1- 2- 3- 4- 5- 6- 7- 8- 9- 10- 11- 12- 13- 14- 15- 16- 17- 18- 19- 20- 21- 22- 23- 24- 25- 26- 27- 28- 29- 30- 31- 32- 33- 34- 35- 36- 37- 38- 39- 40- 41- 42- 43- 44- 45- 46- 47- 48- 49- 50- 51- 52- 53- 54- 55- 56- 57- 58- 59- 60- 61-
I. Tout homme qui veut
l'emporter sur les autres animaux doit faire tous ses efforts
pour ne point passer obscurément sa vie comme les
brutes, que la nature a courbées vers la terre,
esclaves de leurs appétits grossiers. Or toutes nos
facultés résident dans l'âme et dans le
corps (1) : nous
employons de préférence l'âme à
commander, le corps à obéir (2) : l'une nous est
commune avec les dieux, l'autre avec les bêtes. Aussi
me paraît-il plus juste de rechercher la gloire par les
facultés de l'esprit que par celles du corps, et,
puisque la vie qui nous est donnée est courte, de
laisser de nous la plus longue mémoire. Car
l'éclat des richesses et de la beauté est
fugitif et peu durable : il n'appartient qu'à la vertu
de se rendre célèbre et immortelle. Ce fut
longtemps parmi les hommes un grand sujet de discussion, si
la force du corps contribuait plus aux succès
militaires que les lumières de l'esprit : en effet,
avant d'entreprendre, il faut réfléchir
(3), et,
après avoir réfléchi, promptement
exécuter. Ainsi ces deux choses impuissantes, chacune
en soi, se prêtent un mutuel secours.
II. Aussi, dans l'origine
des sociétés (4), les rois (premier nom
qui sur la terre ait désigné le pouvoir), se
livrant à des goûts divers, exerçaient,
les uns leur esprit, les autres leur corps. Alors la vie des
hommes était exempte de convoitise : chacun
était content de ce qu'il possédait. Plus tard,
depuis qu'en Asie Cyrus, en Grèce les
Lacédémoniens et les Athéniens, eurent
commencé à subjuguer des villes et des nations,
à trouver dans l'amour de la domination un motif de
guerre, et à mesurer la gloire sur l'étendue
des conquêtes, l'expérience et la pratique
firent enfin comprendre que dans la guerre le génie
obtient la principale influence. Si les rois et les chefs de
nations voulaient déployer dans la paix la même
force d'âme que dans la guerre, les affaires humaines
seraient sujettes à moins de variations et
d'instabilité ; on ne verrait pas les états
passer d'une main à l'autre, et n'offrir que
changement et confusion : car la puissance se conserve
aisément par les mêmes moyens qui l'ont
établie. Mais, dès que, prenant la place de
l'activité, de la tempérance et de la justice,
la mollesse, la débauche et l'orgueil se sont
emparés de l'âme, avec les moeurs change la
fortune, et toujours le pouvoir passe du moins habile au plus
capable. Agriculture, marine, constructions, tous les arts
sont le domaine de l'intelligence. Cependant une foule
d'hommes livrés à leurs sens et au sommeil,
sans instruction, sans culture, ont traversé la vie
comme des voyageurs. Pour eux, contre le voeu de la nature,
le corps fut une source de plaisirs et l'âme un
fardeau. Pour moi, je ne mets pas de différence entre
leur vie et leur mort, puisque l'une et l'autre sont
vouées à l'oubli (5). En un mot,
celui-là seul me paraît vivre réellement
et jouir de son existence, qui, adonné à un
travail quelconque cherche à se faire un nom par de
belles actions ou par des talents estimables. Et dans la
variété infinie des choses humaines la nature
indique à chacun la route qu'il doit suivre.
III. Il est beau de bien
servir sa patrie ; mais le mérite de bien dire n'est
pas non plus à dédaigner. Dans la paix comme
dans la guerre on peut se rendre illustre, et ceux qui font
de belles actions, comme ceux qui les écrivent,
obtiennent des louanges. Or, selon moi, bien qu'il ne
revienne pas à l'historien la même gloire
qu'à son héros, sa tâche n'en est pas
moins fort difficile. D'abord, le récit doit
répondre à la grandeur des actions : ensuite,
si vous relevez quelque faute, la plupart des lecteurs taxent
vos paroles d'envie et de malveillance; puis, quand vous
retracez les hautes vertus et la gloire des bons citoyens,
chacun n'accueille avec plaisir que ce qu'il se juge en
état de faire : au delà, il ne voit
qu'exagération et mensonge (6). Pour moi, très
jeune encore, mon goût me porta, comme tant d'autres,
vers les emplois publics ; et, dans cette carrière, je
rencontrai beaucoup d'obstacles. Au lieu de la pudeur, du
désintéressement, du mérite,
régnaient l'audace, la corruption, l'avarice. Bien que
mon âme eût horreur de ces excès, auxquels
elle était étrangère, c'était
cependant au milieu de tant de désordres que ma faible
jeunesse, séduite par l'ambition, se trouvait
engagée. Et moi qui chez les autres
désapprouvais ces moeurs perverses, comme je
n'étais pas moins qu'eux dévoré de la
soif des honneurs, je me vis avec eux en butte à la
médisance et à la haine (7).
IV. Aussi, dès
qu'après tant de tourments et de périls mon
âme eut retrouvé le calme, et que j'eus
résolu de passer le reste de ma vie loin des affaires
publiques, mon dessein ne fut pas de consumer dans la
mollesse et le désoeuvrement ce précieux
loisir, ni de me livrer à l'agriculture ou à la
chasse, occupations toutes matérielles ; mais, revenu
à l'étude, dont une malheureuse ambition
m'avait trop longtemps détourné, je
conçus le projet d'écrire, par partie
séparées, l'histoire du peuple romain, selon
que chaque événement me paraîtrait digne
de mémoire : et je pris d'autant plus volontiers ce
parti, qu'exempt de crainte et d'espérance j'ai
l'esprit entièrement détaché des
factions qui divisent la république. Je vais donc
raconter brièvement, et le plus fidèlement que
je pourrai, la CONJURATION DE CATILINA, entreprise, à
mon avis, des plus mémorables ! Tout y fut inouï,
et le crime et le danger. Quelques détails sur le
caractère de son auteur me paraissent
nécessaires avant de commencer mon récit.
V. Lucius Catilina (8), issu d'une noble
famille, avait une grande force d'esprit et de corps, mais un
naturel méchant et pervers. Dès son
adolescence, les guerres intestines, les meurtres, les
rapines, les émotions populaires, charmaient son
âme, et tels furent les exercices de sa jeunesse. D'une
constitution à supporter la faim, le froid, les
veilles, au delà de ce qu'on pourrait croire ; esprit
audacieux, rusé (9), fécond en
ressources, capable de tout feindre et de tout dissimuler ;
convoiteux du bien d'autrui, prodigue du sien, fougueux dans
ses passions, il avait assez d'éloquence, de jugement
fort peu : son esprit exalté (10) méditait
incessamment des projets démesurés,
chimériques, impossibles. On l'avait vu, depuis la
dictature de L. Sylla (11), se livrer tout
entier à l'ambition de s'emparer du pouvoir : quant au
choix des moyens, pourvu qu'il régnât seul, il
ne s'en souciait guère. Cet esprit farouche
était chaque jour plus tourmenté par l'embarras
de ses affaires domestiques et par la conscience de ses
crimes : double effet toujours plus marqué des
désordres dont je viens de parler. Enfin il trouva un
encouragement dans les moeurs dépravées d'une
ville travaillée de deux vices, les pires en sens
contraire, le luxe et l'avarice (12). Le sujet même
(13), puisque je
viens de parler des moeurs de Rome, semble m'inviter à
reprendre les choses de plus haut, à exposer
brièvement les principes de nos ancêtres, la
manière dont ils ont gouverné la
république au dedans comme au dehors, l'état de
splendeur où ils l'ont laissée ; puis par quel
changement insensible (14), de la plus
florissante et de la plus vertueuse, elle est devenue la plus
perverse et la plus dissolue.
VI. La ville de Rome, si
j'en crois la tradition, fut fondée et habitée
d'abord par les Troyens fugitifs (15), qui, sous la
conduite d'énée, erraient sans avoir de demeure
fixe : à eux se joignirent les Aborigènes, race
d'hommes sauvages, sans lois, sans gouvernement, libres et
indépendants. Dès qu'une fois ils furent
réunis dans les mêmes murs, bien que
différents d'origine, de langage et de manière
de vivre, ils se confondirent avec une incroyable et
merveilleuse facilité. Mais, lorsque l'étal
formé par eux eut acquis des citoyens, des moeurs, un
territoire, et parut avoir un certain degré de force
et de prospérité, l'envie, selon la
destinée presque inévitable des choses
humaines, naquit de leur puissance. Les rois des nations
voisines les attaquent ; peu de peuples alliés leur
prêtent secours ; les autres, frappés de
crainte, se tiennent loin du péril ; mais les Romains,
au dedans comme au dehors, toujours en éveil,
s'empressent, se disposent, s'exhortent l'un l'autre, vont au
devant de l'ennemi, et de leurs armes couvrent leur
liberté, leur patrie, leurs familles ; puis, le danger
repoussé par le courage, ils volent au secours de
leurs alliés, de leurs amis, et, en rendant
plutôt qu'en recevant des services (16), se ménagent
des alliances. Un gouvernement fondé sur les lois,
monarchique de nom, les régissait. Des hommes choisis,
dont le corps était affaibli par les années,
mais l'âme fortifiée par l'expérience,
formaient le conseil public : l'âge, ou la nature de
leurs fonctions, leur fit donner le nom de Pères. Dans
la suite, lorsque l'autorité des rois, qui n'avait
été créée que pour la
défense de la liberté et l'agrandissement de
l'état, eut dégénéré en
une orgueilleuse tyrannie, la forme du gouvernement changea ;
un pouvoir annuel et deux chefs (17) furent
établis. Par cette combinaison l'on se flattait de
préserver le coeur humain de l'insolence qu'inspire la
continuité du pouvoir.
VII. Alors chacun à
l'envi put s'élever et déployer tous ses
talents. Aux rois, en effet, les méchants font moins
ombrage que les gens de bien (18), et le mérite
d'autrui est pour eux toujours redoutable. On croirait
à peine combien il fallut peu de temps à Rome
devenue libre pour se rendre puissante, tant s'était
fortifiée en elle la passion de la gloire ! La
jeunesse, dès qu'elle était en état de
supporter les travaux guerriers, apprenait l'art militaire
dans les camps mêmes et par la pratique. C'était
pour de belles armes, pour des coursiers de bataille, et non
pour des courtisanes et des festins, qu'on les voyait se
passionner. Pour de tels hommes il n'y avait point de fatigue
extraordinaire (19), point de lieu d'un
accès rude ou difficile, point d'ennemi redoutable
sous les armes ; leur courage avait tout dompté
d'avance. Mais une lutte de gloire encore plus grande
s'était établie entre eux : c'était
à qui porterait les premiers coups à l'ennemi,
escaladerait une muraille, et par de tels exploits fixerait
sur lui les regards : là étaient pour eux la
vraie richesse, la bonne renommée, la vraie noblesse.
Insatiables d'honneur, ils étaient libéraux
d'argent ; ils voulaient une gloire sans bornes et des
richesses médiocres. Je pourrais rappeler dans quels
lieux le peuple romain, avec une poignée d'hommes, a
défait les armées les plus nombreuses, et
combien il a pris de villes fortifiées par la nature;
mais ce récit m'entraînerait trop loin de mon
sujet.
VIII. Oui,
assurément, la fortune exerce sur toutes choses son
influence (20) :
son caprice, plutôt que la vérité,
dispense la gloire ou l'oubli aux actions des mortels. Les
exploits des Athéniens, j'aime à le
reconnaître, ne manquent ni de grandeur, ni
d'éclat, seulement ils sont un peu au-dessous de leur
renommée. Mais, comme ce pays a produit de grands
écrivains (21), le monde entier a
placé au premier rang les actions des
Athéniens. On a jugé de la valeur de ceux qui
les ont faites par la hauteur où les a placées
le génie de leurs historiens. Mais le peuple romain
n'a jamais eu cet avantage, parce qu'à Rome le citoyen
le plus habile était aussi le plus livré aux
affaires ; point d'emploi qui exerçât l'esprit
à l'exclusion du corps ; les plus vertueux aimaient
mieux bien faire que bien dire, et mériter la louange
par leurs services que de raconter eux-mêmes ceux des
autres.
IX. Ainsi donc dans la paix
et dans la guerre les bonnes moeurs étaient
également pratiquées : union parfaite ; point
d'avarice ; la justice et l'honneur s'appuyaient moins sur
les lois que sur le penchant naturel (22). Les querelles, les
animosités, les haines, on les réservait pour
les ennemis du dehors : entre eux, les citoyens ne
disputaient que de vertu. Magnifiques dans le culte des
dieux, économes dans leur intérieur, nos
pères étaient fidèles à
l'amitié. Intrépidité dans les combats,
équité lorsque la paix succédait
à la guerre, tel était le double fondement de
la prospérité publique et privée. Et,
à cet égard, je trouve des exemples bien
frappants : plus souvent dans la guerre on en a puni pour
avoir attaqué l'ennemi contre l'ordre du
général, ou quitté trop tard le champ de
bataille, que pour s'être permis d'abandonner leur
drapeau ou de céder du terrain à un ennemi
victorieux. Dans la paix ils faisaient sentir leur
autorité plutôt par des bienfaits que par la
crainte ; offensés, ils aimaient mieux pardonner que
punir (23).
X. Mais, une fois que, par
son énergie et son équité, la
république se fut agrandie ; qu'elle eut vaincu des
rois puissante, subjugué des nations farouches et de
grands peuples ; que Carthage, rivale de l'empire romain
(24), eut
péri sans retour, que toutes les mers nous furent
ouvertes, la fortune ennemie commença à se
montrer cruelle, à tout troubler. Les mêmes
hommes qui avaient supporté sans peine les travaux,
les dangers, l'incertitude et la rigueur des
événements ne trouvèrent dans le repos
et dans les richesses, objets d'envie pour les autres,
qu'embarras et misère. D'abord s'accrut la soif de
l'or, puis celle du pouvoir : telle fut la source de tous les
maux. L'avarice, en effet, étouffa la bonne foi, la
probité et toutes les autres vertus ; à leur
place elle inspira l'orgueil, la cruauté, l'oubli des
dieux, la vénalité. L'ambition força
nombre d'hommes à la fausseté, leur apprit
à renfermer leur pensée dans leur coeur, pour
en exprimer une autre par leur langage, à
régler leurs amitiés ou leurs haines, non sur
leurs sentiments, mais sur leurs intérêts, et
à porter la bienveillance moins dans le coeur que sur
le visage. Ces vices ne firent d'abord que de faibles
progrès, et furent quelquefois punis. Bientôt,
lorsque la contagion, semblable à la peste, eut
partout fait invasion, un changement s'opéra dans la
république : son gouvernement, si juste et si parfait,
devint cruel et intolérable.
XI. Cependant l'ambition
plutôt que la cupidité tourmenta d'abord les
coeurs. Ce vice, en effet, a plus d'affinité avec la
vertu ; car la gloire, les honneurs, le pouvoir, l'homme de
bien et le méchant les recherchent également ;
mais le premier veut y parvenir par la bonne voie ; le
second, au défaut des moyens honorables,
prétend y arriver par la ruse et l'intrigue. La
cupidité fait sa passion des richesses (25), que le sage ne
convoita jamais : ce vice, comme imprégné d'un
venin dangereux, énerve le corps et l'âme la
plus virile : il est sans bornes, insatiable ; ni l'opulence
ni la pauvreté ne peuvent le corriger. Mais,
après que L. Sylla, dont les armes avaient reconquis
la république (26), eut fait à de
louables commencements succéder de funestes
catastrophes, on ne vit que rapine et brigandage : l'un de
convoiter une maison, l'autre un champ ; les vainqueurs, ne
connaissant ni mesure ni pudeur, se portent aux plus
infâmes, aux plus cruels excès contre des
citoyens. Ajoutez que L. Sylla, pour s'attacher
l'armée qu'il avait commandée en Asie, l'avait
laissée vivre dans le relâchement et la licence.
L'oisiveté de séjours enchanteurs, voluptueux,
avait facilement énervé la mâle rudesse
du soldat. Là, commença, pour l'armée
romaine, l'habitude de faire l'amour et de boire, la passion
des statues, des tableaux, des vases ciselés, l'usage
de les enlever aux particuliers et au public (27), de dépouiller
les temples, et de ne respecter ni le sacré ni le
profane. Aussi de tels soldats, après la victoire,
n'ont-ils rien laissé aux vaincus. Et en effet, si la
prospérité fait chanceler l'âme des
sages, comment, avec leur dépravation, ces
hommes-là auraient-ils usé
modérément de la victoire ?
XII. Dès que les
richesses eurent commencé à être
honorées, et qu'à leur suite vinrent
distinctions, dignités, pouvoir, la vertu perdit son
influence, la pauvreté devint un opprobre, et
l'antique simplicité fut regardée comme une
affectation malveillante. Par les richesses on a vu se
répandre parmi notre jeunesse, avec l'orgueil, la
débauche et la cupidité ; puis les rapines, les
profusions, la prodigalité de son patrimoine, la
convoitise de la fortune d'autrui, l'entier mépris de
l'honneur, de la pudicité, des choses divines et
humaines, des bienséances et de la modération.
C'est chose curieuse, après avoir vu construites,
à Rome et dans nos campagnes, ces maisons qu'on
prendrait pour des villes, d'aller visiter ensuite les
temples érigés aux dieux par nos pères,
les plus religieux des mortels !
Mais leur piété faisait l'ornement des temples,
et leur gloire celui de leurs demeures : ils n'enlevaient aux
ennemis que le pouvoir de nuire ; mais les Romains
d'aujourd'hui, les plus lâches des hommes, mettent le
comble à leurs attentats en enlevant à des
alliés ce qu'après la victoire nos braves
ancêtres avaient laissé à des ennemis :
on dirait que commettre l'injustice est pour eux le
véritable usage de la puissance.
XIII. Pourquoi
rappellerais-je ici des choses incroyables pour quiconque ne
les a pas vues : des montagnes aplanies, des mers couvertes
de constructions (28) par maints
particuliers ? Ces gens-là me semblent s'être
joués de leurs trésors ; car, pouvant en jouir
avec sagesse, ils se dépêchaient d'en faire un
honteux abus. Dans leurs débauches, dans leurs
festins, dans toutes leurs dépenses, mêmes
dérèglements. Les hommes se prostituaient comme
des femmes, et les femmes affichaient leur impudicité.
Pour leur table, ils mettaient à contribution toutes
les terres et toutes les mers (29), ils dormaient sans
besoin de sommeil, n'attendant pas la faim, la soif, la
lassitude, en un mot en prévenant tous les besoins.
Après avoir, en ces débordements,
consumé son patrimoine, la jeunesse se
précipitait dans le crime. Une fois imbue de ces
habitudes perverses, l'âme se passait difficilement de
ces vaines fantaisies ; de là une ardeur
immodérée pour rechercher tous les moyens
d'acquérir et de dépenser.
XIV. Au sein d'une ville
si grande et si corrompue, Catilina (et rien n'était
plus naturel) vit se grouper autour de lui tous les vices et
tous les crimes : c'était là son
cortège. Le libertin, l'adultère qui, par
l'ivrognerie, le jeu, la table, la débauche, avait
dissipé son patrimoine ; tout homme qui s'était
abîmé de dettes pour se racheter d'une bassesse
ou d'un crime ; en un mot, tout ce qu'il pouvait y avoir dans
la république de parricides, de sacrilèges, de
repris de justice, ou qui, pour leurs méfaits,
redoutaient ses sentences ; comme aussi ceux dont la main et
la langue parjure, exercées au meurtre des citoyens,
soutenaient l'existence ; tous ceux enfin que tourmentaient
l'infamie, la misère ou le remords (30), c'étaient
là les compagnons, les familiers de Catilina. Et, si
quelqu'un, encore pur de crime, avait le malheur de se lier
avec lui d'amitié, entraîné par la
séduction de son commerce journalier, il ne tardait
pas à devenir en tout semblable aux autres. Mais
c'était surtout des jeunes gens que Catilina
recherchait l'intimité (31) : ces âmes
tendres et flexibles à cette époque de la vie
se laissaient prendre facilement à ses pièges :
car, selon le goût de leur âge qui dominait en
eux, aux uns il procurait des courtisanes ; pour les autres
il achetait des chiens et des chevaux ; enfin il ne
ménageait ni l'or ni les plus honteuses complaisances
pour les avoir dans sa dépendance et à sa
dévotion. Quelques-uns, je le sais, en ont conclu que
les jeunes gens qui fréquentaient la maison de
Catilina n'y conservaient guère leur chasteté ;
mais des conjectures tirées d'autres faits, sans qu'on
pût alléguer rien de positif, avaient seules
donné lieu à ce bruit.
XV. Et, en effet,
livré dès son adolescence à d'affreux
désordres, Catilina avait séduit une vierge de
noble famille (32), puis une vestale
(33), et commis
maints excès également contraires aux lois et
à la religion. Plus tard, il s'éprit d'amour
pour Aurélia Orestilla, chez qui, hors la
beauté, jamais honnête homme ne trouva rien de
louable. Mais, craignant un fils déjà grand
qu'il avait eu d'un premier mariage, Orestilla
hésitait à l'épouser ; il tua,
assure-t-on, ce fils, et il passe pour constant que, par la
mort de ce fils, il ouvrit ainsi dans sa maison un champ
libre à cet horrible hymen (34). Ce forfait, si je ne
me trompe, a été l'un des principaux motifs qui
lui firent hâter son entreprise : cette âme
impure, ennemie des dieux et des hommes, ne pouvait trouver
de repos ni dans la veille ni dans le sommeil, tant le
remords faisait de ravages dans ce coeur bourrelé !
Son teint pâle, son affreux regard, sa démarche
tantôt lente, tantôt précipitée,
tout, en un mot, dans ses traits, dans l'expression de son
visage, annonçait le trouble de son coeur.
XVI. Quant à cette
jeunesse qu'il avait su gagner par ses séductions,
comme je viens de le dire, il avait mille manières de
la former au crime. De quelques-uns il disposait comme
faussaires et faux témoins : honneur, fortune,
périls, ils devaient tout sacrifier, tout
mépriser. Puis, quand il les avait perdus de
réputation et avilis, il leur commandait des crimes
plus importants. Manquait-il dans le moment de
prétexte pour faire le mal, il leur faisait
surprendre, égorger comme des ennemis ceux dont il
n'avait pointa se plaindre ; ainsi, de peur que l'inaction
n'engourdît leur bras ou leur coeur, il aimait mieux
être méchant et cruel sans
nécessité. Comptant sur de tels amis, sur de
tels associés, alors que par tout l'empire les
citoyens étaient écrasés de dettes, et
que les soldats de Sylla, la plupart ruinés par leurs
profusions, encore pleins du souvenir de leurs rapines et de
leur ancienne victoire, ne désiraient que la guerre
civile, Catilina forma le projet d'asservir la
république. D'armée, point en Italie : Cn.
Pompée (35)
faisait la guerre aux extrémités de la terre :
pour Catilina enfin, grand espoir de briguer le consulat
(36) : le
sénat sans défiance ; partout une
tranquillité, une sécurité
entières : toutes circonstances singulièrement
favorables à Catilina.
XVII. Ce fut donc vers les
calendes de juin, sous le consulat de L. César et de
C. Figulus, qu'il commença à s'ouvrir
séparément à chacun de ses amis :
encourageant les uns, sondant les autres ; leur montrant ses
moyens, la république sans défense, et les
grands avantages attachés au succès de la
conjuration. Dès qu'il s'est suffisamment
assuré des dispositions de chacun, il réunit en
assemblée tous ceux qui étaient les plus
obérés et les plus audacieux. Il s'y trouva, de
l'ordre des sénateurs, P. Lentulus Sura (37), P. Autronius, L.
Cassius Longinus, C. Cethegus, P. et Ser. Sulla, tous deux
fils de Servius, L. Vargunteius, Q. Annius, M. Porcius
Léca, L. Bestia, Q. Curius ; puis, de l'ordre des
chevaliers, M. Fulvius Nobilior (38), L. Statilius, P.
Gabinius Capiton, C. Cornélius ; en outre, plusieurs
personnes des colonies et des municipes, tenant aux
premières familles de leur pays. L'entreprise comptait
encore d'autres complices, mais un peu plus secrets, nobles
personnages dirigés par l'espoir de dominer,
plutôt que par l'indigence ou par quelque autre
nécessité de position. Au reste, presque toute
la jeunesse romaine, surtout les nobles, favorisaient les
desseins de Catilina. Pouvant au sein du repos vivre avec
magnificence et dans la mollesse, ils
préféraient au certain l'incertain, et la
guerre à la paix. Quelques-uns même ont cru dans
le temps que M. Licinius Crassus (39) n'avait point
ignoré le complot ; et que, mécontent de voir
à la tête d'une grande armée
Pompée qu'il détestait, il voulait à sa
puissance en opposer une autre, quelle qu'elle fût. Il
se flattait d'ailleurs, si la conspiration
réussissait, de devenir facilement le chef du parti.
Mais déjà, auparavant, quelques hommes avaient
formé une conjuration dans laquelle était
Catilina. Je vais en parler le plus fidèlement qu'il
me sera possible.
XVIII. Sous le consulat de
L. Tullus et de M. Lepidus (40), les consuls
désignés, P. Autronius et P. Sylla, convaincus
d'avoir violé les lois sur la brigue, avaient
été punis. Peu de temps après, Catilina,
accusé de concussion, se vit exclu de la candidature
au consulat, faute d'avoir pu se mettre sur les rangs dans le
délai fixé par la loi. Il y avait alors
à Rome un jeune noble, Cn. Pison (41), d'une audace sans
frein, plongé dans l'indigence, factieux et
poussé au bouleversement de l'Etat autant par sa
détresse que par sa perversité naturelle. Ce
fut à lui que, vers les nones de décembre
(42), Catilina et
Autronius s'ouvrirent du dessein qu'ils avaient formé
d'assassiner dans le Capitole, aux calendes de janvier
(43), les consuls
L. Cotta et L. Torquatus. Eux devaient prendre les faisceaux,
et envoyer Pison avec une armée pour se rendre
maître des deux Espagnes. Ce complot découvert,
les conjurés remirent leur projet de massacre aux
nones de février (44) : car ce
n'étaient pas seulement les consuls, c'étaient
presque tous les sénateurs que menaçaient leurs
poignards. Si, à la porte du sénat, Catilina ne
s'était trop hâté de donner le signal
à ses complices, ce jour eût vu se consommer le
pire forfait qui se fût encore commis depuis la
fondation de Rome. Mais, comme il ne se trouva pas assez de
conjurés avec des armes, cette circonstance fit
échouer le projet.
XIX. Plus tard Pison,
nommé à la questure, fut envoyé avec le
titre de propréteur dans l'Espagne citérieure,
par le crédit de Crassus, qui le savait ennemi de
Pompée. Le sénat, d'ailleurs, lui avait sans
peine accordé une province ; d'un autre
côté, il était bien aise d'écarter
du sein de la république un homme taré ; d'une
autre part, les gens de bien (45) se flattaient
généralement de trouver en lui un appui ; car
déjà la puissance de Cn. Pompée
commençait à paraître redoutable. Mais,
dans sa province, Pison fut tué, durant une marche,
par quelques cavaliers espagnols de son armée. Il en
est qui prétendent que ces barbares n'avaient pu
supporter l'injustice, la hauteur, la dureté de son
commandement : selon d'autres, ses cavaliers, anciens et
dévoués clients de Cn. Pompée (46), avaient
exécuté ses ordres en massacrant Pison ; et
jamais jusqu'alors les Espagnols n'avaient commis un tel
attentat, bien que par le passé ils eussent eu
beaucoup à souffrir du despotisme et de la
cruauté. Pour nous, laissons ce fait dans le doute :
en voilà assez sur la première
conjuration.
XX. Catilina, voyant
rassemblés ceux que j'ai nommés tout à
l'heure, bien qu'il eût eu avec chacun d'eux de longues
et fréquentes conférences, n'en croit pas moins
utile de leur adresser une exhortation en commun. Il les
conduit dans l'endroit le plus retiré de sa maison ;
et là, sans témoins, il leur tient ce discours
:
«Si votre courage (47) et votre
dévouement m'étaient moins connus, en vain une
occasion favorable se serait présentée ; en
vain de hautes espérances et la domination seraient
entre mes mains ; et moi je n'irais pas, me confiant à
des hommes faibles et sans caractère, poursuivre
l'incertain pour le certain. Mais souvent, et dans des
circonstances décisives, j'ai reconnu votre
énergie et votre dévouement à ma
personne ; j'ai donc osé concevoir l'entreprise la
plus vaste et la plus glorieuse : d'ailleurs,
prospérités et disgrâces, tout entre
nous, vous me l'avez prouvé, est commun ; car avoir
les mêmes volontés, les mêmes
répugnances, voilà ce qui constitue une
amitié solide.
Le projet que j'ai formé, déjà vous en
avez tous été instruits en particulier. Oui, de
jour en jour s'enflamme mon courage, lorsque je
considère quelle existence nous est
réservée si nous ne savons conquérir
notre liberté. Depuis que le gouvernement est
tombé aux mains et au pouvoir d'un petit nombre
d'hommes puissants, les rois, les tétrarques, sont
devenus leurs tributaires : les peuples, les nations, leur
payent des impôts ; et nous autres, tous tant que nous
sommes, pleins de courage, de vertu, nobles ou roturiers,
nous avons été une vile populace, sans
crédit, sans influence, à la merci de ceux que
nous ferions trembler si la république était ce
qu'elle doit être. Aussi crédit, puissance,
honneurs, richesses, tout est pour eux et pour leurs
créatures : à nous ils laissent les exclusions,
les accusations, les condamnations, l'indigence.
Jusques à quand,
ô les plus courageux des hommes ! souffrirez-vous de
tels affronts ? Ne vaut-il pas mieux mourir avec courage que
de perdre honteusement une vie misérable et
déshonorée, après avoir servi de jouet
à l'orgueil de nos tyrans ? Mais qu'ai-je dit ; j'en
atteste les dieux et les hommes ! la victoire est dans nos
mains ; nous avons la force de l'âge, la vigueur de
l'âme ; chez eux, au contraire, surchargés d'ans
et de richesses, tout a vieilli. Il ne s'agit que de mettre
la main à l'oeuvre, le reste ira de soi-même. En
effet, qui peut, s'il a un coeur d'homme, les voir sans
indignation regorger de richesses, qu'ils prodiguent à
bâtir sur la mer, à aplanir des montagnes,
tandis que nous manquons des choses les plus
nécessaires à la vie ? à élever
deux palais (48)
ou plus à la suite l'un de l'autre, tandis que nous
n'avons nulle part un foyer domestique ? Ils ont beau acheter
tableaux, statues, vases précieux, élever pour
abattre, puis reconstruire après, enfin prodiguer,
tourmenter leur or de mille manières, jamais, en
dépit de leurs extravagances, ils ne peuvent triompher
de leurs trésors. Et pour nous, misère à
la maison, dettes au dehors, embarras présent,
perspective plus affreuse encore. Que nous reste-t-il enfin,
sinon le misérable souffle qui nous anime ? Que ne
sortez-vous donc de votre léthargie ? La voilà,
la voilà, cette liberté que vous avez si
souvent désirée : avec elle les richesses, la
considération, la gloire, sont devant vos yeux, toutes
récompenses que la fortune réserve aux
vainqueurs. L'entreprise elle-même, l'occasion, vos
périls, votre détresse, les magnifiques
dépouilles de la guerre, tout, bien plus que mes
paroles, doit exciter votre courage. Général ou
soldat, disposez de moi : ni ma tête ni mon bras ne
vous fera faute. Tels sont les projets que, consul,
j'accomplirai, j'espère, avec vous, à moins que
ma confiance ne m'abuse, et que vous ne soyez plus
disposés à obéir qu'à
commander.»
XXI. Après avoir
entendu ce discours, ces hommes qui, avec tous maux en
abondance, n'avaient ni bien ni espérance aucune, et
pour qui c'était déjà un grand avantage
de troubler la paix publique, ne se mettent pas moins la
plupart à demander à Catilina quel était
son but, quelles seraient les chances de la guerre, le prix
de leurs services, et quelles étaient partout les
forces et les espérances du parti. Alors Catilina leur
promet l'abolition des dettes, la proscription des riches,
les magistratures, les sacerdoces, le pillage, et tous les
autres excès qu'autorisent la guerre et l'abus de la
victoire. En outre il leur confie que Pison dans l'Espagne
citérieure, et P. Sitlius de Nucérie (49), à la
tête d'une armée en Mauritanie, prennent part
à ses projets : C. Antonius (50) briguait le consulat
; il espérait l'avoir pour collègue ;
c'était son ami intime, pressé d'ailleurs par
tous les besoins ; avec lui, une fois consul, il donnera le
signal d'agir. A ces promesses il joint mille
imprécations contre tous les gens de bien ; puis,
appelant par son nom chacun des conjurés, il les
comble de louanges : à l'un il parle de son indigence,
à l'autre de sa passion favorite, à plusieurs
des poursuites et de l'infamie qui les menacent, à
beaucoup de la victoire de Sylla et du butin qu'elle leur
avait procuré. Lorsqu'il voit tous les esprits
enflammés, il leur recommande d'appuyer sa
candidature, et congédie l'assemblée.
XXII. On disait dans le
temps qu'après avoir prononcé son discours
Catilina, voulant lier par un serment les complices de son
crime, fit passer à la ronde des coupes remplies de
sang humain (51)
mêlé avec du vin ; puis, lorsqu'en
proférant des imprécations ils en eurent tous
goûté, comme cela se pratique dans les
sacrifices, Catilina s'ouvrit à eux de ses projets.
Son but était, disait-on, d'avoir une plus forte
garantie de leur discrétion réciproque par la
complicité d'un si noir forfait. Plusieurs cependant
regardaient cette anecdote et beaucoup d'autres semblables
comme inventées par ceux qui, dans l'espoir
d'affaiblir la haine qui, dans la suite, s'éleva
contre Cicéron, exagéraient l'atrocité
du crime dont il avait puni les auteurs. Quant à moi,
ce fait si grave ne m'a jamais paru suffisamment
prouvé.
XXIII. Dans cette
réunion se trouvait Q. Curius, d'une maison sans doute
assez illustre, mais couvert de crimes et d'opprobre : les
censeurs l'avaient chassé du sénat pour ses
infamies. Chez lui la forfanterie n'était pas moindre
que l'audace ; incapable de taire ce qu'il avait appris, il
l'était également de cacher ses propres crimes
; enfin, dans ses conversations comme dans ses actions, il
n'avait ni règle ni mesure. Il entretenait depuis
longtemps un commerce adultère avec Fulvie (52), femme d'une
naissance distinguée. Se voyant moins bien
traité par elle depuis que l'indigence l'avait rendu
moins généreux, tantôt prenant un air de
triomphe, il lui promettait monts et merveilles, tantôt
il la menaçait d'un poignard si elle ne se rendait
à ses désirs ; en somme, il avait avec elle un
ton plus arrogant que de coutume. Fulvie, ayant
pénétré la cause de
procédés si extraordinaires, ne crut pas devoir
garder le secret sur le danger qui menaçait la
république ; mais, sans nommer son auteur, elle
raconte à plusieurs personnes ce qu'elle sait,
n'importe comment, de la conjuration de Catilina. Ce fut
cette circonstance surtout qui entraîna tous les
esprits à confier le consulat à M. Tullius
Cicéron : dans tout autre moment, l'orgueil de la
noblesse se serait révolté d'un pareil choix :
elle aurait cru le consulat profané, si, même
avec un mérite supérieur, un homme nouveau
l'avait obtenu ; mais, à l'approche du péril,
l'envie et l'orgueil se turent (53).
XXIV. Les comices,
s'étant donc réunis, proclamèrent
consuls M. Tullius et C. Antonius. Ce choix jeta d'abord la
consternation parmi les conjurés. Mais la fureur de
Catilina n'en fut point calmée ; c'étaient
chaque jour au contraire de nouvelles mesures, des amas
d'armes faits en Italie dans des localités favorables
à ses projets, de l'argent emprunté par son
crédit ou par celui de ses amis pour l'envoyer
à Fésules à un certain Mallius (54), qui plus tard fut le
premier à en venir aux mains. Ce fut alors, dit-on,
que Catilina engagea dans son parti un nombre
considérable d'hommes de toutes les classes. Il
s'attacha même quelques femmes (55), qui d'abord avaient
trouvé dans la prostitution le moyen de faire grande
dépense ; mais, l'âge ayant mis des bornes
à leurs bénéfices, sans en mettre
à leur luxe, elles avaient contracté des dettes
énormes. Par ces femmes, Catilina comptait soulever
les esclaves dans la ville, incendier Rome, faire entrer
leurs maris dans son parti, sinon les égorger.
XXV. Parmi elles
était Sempronie (56), qui avait commis
maints forfaits, d'une audace virile (57). Pour la naissance et
pour la beauté, comme du côté de son mari
et de ses enfants, elle n'avait eu qu'à se louer de la
fortune. Savante dans la littérature grecque et
latine, elle chantait et dansait avec une perfection peu
séante à une femme honnête ; elle y
joignait bien d'autres talents, qui sont des instruments de
volupté, et à la décence et à la
pudeur elle préféra toujours les plaisirs. De
son argent ou de sa réputation, que
ménageait-elle le moins ? c'est un point que
malaisément on déciderait : tellement
emportée par le libertinage, qu'elle cherchait
plutôt les hommes qu'elle n'en était
recherchée. Souvent, au reste, avant la conjuration,
elle avait violé sa foi, nié des
dépôts, trempé dans des assassinats : la
débauche et l'indigence l'avaient
précipitée de crime en crime. Avec tout cela,
d'un esprit agréable, sachant faire des vers, manier
la plaisanterie, se plier tour à tour au ton de la
modestie, de la sensibilité, du libertinage ; du
reste, toujours remplie d'enjouement et de
grâces.
XXVI. Ses dispositions
prises, Catilina n'en sollicitait pas moins le consulat pour
l'année suivante (58), espérant que,
s'il était consul désigné, il trouverait
dans C. Antonius un instrument docile. Cependant il ne
restait pas dans l'inaction, et il cherchait tous les moyens
possibles d'attenter à la vie de Cicéron.
Celui-ci, de son côté, pour se garantir, ne
manquait ni de ruse ni d'astuce. Dès le commencement
de son consulat, il avait, par le moyen de Fulvie, obtenu,
à force de promesses, que Q. Curius, dont je viens de
parler, l'instruirait des desseins de Catilina. En outre, en
donnant à son collègue C. Antonius l'assurance
d'un gouvernement (59), il l'avait
déterminé à ne point prendre parti
contre la république. Il avait autour de sa personne
une escorte d'amis et de clients, qui, sans en avoir l'air,
veillaient à sa sûreté. Lorsque le jour
des comices fut venu, et que Catilina n'eut réussi ni
dans sa demande du consulat ni dans les embûches qu'il
avait dressées au Champ-de-Mars contre Cicéron
(60), il
résolut d'en venir à la guerre ouverte et de
tenter les derniers coups, puisque toutes ses manoeuvres
clandestines avaient tourné à son
désavantage et à sa confusion.
XXVII. Il envoie donc C.
Mallius à Fésules (61) et dans cette partie
de l'étrurie qui l'avoisine ; dans le Picénum,
un certain Septimius de Camerte (62) ; et dans l'Apulie,
C. Julius (63) ;
enfin, d'autres conjurés en divers endroits, où
il les juge le plus utiles à ses desseins (64). Cependant, à
Rome, il mène de front diverses intrigues, tendant des
pièges au consul, disposant tout pour l'incendie,
plaçant des hommes armés dans des postes
avantageux ; lui-même, portant des armes, ordonne aux
uns d'en faire autant, exhorte les autres à se tenir
toujours en haleine et prêts â agir : jour et
nuit infatigable, il ne dort point, il est insensible
à la fatigue et à l'insomnie (65) ; enfin, voyant
quêtant d'activité ne produit aucun
résultat, il charge M. Porcius Léca (66) de rassembler une
seconde fois les principaux conjurés au milieu de la
nuit : alors, après s'être plaint de leur manque
d'énergie, il leur apprend que d'avance il a
dépêché Mallius vers cette multitude
d'hommes qu'il avait disposés à prendre les
armes ; qu'il a dirigé d'autres chefs sur d'autres
lieux favorables, pour commencer les hostilités ;
lui-même désire vivement partir pour
l'armée dès que préalablement il se sera
défait de Cicéron : cet homme était le
plus grand obstacle à ses desseins.
XXVIII. Tandis que tous
les autres s'effrayent ou balancent, C. Cornélius,
chevalier romain, offre son ministère ; à lui
se joint L. Vargunteius, sénateur, et ils
arrêtent que, cette nuit même, dans peu
d'instants, ils se rendront avec des hommes armés chez
Cicéron, comme pour le saluer, et que, le surprenant
ainsi chez lui à l'improviste et sans défense,
il le feront tomber sous leurs coups. Curius, voyant de quel
danger est menacé Cicéron, lui fait
aussitôt savoir par Fulvie le coup qui se
prépare. Les conjurés, trouvant la porte
fermée, en furent pour la honte d'avoir
médité un forfait odieux. Cependant Mallius,
dans l'étrurie, excitait à la révolte le
peuple, qui, par misère et par esprit de vengeance,
désirait une révolution, ayant, sous la
domination de Sylla, perdu ses terres et tous ses biens.
Mallius ameuta en outre les brigands de toute espèce
qui affluaient dans cette contrée, et quelques soldats
des colonies de Sylla, auxquels la débauche et le luxe
n'avaient rien laissé de leurs immenses rapines.
XXIX. A la nouvelle de ces
mouvements, Cicéron, doublement inquiet, car il ne lui
était plus possible par ses propres moyens de
défendre plus longtemps Rome contre tous ces complots,
et il n'avait pas de renseignements assez positifs sur la
force et sur la destination de l'armée de Mallius,
rend compte au sénat de ce qui n'était
déjà que trop connu par la rumeur publique. Le
sénat, se conformant à l'usage reçu dans
les circonstances périlleuses, décrète
que «les consuls prendront des mesures pour que la
république n'éprouve aucun dommage»
(67). Cette
puissance suprême que, d'après les institutions
de Rome, le sénat confère au magistrat,
consiste à lever des troupes, à faire la
guerre, à contenir dans le devoir, par tous les
moyens, les alliés et les citoyens, à exercer
souverainement, tant à Rome qu'au dehors,
l'autorité civile et militaire. Dans tout autre cas,
sans l'ordre exprès du peuple, aucune de ces
prérogatives n'est attribuée au consul.
XXX. Peu de jours
après, le sénateur L. Sénius lut dans le
sénat une lettre (68) qu'il dit lui avoir
été apportée de Fésules. On lui
mandait que, le sixième jour avant les calendes de
novembre (69),
Mallius avait pris les armes à la tête d'un
nombre immense d'habitants. En même temps, comme il
arrive d'ordinaire en de telles conjonctures, les uns
annoncent des prodiges (70) ; d'autres, des
rassemblements, des transports d'armes ; enfin que, dans
Capoue et dans l'Apulie, on fomente une guerre d'esclaves. Un
décret du sénat envoie donc Q. Marcius Rex
(71) à
Fésules, et Q. Metellus Creticus dans l'Apulie et dans
les pays voisins. Ces deux généraux victorieux
restaient aux portes de Rome, n'ayant pu encore obtenir les
honneurs du triomphe, par les cabales de quelques hommes
habitués à trafiquer de l'équité
comme de l'injustice. D'un autre côté, sont
envoyés à Capoue Q. Pompeius Rufus (72), et dans le
Picénum Q. Metellus Celer (73), tous deux
préteurs, avec l'autorisation «de lever une
armée selon les circonstances et le danger». On
décrète en outre que «quiconque aura
donné des indices sur la conjuration dirigée
contre la république, recevra, s'il est esclave, la
liberté et cent mille sesterces (74) ; s'il est libre,
deux cent mille sesterces, avec sa grâce en cas de
complicité» : on ordonne aussi que «les
troupes de gladiateurs seront disséminées
à Capoue et dans d'autres municipes, selon leur
importance, et que dans Rome seront établis de toutes
parts des postes commandés par des magistrats
subalternes».
XXXI. Ces dispositions
répandent le trouble parmi les citoyens ; l'aspect de
Rome n'est plus reconnaissable. A ces transports de joie et
de débauche, qu'avait fait naître une longue
tranquillité, succède tout à coup une
tristesse profonde. On court, on s'agite : plus d'asile, plus
d'homme auquel on ose se confier : sans avoir la guerre, on
n'a plus la paix ; chacun mesure à ses craintes
l'étendue du péril. Les femmes, que la grandeur
de la république n'avaient point accoutumées
aux alarmes de la guerre, on les voit se désoler,
lever au ciel des mains suppliantes, s'apitoyer sur leurs
petits enfants, interroger chacun, s'épouvanter de
tout, et, oubliant le faste et les plaisirs,
désespérer d'elles et de la patrie. Cependant
l'âme implacable de Catilina n'en poursuit pas moins
ses projets, malgré ces préparatifs de
défense, et bien que lui-même, en vertu de la
loi Plautia (75),
eût été interrogé par L. Paulus
(76). Enfin, pour
mieux dissimuler (77), et comme pour se
justifier en homme provoqué par une accusation
injurieuse, il se rend au sénat. Alors le consul M.
Tullius, soit qu'il craignît la présence de
Catilina, soit qu'il fût poussé par la
colère, prononça un discours lumineux (78), et qui fut utile
à la république ; il l'a publié depuis.
Dès que Cicéron se fut assis, Catilina,
fidèle à son rôle de dissimulation, les
yeux baissés, d'une voix suppliante, conjura les
sénateurs «de ne rien croire
légèrement sur son compte : la noble maison
dont il était sorti, la conduite qu'il avait tenue
dès sa première jeunesse, lui permettant
d'aspirer à tout (79), ils ne devaient pas
penser qu'un patricien qui, à l'exemple de ses
ancêtres, avait rendu de grands services au peuple
romain, eût intérêt à la perte de
la république, tandis qu'elle aurait pour sauveur M.
Tullius, citoyen tout nouveau dans la ville de Rome».
Comme à ces traits contre Cicéron (80) il ajoutait d'autres
injures, tous les sénateurs l'interrompent par leurs
murmures, le traitent d'ennemi public et de parricide.
Furieux, il s'écrie : «Puisque, environné
d'ennemis, on me pousse vers l'abîme,
j'éteindrai sous des ruines l'incendie qu'on me
prépare» (81).
XXXII. A ces mots il sort
brusquement du sénat et rentre dans sa maison.
Là, il roule mille projets dans son esprit ;
considérant que ses entreprises contre le consul sont
déjouées, que des gardes protègent la
ville contre l'incendie, il juge que ce qu'il y a de mieux
à faire est de renforcer son armée et de
s'assurer, avant que l'enrôlement des légions
soit achevé, de tout ce qui doit servir ses
opérations de guerre. Il part donc au milieu de la
nuit, et presque sans suite, pour le camp de Mallius ; mais
il mande à Cethegus, à Lentulus, et à
d'autres conjurés dont il connaissait
l'activité et l'audace, d'employer tous les moyens
pour fortifier le parti, hâter l'assassinat du consul,
disposer le meurtre, l'incendie, et toutes les horreurs de la
guerre : pour lui, dans peu de jours, il sera aux portes de
la ville avec une grande armée.
XXXIII. Tandis que ces
événements se passent à Rome, Mallius
prend dans son armée des députés qu'il
envoie vers Marcius Rex, avec un message ainsi conçu :
«Nous en prenons les dieux et les hommes à
témoin, général : ce n'est ni contre la
patrie que nous avons pris les armes, ni contre la
sûreté de nos concitoyens; nous voulons
seulement garantir nos personnes de l'oppression, nous
malheureux, indigents, et qui, grâce aux violences et
à la cruauté des usuriers, sommes la plupart
sans patrie, tous sans considération et sans fortune.
A aucun de nous il n'a été permis, selon la
coutume de nos pères, d'invoquer la loi, et,
après la perte de notre patrimoine, de sauver notre
liberté personnelle : tant fut grande la barbarie des
usurieurs et du préteur ! Souvent vos pères,
touchés des maux du peuple romain, sont venus, par des
décrets, au secours de son indigence ; et,
naguère, nous avons pu voir la taux excessif des
dettes amener, du consentement de tous les bons citoyens, la
réduction à un quart pour cent (82). Souvent le peuple,
mû par le désir de dominer, ou soulevé
par l'orgueil des magistrats, se sépara des patriciens
; mais nous, nous ne demandons ni le pouvoir, ni les
richesses, ces grands, ces éternels mobiles de guerre
et de combats entre les mortels ; nous ne voulons que la
liberté, à laquelle tout homme d'honneur ne
renonce qu'avec la vie. Nous vous conjurons, vous et le
sénat ; prenez en pitié de malheureux
concitoyens : ces garanties de la loi, que nous a
enlevées l'injustice du préteur,
rendez-les-nous, et ne nous imposez point la
nécessité de chercher en mourant les moyens de
vendre le plus chèrement possible notre
vie».
XXXIV. A ce message, Q.
Marcius répondit que «s'ils avaient quelque
demande à faire au sénat, ils devaient mettre
bas les armes, et se rendre à Rome comme suppliants ;
que toujours le sénat et le peuple romain avaient
montré assez de mansuétude et d'humanité
pour que nul n'eût jamais en vain imploré son
assistance». Cependant Catilina, pendant qu'il est en
route, écrit à la plupart des personnages
consulaires et aux citoyens les plus recommandables
«qu'en butte à de fausses accusations, et ne
pouvant résister à la faction de ses ennemis,
il cédait à la fortune et s'exilait à
Marseille ; non qu'il se reconnût coupable d'un si
grand crime, mais pour donner la paix à la
république et ne point susciter de sédition par
sa résistance». Mais bien différentes
étaient les lettres dont Q. Catulus fit lecture au
sénat, et qu'il dit lui avoir été
remises de la part de Catilina. En voici la copie :
XXXV. «L. Catilina,
à Q. Catulus, salut. - Le rare dévouement dont
vous m'avez donné des preuves, et qui m'est si
précieux, me fait, dans l'imminence de mes
périls, avoir confiance à la recommandation que
je vous adresse. Ce n'est donc point l'apologie de ma
nouvelle entreprise que je veux vous présenter ; c'est
une explication que, sans avoir la conscience d'aucun tort,
j'entreprends de vous donner, et certes vous ne manquerez pas
de la trouver satisfaisante. Des injustices, des affronts,
m'ont poussé à bout. Voyant que, privé
du fruit de mes travaux et de mes services, je ne pouvais
obtenir le rang convenable à ma dignité, j'ai
pris en main, selon ma coutume, la cause commune des
malheureux : non que je ne fusse en état d'acquitter
avec mes biens mes engagements personnels, puisque, pour
faire face à des engagements qui m'étaient
étrangers, la générosité
d'Orestilla et la fortune de sa fille ont été
plus que suffisantes ; mais des hommes indignes
étaient comblés d'honneurs sous mes yeux,
tandis que, par une injuste prévention, je m'en voyais
écarté. C'est par ce motif que, prenant un
parti assez honorable dans ma disgrâce, j'ai
embrassé l'espoir de conserver ce qui me restait de
dignité. Je me proposais de vous en écrire
davantage, mais l'on m'annonce qu'on prépare contre
moi les dernières violences. Je n'ai que le temps de
vous recommander Orestilla, et je la confie à votre
foi. Protégez-la contre l'oppression, je vous en
supplie par vos enfants. Adieu».
XXXVI. Catilina
s'arrêta quelques jours chez C. Flaminius Flamma, sur
le territoire d'Arretium, pour distribuer des armes à
tout le voisinage, déjà préparé
à la révolte ; puis, avec les faisceaux et les
autres insignes du commandement, il se rendit au camp de
Mallius. Dès qu'on en fut instruit à Rome, le
sénat déclare (83) «Catilina et
Mallius ennemis de la république : à la foule
de leurs partisans, il fixe le jour avant lequel ils
pourront, en toute sûreté, mettre bas les armes
; il n'excepte que les condamnés pour crime capital".
On décrète en outre "que les consuls feront des
levées ; qu'Antoine, à la tête de
l'armée, se mettra sans délai à la
poursuite de Catilina, et que Cicéron restera à
la défense de la ville». Combien dans cette
conjoncture l'empire romain me parut digne de compassion ! Du
levant au couchant toute la terre soumise par ses armes lui
obéissait ; au dedans, on avait à souhait paix
et richesses, les premiers des biens aux yeux des mortels ;
et cependant des citoyens s'obstinaient à se perdre,
eux et la république ; car, malgré les deux
décrets du sénat, il ne se trouva pas un seul
homme, dans une si grande multitude, que l'appât de la
récompense déterminât à
révéler la conjuration, pas un qui
désertât le camp de Catilina : tant était
grande la force d'un mal qui, comme une contagion, avait
infecté l'âme de la plupart des citoyens !
XXXVII. Et ces
dispositions hostiles (84) n'étaient pas
particulières aux complices de la conjuration : en
général, dans tout l'empire, la populace, avide
de ce qui est nouveau, approuvait l'entreprise de Catilina,
et en cela elle suivait son penchant habituel ; car toujours,
dans un état, ceux qui n'ont rien portent envie aux
honnêtes gens, exaltent les méchants,
détestent les vieilles institutions, en
désirent de nouvelles, et, en haine de leur position
personnelle, veulent tout bouleverser. De troubles, de
séditions ils se repaissent sans nul souci, car la
pauvreté se tire facilement d'affaire. Et quant au
peuple de Rome, plus d'un motif le poussait vers
l'abîme : d'abord, ceux qui, en quelque lieu que ce
fût, se faisaient remarquer par ieur bassesse et par
leur audace ; d'autres aussi, qui, par d'infâmes
excès, avaient dissipé leur patrimoine ; tous
ceux enfin qu'une action honteuse ou un forfait avaient
chassés de leur patrie étaient venus refluer
sur Rome comme dans une sentine. En second lieu, beaucoup
d'autres, se rappelant la victoire de Sylla, et voyant de
simples soldats devenus, les uns sénateurs, les autres
si riches, qu'ils passaient leur vie au sein de l'abondance
et d'un faste royal, se flattaient, si eux-mêmes
prenaient les armes, d'obtenir les mêmes avantages de
la victoire. De plus, la jeunesse qui, dans les campagnes,
n'avait, pour tout salaire du travail de ses mains que
l'indigence à supporter, attirée par
l'appât des largesses publiques et
particulières, avait préféré
l'oisiveté de Rome à un travail ingrat.
Ceux-là et tous les autres subsistaient du malheur
public. Aussi ne doit-on pas s'étonner que de tels
hommes, indigents, sans moeurs, pleins de magnifiques
espérances, vissent le bien de l'état là
où ils croyaient trouver le leur. En outre, ceux dont
Sylla vainqueur avait proscrit les pères, ravi les
biens, restreint la liberté, n'attendaient pas dans
des dispositions différentes l'événement
de la guerre. Joignez à cela que tout le parti
opposé au sénat aimait mieux voir l'état
bouleversé que de perdre son influence : tant,
après de longues années, ce fléau des
vieilles haines s'était de nouveau propagé
parmi les citoyens !
XXXVIII. En effet,
dès que, sous le consulat de Cn. Pompée et de
M. Crassus, la puissance tribunitienne eut été
rétablie, de jeunes hommes, se voyant tout à
coup revêtus de cette haute dignité,
commencèrent, avec toute la fougue de leur âge,
à déclamer contre le sénat, à
agiter le peuple ; bientôt, par leurs largesses et
leurs promesses, ils l'animent de plus en plus ; et c'est
ainsi qu'ils obtenaient la célébrité et
la puissance. Contre eux luttaient de toute leur influence la
plupart des nobles, en apparence pour le sénat, en
réalité pour leur propre grandeur ; car,
à parler sans détour, tous ceux qui, dans ces
temps-là, agitèrent la république sous
des prétextes honorables, les uns comme pour
défendre les droits du peuple, les autres pour rendre
prépondérante l'autorité du
sénat, n'avaient en vue, quoiqu'ils
alléguassent le bien public, que leur puissance
personnelle. Il n'y avait dans ce débat ni
modération ni mesure ; chacun des deux partis usa
cruellement de la victoire.
XXXIX. Mais, après
que Cn. Pompée eut été chargé de
la guerre maritime et de celle contre Mithridate, l'influence
du peuple diminua, et la puissance d'un petit nombre
s'accrut. Magistratures, gouvernements, tous les honneurs
étaient à eux : inviolables, comblés
d'avantages, ils passaient leur vie sans alarmes, et par la
terreur des condamnations, ils empêchaient les autres
citoyens d'agiter le peuple pendant leur magistrature. Mais,
dès que, grâce à la fluctuation des
partis, l'espoir d'un changement fut offert, le vieux levain
de la haine se réveilla dans ces âmes
plébéiennes ; et si, d un premier combat,
Catilina fût sorti vainqueur, ou que, du moins, le sort
en eût été douteux, il est certain que
les plus grands désastres auraient accablé la
république ; on n'eût pas permis aux vainqueurs
de jouir longtemps de leur triomphe : profitant de leur
lassitude et de leur épuisement, un ennemi plus
puissant leur eût enlevé la domination et la
liberté. On vit alors plusieurs citoyens
étrangers à la conjuration partir d'abord pour
le camp de Catilina : de ce nombre était Aulus Fulvius
(85), fils du
sénateur, que son père fit arrêter en
chemin, et mettre à mort. Dans le même temps,
à Rome, Lentulus, conformément aux instructions
de Catilina, sollicitait par lui-même ou par d'autres
tous ceux que leur caractère ou l'état de leur
fortune semblait disposer à une révolution : il
s'adressait non seulement aux citoyens, mais aux hommes de
toute autre classe, pourvu qu'ils fussent propres à la
guerre.
XL. Il charge donc un
certain P. Umbrenus (86) de s'aboucher avec
les députés des Allobroges (87), et de les engager,
s'il lui est possible, à prendre parti pour eux dans
cette guerre. Il pensait qu'accablés du fardeau des
dettes, tant publiques que particulières, belliqueux
d'ailleurs, comme toute la nation gauloise, ils pourraient
facilement être amenés à une telle
résolution. Umbrenus, qui avait fait le commerce dans
la Gaule, connaissait presque tous les principaux citoyens
des grandes villes, et il en était connu. Sans perdre
donc un instant, la première fois qu'il voit les
députés dans le Forum, il leur fait quelques
questions sur la situation de leur pays ; puis, comme s'il
déplorait leur sort, il en vient à leur
demander «quelle fin ils espèrent à de si
grands maux". Dès qu'il les voit se plaindre de
l'avidité des gouverneurs, accuser le sénat,
dans lequel ils ne trouvaient aucun secours, et n'attendre
plus que la mort pour remède à leurs
misères : "Eh bien ! leur dit-il, si vous voulez
seulement être des hommes, je vous indiquerai le moyen
de vous soustraire à tant de maux». A ces
paroles, les Allobroges, pleins d'espérance, supplient
Umbrenus d'avoir pitié d'eux ; rien de si
périlleux ni de si difficile qu'ils ne soient
prêts à tenter avec ardeur, si c'est un moyen de
libérer leur patrie du fardeau des dettes. Umbrenus
les conduit dans la maison de D. Brutus (88) : elle était
voisine du Forum, et on n'y était pas étranger
au complot, à cause de Sempronia ; car, dans ce
moment, Brutus était absent de Rome. Il fait aussi
venir Gabinius, afin de donner plus de poids à ce
qu'il va dire, et, en sa présence, il dévoile
la conjuration, nomme les complices, et même un grand
nombre d'hommes de toutes les classes tout à fait
innocents, afin de donner aux députés plus de
confiance : ceux-ci lui promettent leur concours ; il les
congédie.
XLI. Les Allobroges furent
longtemps incertains sur le parti qu'ils devaient prendre.
D'un côté leurs dettes, leur penchant pour la
guerre, les avantages immenses qu'on espérait de la
victoire ; de l'autre la supériorité des
forces, des mesures infaillibles, et, pour un espoir
très douteux, des récompenses certaines.
Après qu'ils eurent ainsi tout pesé, la fortune
de la république l'emporta enfin. Ils
révèlent donc tout ce qu'ils ont entendu
à Q. Fabius Sanga, qui était le principal
patron de leur pays. Cicéron, instruit du complot par
Sanga (89),
ordonne aux députés de feindre le plus grand
zèle pour la conjuration, de se mettre en rapport avec
le reste des complices, de leur prodiguer les promesses, et
de ne rien négliger pour acquérir les preuves
les plus évidentes de leur projet.
XLII. Vers ce même
temps il y eut des mouvements dans la Gaule citérieure
et ultérieure, le Picénum, le Bruttium et
l'Apulie. En effet, les émissaires que Catilina avait
précédemment envoyés voulant, avec
irréflexion et comme par esprit de vertige, tout faire
à la fois, tenir des assemblées nocturnes,
transporter des armes et des traits, presser, mettre tout en
mouvement, causent plus d'alarmes que de danger. Il y en eut
un grand nombre que le préteur Q. Metellus Celer,
après avoir, en vertu d'un sénatus-consulte,
informé contre eux, fit jeter en prison. Semblable
mesure fut prise dans la Gaule ultérieure par C.
Murena (90), qui
gouvernait cette province en qualité de
lieutenant.
XLIII. A Rome, Lentulus et
les autres chefs de la conjuration, ayant, à ce qu'ils
croyaient, des forces suffisantes, avaient
décidé qu'aussitôt l'arrivée de
Catilina sur le territoire de Fésules L. Bestia
(91), tribun du
peuple, convoquerait une assemblée pour se plaindre
des harangues de Cicéron, et rejeter sur cet estimable
consul (92) tout
l'odieux d'une guerre si désastreuse. C'était
le signal auquel, dès la nuit suivante, la foule des
conjurés devait exécuter ce que chacun d'eux
avait à faire. Voici, dit-on, comment les rôles
étaient distribués : Statilius et Gabinius,
avec une nombreuse escorte, devaient dans le même
moment mettre le feu à douze endroits convenables dans
Rome, afin qu'à la faveur du tumulte l'accès
fût plus facile auprès du consul et
auprès de ceux que l'on voulait sacrifier ; Cethegus,
assaillir la maison de Cicéron, et le poignarder :
chacun avait sa victime. Quant aux fils de famille, de la
classe noble la plupart, ils devaient tuer leurs pères
; puis, dans le trouble universel causé par le meurtre
et l'incendie, tous se faire jour pour joindre Catilina. Au
milieu de ces apprêts et de ces résolutions,
Cethegus ne tessait de se plaindre de l'inertie des
conjurés : avec leurs hésitations, leurs
remises d'un jour à l'autre, ils laissaient
échapper les plus belles occasions; il fallait, dans
un si grand péril, agir, et non
délibérer ; pour lui, si quelques braves
voulaient le seconder, les autres dussent-ils rester
endormis, il attaquerait le sénat. Naturellement
fougueux, violent, prompt à l'exécution, il ne
voyait de succès que dans la
célérité.
XLIV. Cependant,
d'après les instructions de Cicéron, les
Allobroges (93) se
rendent auprès des conjurés par l'entremise de
Gabinius. Ils demandent à Lentulus, à Cethegus,
à Statilius et à Cassius de leur donner,
revêtu de leur seing, un engagement qu'ils puissent
montrer à leurs concitoyens, qui, sans cela, se
laisseraient difficilement engager dans une si grande
entreprise. Tous le donnent sans défiance,
excepté Cassius, qui promet de se rendre bientôt
en personne dans leur pays, et part de Rome un peu avant les
députés. Lentulus envoie avec eux un certain T.
Volturcius, de Crotone, afin qu'avant de rentrer dans leur
pays ils se lient encore plus étroitement par des
serments réciproques avec Catilina. Le même
Volturcius doit remettre à Catilina une lettre
conçue en ces termes : «Celui que je vous envoie
(94) vous dira qui
je suis. Songez à votre détresse, et
rappelez-vous que vous êtes homme.
Réfléchissez à tout ce qu'exige votre
position, et cherchez des auxiliaires partout, même
dans la plus basse classe».
Lentulus charge Vollurcius d'ajouter verbalement :
«Déclaré ennemi de la république,
dans quel but Catilina repousserait-il les esclaves ? A Rome,
tout est prêt comme il l'a ordonné ; qu'il ne
tarde plus à s'en approcher».
XLV. Ces mesures prises,
et pendant la nuit fixée pour le départ des
ambassadeurs, Cicéron, par eux instruit de tout, donne
aux préteurs L. Valerius Flaccus et C. Pomptinus
(95) l'ordre de se
tenir en embuscade sur le pont Milvius, et d'arrêter
l'escorte des Allobroges. Il leur explique en détail
le but de leur mission, puis en abandonne l'exécution
à leur prudence. Ces deux hommes de guerre disposent
leur troupe sans bruit, et, suivant leurs instructions, se
rendent secrètement maîtres des abords du pont.
A peine Volturcius et les Allobroges y sont-ils
arrivés, qu'un cri s'élève des deux
côtés en même temps. Les Allobroges,
reconnaissant aussitôt de quoi il s'agit, se rendent
sans hésiter aux préteurs. Volturcius d'abord
exhorte les siens, et, l'épée à la main,
se défend contre cette multitude ; mais, dès
qu'il se voit abandonné par les députés,
il prie instamment Pomptinus, dont il était connu, de
le sauver ; enfin, intimidé et ne comptant plus sur la
vie, il se rend aux préteurs comme à des
ennemis.
XLVI. Cette
expédition terminée (96), le consul est
instruit de tout par un prompt message. Alors il se sent
partagé entre une joie et une inquiétude
également vives. S'il se réjouit de voir, par
la découverte de la conspiration, Rome arrachée
au danger, il se demande avec anxiété ce qu'il
doit faire de si éminents citoyens surpris en un si
affreux délit. Il prévoit que l'odieux de leur
supplice retombera sur lui, et que leur impunité
perdra la république. Enfin, raffermissant son
âme, il envoie chercher Lentulus, Cethegus, Statilius,
Gabinius, ainsi que Q. Céparius de Terracine, qui se
disposait à partir pour l'Apulie, afin d'y soulever
les esclaves. Tous arrivent sans délai, excepté
Céparius, qui, sorti de sa maison un instant
auparavant et apprenant que tout était
découvert, avait fui de Rome. Le consul, par
considération pour la dignité de préteur
dont Lentulus est revêtu, le conduit par la main ; il
fait amener les autres, sous escorte, dans le temple de la
Concorde. Là, il convoque le sénat, et en
présence d'un grand nombre de ses membres, il fait
entrer Volturcius avec les Allobroges (97), et ordonne au
préteur Flaccus d'apporter aussi le portefeuille et la
lettre que ces ambassadeurs lui avaient remis.
XLVII. Interrogé
sur son voyage, sur cette lettre, enfin sur tous ses projets
et sur leurs motifs, Volturcius a d'abord recours au mensonge
et à la dissimulation; mais ensuite, sommé de
parler, sous la garantie de la foi publique, il
dévoile tout ce qui a été fait :
«C'est depuis peu de jours seulement que Gabinius et
Céparius l'ont fait entrer dans la conjuration ; il ne
sait rien de plus que les ambassadeurs ; seulement il a plus
d'une fois entendu dire à Gabinius que P. Autronius,
Servius Sylla, L. Vargunteius, et bien d'autres encore,
étaient dans la conjuration». Les Allobroges
font les mêmes déclarations ; et, Lentulus
persistant à nier, ils le confondent, et par sa
lettre, et par des propos qu'il avait souvent à la
bouche : «Que les livres Sibyllins avaient promis
l'empire de Rome à trois Cornélius ; que
déjà l'on avait vu Cinna et Sylla ; et qu'il
élait, lui, le troisième dont la
destinée serait d'être le maître de
Rome». Il avait dit encore : «qu'on était
dans la vingtième année depuis l'incendie du
Capitole ; et que, d'après divers prodiges, les
aruspices avaient souvent prédit qu'elle serait
ensanglantée par la guerre civile». La lecture
des lettres achevée, chacun des conjurés ayant
préalablement reconnu sa signature, le sénat
décrète : «que Lentulus abdiquera sa
magistrature, et sera remis, avec ses complices, à la
garde de citoyens». On confie donc Lentulus à P.
Lentulus Spinther, alors édile (98) ; Cethegus à
Q. Cornificius ; Statilius à C. César ;
Gabinius à M. Crassus ; et Céparius, qui venait
d'être arrêté dans sa fuite, au
sénateur Cn. Terrentius.
XLVIII Cependant, la
conjuration découverte, la populace, qui d'abord, par
amour de la nouveauté, n'avait été que
trop portée pour cette guerre, change de sentiment,
maudit l'entreprise de Catilina, élève
Cicéron jusqu'aux nues (99), et, comme si elle
venait d'être arrachée à la servitude,
témoigne sa joie et son allégresse. En effet,
les autres fléaux de la guerre lui promettaient plus
de butin que de dommage ; mais l'incendie lui semblait cruel,
monstrueux, et désastreux surtout pour elle, dont tout
l'avoir consistait dans son mobilier, ses ustensiles et ses
vêtements. Le lendemain, on avait amené devant
le sénat un certain L. Tarquinius, qui, au moment de
son arrestation, était, dit-on, en chemin pour se
rendre auprès de Catilina. Comme il promettait de
faire des révélations si on lui garantissait sa
grâce, le consul lui ayant commandé de dire tout
ce qu'il savait, il donne à peu près les
mêmes détails que Volturcius sur les
apprêts pour l'incendie, sur le massacre des gens de
bien, sur la marche de l'ennemi ; il ajoute «qu'il est
dépêché par M. Crassus à Catilina
pour lui dire de ne point s'épouvanter de
l'arrestation de Lentulus, de Cethegus et des autres
conjurés ; que c'était une raison de plus pour
se hâter de marcher sur Rome, afin de relever le
courage des autres conjurés, et de faciliter la
délivrance de ceux qui avaient été
arrêtés». Mais, dès que Tarquinius
eut nommé Crassus (100), homme d'une
naissance illustre, d'une immense richesse, d'un
crédit sans bornes, les uns se
récrièrent sur l'invraisemblance d'une telle
dénonciation ; les autres, tout en la croyant
fondée, jugèrent néanmoins que, dans un
pareil moment, il fallait plutôt ménager
qu'aigrir un citoyen si redoutable : la plupart
étaient, pour leurs affaires particulières,
dans la dépendance de Crassus. Tous donc de proclamer
Tarquinius «faux témoin» et de demander
qu'il en soit délibéré. Cicéron
recueille les votes : le sénat, ce jour-là
très nombreux, décrète «que la
dénonciation de Tarquinius esl évidemment
fausse, qu'il sera retenu dans les fers, et qu'il ne
recouvrera sa liberté que lorsqu'il aura fait
connaître par le conseil de qui il avait avancé
une si énorme imposture». Quelques-uns ont cru,
dans le temps, que P. Autronius avait fabriqué cette
accusation, dans l'espoir que, si Crassus se trouvait
compromis, aans un commun danger il couvrirait les
conjurés de sa puissance. Selon d'autres, Tarquinius
avait été mis en jeu par Cicéron, qui
voulut ainsi empêcher que Crassus, en se chargeant,
selon sa coutume, de la cause des coupables, n'excitât
des troubles dans la république. Et j'ai
moi-même entendu plus tard Crassus dire hautement qu'un
si cruel affront lui avait été
ménagé par Cicéron.
XLIX. Cependant Q. Catulus
(101) et C. Pison
ne purent alors, ni par leur crédit, ni par leurs
instances, ni à force d'argent, engager Cicéron
à se servir des Allobroges, ni d'aucun autre
délateur, pour accuser faussement C. César.
Tous deux, en effet, étaient ses ennemis
déclarés : Pison, depuis qu'il avait
été attaqué devant le tribunal des
concussions pour le supplice injuste d'un habitant de la
Gaule transpadane ; Catulus, depuis ses démarches pour
le pontificat, nourrissait cette haine ardente, en voyant
qu'à la fin de sa carrière, et après
avoir passé par les plus hautes dignités, il
avait succombé dans sa lutte contre un tout jeune
homme tel que César. L'occasion semblait favorable ;
les immenses libéralités particulières
de celui-ci et ses largesses publiques l'avaient
prodigieusement endetté. Mais, ne pouvant
déterminer le consul à une action si odieuse,
eux-mêmes vont de proche en proche répandre
cette imposture, qu'ils disent tenir de Volturcius ou des
Allobroges, et excitent contre César des
préventions si fortes, que plusieurs chevaliers
romains, qui, pour la sûreté du sénat,
étaient en armes autour du temple de la Concorde,
poussés, soit par l'idée du péril, soit
par le noble désir de faire éclater leur
zèle pour la patrie, menacèrent César de
leurs épées lorsqu'il sortit de
l'assemblée du sénat.
L. Tandis que ces
délibérations occupent le sénat, et
qu'on décerne des récompenses aux ambassadeurs
allobroges, ainsi qu'à Titus Volturcius, dont les
dépositions avaient été reconnues
vraies, les affranchis de Lentulus, et un petit nombre de ses
clients, allaient, chacun de son côté, exciter
dans les rues les artisans et les esclaves à venir le
délivrer : quelques-uns cherchaient avec empressement
ces meneurs de la multitude, qui, pour de l'argent,
étaient toujours prêts à troubler
l'état. De son côté, Cethegus, par des
émissaires, sollicitait ses esclaves et ses
affranchis, troupe d'élite exercée aux coups
d'audace, pour qu'en masse et avec des armes ils se fissent
jour jusqu'à lui. Le consul, instruit de ces
mouvements, fait les dispositions de troupes qu'exigent la
circonstance et le moment, convoque le sénat, et met
en délibération le sort des détenus.
Déjà dans une précédente
assemblée, le sénat, très nombreux, les
avait déclarés traîtres à la
patrie, Decimus Junius Silanus (102), appelé
à opiner le premier en qualité de consul
désigné, fut d'abord d'avis que l'on
condamnât au dernier supplice ceux qui étaient
détenus, ainsi que L. Cassius, P. Furius, P. Umbrenus
et Q. Annius, si on parvenait à les arrêter.
Mais ensuite le même Silanus, ébranlé par
le discours de C. César, annonça qu'il se
rangerait à l'avis de Tibérius Néron
(103), qui
demandait qu'après avoir renforcé les postes on
ajournât la décision. César, quand son
tour fut venu, invité par le consul à donner
son opinion, s'exprima à peu près en ces termes
(104) :
LI.
«Sénateurs, tout homme qui
délibère sur des affaires douteuses doit
être exempt de haine, d'affection, de colère et
de pitié. Difficilement il parvient à
démêler la vérité, l'esprit que
ces sentiments préoccupent, et jamais personne n'a pu
à la fois servir sa passion et ses
intérêts. Appliquez à un objet toute la
puissance de votre esprit, il sera fort ; si la passion s'en
empare et le domine, il sera sans force. Ce serait ici pour
moi une belle occasion, sénateurs, de rappeler et les
rois et les peuples qui, cédant à la
colère ou à la pitié, ont pris de
funestes résolutions : mais j'aime mieux rapporter ce
que nos ancêtres, en résistant à la
passion, ont su faire de bon et de juste. Dans la guerre de
Macédoine (105), que nous
fîmes contre le roi Persée, la république
de Rhodes (106),
puissante et glorieuse, qui devait sa grandeur à
l'appui du peuple romain, se montra déloyale et
hostile envers nous. Mais lorsque, la guerre terminée,
on délibéra sur le sort des Rhodiens, nos
ancêtres, pour qu'il ne fût pas dit que les
richesses de ce peuple, plutôt que ses torts, avaient
donné lieu à la guerre, les laissèrent
impunis. De même, dans toutes les guerres puniques,
bien que les Carthaginois eussent souvent, soit pendant la
paix, soit pendant les trêves, commis d'atroces
perfidies, nos pères n'en prirent jamais occasion de
les imiter, plus occupés du soin de leur
dignité (107) que d'obtenir de
justes représailles.
Et vous aussi,
sénateurs, vous devez prendre garde que le crime de P.
Lentulus et de ses complices n'ait plus de pouvoir sur vous
que le sentiment de votre dignité : et l'on ne vous
verra pas consulter votre colère plutôt que
votre gloire. En effet, si un supplice digne de leur forfait
peut s'inventer, j'approuve la mesure nouvelle que l'on
propose : si, au contraire, la grandeur du crime surpasse
tout ce qu'on peut imaginer, je pense qu'il faut s'en tenir
à ce qui a été prévu par les
lois. La plupart de ceux qui ont énoncé avant
moi leur opinion ont, avec art, et en termes pompeux,
déploré le malheur de la république :
ils ont énuméré les horreurs que la
guerre doit entraîner et les maux
réservés aux vaincus ; le rapt des jeunes
filles et des jeunes garçons ; les enfants
arrachés des bras de leurs parents ; les mères
de famille forcées de subir les caprices du vainqueur
; le pillage des temples et des maisons, le carnage,
l'incendie ; partout enfin les armes les cadavres, le sang et
la désolation. Mais, au nom des dieux immortels,
à quoi tendaient ces discours ? A vous faire
détester la conjuration ? Sans doute, celui qu'un
attentat si grand et si atroce n'a pu émouvoir, un
discours va l'enflammer ! Il n'en est pas ainsi : jamais les
hommes ne trouvent légères leurs injures
personnelles ; beaucoup les ressentent trop vivement. Mais,
sénateurs, à tous n'est pas donnée la
même liberté. Ceux qui, dans une humble
condition, passent obscurément leur vie peuvent
faillir par emportement : peu de gens le savent ; chez
ceux-là, renommée et fortune sont
égales. Mais ceux qui, revêtus d'un grand
pouvoir, vivent en spectacle aux autres, ne font rien dont
tout le monde ne soit instruit (108). Ainsi, plus est
haute la fortune et plus grande est la contrainte (109) : alors la
partialité, la haine, mais surtout la colère,
ne sont point permises. Ce qui chez les autres se nomme
emportement, on l'appelle, chez les hommes du pouvoir,
orgueil et cruauté.
Pour vous exprimer mon opinion, sénateurs, toutes les
tortures n'égaleront jamais les forfaits des
conjurés. Mais, chez la plupart des mortels, ce sont
les dernières impressions qui restent : or, des plus
grands scélérats on oublie le crime, et l'on ne
parle que du châtiment, pour peu qu'il ait
été trop sévère.
Ce qu'a dit D. Silanus, homme ferme et courageux, il l'a dit,
je le sais, par zèle pour la république, et,
dans une affaire si grave, ni l'affection ni la haine n'ont
eu sur lui aucune influence. Je connais trop la sagesse et la
modération de cet illustre citoyen. Toutefois son avis
me paraît, je ne dis pas cruel (car peut-on être
cruel envers de pareils hommes ?), mais contraire à
l'esprit de notre gouvernement. Assurément, Silanus,
ce ne peut être que la crainte ou l'indignation qui
vous ait forcé, vous, consul désigné,
à voter une peine d'une nouvelle espèce. La
crainte ? il est inutile d'en parler, lorsque, grâce
à l'active prévoyance de notre illustre consul,
tant de gardes sont sous les armes ; la peine ? il nous est
bien permis de dire la chose telle qu'elle est : dans
l'affliction, comme dans l'infortune, la mort n'est point un
supplice, c'est la fin de toutes les peines : par elle, tous
les maux de l'humanité s'évanouissent ; au
delà il n'est plus ni souci ni joie.
Mais, au nom des dieux
immortels, pourquoi donc à votre sentence, Silanus,
n'avez-vous pas ajouté qu'ils seraient
préalablement battus de verges ? Est-ce parce que la
loi Porcia (110)
le défend ? mais d'autres lois aussi défendent
d'ôter la vie à des citoyens condamnés,
et ordonnent de les laisser aller en exil. Est-ce parce qu'il
est plus cruel d'être frappé de verges que mis
à mort ? mais qu'y a-t-il de trop rigoureux, de trop
cruel envers des hommes convaincus d'un si noir attentat ?Que
si cette peine est plus légère, convient-il de
respecter la loi sur un point moins essentiel pour
l'enfreindre dans ce quelle a de plus important ?
Mais, dira-t-on, qui osera censurer votre décret
contre les fils parricides de la république ? Le
temps, un jour, la fortune, dont le caprice gouverne le
monde. Quoi qu'il leur arrive, ils l'auront
mérité. Mais vous, sénateurs,
considérez l'influence que, pour d'autres
accusés, peut avoir votre décision. Tous les
abus sont nés d'utiles exemples ; mais, dès que
le pouvoir tombe à des hommes inhabiles ou moins bien
intentionnés, un premier exemple, fait à propos
sur des sujets qui le méritaient, s'applique mal
à propos à d'autres qui ne le méritent
point. Vainqueurs des Athéniens (111), les
Lacédémoniens leur imposèrent trente
chefs pour gouverner leur république. Ceux-ci
commencèrent par faire périr sans jugement tous
les plus scélérats, tous ceux que chargeait la
haine publique : le peuple de se réjouir et de dire
que c'était bien fait. Plus tard, ce pouvoir sans
contrôle s'enhardit peu à peu ; bons et
méchants furent indistinctement immolés au
gré du caprice : le reste était dans la
terreur. Ainsi Athènes, accablée sous la
servitude, expia bien cruellement son extravagante
joie.
De nos jours, lorsque Sylla vainqueur fit égorger
Damasippe et d'autres hommes de cette espèce, qui
s'étaient élevés pour le malheur de la
République, qui ne louait point cette action ?
C'étaient, disait-on, des hommes de crime, des
factieux, qui, par leurs séditions, avaient
bouleversé la République ; ils
périssaient avec justice. Mais cette exécution
fut le signal d'un grand carnage. Car, pour peu que l'on
convoitât une maison, une terre, ou seulement un vase,
un vêtement appartenant à un citoyen, on
s'arrangeait de manière à le faire mettre au
nombre des proscrits. Ainsi ceux pour qui la mort de
Damasippe avait été un sujet de joie furent
bientôt eux-mêmes traînés au
supplice ; et les égorgements ne cessèrent
qu'après que Sylla eut comblé tous les siens de
richesses. Assurément ce n'est pas moi qui redoute
rien de pareil, ni de la part de M. Tullius, ni dans les
circonstances actuelles ; mais, au sein d'un grand
état, la variété des caractères
est infinie. On peut, dans un autre temps, sous un autre
consul, qui comme lui disposerait d'une armée, croire
à la réalité d'un complot imaginaire.
Si, d'après cet exemple, armé d'un
décret du sénat, un consul tire le glaive, qui
arrêtera, qui réglera le cours de ces
exécutions ?
Nos ancêtres,
sénateurs, ne manquèrent jamais de prudence ni
de décision ; et l'orgueil ne les empêchait
point d'adopter les usages étrangers, quand ils leur
paraissaient bons. Aux Samnites, ils empruntèrent
leurs armes offensives et défensives ; aux Toscans
(112), la plupart
des insignes des magistratures ; en un mot, tout ce qui, chez
leurs alliés ou leurs ennemis, leur paraissait
convenable, ils mettaient une ardeur extrême à
se l'approprier, aimant mieux imiter les bons exemples qu'en
être jaloux. A la même époque, adoptant un
usage de la Grèce, ils infligèrent les verges
aux citoyens et le dernier supplice aux condamnés.
Plus tard, la République s'agrandit ;
l'agglomération des citoyens donna aux factions plus
d'importance, l'innocent fut opprimé : on se porta
à bien des excès de ce genre. Alors la loi
Porcia et d'autres lois furent promulguées, qui
n'autorisent que l'exil contre les condamnés. C'est
surtout cette considération, sénateurs, qui,
pour nous détourner de toute innovation, me
paraît décisive. Certes, il nous étaient
supérieurs en vertu et en sagesse, ces hommes qui,
avec de si faibles moyens, ont élevé un si
grand empire, tandis que nous, héritiers d'une
puissance si glorieusement acquise, c'est à
grand'peine que nous la conservons.
Mon avis est-il donc qu'on mette en liberté les
coupables, pour qu'ils aillent grossir l'armée de
Catilina ? Nullement ; mais je vote pour que leurs biens
soient confisqués ; pour qu'eux-mêmes soient
retenus en prison dans les municipes les mieux pourvus de
force armée ; pour qu'on ne puisse jamais, par la
suite, proposer leur réhabilitation, soit au
sénat, soit au peuple : que quiconque contreviendra
à cette défense soit déclaré par
le sénat ennemi de l'état et du repos
public».
LII. Dès que
César eut cessé de parler, les sénateurs
exprimèrent, d'un seul mot, leur assentiment à
l'une ou à l'autre des opinions émises (113). Mais, quand M.
Porcius Caton fut invité à dire la sienne, il
prononça le discours suivant :
«Je suis d'un avis bien différent,
sénateurs, soit que j'envisage la chose même et
nos périls, soit que je réfléchisse sur
les avis proposés par plusieurs des
préopinants. Ils se sont beaucoup étendus, ce
me semble, sur la punition due à des hommes qui ont
préparé la guerre à leur patrie,
à leurs parents, à leurs autels, à leurs
foyers : or la chose même nous dit qu'il faut
plutôt songera nous prémunir contre les
conjurés qu'à statuer sur leur supplice. Car
les autres crimes, on ne les poursuit que quand ils ont
été commis ; mais celui-ci, si vous ne le
prévenez, vous voudrez en vain, après son
accomplissement, recourir à la vindicte des lois. Dans
une ville conquise il ne reste rien aux vaincus. Mais, au nom
des dieux immortels, je vous adjure, vous, pour qui vos
maisons, vos terres, vos statues, vos tableaux, ont toujours
été d'un plus grand prix que la
république ; si ces biens, de quelque nature qu'ils
soient, objets de vos tendres attachements, vous voulez les
conserver ; si à vos jouissances vous voulez
ménager un loisir nécessaire, sortez enfin de
votre engourdissement, et prenez en main la chose publique.
Il ne s'agit aujourd'hui ni des revenus de l'état ni
d'outrages faits à nos alliés : c'est votre
liberté, c'est votre existence, qui sont mises en
péril.
Souvent, sénateurs, ma voix s'est élevée
dans cette assemblée ; souvent le luxe et l'avarice de
nos citoyens y furent le sujet de mes plaintes et, pour ce
motif, je me suis fait beaucoup d'ennemis : car, moi qui ne
me serais jamais pardonné même la pensée
d'une faute, je ne pardonnais pas facilement aux autres les
excès de leurs passions. Mais, bien que vous tinssiez
peu de compte de mes représentations, la
république n'en était pas moins forte : sa
prospérité compensait votre insouciance.
Aujourd'hui il ne s'agit plus de savoir si nous aurons de
bonnes ou de mauvaises moeurs, si l'empire romain aura plus
ou moins d'éclat et d'étendue, mais si toutes
ces choses, quelles qu'elles puissent être, nous
resteront ou tomberont avec nous au pouvoir de nos
ennemis.
Et l'on viendra ici me parler de douceur et de
clémence ! Il y a déjà longtemps que
nous ne savons plus appeler les choses par leur nom : pour
nous, en effet, prodiguer le bien d'autrui s'appelle largesse
; l'audace du crime, c'est courage : voilà pourquoi la
république est au bord de l'abîme. Que l'on soit
(j'y consens, puisque ce sont là nos moeurs)
généreux des richesses de nos alliés,
compatissant pour les voleurs publics ; mais que, du moins,
on ne se montre pas prodigue de notre sang ; et que, pour
sauver quelques scélérats, tous les bons
citoyens ne soient pas sacrifiés.
C'est avec beaucoup
d'art et de talent que C. César vient de disserter
devant cette assemblée sur la vie et sur la mort : il
estime faux, je le crois, ce que l'on raconte des enfers
(114) : que,
séparés des bons, les méchants vont
habiter des lieux noirs, arides, affreux,
épouvantables. Son avis est donc de confisquer les
biens des conjurés et de les retenir en prison dans
les municipes : il craint sans doute que, s'ils restaient
à Rome, ils ne fussent, ou par les complices de la
conjuration, ou par une multitude soudoyée,
enlevés à force ouverte : comme s'il n'y avait
de méchants et de scélérats que dans
Rome, et qu'il n'y en eût pas par toute l'Italie !
comme si l'audace n'avait pas plus de force là
où il existe moins de moyens pour la réprimer !
Le conseil que donne César est donc illusoire, s'il
craint quelque danger de la part des conjurés ; si, au
milieu d'alarmes si grandes et si générales,
seul il est sans crainte, c'est, pour vous comme pour moi, un
motif de craindre davantage.
Ainsi donc, lorsque vous statuerez sur le sort de P. Lentulus
et des autres détenus, tenez pour certain que vous
prononcerez à la fois sur l'armée de Catilina
et sur tous les conjurés. Plus vous agirez avec
vigueur, moins ils montreront de courage ; mais, pour peu
qu'ils vous voient mollir un instant, vous les verrez ici
plus déterminés que jamais.
Gardez-vous de penser
que ce soit par les armes que nos ancêtres ont
élevé la république, si petite d'abord,
à tant de grandeur. S'il en était ainsi, elle
serait entre nos mains encore plus florissante, puisque,
citoyens, alliés, armes, chevaux, nous avons tout en
plus grande quantité que nos pères. Mais ce
sont d'autres moyens (115) qui firent leur
grandeur, et ces moyens nous manquent : au dedans,
l'activité ; au dehors, une administration juste ;
dans les délibérations, une âme libre et
dégagée de l'influence des vices et des
passions. Au lieu de ces vertus, nous avons le luxe et
l'avarice ; la pauvreté de l'état, l'opulence
des particuliers (116) ; nous vantons la
richesse, nous chérissons l'oisiveté ; entre
les bons et les méchants, nulle distinction : toutes
les récompenses de la vertu sont le prix de
l'intrigue. Pourquoi s'en étonner, puisque, tous tant
que vous êtes, chacun de vous ne pense que pour soi ?
Chez vous, esclaves des voluptés ; ici, des richesses
ou de la faveur. De là vient que l'on ose se jeter sur
la république délaissée. Mais laissons
ce discours.
Des citoyens de la plus
haute noblesse ont résolu l'embrasement de la patrie ;
le peuple gaulois, cet ennemi implacable du peuple romain,
ils l'excitent à la guerre ; le chef des
révoltés, avec son armée, tient le
glaive sur vos têtes. Et vous temporisez encore ! vous
hésitez sur ce que vous devez faire d'ennemis
arrêtés dans l'enceinte de vos murs ! Prenez en
pitié, je vous le conseille, de jeunes hommes que
l'ambition a égarés : faites-mieux :
laissez-les tout armés partir. Je le veux bien, pourvu
que toute cette mansuétude et cette pitié, une
fois qu'ils auront pris les armes, ne tournent pas en malheur
pour vous. Sans doute le danger est terrible, mais vous ne le
craignez pas : qu'ai-je dit ? il vous épouvante ;
mais, dans votre indolence, dans votre pusillanimité,
vous vous attendez les uns les autres; vous différez,
vous liant sans doute sur ces dieux immortels à qui,
dans les plus grands périls, notre république a
plus d'une fois dû son salut. Ce n'est ni par des voeux
ni par de lâches supplications que s'obtient
l'assistance des dieux, la vigilance, l'activité, la
sagesse des conseils, voilà ce qui garantit les
succès. Dès qu'on s'abandonne à
l'indolence et à la lâcheté, en vain
implore-t-on les dieux : ils sont courroucés et
contraires (117).
Du temps de nos pères, T. Manlius Torquatus, dans la
guerre des Gaulois, fit mourir son propre fils, pour avoir
combattu l'ennemi sans son ordre. Ce noble jeune homme expia
par sa mort un excèsde courage. Et vous, vous balancez
à statuer sur le sort d'exécrables parricides !
Sans doute le reste de leur vie demande grâce pour ce
forfait. Oui, respectez la dignité de Lentulus, si
lui-même a jamais respecté la pudeur ou sa
propre réputation, s'il a jamais respecté ou
les dieux ou les hommes ; pardonnez à la jeunesse de
Cethegus, si deux fois déjà il ne s'est
armé contre la patrie (118). Mais que dirai-je
de Gabinius, de Statilius, de Céparius, qui, s'il
eût encore existé pour eux quelque chose de
sacré, n'auraient point tramé un si noir
complot contre la république ?
Enfin, sénateurs,
je le déclare, s'il pouvait être ici permis de
faillir, je ne m'opposerais pas à ce que
l'événement vînt vous donner une
leçon, puisque vous méprisez mes discours ;
mais nous sommes enveloppés de toutes parts : Calilina
avec son armée, est à nos portes : dans nos
murailles, au coeur même de la ville (119), nous avons
d'autres ennemis. Il n'est mesure ni
délibération qui puissent être prises
secrètement : raison de plus pour nous hâter.
Voici donc mon avis : puisque par l'exécrable complot
des plus grands scélérats, la république
est tombée dans le plus grand péril ; que par
le témoignage de T. Volturcius et des ambassadeurs
allobroges, aussi bien que par leurs propres aveux, ils sont
convaincus d'avoir comploté le massacre, l'incendie et
d'autres attentats affreux, atroces, envers leurs
concitoyens, j'opine pour que, d'après ces aveux et la
preuve acquise contre eux d'un crime capital, ils soient,
conformément aux institutions de nos ancêtres,
livrés au dernier supplice».
LIII. Après que
Caton se fut assis, tous les consulaires, comme aussi la
plupart des sénateurs, approuvent son avis,
élèvent jusqu'au ciel la fermeté de son
âme, et, s'adressant des reproches, s'accusent
réciproquement de timidité. Caton est
proclamé grand et illustre ; le décret du
sénat est rédigé conformément
à sa proposition (120).
Pour moi, dans tout ce que j'ai lu (121), dans tout ce que
j'ai entendu, sur ce que le peuple romain a, au dedans comme
au dehors, et par mer et sur terre, accompli d'exploits
glorieux, je me suis complu à rechercher quel avait
été le principal mobile de tant d'heureux
succès. Je savais que souvent, avec une poignée
d'hommes, Rome avait su résister aux nombreuses
légions de l'ennemi ; j'avais reconnu qu'avec des
ressources bornées elle avait soutenu des guerres
contre des rois opulents ; qu'en outre elle avait souvent
éprouvé les coups de la fortune ; enfin que les
Grecs en éloquence, les Gaulois dans l'art militaire,
avaient surpassé les Romains. Après beaucoup de
réflexions, il est demeuré constant pour moi
que c'est à l'éminente vertu d'un petit nombre
de citoyens (122)
que sont dus tous ces exploits : par là notre
pauvreté a triomphé des richesses, et notre
petit nombre de la multitude. Mais, après que le luxe
et la mollesse eurent corrompu notre cité, ce fut par
sa grandeur seule que la république put supporter les
vices de ses généraux, et de ses magistrats ;
et, comme si le sein de la mère commune eût
été épuisé (123), on ne vit plus,
pendant bien des générations, naître
à Rome d'homme grand par sa vertu. Toutefois, de mon
temps, il s'est rencontré deux hommes de haute vertu,
mais de moeurs diverses, M. Caton et C. César ; et,
puisque le sujet m'en a fourni l'occasion, mon intention
n'est point de les passer sous silence, et je vais, autant
qu'il est en moi, faire connaître leur caractère
et leurs moeurs (124).
LIV. Chez eux donc la
naissance, l'âge (125),
l'éloquence, étaient à peu près
pareils : grandeur d'âme égale, et gloire aussi,
mais sans être la même. César fut grand
par ses bienfaits et sa générosité ;
Caton, par l'intégrité de sa vie. Le premier
s'était fait un nom par sa douceur et par sa
clémence ; la sévérité du second
avait ajouté au respect qu'il commandait.
César, à force de donner, de soulager, de
pardonner, avait obtenu la gloire ; Caton, en n'accordant
rien. L'un était le refuge des malheureux ; l'autre,
le fléau des méchants. La facilité de
celui-là, la fermeté de celui-ci,
étaient également vantées. César
s'était proposé pour règle de conduite
l'activité, la vigilance : tout entier aux
intérêts de ses amis, il négligeait les
siens, ne refusait rien de ce qui valait la peine
d'être accordé ; pour lui-même, grand
commandement, armée, guerre nouvelle, voilà ce
qu'il ambitionnait ; c'était là que son
mérite pouvait briller dans tout son éclat.
Mais Caton, lui, faisait son étude de la
modération, de la décence, et surtout de
l'austérité : il ne le disputait ni d'opulence
avec les riches, ni d'influence avec les meneurs de factions,
mais bien de courage avec les plus fermes, de retenue avec
les plus modérés, de
désintéressement avec les plus intègres
; aimant mieux être homme de bien que de le
paraître : aussi, moins il cherchait la gloire, plus il
en obtenait.
LV. Lorsque le
sénat, comme je l'ai dit, se fut rangé à
l'avis de Caton, le consul, jugeant que le mieux à
faire était de devancer la nuit qui était
proche, de peur qu'il n'éclatât, durant cet
intervalle, quelque nouvelle tentative, ordonne aux triumvirs
(126) de tout
préparer pour le supplice. Lui-même, ayant
disposé des gardes, conduit Lentulus à la
prison ; les autres y sont menés par les
préteurs. Dans cette prison l'on trouve, en descendant
un peu sur la gauche, à environ douze pieds de
profondeur, un lieu appelé Tullianum. Il est partout
entouré de murs épais, et couvert d'une
voûte cintrée de grosses pierres (127). La saleté,
les ténèbres, l'infection, en rendent l'aspect
hideux et terrible. Dès que dans ce cachot Lentulus
eut été descendu, les exécuteurs,
d'après l'ordre qu'ils en avaient reçu, lui
passèrent au cou le noeud fatal. C'est ainsi que ce
patricien de la très illustre maison de
Cornélius, qui avait exercé dans Rome
l'autorité consulaire (128), trouva une fin
digne de ses moeurs et de ses actions. Cethegus, Statilius,
Gabinius et Céparius furent exécutés de
la même manière.
LVI. Tandis que ces
événements se passent à Rome, Catilina,
avec toutes les troupes qu'il avait amenées, et que
commandait Mallius, organise deux légions; il
proportionne la force de ses cohortes (129) au nombre des
soldats ; ensuite, à mesure que des volontaires ou
quelques-uns de ses complices arrivent au camp, il les
répartit également dans les cohortes. Ainsi, en
peu de temps, il parvient à mettre ses légions
au complet, lui qui d'abord n'avait pas plus de deux mille
hommes. Mais, de toute cette troupe, il n'y avait
guère que le quart qui fût
régulièrement armé ; les autres, selon
ce qui leur était tombé sous la main, portaient
des bâtons ferrés ou des lances ; quelques-uns,
des pieux aiguisés (130). A l'approche
d'Antoine avec son armée, Catilina dirige sa marche
à travers les montagnes, portant son camp tantôt
vers Rome, tantôt vers la Gaule, sans jamais laisser
à l'ennemi l'occasion de combattre. Il espérait
avoir au premier jour de grandes forces, dès
qu'à Rome les conjurés auraient effectué
leur entreprise. En attendant, il refusait les esclaves qui,
dès le commencement, n'avaient cessé de venir
le joindre par troupes nombreuses. Plein de confiance dans
les ressources de la conjuration, il regardait comme
contraire à sa politique de paraître rendre la
cause des citoyens commune à des esclaves
fugitifs.
LVII. Mais, lorsque dans
le camp arrive la nouvelle qu'à Rome la conjuration
était découverte ; que Lentulus, Cethegus, et
les autres conspirateurs dont je viens de parler, avaient
subi leur supplice, la plupart de ceux qu'avait
entraînés à la guerre l'espoir du pillage
ou l'amour du changement se dispersent. Catilina conduit le
reste à marches forcées, à travers des
montagnes escarpées, sur le territoire de Pistoie,
dans l'intention de s'échapper secrètement, par
des chemins de traverse, dans la Gaule cisalpine. Mais Q.
Metellus Celer, avec trois légions, était
posté en observation dans le Picénum :
d'après l'extrémité où Catilina
se trouvait réduit, et que nous avons
déjà fait connaître, il avait pressenti
le dessein qu'il méditait. Aussi, dès que par
des transfuges il fut instruit de la marche de Catilina, il
se hâta de décamper, et vint stationner au pied
même des montagnes par où celui-ci devait
descendre. De son côté, C. Antonius
n'était pas éloigné, bien qu'avec une
armée considérable il fût obligé
de suivre, par des chemins plus faciles, des gens que rien
n'arrêtait dans leur fuite. Catilina, se voyant
enfermé entre les montagnes et les troupes de
l'ennemi, tandis qu'à Rome tout avait tourné
contre lui, et qu'il ne lui restait plus aucun espoir de fuir
ou d'être secouru, jugea qu'il n'avait rien de mieux
à faire dans une telle extrémité que de
tenter le sort des armes, et résolut d'en venir au
plus tôt aux mains avec Antonius. Ayant donc
convoqué ses troupes, il leur adressa ce discours
:
LVIII. «Je le sais,
soldats, des paroles n'ajoutent rien à la valeur, et
jamais la harangue d'un général ne fit d'un
lâche un brave, d'une armée timide une troupe
aguerrie. Ce que la nature ou l'habitude a mis
d'intrépidité au coeur d'un homme, il le
déploie à la guerre. Celui que ni la gloire ni
les dangers ne peuvent enflammer d'ardeur, vous l'exhortez en
vain ; la crainte ferme ses oreilles. Je ne vous ai donc
convoqués que pour vous donner quelques avis, et en
même temps pour vous exposer le motif du parti que j'ai
embrassé.
Vous ne savez que trop, soldats, combien la lenteur et la
lâcheté de Lentulus ont été
fatales et à nous et à lui-même ; et
comment, tandis que j'attendais des renforts de Rome, je me
suis vu fermer le chemin de la Gaule. Maintenant quelle est
la situation de nos affaires ? Vous l'appréciez tous
comme moi. Deux armées ennemies, l'une du
côté de Rome, l'autre du côté de la
Gaule, s'opposent à notre passage. Garder plus
longtemps notre position, quand même telle serait notre
volonté, le manque de blé et d'autres
approvisionnements nous en empêche. Quelque part que
nous voulions aller, c'est le fer à la main qu'il faut
nous frayer une route.
Je vous y exhorte donc :
montrez-vous braves et intrépides; et, quand vous
engagerez le combat, souvenez-vous que fortune, honneur,
gloire, et, de plus, liberté et patrie, tout repose
dans vos mains (131). Vainqueurs, tout
s'aplanit devant nous (132) : nous aurons des
vivres en abondance ; les colonies, les municipes, nous
seront ouverts. Si la peur nous fait reculer, tout se
tournera contre nous : aucun asile, aucun ami, ne
protégera celui que ses armes n'auront point
protégé. Considérez en outre, soldats,
que l'ennemi n'est pas soumis à l'empire de la
nécessité qui nous presse ; nous, c'est pour la
patrie, pour la liberté, pour la vie, que nous
luttons. Eux, il leur est indifférent de combattre
pour l'autorité de quelques citoyens. Attaquez donc
audacieusement, et souvenez-vous de votre ancienne
valeur.
Nous pouvions, accablés de honte, traîner notre
vie dans l'exil : quelques-uns même de vous auraient pu
à Rome, dépouillés de leurs biens,
attendre pour vivre l'assistance d'autrui. Cette existence
honteuse n'était pas tolérable pour des hommes.
Vous avez préféré celle-ci ; si vous
voulez la faire cesser, il est besoin d'audace. Nul, s'il
n'est vainqueur, ne fait succéder la paix à la
guerre (133) ;
car espérer le salut dans la fuite, alors que vous
aurez détourné de l'ennemi les armes qui vous
défendent, c'est pure démence. Toujours, dans
le combat, le plus grand péril est pour les plus
timides; l'intrépidité tient lieu de rempart
(134).
Soldats, lorsque mes yeux s'arrêtent sur vous, et que
je me retrace vos exploits, j'ai le plus grand espoir de
vaincre. Votre ardeur, votre âge, votre valeur,
excitent ma confiance, sans compter la
nécessité, qui seule donne du courage aux plus
timides. D'ailleurs, la multitude des ennemis ne peut nous
envelopper dans un lieu si resserré. Toutefois, si la
fortune trahissait votre courage, gardez-vous de périr
sans vengeance ; et, plutôt que de vous laisser prendre
pour être égorgés comme de vils
troupeaux, combattez en hommes, et ne laissez à
l'ennemi qu'une victoire sanglante et
douloureuse».
LIX. Après ce
discours, qui fut suivi de quelques moments de silence,
Catilina fait sonner les trompettes, et conduit ses troupes
en bon ordre sur un terrain uni. Alors il renvoie tous les
chevaux, afin que l'égalité du péril
augmente le courage du soldat : lui-même, à
pied, range son armée selon la disposition du lieu et
la qualité des troupes. Il occupait une petite plaine
resserrée à gauche par des montagnes, à
droite par une roche escarpée : il compose de huit
cohortes son front de bataille ; le reste, dont il forme sa
ligne de réserve, est rangé en files plus
serrées. Il en tire tous les centurions
d'élite, tous les réengagés, et parmi
les simples soldats ce qu'il y avait de mieux armés,
pour les placer au premier rang. Il donne à C. Mallius
le commandement de la droite, et celui de la gauche à
un certain habitant de Fésules (135). Quant à
lui, avec les affranchis et les colons de Sylla, il se place
auprès de l'aigle qu'à la guerre cimbrique C.
Marius avait eue, dit-on, dans son armée.
De l'autre
côté, C. Antonius, empêché par la
goutte (136)
d'assister au combat, remet à M. Petreius (137), son lieutenant, le
commandement de l'armée. Petreius range en
première ligne les cohortes des
vétérans, qu'il avait enrôlées au
moment du tumulte (138). Derrière
eux il place le reste de l'armée en réserve ;
lui-même parcourt les rangs à cheval, appelant
chaque soldat par son nom, l'exhortant, le priant de se
souvenir que c'est contre des brigands mal armés
qu'ils combattent pour la patrie, pour leurs enfants, pour
leurs autels et leurs foyers. Cet officier, vieilli dans
l'art militaire (car durant plus de trente ans il avait,
comme tribun, préfet, lieutenant ou préteur,
servi dans l'armée avec beaucoup de gloire),
connaissait presque tous les soldats et leurs belles actions
: en les leur rappelant, il enflammait leur courage.
LX. Toutes ces
dispositions prises, Petreius fait sonner la charge, et
ordonne aux cohortes de s'avancer au petit pas.
L'armée ennemie exécute le même
mouvement. Quand on fut assez proche pour que les gens de
trait pussent engager le combat, les deux armées, avec
un grand cri, s'élancent l'une contre l'autre : on
laisse là les javelots ; c'est avec
l'épée que l'action commence. Les
vétérans, pleins du souvenir de leur ancienne
valeur, serrent l'ennemi de près : ceux-ci soutiennent
intrépidement le choc; on se bat avec acharnement.
Cependant Catilina, avec les soldats armés à la
légère, se tient au premier rang, soutient ceux
qui plient, remplace les blessés par des troupes
fraîches, pourvoit à tout, combat surtout
lui-même, frappe souvent l'ennemi, et remplit à
la fois l'office d'un valeureux soldat et d'un bon capitaine.
Petreius, voyant Catilina combattre avec plus de vigueur
qu'il n'avait cru, se fait jour avec sa cohorte
prétorienne à travers le centre des ennemis,
tue et ceux qu'il met en désordre et ceux qui
résistent sur un autre point ; ensuite il attaque les
deux ailes par le flanc. Mallius et l'officier fésulan
sont tués à la tête de leurs corps.
Lorsque Catilina voit ses troupes dispersées, et que
seul il survit avec un petit nombre des siens, il se rappelle
sa naissance et son ancienne dignité ; il se
précipite dans les rangs les plus épais de
l'ennemi, et succombe en combattant.
LXI. Mais, le combat fini,
c'est alors qu'on put apprécier toute
l'intrépidité, toute la force d'âme
qu'avait montrée l'armée de Catilina. En effet,
presque partout, la place où chaque soldat avait
combattu vivant, mort il la couvrait de son cadavre. Un petit
nombre, dans les rangs desquels la cohorte prétorienne
avait mis le désordre, étaient tombés
à quelque distance, mais tous frappés
d'honorables blessures. Catilina fut trouvé bien loin
des siens (139),
au milieu des cadavres des ennemis : il respirait encore ; et
ce courage féroce qui l'avait animé pendant sa
vie demeurait empreint sur son visage (140). Enfin, de toute
cette armée, ni dans le combat ni dans la fuite il n'y
eut pas un seul homme libre fait prisonnier : tous avaient
aussi peu ménagé leur vie que celle des
ennemis. L'armée du peuple romain n'avait pas non plus
remporté une victoire sans larmes et peu sanglante ;
car tous les plus braves avaient péri dans le combat
ou s'étaient retirés grièvement
blessés. Beaucoup, qui étaient sortis de leur
camp pour visiter le champ de bataille ou pour
dépouiller les morts, retrouvèrent, en
retournant les cadavres, les uns un ami, les autres un
hôte ou un parent. Il y en eut encore qui reconnurent
des ennemis personnels. Ainsi des émotions diverses,
la joie, la douleur, l'allégresse et le deuil,
agitaient toute l'armée.
(1) Dans
l'âme et dans le corps - Salluste a pris le
fond de ces idées dans le premier chapitre de la
Politique d'Aristote : «Tout animal est
composé de corps et d'âme, celle-ci
commande, l'autre est essentiellement obéissant.
Telle est la loi qui régit les êtres
vivants, lorsqu'ils ne sont pas viciés et que leur
organisation est dans la nature... Je ne parle pas de ces
êtres dégradés chez lesquels le corps
commande à l'âme : ceux-là sont
constitués contre le voeu de la
nature». |
|
(2) Le corps
à obéir - Salluste, au chapitre Ier de
Jugurtha, présente la même
idée : Sed dux atque imperator vitae mortalium
animus est. On peut voir, dans la note qui
précède, qu'elle est imitée
d'Aristote. Sénèque (épît.
CXIV) a dit : Rex noster est animus. Lactance cite
ce passage dans son traité de Origine
erroris, et ce qu'il dit à ce propos est
curieux : «Dans cette alliance du ciel et de la
terre, dont l'homme est l'expression et l'image, la
substance la plus sublime vient de Dieu : c'est
l'âme qui possède l'empire sur le corps ; la
substance la plus grossière est le corps qui vient
du démon : et c'est le corps qui, formé de
terre, doit être soumis à l'âme, comme
la terre au ciel. Il est comme un vase, dont l'esprit,
qui vient du ciel, se sert comme d'une demeure
temporaire. L'âme et le corps ont chacun leurs
fonctions distinctes : de façon que ce qui vient
du ciel et de Dieu commande, et que ce qui vient de la
terre soit assujetti au démon. Cette
vérité n'a pas échappé
à Salluste, ce méchant homme. (Ici Lactance
cite le passage depuis ces mots : Sed omnis,
jusqu'à ceux-ci : servitio magis utimur,
puis il ajoute : ) A merveille, s'il eût aussi bien
vécu qu'il a parlé. Il fut assujetti en
esclave aux plus honteuses voluptés, et sa
conduite dépravée donna le démenti
à ses paroles». (Liv. II, page 206 de
l'édition de Leyde, 1660.) |
|
(3) Avant
d'entreprendre il faut réfléchir - Il
n'est pas, pour ainsi dire, un mot de ce premier chapitre
de la Catilinaire qui n'ait été
cité comme exemple par les grammairiens et les
scoliastes. Voyez NONIUS MARCELLUS de Varia verbor.
signif.; DONAT et EUGRAPHIUS sur
Térence. |
|
(4) Dans
l'origine des sociétés, les rois -
C'est encore d'Aristote que Salluste a pris cette
idée que les rois ont été le premier
pouvoir établi sur la terre. Cicéron dit
également dans le traité des Lois
(liv. III, chap. II) : Omnes antiquae gentes regibus
quondam paruerunt. Justin s'exprime de même en
commençant son histoire : Principio rerum,
gentium nationumque imperium penes reges erat. Saint
Augustin, dans la Cité de Dieu, où
il reproduit presque tout le préambule de
Salluste, cite ce passage depuis ces mots : Igitur
initio reges, jusqu'à ceux-ci : satis
placebant ; d'abord au chapitre X, puis au chapitre
XIV du livre III. Il cite dans ce même chapitre XIV
le passage suivant, depuis Postea vero,
jusqu'à instituerat dicere. |
|
(5) Sont
vouées à l'oubli -
Sénèque, dans son traité de la
Brièveté de la vie, a
emprunté à Salluste plusieurs
pensées. |
|
(6) Et
mensonge - Imitation de Thucydide (Lib. II, c. xxxv.)
Ce passage de Salluste a été cité
par Grégoire de Tours, le père de notre
histoire nationale. Après avoir, au commencement
de son septième livre, fait un éloge
touchant des vertus du saint évêque d'Albi,
Sauve, son ami, il ajoute : «En écrivant
ceci, je crains que quelque lecteur ne le trouve
incroyable, selon ce qu'a écrit Salluste dans son
histoire» ; puis il rapporte le passage depuis les
mots : Ubi de magna virtute, jusqu'à
ceux-ci : pro falsis ducit. |
|
(7) A la
haine - Salluste, ainsi que nous l'avons dit dans sa
vie, écrivait cette histoire peu de temps
après son expulsion du sénat. On voit qu'il
cherche à pallier les motifs de sa disgrâce,
comme s'il eût été mal à
propos confondu par la calomnie avec d'autres personnes
plus justement décriées. «Cependant,
ainsi que l'observe de Brosses, il ne se mit pas en peine
de lui imposer silence dans la suite par une conduite
plus régulière». |
|
(8) Lucius
Catilina - Lucius Sergius, surnommé
Catilina, c'est-à-dire le pillard (voyez
FESTUS, au mot Catillatio), était de
l'illustre maison patricienne Sergia, qui faisait
remonter son origine à Sergeste, l'un des
compagnons d'énée. |
|
(9) Esprit
audacieux, rusé. «A dire vrai, observe
Saint-évremont, les anciens avaient un grand
avantage sur nous à connaître les
génies par ces différentes épreuves
où l'on était obligé de passer dans
l'administration de la république ; mais ils n'ont
pas eu moins de soin pour les bien dépeindre ; et
qui examinera leurs éloges avec un peu de
curiosité et d'intelligence, y découvrira
une étude particulière et un art infiniment
recherché. En effet, vous leur voyez rassembler
des qualités comme opposées qu'on
n'imaginerait pas se rencontrer dans une même
personne : animus audax, subdolus ; vous leur
voyez trouver de la diversité dans certaines
qualités qui paraissent tout à fait les
mêmes, et qu'on ne saurait démêler
sans une grande délicatesse de discernement :
subdolus, varius, cujuslibet rei simulator ac
dissimulator. Il y a une autre diversité dans
les éloges des anciens, plus délicate, et
qui nous est encore moins connue : c'est une certaine
différence dont chaque vice et chaque vertu est
marquée par l'impression particulière
qu'elle prend dans les esprits où elle se trouve.
Par exemple, l'audace de Catilina n'est pas la même
que celle d'Antoine. Salluste nous dépeint
Catilina comme un homme de méchant naturel, et la
méchanceté de ce naturel est aussitôt
exprimée : sed ingenio maloque pravoque.
L'espèce de son ambition est distinguée par
le dérèglement des moeurs, et le
dérèglement est marqué, à
l'égard du caractère de son esprit, par des
imaginations trop vastes et trop élevées :
vastus animus immoderata, incredibilia, nimis alta,
semper cupiebat. Il avait l'esprit assez
méchant pour entreprendre toutes choses contre les
lois, et trop vaste pour se fixer à des desseins
proportionnés aux moyens de les faire
réussir.» |
|
(10) Son
esprit exalté - Saint-évremont, qui a
traduit cette expression vastus animus par son
esprit vaste, fait une dissertation très
ingénieuse sur la signification du mot
vastus. «Il me prend envie de nier, dit-il,
que vaste puisse jamais être une louange, et
que rien soit capable de rectifier cette qualité.
Le grand est une perfection dans les esprits ; le vaste
est toujours un vice. L'étendue juste et
réglée fait le grand ; la grandeur
démesurée fait le vaste. Vastitas,
grandeur excessive. Le vaste et l'affreux ont bien du
rapport.... Vastus quasi vastatus».
Après avoir prouvé qu'appliquée aux
solitudes, aux forêts, aux campagnes, aux
rivières, aux animaux, aux hommes, vastos
Cyclopas, vasta se mole moventem Polyphemum,
l'épithète de vastus n'est jamais
prise en bonne part, Saint-évremont examine
particulièrement ce que c'est qu'un esprit vaste.
«Vaste, dit-il, se peut appliquer à une
imagination qui s'égare, qui se perd, qui se forme
des visions et des chimères. Je n'ignore pas qu'on
a prétendu louer Aristote en lui attribuant un
génie vaste... On a dit qu'Alexandre, que Pyrrhus,
que Catilina, que César, que Charles-Quint, que le
cardinal de Richelieu, ont eu un esprit vaste ; mais, si
on prend la peine d'examiner tout ce qu'ils ont fait, on
trouvera que les beaux ouvrages, que les belles actions,
doivent s'attribuer aux autres qualités de leur
esprit, et que les erreurs et les fautes doivent
être imputées à ce qu'ils ont de
vaste». Après avoir prouvé sa
thèse à l'égard d'Aristote,
d'Alexandre, de Pyrrhus, Saint-évremont arrive
à Catilina. «Il aspira, dit-il, aux emplois
que Pompée sut obtenir ; et, si rien
n'était trop grand pour le crédit de
Pompée, rien n'était trop
élevé pour l'ambition de Catilina.
L'impossible ne lui paraissait qu'extraordinaire,
l'extraordinaire lui semblait commun et facile. Vastus
animus immoderata, incredibilia, nimis alta,
cupiebat. Et par là vous voyez le rapport
qu'il y a d'un esprit vaste aux choses
démesurées. Les gens de bien condamnent son
crime, les politiques blâment son entreprise comme
mal conçue ; car tous ceux qui ont voulu opprimer
la république, excepté lui, ont eu pour eux
la faveur du peuple ou l'appui des légions.
Catilina n'avait ni l'un ni l'autre de ces secours : son
industrie et son courage lui tinrent lieu de toutes
choses dans une affaire si grande et si difficile,
etc.» |
|
(11) Depuis
la dictature de L. Sylla - Catilina fut un des
satellites les plus cruels de Sylla, qui le mit à
la tête d'un certain nombre de soldats gaulois
chargés d'égorger Nannius Titinius, L.
Tanasius et divers autres chevaliers romains (Q. CICERON,
de Petitione consulatus, c.II). «Mais ce fut
au milieu d'eux, dit Q. Cicéron (ibid.),
qu'il assassina de ses propres mains le mari de sa soeur,
Q. Cecilius,» etc. Rien n'égale les
cruautés qu'il exerça sur le préteur
M. Marius Gratidianus, oncle de Cicéron par sa
soeur, et de la famille de Marius. Catilina le tira de sa
main d'une étable où il s'était
caché, le chassa devant lui à coups de
bâton par toute la ville jusqu'au delà du
Tibre, et l'immola aux mânes de Lutatius, devant le
tombeau de cette famille. Là, il lui fit
successivement briser les jambes, arracher les yeux,
couper les oreilles, la langue et les mains. |
|
(12) Le
luxe et l'avarice - Il faut comparer ce morceau avec
le portrait de Catilina tracé par Cicéron
dans le discours pro Coelio (c. V.). On y
remarquera les mêmes contrastes que dans le tableau
dessiné par Salluste. En effet, selon Plutarque,
«il était à la fois hardi et
hasardeux à entreprendre de grandes choses,
cauteleux et malicieux de nature». Dans les
fragments du discours in Toga candida,
Cicéron revient encore sur le caractère de
Catilina ; et, dans le discours plusieurs fois
cité en la note précédente, Q.
Cicéron s'exprime ainsi sur Catilina : «De
quel éclat, grands dieux ! brille votre autre
rival ? Aussi noble que le premier, a-t-il plus de vertu
? non, mais plus d'audace. Antoine craint jusqu'à
son ombre : Catilina ne craint pas même les
lois.» (Ch. II) |
|
(13) Le
sujet même - Tacite a imité Salluste :
Res poscere videtur, quia iterum in mentionem
incidimus viri saepius memorandi, ut vitam studiumque
ejus paucis repetam. (Hist. lib. IV.) |
|
(14) Puis,
par quel changement insensible - Le commentaire de M.
Burnouf offre des observations précieuses sur la
construction de cette phrase, dans laquelle le verbe
disserere a pour sujet à la fois et
l'accusatif instituta et ces liaisons pronominales
quomodo, puis quantamque. M. Burnouf cite
un exemple analogue dans notre langue :
«Vous-même de vos soins craignez la
récompense, /Et que, dans votre sein ce serpent
élevé, / Ne vous punisse un jour de l'avoir
élevé». |
|
(15) Des
Troyens fugitifs - Tradition fort contestée
(voir à ce sujet la note 8 du président de
Brosses sur l'Histoire de la Conjuration, et, dans
l'Histoire romaine de Niebuhr, l'article
intitulé «Enée et les Troyens dans le
Latium»). - Au surplus, par ces mots sicut ego
accepi, Salluste semble exprimer lui-même du
doute à cet égard. En
général, ceux qui lisent les historiens
romains ne font pas une attention assez sérieuse
à ces formes dubitatives, qui indiquent chez
ceux-ci peu de foi à leurs antiquités
nationales. |
|
(16) En
recevant des services - (THUCYD., lib. Il, c. XL.) La
même pensée se trouve dans la Guerre de
Jugurtha : Bénéficia dare, invitus
accipere. |
|
(17) Un
pouvoir annuel et deux chefs - Passage
rapporté par saint Augustin (de Civitate
Dei, lib. V, c. XII). Puis il ajoute : Consules
appellati sunt a consulendo. Voltaire, dit le P.
d'Otteville, avait vraisemblablement en vue cet endroit,
lorsque, dans Rome
sauvée, il fait dire à
Cicéron par Catilina : «Vous abusez
beaucoup, magistrat d'une année, De votre
autorité passagère et
bornée». |
|
(18) Que
les gens de bien - Ce trait, d'une éternelle
vérité, s'applique aux tyrans comme aux
rois faibles. Fénelon l'a développé
d'une manière admirable dans
Télémaque. «C'est un crime
encore plus grand à Tyr, fait-il dire à
Narbal, d'avoir de la vertu : car Pygmalion suppose que
les bons ne peuvent souffrir ses injustices et ses
infamies. La vertu le condamne, il s'aigrit et s'irrite
contre elle». Et ailleurs : «Le défaut
des princes trop faciles et inappliqués est de se
livrer avec une aveugle confiance à des favoris
artificieux et corrompus. Le défaut de celui-ci
était, au contraire, de se défier des plus
honnêtes gens.... Les bons lui paraissaient pires
que les méchants, parce qu'il les croyait aussi
méchants et plus trompeurs». (Liv. III,
passim.) |
|
(19) Point
de fatigue extraordinaire - Il y a dans le texte
labos. Servius nous apprend que Salluste
n'écrivait jamais labor (in Mneidos,
lib. I, v. 255). |
|
(20) La
fortune exerce sur toutes choses son influence -
Lactance cite ce passage dans son traité de
Falsa sapientia pour établir
l'inconséquence des idées des anciens sur
la Divinité : car, dit-il, si la fortune gouverne
toutes choses, quid ergo ceteris diis loci superest
? (Lib. III, page 340.) |
|
(21) A
produit de grands écrivains - Le roi Louis XII
parlait à peu près de même des
Français.... Il s'accorde avec Salluste en ce qui
regarde les Grecs, et pense différemment à
l'égard des Romains. Tous deux ont raisonné
juste relativement au temps où ils vivaient, lors
duquel leurs nations n'avaient pas encore eu d'historiens
comparables à ceux des Grecs. Ce prince avait
coutume de dire «que les faits des Grecs
étaient peu de chose par eux-mêmes, mais
qu'ils les avaient rendus grands et glorieux par la
sublimité de leur éloquence ; que les
Français avaient fait quantité de belles
actions, mais qu'ils n'avaient pas su les écrire ;
que les Romains, parmi tous les peuples, étaient
ceux qui avaient en même temps accompli beaucoup
d'exploits glorieux, et su les écrire et les
raconter dignement». (DE BROSSES.) |
|
(22) Que
sur le penchant naturel - C'est ainsi que Tacite dit
des Germains : Plus ibi mores valent quam alibi bonae
leges (c. XIX) ; et Justin, des Scythes : Justitia
gentis ingeniis culta, non legibus (lib. II, c. II),
et Virgile, des Latins : Neve ignorate Iatinos,/
Saturni gentem, haud vincio, nec legibus aequam, Sponte
sua, veterisque dei se more tenentem. Aeneid. lib.
Vll.v. 202. On voit qu'ici la poésie et l'histoire
sont d'accord pour attribuer à des peuples au
berceau des vertus supposées. Il ne faut que lire
les commencements de l'Histoire romaine, dans Tite-Live
et Denys d'Halycarnasse, pour s'assurer combien est
flatté ce portrait tracé par Salluste. Sur
ces mots, concordia maxima, d'Otteville a dit,
avec vérité : «Trouverait-on, dans
les siècles qui précédèrent
la destruction de Carthage, deux années où
les Romains aient été parfaitement unis
?» |
|
(23) Ils
aimaient mieux pardonner que punir - Saint Augustin,
dans son épître adressée à
Marcellina, s'exprime ainsi : Dignum esset
exsurgere civitatem quae tot gentibus imperitaret : quod
accepta injuria, ignoscere quam persequi malebant.
Cicéron (Tuscul. V) : Accipere quam
facere praestat injuriam. |
|
(24) Carthage,
rivale de l'empire romain - Comparez cet
aperçu moral de l'Histoire romaine avec les
Fragments VI, VII, VIII, IX et X de la Grande
histoire de Salluste. |
|
(25) Fait
sa passion des richesses - Caton, cité par
Aulu-Gelle, avait dit : Avaritiam omnia vitia habere
putabant (voyez AULU-GELLE, liv. III, ch. I). Les
mêmes idées que Salluste expose ici et dans
le chapitre suivant se trouvent présentées
en d'autres termes dans sa première lettre
à César, passim. |
|
(26) Après
que L. Sylla, dont les armes avaient reconquis la
république, sur Marius, Cinna et Carbon - On
lit dans l'Epitome de Tite-Live, livre. LXXXIII :
Recuperata republica, pulcherrimam victoriam
crudelitate, quanta in nullo hominum unquam fuit,
inquinavit. - Voyez aussi VALERE-MAXIME, liv. IX, ch.
XI, n° 2 ; PLUTARQUE, Vie de Sylla ; SALLUSTE,
dans sa deuxième lettre à César, ch.
IV, an illa jusqu'à atque crudelia
erant ; LUCAIN, Pharsale, liv. II,
passim. |
|
(27) Aux
particuliers et au public - Ces expressions, et
privatim et publice, se trouvent au commencement de
la dernière Verrine : Quin Verres sacra
profanaque omnia et privatim et publice spoliavit. Si
le P. d'Otteville avait fait ce rapprochement, il
n'eût pas, sur la foi du journal de Trévoux,
com-mis dans sa seconde édition un énorme
contre-sens, qu'il avait évité dans la
première, et qui consiste à dire les
enlever pour les particuliers ou pour
l'état. |
|
(28) Couvertes
de constructions - Contracta pisces aequora
sentiunt / Jactis in alium moribus...(HORATIUS,
Carminum, lib. III, ode I). On a cru que Salluste
faisait ici allusion au faste de Lucullus (voyez VELLEIUS
PATERCULUS, liv. II). |
|
(29) Toutes
les terres et toutes les mers - Et quaesitorum
terra pelagoque ciborum Ambitiosa fames, et lautae gloria
mensae ! LUCANUS, Pharsalia, lib IV, v.
375. |
|
(30) L'infamie,
la misère ou le remords - Quis tota
Italia, dit Cicéron, veneficus, quis
gladiator, quis latro, quis sicarius, quis parricida,
quis testamentorum subjector, quis circumscriptor, quis
ganeo, quis nepos, quis adulter, quae mulier infamis,
quis corruptor juventutis, quis corruptus inveniri
potest, qui se cum Catilina non familiarissime vixisse
fateatur ? (Catil. II, c. IV ; voyez aussi le
discours de Pétitione consulatus, c.
II.) |
|
(31) L'intimité
- «Il avait, dit Plutarque, corrompu une partie de
la jeunesse. Car il leur subministrait à chacun
les plaisirs auxquels la jeunesse est encline, comme
banquets, amours de folles femmes, et leur fournissait
argent largement pour soutenir toute cette
dépense». (Vie de
Cicéron.) |
|
(32) Une
vierge de noble famille - Quelle était cette
jeune fille ? on l'ignore. Selon Lucceius, qui avait
écrit contre Catilina un ouvrage qui n'existe
plus, Catilina eut sa première intrigue criminelle
avec la femme d'Aurelius Orestes, qui fut depuis sa
belle-mère, et prétend que cette même
Orestilla, qu'il épousa dans la suite,
était née de ce commerce. «La
même intrigue, dit Cicéron (Fragm. orat,
in Toga candida), lui a produit une fille et une
épouse». |
|
(33) Une
vestale - Cette aventure arriva l'an de Rome 681. La
vestale se nommait Fabia Terentia : elle était
soeur de Terentia, femme de Cicéron (ASCONIOS
in Toga candida). Au surplus, si Catilina fut
trouvé dans l'appartement de cette vestale, les
suites de ce rendez-vous ne furent pas assez
constatées ; et, malgré la
véhémence des accusations de P. Clodius,
Pison, qui prononça pour elle un plaidoyer
admirable, selon Cicéron (Brutus, ch.
LXVIII), la fit acquitter. |
|
(34) A
cet horrible hymen - Valère Maxime raconte ce
fait, liv. IX, ch. I, n° 9, et Cicéron y fait
allusion dans sa 1ere Catilinaire, ch. VI ; mais,
selon lui, ce n'était pas le premier crime
qu'eût inspiré à Catilina son amour
adultère pour Aur. Orestilla. Avant son fils, il
avait fait périr sa première
épouse. |
|
(35) Cn.
Pompée - Pompée était alors, en
Orient, occupé d'abattre les derniers restes de la
puissance de Mithridate. «Le luxe et la
débauche, puis la ruine totale de son patrimoine,
qui en fut la suite ; enfin l'occasion favorable que lui
offrait l'éloignement des armées romaines,
occupées aux extrémités de la terre,
poussèrent Catilina à former le
détestable dessein d'opprimer sa patrie».
(FLORUS, liv. IV, ch. I.) - «Pompée, dit
Bossuet, achevait de soumettre ce vaillant roi
(Mithridate), l'Arménie où il
s'était réfugié, l'Ibérie et
l'Albanie qui le soutenaient, la Syrie
déchirée par les factions, la Judée,
où la division des Asmonéens ne laissa
à Hyrcan II, fils d'Alexandre Jannée,
qu'une ombre de puissance, et enfin tout l'Orient ; mais
il n'eût pas su où triompher de tant
d'ennemis sans le consul Cicéron, qui sauvait la
ville des feux que lui préparait Catilina suivi de
la plus illustre noblesse de Rome.» (Discours
sur l'histoire universelle, IXe époque.) |
|
(36) De
briguer le consulat - Catilina était incertain
s'il pourrait briguer le consulat. Il était encore
sous le poids de l'accusation de concussion
intentée contre lui par les peuples de son
gouvernement d'Afrique. Il ne pouvait, dans cet
état d'accusation (reatus), remplir la
formalité imposée aux can-didats, qui
consistait à déclarer sa prétention
dans l'assemblée du peuple, vingt-sept jours avant
l'élection. Catilina fut absous, mais trop
tard. |
|
(37) P.
Lentulus Sura - P. Cornélius Lentulus Sura
avait été consul l'an de R. 685, avec Cn.
Aufidius Orestes ; mais les désordres de sa
conduite publique et privée le firent chasser du
sénat par les censeurs Gellius et Lentulus, l'an
de R. 686. Pour y rentrer, Lentulus brigua la
préture, et obtint celle de Rome l'année
même du consulat de Cicéron. On peut
consulter sur ce personnage la 3eme Catilinaire de
Cicéron. Questeur quelque temps avant la dictature
de Sylla, Lentulus avait dissipé les deniers
publics ; puis, quand Sylla voulut lui faire rendre
compte, il s'en moqua et dit qu'il était hors
d'état de les rendre, mais qu'il tiendrait le gras
de sa jambe (sura) pour y être
frappé, faisant allusion à la punition que
s'infligeaient entre eux les enfants qui n'avaient pas de
quoi payer au jeu. - P. Autronius Petus avait
été condisciple de Cicéron et son
collègue dans la préture. L'an 687, il
brigua, avec P. Sylla, neveu du dictateur, le consulat
pour l'année 689 ; et tous deux eurent si
ouvertement recours à des menées coupables,
que le consul C. Calpurnius Pison fut obligé de
porter contre les nouvelles brigues une loi très
sévère. Autronius et Sylla n'en
continuèrent pas moins leurs manoeuvres avec
succès ; ils furent, l'an 688,
désignés consuls pour l'année
suivante, au préjudice de L. Manlius Torquatus et
de L. Aurelius Cotta. Ceux-ci accusèrent leurs
heureux rivaux d'avoir acheté les voix, et
invoquèrent contre eux la nouvelle loi Calpurnia.
Leur élection fut déclarée nulle, ce
qui était jusqu'alors sans exemple (voyez CICERON,
pro P. Sylla et pro Cornelio, passim). - L.
Cassius Longinus avait été, l'an 690, un
des compétiteurs de Cicéron et de Catilina
dans la demande du consulat. Son embonpoint, sur lequel
Cicéron le raille dans la 3eme Catilinaire
(ch. VII), ne l'empêcha pas de se sauver au plus
vite après la découverte de la
conspiration. On disait de lui qu'il était plus
stupide que méchant. Cependant il souscrivit
toujours aux avis les plus cruels : ce fut même lui
qui se chargea de mettre le feu dans Rome (voyez
Asconius, in Toga candida, et ci-dessous notre
auteur). - C. Cethegus. Il a déjà
été parlé de ce personnage. Cethegus
avait été dans toutes les factions, ayant
d'abord servi Marius, puis Sylla ; ensuite il avait
été complice de Lepidus (voyez CICERON,
3EME Catilinaire, passim). - P. et Ser.
Sylla, neveux du dictateur. Il ne paraît pas
prouvé que Publius ait fait partie de la
conjuration, du moins si l'on en croit Cicéron
(pro Sulla, passim). - L. Vargunteius. Salluste
parle de lui ci-après (ch. XXVIII). Cicéron
(pro Sulla, c. XI) dit qu'il avait subi une
accusation pour fait de brigue, et avait eu pour
défenseur Hortensius. - Q. Annius. Ce
sénateur avait été de la faction de
Marius. Ce fut lui qui tua de sa main l'orateur Marc
Antoine (PLUTARQUE, Vie de Marius ; VALERE-MAXIME,
liv. VIII, ch. IX, n° 2, et liv. IX, ch. II, n°
2). - M. Porcius Leca, de la famille des Catons. C'est le
même dont le nom est écrit Lecca dans la
1ere Catilinaire, ch. IV. - L. Bestia. L.
Calpurnius Pison Bestia, petit-fils du Pison qui avait
été consul l'an 643, et qui avait
commandé dans la guerre de Numidie, fut
nommé tribun du peuple l'année même
du consulat de Cicéron. - Q Curius. Salluste
parlera souvent de ce personnage (ch. XXIII, XXVI,
XXXVIII, etc.), qui déshonorait un sang illustre
sans racheter ses vices par aucun mérite. |
|
(38) M.
Fulvius Nobilior - D'une des familles les plus
illustres de la république. Il ne faut pas le
confondre avec un autre conjuré, A. Fulvius,
sénateur, dont Salluste parle ci-après, ch.
XXXIX. - L. Statilius descendait de Statilius, qui
commandait la cavalerie lucanienne à la bataille
de Cannes. Cicéron en parle dans la 3e
Catilinaire (ch. III). - P. Gabinius
Capiton. Cicéron lui donne le surnom de Cimber
dans la même Catilinaire (ibid.) ; il
était parent d'A. Gabinius, sous le consulat
duquel Cicércn fut exilé, l'an de R 696. -
C. Cornélius était de la maison
plébéienne de ce nom. Il laissa un fils
qui, quelques années après, fut l'un des
accusateurs de P. Sylla, à l'occasion de cette
même conjuration. A ce catalogue des
conjurés, Cicéron joint Q. Magius Chilo,
Tongillus, Publicius, Cincius Munatius et Furius.
Salluste nomme encore ailleurs Septimius, Julius
Ceparius, Umbrenus, Sittius, Pison, Fulvius, Vultureius,
Tarquitius, Manlius, ou plutôt Mallius,
Flaminius. |
|
(39) M.
Licinius Crassus - Il avait été consul
l'an 684. Il paraît prouvé qu'il
était avec César de la première
conjuration. Il devait, après le meurtre des
sénateurs désignés aux poignards des
conjurés, être élevé à
la dictature et nommer César général
de la cavalerie. On soupçonna encore d'être
de la conjuration Paulus, frère de Lepidus, depuis
triumvir, et le consul C. Antonius, collègue de
Cicéron. |
|
(40) Sous
le consulat de L. Tullus et de M. Lepidus, l'an 688 -
L. Volcatius Tullus avait été tribun du
peuple l'an 678. Cicéron en parle avec estime
(pro Plancio, c. XXI). Manius Emilius Lepidus,
étant questeur l'an 676, fit rebâtir en
marbre l'ancien pont du Tibre, qui porte encore
aujourd'hui le nom de pont émilien. C'est
à tort que les éditions de Salluste portent
M. (Marcus) au lieu de M' (Manius) Lepidus. |
|
(41) Cn.
Pison - De la famille Calpurnia. Cicéron, dans
son discours sur la Demande du consulat, l'appelle
le petit poignard de l'Espagne, pugiunculum
hispaniense. |
|
(42) Les
nones de décembre - Le 5
décembre. |
|
(43) Aux
calendes de janvier - Le 31 décembre. |
|
(44) Aux
nones de février - Le 5 février
689. |
|
(45) Des
gens de bien - Metellus Creticus et Catulus
lui-même se joignirent en cette occasion à
Crassus. |
|
(46) Clients
de C. Pompée - L'Espagne était pleine
de gens dévoués à Pompée, qui
longtemps y avait commandé. Asconius parle comme
Salluste sur ce fait dans ses remarques sur le discours
de Cicéron, in Toga candida. Mais, selon
Tacite (Annales, liv. IV), Pison périt par
la main des habitants de Termeste, où il avait
voulu enlever les deniers publics. |
|
(47) Si
votre courage - Le président de Brosses
observe avec raison que ce discours est du nombre de ceux
que l'historien a visiblement composés ; car il
est clair qu'il n'a pu savoir ce qui s'était dit
dans les conférences noc-turnes des
conjurés. |
|
(48) Deux
palais ou plus à la suite l'un de l'autre -
Ces paroles de Salluste rappellent ce passage
d'Isaïe (ch. V, v 8) : «Malheur à vous,
qui joignez des maisons à des maisons, et qui
ajoutez terres à terres, jusqu'à ce
qu'enfin le lieu vous manque !» |
|
(49) P.
Sittius de Nucérie - Ayant été
expulsé de Rome pour quelque méfait, il
ramassa une petite armée, avec laquelle il passa
d'Espagne en Afrique, où il se maintint jusqu'au
temps de la guerre civile entre César et
Pompée. Il rendit de grands services au premier en
Numidie, et finit par être tué en trahison
par l'Africain Arabion, fils du roi
Manassès. |
|
(50) C.
Antonius - Il fut surnommé Hybrida, le
Métis, fils de Marc Antoine le
célèbre orateur, et oncle de Marc Antoine
le triumvir. |
|
(51) Remplies
de sang humain - Plutarque et Florus rapportent
positivement ce fait, ainsi que Dion Cassius. Cependant
le silence absolu de Cicéron sur une circonstance
si affreuse forme, selon de Brosses, une preuve
négative bien com-plète que ce fait n'est
qu'un conte inventé après coup. |
|
(52) Fulvie
- «Florus, qui la nomme une très vile
courtisane, dit le président de Brosses, a sans
doute moins égard à sa naissance
qu'à ses moeurs». |
|
(53) L'envie
et l'orgueil se turent - Salluste fait des
réflexions analogues au sujet de l'élection
de Manus, dans la Guerre de Jugurtha (ch. LXIII). |
|
(54) Mallius
- Ainsi l'ont écrit Plutarque, Dion Cassius,
Appien et d'antiques inscriptions : cependant les
manuscrits de Salluste portent Manlius. C'était un
vieil officier qui s'était distingué dans
les guerres de Sylla, et qui, après y avoir
gagné d'immenses richesses, les avait
dissipées dans la débauche. |
|
(55) Quelques
femmes - Appien nous apprend que Catilina tira
beaucoup d'argent des femmes de cette espèce, dont
plusieurs ne s'étaient engagées dans le
complot que par l'espoir de devenir bientôt
veuves. |
|
(56) Sempronia
- D'une ancienne et illustre maison
plébéienne, Semproma avait
épousé Decimus Junius Brutus, consul en
677, dont elle eut un fils du même nom, qui fut un
des meurtriers de César. |
|
(57) D'une
audace virile - L'esprit hardi d'une femme
voluptueuse, telle qu'était Sempronia, dit
Saint-évremont, eût pu faire croire que son
audace allait à tout entreprendre en faveur de ses
amours ; mais, comme cette sorte de hardiesse est peu
propre pour les dangers où l'on s'expose dans une
conjuration, Salluste explique d'abord ce qu'elle est
capable de faire par ce qu'elle a fait auparavant :
quae multa saepe, etc. Voilà
l'espèce de son audace exprimée. Il la fait
chanter et danser, non avec les façons, les gestes
et les mouvements qu'avaient à Rome les chanteuses
et les baladines, mais avec plus d'art et de
curiosité qu'il n'était bienséant
à une honnête femme : psallere et saltare
elegantius. Quand il lui attribue un esprit assez
estimable, il dit en même temps en quoi consistait
le mérite de cet esprit : ceterum ingenium
ejus, etc. |
|
(58) Le
consulat pour l'année suivante -
C'était la troisième fois que Catilina
briguait cette dignité. Il était soutenu
par le consul Antonius ; il avait pour concurrent Ser.
Sulpicius, L. Licinius Murena et Decimus Junius Silanus,
qui avait déjà échoué en 690.
Cicéron, pour traverser la brigue de Catilina, fit
passer au sénat une nouvelle loi qui ajoutait
à la rigueur des dispositions de la loi Calpurnia.
Comme Catilina ne put être élu, l'effet de
cette loi ne retomba point sur Catilina, mais sur Murena,
intime ami de Cicéron, que Sulpicius et Caton
accusèrent d'avoir acheté les suffrages.
Cicéron le défendit l'année
suivante. |
|
(59) L'assurance
d'un gouvernement - En tirant au sort entre les
consuls, les gouvernements, comme c'était l'usage,
la Macédonie échut à Cicéron,
et la Gaule cisalpine à Antoine ; mais, comme la
première de ces provinces était beaucoup
plus lucrative que l'autre, Cicéron la lui
céda. |
|
(60) Contre
Cicéron - Les comices dont il est ici question
se tinrent pour l'élection des consuls de
l'année suivante : D. Julius Silanus et Murena
furent élus. |
|
(61) C.
Mallius à Fésules - Plutarque (Vie de
Cicéron) marque que ce Mallius, dont il
est parlé au ch. XXIV, avait déjà
été envoyé en étrurie, et
était revenu momentanément à Rome
pour s'entendre de nouveau avec Catilina, et pour le
seconder dans sa demande du consulat. |
|
(62) Septimius
de Cumerte - Homme obscur de Camerte ou Camerie,
colonie romaine en Ombrie. |
|
(63) C.
Julius - Il portait un beau nom, dit le
président de Brosses, sans en être plus
connu. |
|
(64) Utiles
à ses desseins - Cicéron dit dans la 2e
Catilinaire (ch. m) ; Video, cui Apulia sit
attributa, qui habeat Etruriam, qui agrum picenum, qui
gallicum, qui sibi has urbanas insidias caedis atque
incendiorum depoposcerit. |
|
(65) Insensible
à la fatigue et à l'insomnie -
Cicéron donne la même idée de
l'inconcevable activité de Catilina dans sa 3e
Catilinaire (ch. VII) : Ille erat unus
timendus, etc. |
|
(66) Porcius
Léca - Cicéron, dans la 1ere
Catilinaire (ch. IV) et dans le plaidoyer pour
Sylla (ch. XVIII) parle avec détail de cette
réunion, qui eut lieu dans la nuit du 6 au 7
novembre chez Porcius Léca. |
|
(67) Pour
que la république n'éprouve aucun
dommage - Cette formule solennelle investissait les
consuls d'une autorité presque égale
à celle du dictateur. - Ici l'ordre des faits est
interverti dans la narration de Salluste. Ce
décret, rendu le 20 octobre, était
antérieur de dix-sept jours à la
réunion secrète chez Porcius Léca.
Les projets de Catilina étant découverts
depuis plusieurs jours, c'était le 19 octobre que
Cicéron en fit part officiellement au
sénat, qui, le lendemain, porta le décret
dont il est question dans la présente note. |
|
(68) Le
sénateur L. Sénius lut dans le sénat
une lettre - Cette communication ouvrit enfin les
yeux au public sur le projet des conjurés :
encore, beaucoup de gens croyaient qu'on exagérait
les choses, et que tout ceci n'était qu'une
querelle de faction, ordinaire à Rome entre les
grands. Ce préjugé survécut
même à la mort de Catilina, et obscurcit la
gloire que s'attribuait Cicéron d'avoir
sauvé Rome. |
|
(69) Le
sixième jour suivant les calendes de novembre
- Le 27 octobre. |
|
(70) Les
uns annoncent des prodiges - Cicéron en fait
mention dans sa 3e Catilinaire (ch. VIII), et
Pline, Hist. Nat., liv. II, ch. II. |
|
(71) ;Q.
Marcius Rex - Consul l'an 686, avait
succédé à Lucullus dans le
commandement de la guerre contre Mithridate et Tigrane. -
Q. Metellus Creticus, consul l'an 685, venait de
s'emparer de la Crète, à la suite d'une
expédition qui lui fit peu d'honneur. Comme ces
deux généraux attendaient aux portes de
Rome les honneurs du triomphe, ils avaient
conservé avec eux leurs troupes. |
|
(72) Q.
Pompeius Rufus - Il n'était pas de la
même famille que le grand Pompée ; il tirait
son origine de Q. Pompeius Rufus, qui fut consul avec
Sylla en 666, puis gouverneur d'Espagne. C'était,
dit Cicéron (pro Caelio), un homme d'une
probité reconnue et fort exact à son
devoir. |
|
(73) Metellus
Celer - Un des plus honorables citoyens de la
république, un de ceux qui secondèrent avec
le plus de zèle le consul Cicéron. Il
descendait de Metellus le Macédonique, fut
préteur l'an 691 et consul l'an 69-4,
Cicéron, au sortir de son consulat, lui
céda le gouvernement de la Gaule cisalpine. |
|
(74) Cent
mille sesterces - Vingt mille quatre cent
cinquante-huit francs trente-trois centimes. |
|
(75) En
vertu de la loi Plautia - Proposée par le
tribun Plautius Silvanus, l'an 665 de Rome, de vi
publica, contre ceux qui formaient des entreprises
contre le sénat, les magistrats, qui paraissaient
armés dans les rues de Rome, qui, à la la
faveur d'une sédition, s'emparaient de postes
élevés, etc. |
|
(76) L.
Paulus - L. Emilius Lepidus Paulus, fils du consul
Lepidus, qui suscita une guerre civile après la
mort de Sylla. Il était si jeune à
l'époque de la conjuration, qu'il ne put
être questeur que quatre ans après. Or il
fallait avoir vingt-sept ans pour aspirer à cette
magistrature. L. Paulus n'exerçait donc alors
aucune magistrature ; mais c'était l'usage
à Rome que les jeunes gens qui voulaient se faire
une réputation débutassent par des
accusations publiques contre des citoyens puissants
Cicéron (pro Vatino, c. X), fait un grand
éloge du zèle et du courage que montra dans
cette occasion L. Paulus Emilius, qui fut depuis, avec L.
César et Cicéron, une des trois principales
victimes du deuxième triumvirat |
|
(77) Enfin,
pour mieux dissimuler - Salluste reprend ici la
série des faits qui suivirent le conciliabule
nocturne tenu chez Léca, et la tentative
d'assassinat sur le consul Cicéron. |
|
(78) Un
discours lumineux - C'est un éloge assez froid
de la 1ere Catilinaire, prononcée le 9
novembre par Cicéron. L'expression est vraie
cependant, car, dans cette harangue, toutes les
circonstances de la conjuration sont si clairement
déduites, qu'il devenait impossible de la
révoquer en doute. Elle fut utile en ce qu'elle
força Catilina de quitter Rome. Le
président de Brosses prétend rectifier
Salluste en donnant à cette harangue
l'épithète de foudroyante. |
|
(79) Lui
permettant d'aspirer à tout - Empruntons ici
à M. Burnouf une excellente remarque de goût
: «Dixit Catilina conjuratis : Mala res, spes multo
asperior. - Dicit senatui : Omnia bona in spe habeo. In
utroque servit causae et tempori». |
|
(80) Comme
à ces traits contre Cicéron - Ce
discours, que Salluste prête à Catilina,
paraît controuvé ; car s'il avait
été réellement tenu, Cicéron
n'eût pas manqué de le rappeler devant le
peuple. |
|
(81) L'incendie
qu'on me prépare - Cette parole
menaçante de Catilina fut, selon Cicéron
(pro Murena, c. XXV), adressée par lui
à Caton, avant les comices, pour l'élection
des consuls. La faute que Salluste a commise ici a
été reproduite par Valère-Maxime et
par Plutarque ; mais, comme l'a dit Beauzée, avec
plus de vérité que de goût :
«Cicéron savait son Catilina mieux que
personne» et nous devons avec lui rectifier
Salluste, qui ne fut pas, comme l'orateur romain, en
position de tenir note des faits de la conjuration, pour
ainsi dire jour par jour et d'heure en heure. |
|
(82) La
réduction à un quart pour cent -
Argentum aere solutum est. Mot à mot
l'argent fut payé en airain ; c'est-à-dire
que pour un sesterce qui était d'argent, on donna
un as qui était d'airain et qui valait le quart du
sesterce. Allusion à la loi rendue, l'an 668, par
le consul L. Valerius Flaccus. Turpissimae legis
auctor, qua creditoribus quadrantem solvi jusserat.
(VELLEIUS PATERCULUS, lib. II, c. XXIII) |
|
(83) Le
sénat déclare - Ce fut le
troisième décret rendu dans cette affaire.
Ce jour-là Cicéron adressa au peuple sa 2e
Catilinaire. |
|
(84) Ces
dispositions hostiles - Rapprochez ce qui est dit
dans ce chapitre et dans le suivant avec les chap. XII et
LXXXVI de Jugurtha. |
|
(85) Aulus
Fulvius - Voyez sur ce fait VALERE-MAXIME, liv. V,
ch. v, n° 5, et DION CASSIUS, liv. XXXVII. |
|
(86) P.
Umbrenus - C'était un affranchi, ainsi que
Cicéron nous l'apprend dans sa 3e
Catilinaire (ch. VI). |
|
(87) Les
Allobroges - Leur république faisait partie de
la province romaine dans les Gaules, et comprenait une
partie du Dauphiné et de la Savoie. |
|
(88) D.
Brutus - L'époux de Sempronia. |
|
(89) Q.
Fabius Sanga - Il descendait de Fabius
l'Allobrogique, qui avait été consul l'an
633 ; et, à ce titre, Sanga était le patron
des Allobroges. |
|
(90) Dans
la Gaule ultérieure, par C. Murena -
C'est-à-dire dans la Gaule au delà des
Alpes, par rapport à Rome. Des manuscrits et
nombre d'éditions portent ici in citeriore
Gallia ; mais c'est une erreur évidente, et
l'on en voit la preuve dans le plaidoyer de
Cicéron pour Murena, où il parle de
la conduite de son client dans la Gaule cisalpine (ch.
XII). |
|
(91) L.
Bestia - Il avait été
désigné tribun du peuple pour
l'année qui allait s'ouvrir (PLUTARQUE, Vie de
Cicéron). Or, dès le 10
décembre, il devait prendre possession de sa
magistrature, et l'exécution des mesures
concertées par Lentulus et les autres
conjurés devait avoir lieu le 17 décembre,
époque de la fête des Saturnales, qui
était pour la populace un temps de licence. |
|
(92) Sur
cet estimable consul - C'est la seule louange directe
qui soit donnée à Cicéron dans toute
cette histoire ; heureusement Salluste ne dissimule pas
les faits qui en eux-mêmes font assez
l'éloge de Cicéron. |
|
(93) Cependant
les Allobroges - Quel rôle honteux pour des
ambassadeurs ! faire ainsi le personnage d'agents
provocateurs ! Au surplus, Rome se montra peu
reconnaissante envers eux : elle ne fit pas droit aux
réclamations de leur république au sujet
des dettes dont elle était accablée, et les
Allobroges surent fort mauvais gré à leurs
députés de leur conduite. |
|
(94) Celui
que je vous envoie - Cicéron, dans la 3e
Catilinaire (ch. v), rapporte cette lettre en
termes un peu différents. |
|
(95) Aux
préteurs L. Valenus Flaccus et C. Pomptinus -
L. Valerius Flaccus, de l'illustre maison Valeria,
mérita les remercîments du sénat pour
l'énergie qu'il déploya dans toute cette
affaire. Au sortir de sa préture, il fut
gouverneur de l'Asie Mineure. Accusé de concussion
l'an 695, par D. Lélius, il eut pour
défenseurs Hortensius et Cicéron, qui le
firent absoudre (Voir le plaidoyer pro Flacco). -
C. Pomptinus avait été lieutenant de
Crassus dans la guerre des esclaves. Au sortir de sa
préture, il succéda à Murena dans le
gouvernement de la Gaule ultérieure. Quand
Cicéron fut fait gouverneur de Cilicie, il emmena
comme lieutenant Pomptinus, qui contribua aux
succès que son général obtint dans
cette province. |
|
(96) Cette
expédition terminée - Ceci se passa
dans la nuit du 2 au 3 décembre. Cicéron
raconte les faits à peu près de la
même manière dans sa 3e Catilinaire
(ch. II). |
|
(97) Il
fait entrer Volturcius avec les Allobroges - Encore
une circonstance où Salluste a pour contradicteur
Cicéron, qui dit, dans sa 3e Catilinaire,
qu'il introduisit Volturcius sans les Gaulois, et qu'il
ne fit entrer ceux-ci qu'ensuite. |
|
(98) P.
Lenlulus Spinther, alors édile - Il
était parent du conjuré. Il fut consul avec
Metellus Népos l'an de R. 697, et suivit
constamment le parti de Pompée.- Q. Cornificius,
d'une maison plébéienne, avait cette
année brigué le consulat avec
Cicéron.- Cn Terentius fut préteur
l'année suivante. Il était parent du docte
Varron et de Terentia, épouse de
Cicéron. |
|
(99) La
populace... élève Cicéron jusqu'aux
nues - Ici l'on a reproché à Salluste
de s'être abstenu de détailler les honneurs
que le sénat rendit à Cicéron,
sauveur de la république. Sans doute cela peut
indiquer dans l'historien quelque partialité
contre celui qui est l'objet de cet oubli ; mais a-t-on
bien fait attention que des détails de ce genre
entraient peu dans la manière austère de
notre historien ? Au surplus, Cicéron, dans sa 3e
Catilinaire et dans son discours contre
Pison, fait lui-même
l'énumération de toutes les distinctions
dont il fut comblé. |
|
(100) Dès
que Tarquinius eut nommé Crassus - Il
paraît hors de doute que Crassus et César
étaient dans le secret de la conjuration. C'est
l'opinion qu'a suivie Voltaire dans sa tragédie de
Rome
sauvée (acte II, sc.3) : CéSAR.
J'ai pesé tes projets, je ne veux pas leur nuire ;
/Je peux leur applaudir, et ne veux point entrer. /
CATILINA. J'entends : pour les heureux tu veux te
déclarer, etc. |
|
(101) Cependant
Q. Catulus - Le président de Brosses accuse
ici formellement Salluste de calomnie envers Catulus.
Toutefois Plutarque dit bien que cet illustre citoyen
fut, ainsi que C. Pison, du nombre de ceux qui
reprochèrent à Cicéron d'avoir
manqué l'occasion de se défaire de
César, contre lequel on avait tant d'indices, en
empêchant les chevaliers romains de le tuer. - C.
Pison avait été consul avec Glabrion l'an
687. Il fut ensuite gouverneur de la Gaule
cisalpine. |
|
(102) Decimus
Junius Silanus - Ciceron (Brutus, c. LXVIII)
vante Silanus comme orateur : «Il avait, dit-il,
peu d'acquis, mais beaucoup de brillant et
d'éloquence naturelle». Cicéron nous
apprend encore (in Pison., c.XXIV) que Silanus, au
sortir de son consulat, alla commander en Illyrie. Il
semblerait, d'après le récit de Salluste,
que Silanus aurait seul opiné à la mort
contre les conjurés ; qu'ensuite il abandonna son
avis pour embrasser celui de César, et que Caton
osa seul reprendre et appuyer l'opinion de Silanus.
Trompé sans doute par les bruits qu'on avait
affecté de répandre, Brutus s'en
était expliqué de même dans un
écrit ; et Cicéron réfute cette
assertion dans une de ses lettres à
Atticus, (liv. XII, lett. XXI), où il rappelle
que tous les consulaires, ainsi que Murena, l'autre
consul désigné, opinèrent comme
Silanus. |
|
(103) Tiberius
Néron - Tiberius Claudius Nero fut
l'aïeul de l'empereur Tibère. |
|
(104) César...
s'exprima à peu près en ces termes -
Nous ne sommes pas tout à fait de l'avis du
président de Brosses, qui ne doute point que le
discours de César, et celui de Caton, qui va
suivre, n'aient été prononcés par
eux dans les mêmes termes qui se trouvent
rapportés ici. Plutarque, en effet, nous apprend
que Cicéron avait fait venir ce jour-là des
sténographes exercés, pour consigner
sur-le-champ par écrit les harangues des
différents orateurs ; mais, comme l'a fort bien
fait observer d'Otteville, il faut que Salluste ait
retranché au moins de la harangue de Caton certain
passage dans lequel il reprenait grièvement
Silanus de s'être rétracté, et
inculpait César, qui, sous une apparence de
popularité, et pour affecter la clémence et
la douceur, compromettait la république et
intimidait le sénat (PLUTARQUE, Vie de
Caton). Velleius nous apprend encore que Caton
plaça dans son discours des éloges de
Cicéron, que Salluste a également
retranchés. Il est évident que notre
historien a pris à tâche d'éloigner
tout ce qui pouvait inculper trop directement
César, et faire à Cicéron une trop
belle part d'éloges. Remarquons enfin, avec M.
Burnouf, qu'en se servant de ces mots hujuscemodi
verba, pour le discours de César,
hujuscemodi orationem pour celui de Caton,
Salluste n'annonce pas leurs paroles mêmes,
eadem omnia verba, mais seulement la substance de
leurs harangues. Enfin, demande le savant humaniste, qui
ne reconnaît dans ces deux discours le style
sallustien ? Concluons-en que Salluste a sans doute
rédigé ces deux harangues d'après
les originaux qu'il avait sous les yeux, mais qu'il ne
s'est pas fait scrupule d'en modifier le fond au
gré de ses affections politiques, et d'en assortir
la forme à sa manière. |
|
(105) Dans
la guerre de Macédoine - Dans laquelle
Paul-Emile défit Persée : an de R.
686. |
|
(106) La
république de Rhodes - Voyez TITE-LIVE, liv.
XXXVII, ch. LV ; liv. XLIV, ch. XIV ; liv. XLV, ch. XX et
suiv. ; VELLEIUS PATERCULUS, liv. I, ch. IX ; AULU-GELLE,
liv. VII, ch. III. |
|
(107) Du
soin de leur dignité - Cicéron (pro
Rabirio, c. V.) a dit : Quid deceat vos, non
quantum liceat vobis, spectare. |
|
(108) Ne
font rien dont tout le monde ne soit instruit -
Omne animi vitium tanto conspectius in se / Crimen
habet, quanto major, qui peccat, habetur. JUVENAL,
Sat. VIII, v. 140. Pline a dit encore, dans le
Panégyrique de Trajan : Habet hoc magna
fortuna, quod nihil tectum, nihil occultum esse
patitur. |
|
(109) Plus
grande est la contrainte - Sénèque
(Consol. ad Polyb., c. XXVI) a dit : Magna
servitus est magna fortuna. |
|
(110) La
loi Porcia - «Il n'y a pas une histoire chez les
Romains, observe Saint-évremont, où l'on ne
puisse connaître le dedans de la république
par ses lois, comme le dehors par ses conquêtes....
La conjuration de Catilina, dans Salluste, est toute
pleine des constitutions de la république, et la
harangue de César, si délicate et si
détournée, ne roule-t-elle pas toute sur la
loi Porcia, sur les justes considérations
qu'eurent leurs pères pour quitter l'ancienne
rigueur dans la punition des citoyens, sur les
dangereuses conséquences qui s'ensuivraient si une
ordonnance aussi sage était violée
?» |
|
(111) Les
Lacédémoniens vainqueurs des
Athéniens - A la fin de la guerre du
Péloponèse, l'an de R. 351, avant J. C.
404. - Sur les trente tyrans d'Athènes, consultez
JUSTIN, liv. V, ch. VIII et suiv. |
|
(112) Aux
Toscans - Comparez ce passage à ce que dit
Florus (liv. I, ch. V) sur le même sujet. |
|
(113) Les
sénateurs exprimèrent, d'un seul mot, leur
assentiment à l'une ou à l'autre des
opinions émises - Ce fut alors que
Cicéron prononça sa 4e Catilinaire,
où il s'attachait à réfuter
l'opinion de César (voyez surtout le paragraphe 4
de ce discours, qui jette le plus grand jour sur
l'opinion de César). On ne peut excuser Salluste
d'avoir évité ici de nommer Cicéron.
Après Cicéron, Catulus, prince du
sénat, prit la parole, et réfuta
directement l'opinion de César. Tibère
Néron ouvrit un troisième avis, auquel se
réunit Silanus. Le frère même de
Cicéron vota pour l'opinion de César. Enfin
Caton, qui, en qualité de tribun du peuple,
était assis à la porte du sénat dans
sa chaise curule, opina des derniers. |
|
(114) Il
estime faux ce que l'on raconte des enfers - Ce
langage était commun à Rome. Dans le
plaidoyer pour Cluentius, ne voyons-nous pas
Cicéron traiter de vieilles rêveries
auxquelles personne ne croit plus l'opinion des
supplices de l'enfer ? On voit dans la 4e
Catilinaire, d'après la manière dont
Cicéron réfute ce passage du discours de
César, qu'il n'admettait le dogme de
l'éternité des peines que comme une
croyance légale, instituée par la sagesse
des anciens législateurs de Rome. «Nos
ancêtres, dit-il, pour imposer dans cette vie une
crainte aux méchants, voulurent que dans les
enfers des supplices fussent réservés aux
impies, etc.» |
|
(115) Il
est d'autres moyens - «Qui ne croirait, dit
saint Augustin, à entendre ici Salluste ou Caton,
que l'ancienne république romaine était un
modèle accompli de vertus, sans mélange
d'aucun vice ? Cependant ce n'était rien moins que
cela : je n'en veux d'autre témoignage que
Salluste lui-même dans sa Grande
histoire». |
|
(116) La
pauvreté de l'état, l'opulence des
particuliers - La contre-partie de cette
pensée se trouve exprimée dans Horace :
Privatus illis census erat brevis / Commune magnum
(Carminum lib. II, ode IV) |
|
(117) Ils
sont courroucés et contraires - Salluste, dans
le discours de Lepidus, a imité les expressions
dont il se sert ici. Non votis deorum auxilia
parantur. Aulu-Gelle rapporte de Metellus le
Numidique des paroles analogues : Quid ergo nos a diis
immortalibus divinitus exspectemus, nisi malis rationibus
finem faciamus ? His demum deos propitios esse aequum
est, qui sibi adversarii non sunt. Dii immortales
virtutem approbare, non adhibere debent. (Lib. I, c.
V.) Les anciens pensaient, à l'exemple des
Lacédémoniens, qu'il faut invoquer les
dieux en mettant la main à l'oeuvre, et que, selon
le précepte d'Hésiode, il faut que le
laboureur fasse sa prière la main sur la charrue.
Les supplications des fainéants étaient,
selon eux, désagréables au ciel et
renvoyées à vide (voyez PLUTARQUE, Vie
de Paul-émile). Ovide a dit : Sibi quisque
profecto / Fit deus : ignavis precibus Fortuna
répugnat. (Metamorphoseon, lib. VIII,
v. 72) «Le ciel est inutile à qui ne s'aide
pas». ROTROU / «Aide-toi, le ciel
t'aidera». LA FONTAINE. |
|
(118) Si
deux fois déjà - Dans la guerre civile
de Marius, lors du soulèvement de Lepidus. |
|
(119) Au
coeur même de la ville - Dans le plaidoyer
pro Murena (c. XXXIX), prononcé entre la 2e
et la 3e Catilinaire, Cicéron s'exprime
d'une manière analogue sur les dangers imminents
de la patrie : Hostis est enim non apud Aniensem, quod
bello punico gravissimum visum est, etc. |
|
(120) Conformément
à sa proposition - Quand Salluste dit que le
décret du sénat fut rédigé
conformément à la proposition de Caton, il
suit l'opinion commune qui n'était pas exacte ;
car, opinant des derniers, Caton n'avait fait que
soutenir l'avis de la plupart des consulaires. |
|
(121) Pour
moi dans tout ce que j'ai lu - On a critiqué
cette digression, qui arrive au moment où l'on
voudrait que Salluste eût pris pour règle
ad eventum festina. Toutefois, une fois sorti de
la transition assez pénible par laquelle il
commence, on doit dire qu'il nous offre, une des plus
belles pages de son histoire. |
|
(122) A
l'éminente vertu d'un petit nombre de citoyens
- «La république, dit Cicéron dans
son discours pro Sextio, ne se soutint plus que
par les efforts d'un petit nombre de gens qui lui
servaient pour ainsi dire d'étais». |
|
(123) Comme
si le sein de la mère commune eût
été épuisé - Ici le texte
de Salluste, qui paraît altéré, a
exercé la sagacité des critiques. Veluti
effeta parente est le texte adopté par
Beauzée, d'Otteville, M. Burnouf. Cortius nous
apprend que cette version ne se rencontre que dans un
seul manuscrit : c'est cependant la seule qui
présente un sens satisfaisant et même assez
naturel. Veluti effeta parentum, tel est le texte
de Cortius et d'Havercamp, adopté par Dureau de
Lamalle. Au reste, selon l'observation de Dureau de
Lamalle, quelque leçon qu'on adopte, s'il y a
toujours quelque chose d'un peu extraordinaire dans le
tour de phrase, il ne reste pas le plus léger
nuage sur la pensée. |
|
(124) Leurs
caractères et leurs moeurs - «Salluste,
dit Saint-évremont, ne se contente pas de nous
dépeindre les hommes dans les éloges, il
fait qu'ils se dépeignent eux-mêmes dans les
harangues, où vous voyez toujours une expression
de leur naturel. La harangue de César nous
découvre assez qu'une conspiration ne lui
déplaît pas. Sous le zèle qu'il
témoigne à la conservation des lois et
à la dignité du sénat, il laisse
apercevoir son inclination pour les conjurés. Il
ne prend pas tant de soin à cacher l'opinion qu'il
a des enfers : les dieux lui sont moins
considérables que les consuls ; et, à son
avis, la mort n'est autre chose que la fin de nos
tourments et le repos des misérables. Caton fait
lui-même son portrait après que César
a fait le sien. Il va droit au bien, mais d'un air
farouche : l'austérité de ses moeurs est
inséparable de l'intégrité de sa
vie. Il mêle le chagrin de son esprit et la
dureté de ses manières avec
l'utilité de ses conseils». |
|
(125) L'âge
- César avait trente-sept ans et Caton
trente-trois. |
|
(126) Aux
triumvirs - Triumviri capitales. Magistrats
inférieurs qui étaient chargés de
présider aux supplices et d'informer contre les
criminels de la lie du peuple. |
|
(127) Couvert
d'une voûte cintrée de grosses pierres -
«Ce lieu subsiste encore aujourd'hui, dit le
président de Brosses. J'y suis descendu pour
l'examiner. Il m'a paru entièrement conforme
à la description qu'en donne ici Salluste. La
voûte, l'exhaussement et tout le reste sont encore
tels qu'il les dépeint. Il sert de chapelle
souterraine à une petite église
appelée San Pietro in Carcere, qu'on y a
bâtie en mémoire de l'apôtre saint
Pierre, qui avait été mis en prison dans le
Tullien. Il ne tire son jour que par un trou
grillé qui donne dans l'église
supérieure. Au-dessous il y a un autre cachot plus
profond, ou plutôt un égout (car nous
apprenons des Actes des Martyrs que l'égout
de la place passait sous le cachot). Ce bâtiment et
les magnifiques égouts d'Ancus Martius sont
constamment les deux plus anciens bâtiments qui
subsistent en Europe». C'est le cachot où
avait été jeté et où expira
Jugurtha. |
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(128) L'autorité
consulaire - Il faut se rappeler que Lentulus,
quoique préteur alors, avait déjà
été consul. |
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(129) Proportionne
la force de ses cohortes - Il y avait originairement
dix cohortes de quatre cent vingt soldats dans chaque
légion, qui, par conséquent, était
de quatre mille deux cents hommes, outre trois cents
cavaliers. Marius porta la légion à six
mille hommes. |
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(130) Quelques-uns
des pieux aiguisés - Selon Appien, Catilina
avait environ vingt mille hommes, dont un quart seulement
de troupes réglées et armées
convenablement ; mais la plus grande partie se dissipa
dès qu'elle eut appris ce qui venait de se passer
à Rome. |
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(131) Votre
liberté, votre patrie, reposent dans vos mains
- Dans Q. Curce (liv. IV, ch. XIV), Darius dit à
ses soldats : In dextris vestris jam libertatem, opem,
spem futuri temporis ceritis... |
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(132) Vainqueurs,
tous les périls cesseront pour nous - Tacite
(Vie d'Agricola, ch. XXXIII) : Omnia prona
victoribus, atque eadem victis adversa. |
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(133) Ne
fait succéder la paix à la guerre - La
même pensée se trouve reproduite dans la
Guerre de Jugurtha (ch. LXXXIII) : Omne
bellum... quum victores velint. |
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(134) L'intrépidité
tient lieu de rempart - Ici Salluste se ressemble
encore à lui-même. On lit dans la Guerre
de Jugurtha, (ch. CVII) : Quanto sibi in proelio
minus pepercissent, tanto tutiores fore. Quinte-Curce
a dit, dans le discours déjà cité,
note 131 : Effugit mortem quisquis contempserit ;
timidissimum quemque consequitur. Et Horace : Mors
et fugacem persequitur virum, Nec parcit imbellis
juventae Poplitibus, timidove tergo. Carminum lib.
III, ode II. |
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(135) A
un certain habitant de Fésules - Plutarque le
nomme Funus. |
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(136) C.
Antonius empêché par la goutte - Dion
(liv. XXXVI) assure qu'Antonius feignit d'être
malade. |
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(137) M.
Petreius - C'est le même Petreius qui, avec
Atramus, commanda en Espagne les légions de
Pompée. Après la bataille de Pharsale,
lorsque le parti pompéien se rallia en Afrique,
Petreius réunit ses forces à celles de
Juba, roi de Mauritanie, et se montra pour César
un adversaire habile et acharné. Après la
défaite de Thapsus, Petreius et Juba
s'entretuèrent à la suite d'un festin,
«de sorte, dit Florus, qu'on vit le sang royal et
le sang romain souiller à la fois les mets
à moitié consommés de ce
funèbre banquet». (Liv. IV, ch. II) |
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(138) Au
moment du tumulte - Les Romains employaient ce mot
pour exprimer un danger pressant, tel qu'une
révolte des provinces ou un armement de la part
des Gaulois. Crébillon, dans son Catilina, s'est
servi de ce mot dans une acception particulière :
«On dirait, à vous voir assemblés en
tumulte, Que Rome des Gaulois craigne encore une
insulte». |
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(139) Catilina
fut trouvé bien loin des siens - Cette
admirable description du combat de Pistoie a
été très heureusement imitée
par Florus (liv. IV, ch. IV) : Quam atrociter
dimicatum est, exitus docuit, etc. |
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(140) Encore
empreint sur son visage - Fronte minae durant, et
stant in vultibus irae. Silius ITAL., Punicorum,
lib. V, v. 673. Cui frons nec morte remissa / Irarum
servat rabiem (Lib. XIII, v.733. |