VIII, 7 - L'Achaïe
Carte Spruner (1865) |
1. Toute cette partie du Péloponnèse fut occupée anciennement par les Ioniens, originaires de l'Attique. Auparavant, elle s'appelait Aegialée et ses habitants
Aegialéens, mais elle prit naturellement des Ioniens le nom d'Ionie, comme avait fait l'Attique, en souvenir d'Ion, fils de Xuthus. L'histoire nous apprend qu'Hellen, fils de Deucalion,
qui régnait dans la Phthie sur les peuples compris entre le Pénée et l'Asopus, transmit son royaume à l'aîné de ses fils, et commanda aux autres
d'émigrer, les laissant libres d'aller s'établir où chacun d'eux voudrait. Dorus réunit en un seul corps d'état les montagnards du Parnasse et mérita
que de son nom ils fussent appelés Doriens ; de son côté Xuthus épousa la fille d'Erechthée et fonda la tétrapole attique composée
d'Oenoé, de Marathon, de Probalinthe et de Tricorynthus. L'un des fils de celui-ci, Achaïus, à la suite d'un meurtre involontaire, s'enfuit en Laconie et donna son nom aux
populations qui l'avaient accueilli. L'autre fils de Xuthus, Ion, se couvrit de gloire en remportant une victoire signalée sur les Thraces d'Eumolpus et fut investi par le voeu des
Athéniens de l'autorité suprême. Cela fait, il commença par diviser la population entière de l'Attique en quatre tribus, puis il distingua d'après leurs
professions respectives quatre classes de citoyens, les laboureurs, les artisans, les prêtres et les phylaques ou miliciens ; il compléta cette double mesure par d'autres
dispositions analogues et finit par laisser son nom au pays tout entier. L'Attique cependant se trouvait avoir une population surabondante, une première colonie d'Ioniens sortit
d'Athènes et passa dans le Péloponnèse où elle se choisit pour demeure l'Aegialée qui en retint le nom d'Ionie. Les habitants distribués en douze
cités quittèrent de même leur ancien nom d'Aegialéens pour prendre celui d'Ioniens. Mais, après le retour des Héraclides, les Ioniens s'étant vu
chasser de leurs foyers par les Achéens durent regagner Athènes. Alors, sous la conduite des Codrides, partit pour l'Asie la grande colonie ionienne : elle s'établit sur
les côtes de la Carie et de la Lydie et y fonda douze villes, conservant ainsi le même nombre de divisions politiques qui avait été établi naguère dans
le Péloponnèse. De leur côté, les Achéens, qui étaient venus du fond de la Phthiotie, leur patrie, habiter la Laconie, voyant le pays retombé au
pouvoir des Héraclides, s'étaient rassemblés sous les ordres de Tisamène, fils d'Oreste, avaient attaqué comme nous l'avons dit, les Ioniens, et,
s'étant trouvés les plus forts, les avaient expulsés hors du Péloponnèse et avaient pris possession de leurs terres, sans rien changer pourtant aux divisions
établies par eux. Telle était l'énergie militaire de ces peuples, que, quoique les Héraclides, au joug desquels ils s'étaient soustraits, fussent
maîtres du reste du Péloponnèse, ils tinrent seuls contre tous, cantonnés dans le petit pays qui de leur nom fut appelé désormais Achaïe. De
Tisamène à Ogygès, les Achéens furent toujours gouvernés par des rois, toutefois le régime démocratique finit par prévaloir chez eux et
ils se firent alors un tel renom par la sagesse de leurs institutions que, quand les Italiotes rompirent avec le Pythagoréisme, c'est à eux qu'ils empruntèrent la plupart
de leurs lois, et qu'après la bataille de Leuctres les Thébains soumirent à leur arbitrage toutes les contestations survenues entre les différentes villes de la
Grèce. Dissoute par les Macédoniens, leur ligue on confédération parvint, quoique lentement, à se reformer. Sur les douze villes primitives, il y en eut
quatre, à l'époque du départ de Pyrrhus pour l'Italie, qui se rapprochèrent et s'associèrent : Patrae et Dymé étaient du nombre. Six autres se
réunirent encore à celles-ci. Mais Olénus n'existait plus en tant que cité indépendante et Hélicé avait péri, submergée par une
inondation de la mer.
2. C'est à la suite d'un tremblement de terre que la mer soulevée engloutit Hélicé et avec Hélicé le temple de Neptune Héliconien, dieu dont le
culte s'est conservé chez les Ioniens [d'Asie] et en l'honneur de qui se célèbrent les fêtes dites Panionies. Certains grammairiens supposent qu'Homère
a voulu parler de ces fêtes dans le passage où il dit (Il. XX, 403) :
«Et cependant il rendit l'âme en mugissant, comme fait le taureau traîné aux autels du dieu Héliconien».
Ils en concluent que le poète devait vivre postérieurement à la grande migration ionienne, puis qu'il a fait mention des sacrilices panioniques, sacrifices que les
Ioniens célèbrent aujourd'hui encore en l'honneur de Neptune Héliconien et toujours sur le territoire de Priène (on sait que les Priénéens passent pour
être originaires d'Hélicé), avec un jeune Priénéen qui plus est pour hiérophante ou roi du sacrifice. Le détail qu'ajoute Homère au sujet
du taureau paraît à ces grammairiens donner encore plus de vraisemblance à leur conjecture, puisque les Ioniens reconnaissent que le sacrifice a eu lieu dans des conditions
favorables quand le taureau a mugi à l'autel. Mais d'autres grammairiens, d'avis tout opposé, transportent à Hélicé ces prétendus indices tirés
du mugissement du taureau et de la forme du sacrifice, et soutiennent que les mêmes rites se pratiquaient déjà à Hélicé, et que ce sont ceux
d'Hélicé que le poète a connus et auxquels il a emprunté sa comparaison. - La submersion d'Hélicé eut lieu deux ans avant la bataille de Leuctres.
Eratosthène dit avoir vu de ses yeux le lieu de la catastrophe et avoir entendu dire aux marins qui font faire la traversée du golfe, qu'on apercevait encore debout au fond de
l'eau la statue en bronze de Neptune et que l'hippocampe que le dieu tenait dans sa main formait un écueil dangereux pour les filets des pêcheurs. Héraclide en parle aussi
comme d'un événement arrivé de son temps.
«C'était pendant la nuit, dit-il, et, bien que la ville fût séparée de la mer par une distance de 12 stades, tout cet espace intermédiaire et la ville
elle-même furent submergés. Deux mille Achéens furent envoyés pour recueillir les corps des victimes, sans pouvoir suffire à cette tâche. Il ne resta
qu'une petite partie du territoire d'Hélicé qui fut divisée entre les villes voisines». Héraclide ajoute que cette catastrophe était une vengeance de
Neptune, que les Ioniens chassés d'Hélicé avaient envoyé d'Asie redemander aux nouveaux Hélicéens la statue de Neptune ou tout au moins une copie du
temple, que, sur leur refus, ils s'étaient adressés à l'assemblée générale des Achéens, mais que, malgré l'avis favorable émis par
cette assemblée, les Hélicéens avaient persisté dans leur refus : or l'hiver d'après la catastrophe avait lieu, et les Achéens octroyaient aux Ioniens
cette copie du temple qu'ils avaient demandée. - Hésiode, lui, signale une autre ville du nom d'Hélicé en Thessalie.
3. Les Achéens, après avoir conservé vingt [cinq] ans la forme de gouvernement établie par les Ioniens, à savoir un scribe ou greffier commun aux douze
villes, deux stratèges annuels et un conseil général s'assemblant en un lieu appelé Hamarium pour décider les affaires communes, jugèrent
à propos de ne plus élire qu'un seul stratège. Aratus, une fois élevé à cette dignité, enleva par surprise l'Acrocorinthe à Antigone et
rattacha Corinthe, ainsi que Sicyone, sa ville natale, à la ligue Achéenne. Il y incorpora de même Mégare, et, continuant à détruire partout la
tyrannie, fit de toutes ces villes affranchies autant de villes achéennes [...], ainsi que, dans le Péloponnèse, il affranchit tour à tour Argos, Hermione, Phlionte
et Mégalopolis, le chef-lieu de l'Arcadie, pour amener ensuite toutes ces villes à la ligue. C'est là le moment de la plus grande puissance des Achéens. Dans le
même temps, les Romains qui venaient de chasser les Carthaginois de la Sicile commençaient à guerroyer contre les Gaulois des bords du Pô. La ligue Achéenne se
maintint encore passablement jusqu'à la stratégie de Philopémen, mais on la vit alors se dissoudre peu à peu, par suite de la politique des Romains, qui, devenus
maîtres de toute la Grèce, s'appliquèrent à ne pas traiter de même tous les Etats, maintenant et agrandissant les uns, tandis qu'ils démembraient et
affaiblissaient les autres.
4. Voici dans quel ordre se succèdent les douze villes qui se partageaient naguère le territoire de l'Achaïe. Après Sicyone, la première qui se présente
est Pellène ; puis vient Agira ; la troisième était Aegae, si célèbre par son temple de Neptune ; la quatrième Bura et la cinquième
Hélicé. C'est dans cette dernière que les Ioniens se retirèrent après avoir été vaincus en bataille rangée par les Achéens et
qu'ils essayèrent, mais en vain, de se maintenir. Au delà d'Hélicé, on rencontre successivement Aegium, Rhypes, Patrées, Pharées, et l'emplacement
d'Olénus sur les bords du [Pirus], cours d'eau assez considérable Dymé enfin et Tritée. Du temps des Ioniens, les populations vivaient disséminées dans
des bourgs ouverts ; ce furent les Achéens qui les enfermèrent dans des villes. Il arriva aussi dans la suite que deux de ces villes fussent réunies ensemble et que les
populations fussent transportées d'un point sur un autre : c'est ainsi qu'Aegae (les habitants de cette ville se nommaient Aegaeens) fut réunie à Agira et Olénus
réunie à Dymé. On peut voir aujourd'hui encore, entre Patrae et Dymé, les vestiges de l'ancienne cité des Oléniens : son fameux temple d'Esculape,
notamment, est encore debout et se trouve à 40 stades de Dymé et à 80 stades de Patrae. Il ne faut pas confondre cette ancienne ville d'Aegae avec la ville de même
nom située en Eubée, non plus qu'Olénus avec la ville de même nom située en Béotie, qui du reste aujourd'hui n'offre plus également que des
ruines. Homère ne parle pas de l'Olénus d'Achaïe, non plus que de mainte autre ville de l'Aegiale, qu'il se borne à indiquer d'une façon générale
(Il. II, 576),
«Et tous les peuples de l'Aegiale et ceux qui habitent aux environs de la vaste Hélicé»,
il nomme uniquement l'Olénus d'Atolie,
«Possesseurs de Pleuron, d'Olénus...» (Ibid. II, 639).
En revanche, il a fait mention de l'une et de l'autre Aegae, car si, dans le vers suivant,
«Ils t'offrent cependant dans Hélicé, comme dans Aegae, ils t'offrent sans cesse de nouveaux dons» (Ibid. VIII, 203),
l'Aegae d'Achaïe est clairement indiquée, dans cet autre passage,
«Il atteint Aegae, où, dans les profondeurs de la mer, Neptune s'est bâti une splendide demeure :
c'est là que le dieu arrête ses fiers coursiers» (Ibid. XIII, 21, 34),
il vaut mieux reconnaître l'Aegae de l'île d'Eubée, d'autant que c'est elle qui paraît avoir donné son nom à la mer Egée et que dans
l'Iliade l'action et le rôle de Neptune sont comme concentrés au sein de cette mer. Le Crathis, qui passe près de l'Aegae d'Achaïe, est un fleuve formé de
deux cours d'eau et qui tire son nom précisément de ce mélange ou confluent. Il y a aussi en Italie un fleuve Crathis, mals qui n'a été appelé de la
sorte qu'en souvenir de celui-ci.
5. Chacun des douze Etats de l'Achaïe comprenait sept ou huit dèmes, tant le pays était peuplé. Pellène n'est pas sur le littoral même, mais bien à
60 stades dans l'intérieur : c'est une place d'une assiette très forte. Il y a aussi le bourg de Pellène, entre la ville de ce nom et Aegium, où se fabriquent ces
chloenes ou manteaux dits helléniques qu'on décerne en prix dans les jeux. Il faut se garder de confondre ces deux localités avec Pellane, autre bourg
situé en Laconie, vers la frontière de la Mégalopolitide. Agira occupe le haut d'une colline. Bure, qui se trouvait à 40 stades environ de la mer, a
été engloutie à la suite d'un tremblement de terre. On prétend que c'est de la fontaine Sybaris, située en ce lieu, que le fleuve Sybaris d'Italie a
emprunté son nom. Aega ou Aegae (le nom a les deux formes) est aujourd'hui complètement abandonnée et son territoire a été réuni à celui
d'Aegium. Cette dernière ville, au contraire, est restée un centre de population assez considérable. Suivant la tradition, Jupiter y naquit et y fut nourri du lait d'une
chèvre. Aratus rappelle cette tradition dans le passage suivant :
«Chèvre sacrée, qui approchas, dit-on, tes mamelles des lèvres de Jupiter» ;
et, quand il ajoute que
«Les prêtres de Jupiter nomment Olénie la chèvre qui nourrit leur dieu»,
il ne fait que rappeler indirectement le lieu de la scène par le nom d'une localité voisine, Olénus. Cérynée, bâtie ici auprès sur un rocher
élevé, dépend aussi d'Aegium et il en est de même du territoire d'Hélicé et de l'Hamarium, ce bois consacré à Jupiter, où le
conseil de la ligue achéenne délibérait sur les affaires communes. La ville d'Aegium est traversée par une rivière appelée Sélinus, comme celle
qui passe à Ephèse le long de l'Artémisium et comme cette autre qui borde, en Elide, le terrain que Xénophon nous dit avoir acheté sur l'indication d'un
oracle pour le consacrer à Diane. Il y a aussi un cours d'eau du nom de Sélinus qui arrose le territoire occupé par les Hyblaeens Mégariens avant leur expulsion par
les Carthaginois. Mais passons aux autres villes ou cités de l'Achaïe : la première, qui est Rhypes, est aujourd'hui déserte, et son territoire, l'ancienne Rhypide, a
été partagé entre les Aegiéens et les Pharéens. Myscellus, fondateur de Crotone, en était originaire. Leuctrum, l'un des bourgs de la Rhypide, formait
en quelque sorte un dème de Rhypes. Après Rhypes, vient Patrae, ville très considérable. Il y a aussi entre Rhypes et Patrae, à 40 stades de cette
dernière, Rhium, où Auguste, tout de suite après sa victoire d'Actium, établit une partie notable de son armée : déjà la nouvelle colonie forme
un centre de population important. Elle possède d'ailleurs un port qui ne manque pas d'étendue. Dymé au contraire (c'est la ville qui lui fait suite) n'a point de port. De
toutes les villes de l'Achaïe, Dymé est la plus occidentale ; elle doit même son nom actuel à cette circonstance. Anciennement, on l'appelait Strates. La limite de
l'Elide et de l'Achaïe est formée, entre Buprasium et Dymé, par le cours du Larisus, fleuve qui descend d'une montagne appelée Scollis par les auteurs modernes, mais
qu'Homère nomme la Roche Olénie. Quant à la qualification de Cauconide donnée par Antimaque à Dymé, on y voit soit une
épithète dérivée du nom des Caucones et destinée à rappeler ce que nous disions plus haut, que ce peuple s'était avancé jusqu'à
cette ville ; soit une indication topographique rappelant le voisinage d'un certain fleuve Gaucon, indication du même genre que celles qui se retrouvent dans les dénominations de
Thèbes Dircéenne ou Asopide, d'Argos Inachien et de Troie Simuntide. Dymé, elle aussi, un peu avant la génération présente, avait reçu dans son
sein une colonie : c'étaient des hommes de toute nation, ayant appartenu à cette agglomération de pirates dont Pompée venait de détruire les repaires.
Epargnés par le vainqueur, ils furent établis par lui en partie à Soles en Cilicie, en partie dans d'autres lieux, et notamment ici. Au territoire de Dymé touche le
bourg de Phara dont les habitants sont appelés Pharéens pour empêcher qu'on ne les confonde avec les habitants de Phara en Messénie, qui sont connus sous le nom de
Phariates. Et près de Phara est une fontaine appelée Dircé, comme celle qui est à Thèbes. Quant à Olénus, ville située entre Patrie et
Dymé, elle est aujourd'hui complètement abandonnée et son territoire a été réuni à celui de Dymé.
Le cap Araxus, qui s'offre à nous maintenant, est en Elide : et sa distance par rapport à l'isthme de Corinthe est de 10[30] stades.