptiens, leurs dervis et leurs Turcs, parmi lesquels se promènent les Sganarelle, les Pourceaugnac, les Jourdain, nous offrent peut être une image lointaine et affaiblie de ce qu'était la représentation d'une comédie ancienne.

    Article de F. Castets.


  2. Le choeur n'eut pas dans le théâtre des Romains la même importance que dans celui des Grecs. Diomède dit que les comédies latines n'en avaient pas et l'exemple de Plaute et de Térence prouve qu'il a raison. Les tragédies les avaient conservés ; seulement nous savons par Vitruve que l'orchestra, réservée au choeur sur le théâtre grec, était occupée, chez les Romains, par les spectateurs [Theatrum]. On fut donc forcé de mettre le choeur sur le pulpitum, avec tous les autres acteurs. De là une première nécessité : celle de faire le pulpitum plus large sur les scènes latines. Nous voyons, en effet, par les fragments de plusieurs tragédies romaines, que le choeur y exécutait quelquefois des danses bachiques, et que d'autres fois il y avait deux choeurs différents sur la scène ; il fallait que le pulpitum fût assez grand pour les contenir.

    Une autre conséquence de cette place occupée par le choeur fut le rôle qu'il joua désormais dans l'action. Il ne pouvait plus, comme celui des Grecs, servir d'intermédiaire entre les acteurs et le public, commenter et transmettre aux spectateurs l'émotion dramatique ; mais il devint plus étroitement lié à l'action même au milieu de laquelle, pour ainsi dire, il était placé. Il y prenait une part plus directe, non seulement par ses paroles, comme dans le théâtre grec, mais aussi par ses actes. A la fin des Niptra de Pacuvius, il transportait avec toute espèce de soins Ulysse blessé sur un brancard, le déposait en un lieu sûr, loin de la mêlée, et lui prodiguait ses consolations. C'est sans doute en ce sens qu'Horace a pu dire qu'il était devenu un acteur comme les autres.

    C'était surtout pendant les entr'actes qu'il pouvait reprendre quelque chose du caractère qu'il avait eu chez les Grecs. «Il est de règle, dit Donat, que quand les acteurs ont quitté la scène on y fasse entendre ou le joueur de flûte (dans les comédies), ou le choeur (dans les tragédies) pour faire connaître que l'acte est fini». Sur cette scène restée vide et dont il devenait maître, le choeur entonnait un de ses chants. L'insistance que met Horace à lui recommander de ne rien chanter alors «qui ne soit intimement lié avec le sujet» montre qu'il avait l'habitude d'en sortir fréquemment, et qu'il essayait d'ordinaire de charmer le public par un de ces brillants hors-d'oeuvre qui étaient devenus à la mode dans les derniers temps de la tragédie grecque. Il ne faudrait pas croire qu'il soit parvenu à reproduire l'élévation et le mouvement lyrique de ses modèles ; il ne paraît pas même l'avoir essayé. Dans sa tragédie d'Iphigénie, Ennius a remplacé ces jeunes filles de Chalcis qui, chez Euripide, viennent voir le camp des Grecs, et «dont la joue rougit de honte au moindre bruit» par un choeur de soldats mécontents, qui font des allitérations et des pointes. La poésie lyrique des draines grecs paraît avoir été plus reproduite dans les cantica que dans les choeurs du théâtre latin [Canticum].

    Un passage assez incertain de Suétone a fait soupçonner qu'il y avait des choeurs dans les Atellanes ; on sait avec certitude qu'il y en avait dans les pantomimes.

Article de Gaston Boissier