ARGUMENT ANALYTIQUE
Le jour des nones de décembre, Cicéron
voyant que les partisans et les affranchis de Lentulus, de
Céthégus et des principaux conjurés
cherchaient à soulever la populace et les esclaves,
convoqua le sénat dans le temple de Jupiter Stator,
afin qu'il eût à prononcer aussitôt sur le
sort des coupables. Le jugement que ce corps allait rendre
était un acte contraire à sa constitution
même, qui ne lui conférait pas le pouvoir
judiciaire ; c'était aussi une violation des lois
Porcia et Sempronia, qui défendaient qu'aucun citoyen
romain fût condamné à la mort, ou
même à l'exil, autrement que par le peuple
assemblé en centuries. Mais dans le péril
extrême où la conjuration avait placé la
république, le sénat n'avait plus à
obéir qu'à une seule loi, la loi suprême
du salut public. C'était là du moins ce que
voulaient obtenir de lui les efforts du consul,
c'était le but du discours qu'il allait prononcer en
résumant toute la discussion.
Décimus Julius Silanus, entendu le premier, à
titre de consul désigné , avait opiné
pour le dernier supplice. Muréna, son collègue,
avait suivi son exemple, ainsi que la plupart des consulaires
et des principaux du sénat. Mais alors César,
grand pontife et préteur désigné,
prononça ce discours si habilement
étudié, dont Salluste nous a conservé
sinon la forme, du moins l'esprit, et dans lequel, sous le
prétexte de frapper les coupables d'un châtiment
beaucoup plus sévère que la mort, mais dans la
pensée réelle de les sauver, il proposait
contre eux la prison perpétuelle et la confiscation
des biens. Séduits et entraînés par les
brillants sophismes de César, un grand nombre de
sénateurs et Silanus lui-même, renonçant
à leur premier avis, s'étaient rangés au
sien ; le frère même de Cicéron revenait
sur son premier vote. Aussi tous les regards se tournaient
vers le consul, qui, sentant bien que le moment était
décisif, et ne pouvant se dissimuler les périls
auxquels devait l'exposer son courage, se dévoua sans
hésitation et sans crante pour le salut de la
patrie.
I.
Cicéron remercie les sénateurs des
inquiétudes qu'ils témoigner pour sa
sûreté ; mais ils ne doivent penser qu'au salut
de la république. Il continuera, s'il le faut,
à se sacrifier tout entier à la patrie.
II. Les dieux
qui protègent Rome ne le laisseront pas succomber dans
son entreprise ; et d'ailleurs il est tout prêt
à mourir : s'il songe aux objets de son affection,
c'est pour essayer de les sauver, au pria de sa vie, avec la
ville entière.
III. Les
projets des conjurés sont connus ; ils les ont
avoués, et le sénat, par ses actes
précédents, a déjà
manifesté son jugement ; il ne reste plus qu'à
prononcer la peine, mais il importe de le faire sans aucun
retard.
IV-VI. Deux
opinions différentes ont été soutenues,
celle de Silanus, qui demande la mort des coupables, et celle
de César, qui les croirait plus rigoureusement punis
par la prison perpétuelle et la confiscation de leurs
biens. Le consul résume avec impartialité les
motifs de l'une et de l'autre opinion, mais de manière
cependant à laisser voir sa préférence
pour celle de Silanus. Il ne se dissimule pas cependant qu'il
aurait personnellement beaucoup moins de dangers à
courir si le sénat adoptait l'avis de César,
mais doit-il penser à lui en présence de
l'intérêt de la patrie ? Si c'est l'avis
contraire qui l'emporte, César sera du moins
forcé de convenir qu'on a choisi la peine la plus
douce. Dans tous les cas, les conjurés ne sauraient
inspirer aucune pitié, et tout ce que l'on peut
craindre, c'est que leur châtiment ne soit pas assez
terrible.
VII-VIII. On
objecte au consul la difficulté de faire
exécuter un arrêt de mort ; mais il a tout
prévu, tout préparé. Pour appuyer le
consul, tous les ordres de l'Etat, tous les citoyens sont
réunis dans un commun désir de contribuer au
salut de la république, et ils sauront s'y
dévouer comme à leur intérêt le
plus cher.
IX. Le
sénat ne peut douter du dévouement du consul ;
il entend la voix suppliante de la patrie ; il va prononcer
sur ses intérêts les plus sacrés. Il ne
peut laisser périr en un moment un empire fondé
par tant de travaux et parvenu jusqu'au faite de la puissance
et de la gloire.
X.
Cicéron dédaigne les nombreux ennemis que lui a
faits son courage. S'il doit succomber sous leur haine, la
gloire le consolera ; il aura sa place dans la mémoire
de la postérité, à côté des
deux Scipions, de Paul Emile, de Marius et de
Pompée.
XI. Mais,
soutenu par l'union inébranlable des chevaliers et du
sénat, il triomphera sans doute, et ne demandera pour
récompense à ses concitoyens que de garder un
souvenir éternel de son consulat. Enfin, si son espoir
doit être trompé, il recommande au sénat
son fils au berceau. Il termine en exhortant une
dernière fois les sénateurs à prononcer
un arrêt dont il accepte la responsabilité et
garantit l'exécution.
L'effet produit par ce discours avait déjà
raffermi tous les courages, lorsque M. Porcius Caton, tribun
désigné, et très jeune encore, acheva
d'entraîner les sénateurs en s'associant de la
manière la plus énergique et la plus
éloquente à l'opinion du consul. La sentence de
mort fut aussitôt prononcée d'une voix presque
unanime et mise immédiatement à
exécution sur Lentulus, Céthégus,
Statilins Gabinius et Caeparius, qui furent
étranglés dans la prison.