J'entreprends, après Salluste, de raconter la
conjuration de Catilina ; mais, en m'essayant sur un sujet
déjà traité par un écrivain
inimitable, je n'aurai pas à craindre, je pense, le
reproche de présomption. Je cherche à jeter
quelque lumière sur un des événements
les plus extraordinaires des annales romaines ; je voudrais
expliquer ce que Salluste a peint avec tant d'art. C'est par
la critique et la comparaison des auteurs qui ont
écrit sur cette époque mémorable, par
l'étude des caractères et des
intérêts propres aux personnages de ce grand
drame, que j'espère justifier mes explications, ou, si
l'on veut, mes conjectures. Je ne sais si je suis parvenu
à les rendre vraisemblables ; on verra, du moins, que
j'ai exposé avec franchise, et je voudrais pouvoir
ajouter, avec précision, les motifs d'après
lesquels je me suis fait une opinion sur les
événements dont on va lire le récit.
Dût-on rejeter les conclusions que je propose, j'aurai
du moins rendu quelque service à l'histoire, en
présentant dans leur ensemble les
éléments qui peuvent servir à
résoudre une question difficile.
Le premier devoir de la critique, c'est d'examiner le
degré de créance que méritent les
auteurs dont les ouvrages forment pour ainsi dire la base de
ses jugements. Avant d'interroger les témoins, il
convient d'étudier leur caractère, leurs
passions, leurs intérêts.
Parmi les écrivains de l'antiquité qui font
mention de la conjuration de Catilina, il en est peu qui nous
puissent inspirer une grande confiance par la seule
autorité de leur nom. En général, leur
brièveté, quelquefois les mutilations subies
par leurs ouvrages, ne permettent pas d'apprécier avec
exactitude les sources où ils ont puisé.
D'ailleurs, la conformité très remarquable de
leurs récits, et surtout celle de leurs jugements,
donne lieu de croire qu'ils ont mis à contribution les
mêmes auteurs, et l'on en peut conclure naturellement
la rareté des documents originaux. D'un autre
côté, l'insuffisance des renseignements
s'explique encore par l'intérêt des
contemporains à les soustraire à la
publicité.
Je crois inutile de m'occuper ici des historiens dans le plan
desquels la conjuration de Catilina n'entrait que comme un
épisode peu développé, et je ne cite ici
que pour mémoire, Florus, Velléius Paterculus,
Aurélius Victor, Orose, Eutrope, Valère Maxime
et Tite-Live, ou, pour parler plus exactement,
l'abréviateurà qui l'on doit 1'Epitome.
Aussi avares de détails que les
précédents, Appien et Dion Cassius
méritent cependant une mention particulière,
d'abord pour quelques renseignements précieux qu'on
leur doit, et surtout parce qu'en leur qualité de
Grecs, ils n'ont pas négligé d'entrer
quelquefois dans des explications que l'on demanderait
vainement aux historiens romains. Il est à regretter
qu'ils ne se soient pas arrêtés avec plus de
détails sur un événement qu'ils ont pu
étudier et juger sans passion.
Les auteurs qui fournissent
les matériaux les plus nombreux et les plus importants
sont : Salluste (1), Cicéron
(2), Plutarque
(3) et
Suétone (4).
C'est sur eux que se portera principalement mon examen ; je
le commencerai par Salluste.
Salluste a pris la
conjuration de Catilina pour sujet d'une composition
détachée que les anciens et les modernes ont
regardée à bon droit comme un des plus parfaits
modèles de narration historique. Il écrivit peu
d'années après l'événement, qui
s'était passé, pour ainsi dire, sous ses yeux,
à une époque où son esprit avait toute
la maturité nécessaire pour une judicieuse
observation.
Si l'on en juge par le rang qu'il occupait dès lors
dans la société romaine, il était
à portée d'étudier les ressorts des
intrigues qui l'agitaient, et l'on sait qu'il vécut
dans la familiarité des hommes les plus
considérables de son temps (5). On devrait donc
attendre de lui les renseignements les plus exacts sur les
faits, et les jugements les plus élevés sur
leurs causes. Cependant son récit offre encore de
nombreuses obscurités ; les unes sont volontaires ; je
vais en rechercher les motifs ; les autres lui sont communes
avec tous les écrivains de l'antiquité, et ne
tiennent sans doute qu'à notre ignorance des moeurs et
des conditions particulières à une
société déjà si
éloignée de nous.
Salluste appartenait
à une famille d'une fortune médiocre et sans
illustration ; son père, on peut le présumer,
ne dut les droits de citoyen romain qu'à
l'émancipation italienne (6). Lui-même eut
probablement à souffrir encore de la persistance des
préjugés nationaux qui venaient à peine
d'être abolis légalement au prix de tant de sang
généreux. Homme d'étude et de plaisir
tout à la fois, il admirait la vertu dans les livres,
sur lesquels il forma son style, et ne put échapper
aux vices de son époque. Il vanta dans ses
écrits l'austérité des moeurs antiques,
et ses passions l'entraînèrent dans tous les
déréglements de la société
profondément corrompue à laquelle il
appartenait.
La carrière qu'il avait embrassée fut
brusquement interrompue au moment où il allait
commencer à jouer un rôle politique.
Chassé du sénat pour ses désordres, il
trouva dans César un protecteur qui récompensa
magnifiquement son dévouement intéressé,
sans se mettre en peine s'il n'était pas plutôt
l'effet d'une nécessité que d'un choix
volontaire.
Les ouvrages de Salluste ont conservé comme un reflet
de sa propre histoire. Le Sabin domicilié à
Rome, le sénateur rayé de l'Album, le client de
César, ne peut être que l'adversaire
acharné des familles illustres et du gouvernement
oligarchique. Sous un mépris superbe pour son
siècle tout entier, se cachent mal sa haine contre une
société qui l'a honni, et les reproches d'un
esprit trop cultivé pour demeurer inaccessible au
sentiment de sa propre honte. Il faut ajouter que la
conjuration de Catilina fut écrite à une
époque où des ménagements obligés
à l'égard de personnages puissants, eussent
rendu la tâche de l'historien difficile, eût-il
réussi à se dégager de ses passions
politiques.
Ce n'est point assez de se mettre en garde contre la
partialité de Salluste, on doit encore se
méfier de son inexactitude, alors même qu'on ne
peut suspecter ses intentions. Il écrivait l'histoire,
en effet, pour avoir l'occasion de bien dire, non pour
laisser à la postérité des souvenirs
fidèles, plus jaloux de renchérir sur la
concision de Thucydide, son maître et son rival, que de
prétendre au mérite d'un attachement scrupuleux
à la vérite, mérite dont ses
contemporains d'ailleurs ne faisaient que peu de cas. On ne
doit donc point s'étonner s'il a laissé dans
une courte narration des contradictions et des erreurs
matérielles, sans parler de son mépris pour la
précision des dates ou l'indication exacte des lieux,
car cette indifférence lui est commune avec la plupart
des historiens de l'antiquité.
Il n'entrait pas dans la méthode historique suivie par
les Romains, ou même par les Grecs, d'étudier
les causes plus ou moins immédiates des
événements qu'ils surent raconter avec un art
admirable. Leurs idées sur la fatalité des
choses humaines les éloignaient peut-être de
semblables recherches, sans lesquelles pourtant l'histoire
n'offre plus qu'une masse de faits dont il est difficile de
saisir la liaison. Salluste avait, comme on l'a vu, plus
d'une raison pour se conformer à un tel système
; il l'exagéra encore en prenant dans les
événements dont il avait été le
témoin, quelques épisodes isolés, qu'il
se complut à façonner et à polir avec un
art merveilleux. Dans un ouvrage de longue haleine, son style
fatiguerait peut-être par une concision qui n'est
peut-être pas assez exempte de manière ;
appliqué à de courtes narrations, il produit
l'impression la plus profonde en unissant l'énergie de
la pensée à la sobriété des
ornements. L'art s'y montre quelquefois un peu trop à
découvert, malgré le désordre
affecté de la composition, et souvent l'on oublie
l'intérêt du récit pour admirer
l'habileté du narrateur.
J'ai cité Salluste le premier parmi les auteurs qui
ont traité de la conjuration de Catilina, parce qu'il
a fait de cet événement l'objet d'un ouvrage
spécial. Des renseignements presque aussi
étendus se trouvent, mais dispersés, dans ce
qui nous reste des oeuvres de Cicéron. C'est là
qu'il faut chercher les témoignages les plus anciens,
et à certains égards, les plus authentiques.
Les harangues prononcées par Cicéron pendant sa
candidature, et pendant son consulat, offrent surtout
à l'histoire les matériaux les plus
intéressants, mais qu'elle a besoin de soumettre
à une sévère critique. Dans une telle
cause, en effet, il serait imprudent d'accorder une confiance
illimitée à l'accusateur. Si l'on compare les
différents jugements de Cicéron sur les
mêmes hommes, si l'on examine son langage sur les
mêmes événements à
différentes époques, il ne sera pas difficile
de le convaincre de légèreté ou de
mauvaise foi, je dis plus, on reconnaîtra dans son
caractère cette disposition des avocats à
changer de convictions et à se transformer, pour ainsi
dire, suivant les circonstances. Acteur consommé chez
qui l'art s'est substitué à la conscience, tour
à tour accusateur de Verrès et défenseur
de Fontéius, Cicéron a rarement vu la
vérité absolue, si toutefois il l'a jamais
cherchée avec franchise.
Le temps a détruit malheureusement plusieurs de ses
ouvrages, qui auraient pu jeter de grandes lumières
sur l'époque dont j'ai entrepris l'étude.
L'histoire de son consulat, écrite par lui, a
péri, ainsi que la partie de sa correspondance qui se
rapportait au même temps. Ce sont des lacunes presque
impossibles à remplir, car, bien que l'on
possède le témoignage de quelques auteurs qui
ont eu connaissance de ces documents, leur
légèreté ou l'excès de leur
brièveté nous permet à peine de
connaître toute l'étendue de la perte que nous
déplorons.
La philologie moderne a élevé des doutes au
sujet des harangues connues sous le nom de Catilinaires. Aux
yeux de certains érudits, quelques-unes ont paru
suspectes ; d'autres, plus hardis, en ont condamné
plusieurs comme apocryphes ; aujourd'hui il n'y a plus qu'un
petit nombre de savants, peut-être, qui les regardent
toutes comme également authentiques. De part et
d'autre la question a été débattue avec
chaleur, et des autorités imposantes se sont
partagées entre les deux camps. D'abord on a
taxé de faux une des Catilinaires, puis deux, puis
trois. Un jour peut-être, la première, seule
respectée jusqu'à présent, sera-t-elle
comme les suivantes mise en suspicion. La principale
argumentation roule sur l'emploi de certaines locutions, de
certains mots que dans le dix-neuvième siècle
on a trouvés indignes de Cicéron, on même
d'une latinité barbare ; mais, chose étrange
pour qui n'est pas initié aux arcanes de la
philologie, ces locutions, ces mots, qu'un érudit
proclame des barbarismes, un autre érudit leur donne
une patente de bonne latinité. De là pour la
masse des lecteurs une grande incertitude. On en vient
à douter de la philologie elle-même. On
prétend qu'un Allemand ou qu'un Russe serait mal
reçu à reprendre ou à louer aujourd'hui
une locution employée par Bossuet ; qu'à plus
forte raison un auteur latin ne peut être bien
jugé à dix-neuf siècles de distance.
Dans une telle question je n'ose avoir un avis.
Pénétré de respect pour la philologie,
je suis prêt à m'incliner devant ses
décisions, mais je regrette qu'elle dédaigne
des preuves ou des arguments plus à la portée
du vulgaire. Je voudrais, par exemple, qu'elle discutât
non seulement la latinité mais encore la contexture
des discours, leur mouvement et leur but, leur rapport avec
la situation dans laquelle on sait qu'ils furent
prononcés. Une pareille recherche me paraît
avoir son importance, et pour ma part elle m'a conduit
à des présomptions favorables à
l'authenticité des dernières
Catilinaires.
Au reste, la discussion n'intéresse l'histoire
qu'assez médiocrement. Il est constant que
Cicéron pendant son consulat a prononcé quatre
discours à l'occasion du complot qui menaçait
la république. Il est également hors de doute
qu'il a donné à ces harangues une sorte de
publicité en les communiquant à ses amis.
Qu'elles aient été perdues ensuite, cela est
possible ; qu'elles aient été remplacées
par des discours apocryphes qui ont trompé tant
d'érudits pendant tant de siècles, cela est
fort extraordinaire ; mais ce que l'on est forcé
d'admettre, c'est que le faussaire, quel qu'il soit, avait
à sa disposition des documents exacts. Comment
expliquer autrement la connaissance de tant de faits, dont un
assez grand nombre est confirmé par d'autres
témoignages pour que leur ensemble inspire le genre de
confiance qui s'attache au récit d'un contemporain. On
doit remarquer encore, que les philologues qui ont
déclaré fausses ou suspectes les trois
dernières Catilinaires, n'ont pu les attribuer
à d'autres qu'à Tiron, l'esclave favori, le
secrétaire intime du grand orateur. Si cette
décision de l'érudition critique a de quoi
surprendre, on se félicite du moins qu'elle n'attaque
en rien les conclusions que l'histoire peut tirer de ces
harangues dont le style a été jugé si
différemment.
Plusieurs plaidoyers de Cicéron, jusqu'à
présent incontestés, servent à
contrôler les Catilinaires et conduisent à une
comparaison utile entre l'orateur politique et l'avocat. Aux
discours pour Murena, pour Sextius, pour P. Sulla, il faut
encore ajouter des passages assez nombreux des lettres de
Cicéron à ses amis. Cette volumineuse
correspondance, lors même qu'elle est
étrangère aux événements qui nous
occupent, doit être consultée avec soin, car
elle fait connaître d'une manière intime l'homme
dont on doit apprécier la conduite dans le
récit qu'on va lire.
Avec Cicéron et
Salluste cessent les témoignages contemporains.
Après eux, Plutarque devient pour nous une
autorité imposante, car on sait qu'il a pu faire usage
de bien des documents dont nous sommes privés
aujourd'hui. Il cite le mémoire de Cicéron sur
son consulat ; le discours de Caton sur le jugement des
conjurés, et d'autres ouvrages perdus ou
mutilés maintenant. Mais Plutarque est ainsi que
Salluste un amateur de beau langage, plus occupé de
son style que de l'exactitude historique. Un écrivain
moderne, à qui l'on ne peut refuser une connaissance
approfondie de l'antiquité, disait du philosophe de
Chéronée : «qu'il ferait gagner à
Pompée la bataille de Pharsale si cela pouvait
arrondir tant soit peu sa phrase (7). Sous
l'exagération de cette spirituelle boutade se cache
une appréciation vraie de la manière de
Plutarque. On ne peut douter qu'il n'eût
consulté beaucoup d'ouvrages originaux, mais il est
évident que dans ces lectures il n'avait qu'un but, le
même qu'il a suivi dans ses Vies
parallèles, je veux dire la peinture des
caractères et des passions humaines. Ne lui demandez
point de dates précises, n'attendez de lui nulle
description exacte, nulle critique dans le choix des sources
où il va puiser. Il lui suffit d'être un peintre
de portraits sans égal. Eût-il fait gagner
à Pompée la bataille qu'il perdit, il ne nous
eût pas moins fait connaître César et
Pompée plus intimement, plus réellement que
l'annaliste le plus scrupuleux et le plus minutieusement
véridique.
Bien différent de Plutarque, qui donne à tous
ses héros un air de grandeur, Suétone semble
s'être complu à rapetisser les siens. C'est une
âme basse et méchante qui ne comprend pas le
génie. Il n'a ni indignation pour le vice ni
enthousiasme pour la vertu, mais il cherche partout le
ridicule, parce que le ridicule nivelle toutes les
renommées, et que devant lui disparaissent et la
terreur et l'admiration. Suétone se laisse voir tout
entier dans sa vie de César. Il ne consacre qu'un
petit nombre de pages au récit de tant d'actions
extraordinaires, et cependant il a trouvé la place de
citer textuellement les chansons satiriques des soldats qui
accompagnèrent dans sa pompe triomphale le vainqueur
du monde.
Il faut noter d'ailleurs,
qu'en salissant de tous ses efforts le caractère de
César, Suétone n'a fait que suivre une mode
qu'il avait trouvée bien établie. Elle datait
du règne d'Auguste. Héritier d'un nom qui lui
était un lourd fardeau, Auguste laissa voir trop
facilement qu'en abaissant son père adoptif on le
grandissait lui-même. La flatterie trouva son compte
à cette jalousie qu'elle n'eut pas de peine à
découvrir, tandis que de son côté le
despote hypocrite se donna le mérite d'une
tolérance magnanime en abandonnant la mémoire
du chef de sa famille à la justice
sévère de l'histoire. Tite-Live sut faire sa
cour avec adresse en montrant dans son livre une
partialité non équivoque pour la cause de
Pompée et celle du sénat (8). C'est que
déjà le sénat, décimé par
l'empereur, avait cessé d'être un ennemi
redoutable. Au contraire, il était devenu pour Auguste
un moyen de gouvernement, un auxiliaire de tyrannie. D'une
assemblée qui représentait autrefois tous les
intérêts et toutes les passions de Rome, il
s'était fait une espèce de conseil
privé, où l'on ne rivalisait plus que de
bassesse pour aller au-devant de ses volontés.
Cependant ce mot de sénat parlait encore aux peuples.
C'était un pouvoir d'autant plus
vénéré qu'il était plus ancien,
et derrière ces souvenirs de tant de siècles,
l'empereur se retranchait comme derrière un rempart.
Pour conserver un instrument si utile, on ne
s'étonnera pas qu'il voulut lui laisser sa vieille et
vaine renommée.
Presque tous les jugements
de l'antiquité sur le compte de César sont
suspects de partialité par les causes que je viens
d'exposer. Il faut encore y ajouter l'influence des
idées grecques, qui ont dirigé si longtemps et
qui dirigent encore la première éducation des
gens de lettres. Sous le despotisme le plus avilissant des
Césars, à Rome et dans tout l'empire,
sophistes, rhéteurs, pédagogues, tous les
hommes chargés d'instruire la jeunesse lisaient et
commentaient à leurs élèves les ouvrages
des classiques grecs (9), dont chaque page
contient un éloge de la liberté ou plutôt
des institutions démocratiques. Ils enseignaient que
l'homme qui altère ces institutions, que le tyran,
pour emprunter cette expression à la langue grecque,
est un monstre, hors de toute loi divine et humaine, et que
le tuer, c'est faire une action héroïque. Sous
les empereurs, on chantait encore dans les festins, à
Athènes, les louanges d'Harmodius et d'Aristogiton.
Les grands hommes proposés en modèles aux
générations qui s'élevaient
étaient des républicains fanatiques ; pas une
seule action célébrée par l'histoire qui
n'eût pour but la liberté. Cette
éducation, que nous trouverions étrange, si ce
n'était pas la nôtre encore aujourd'hui,
n'empêchait nullement les Romains de se montrer
esclaves dociles. Les idées qu'elle conservait
formaient comme une espèce de religion, dont la
pratique était abandonnée sans doute, mais pour
laquelle toutefois il était bienséant de
professer du respect. De même que leurs magistrats les
plus sceptiques accomplissaient publiquement les sacrifices
institués par la superstition d'un autre âge, de
même, sous les empereurs, les gens de lettres, toujours
fidèles aux traditions d'une école
républicaine, continuaient à fonder leurs
jugements sur les opinions de leurs maîtres, les
anciens (10). C'est
que depuis longtemps l'amour de la liberté
était éteint dans tous les coeurs : il restait
une cendre qu'on pouvait agiter sans qu'il en sortît
une étincelle.
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(1) Bellum
Catilinarium, Historiarum fragmenta, Epistolae ad
Cesarem de republica ordinanda.
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(2) Orationes
in toga
candida, in Catilinam,
pro Murena, pro P. Sextio, pro P. Sulla, outre un
grand nombre de passages disséminés dans
tous les autres ouvrages de Cicéron.
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(3) Vies
de Cicéron, de C. Caesar, de M. Caton, de
M. Crassus, etc.
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(4) C.
Julius Caesar.
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(5) Ipsum
Crassum ego postea praedicantem audivi, etc.
(Bell.
Cat., 48),
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(6) Il
était d'Amiternum. Malgré l'autorité
imposante de Sigonio, je doute qu'avant la
révolution qui suivit la guerre sociale, les
citoyens des municipes eussent tous les droits politiques
de la cité romaine. Les exemples
allégués par Sigonio (De antiq. jur.
ital., II, 7) sont tous postérieurs à
cette époque.
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(7) Courier,
Lettre à M. et à madame Thomassin, 25
août 1809.
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(8) T.
Livius Cn. Pompeium tantis laudibus tulit, ut Pompeianum
eum Augustus appellaret, neque id amicitiae eorum
offecit (Tacit., Ann., IV, 34).
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(9) Non
attingo Graecos, quorum non modo libertas, etiam libido
impunita (Tacit., Ann., IV, 35).20.
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(10) Il ne
faut pas oublier non plus que, sous les empereurs les
plus despotiques, les formes du gouvernement, encore
républicaines, contribuaient à conserver
ces souvenirs de liberté ; enfin, que la noblesse,
sous peine de renier ses ancêtres, devait affecter
le respect pour les vertus sauvages de l'ancienne
Rome.
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