Atticus
De tous les correspondants de Cicéron, aucun
n'entretint avec lui un commerce plus long et plus
régulier qu'Atticus. Leurs relations durèrent,
sans interruption et sans nuage, jusqu'à leur mort. A
la moindre absence ils s'écrivaient, et, quand
c'était possible, plus d'une fois par jour. Ces
lettres tantôt courtes, pour échanger un
souvenir rapide, tantôt longues et raisonnées,
quand les événements étaient plus
graves, folâtres ou sérieuses, selon les
circonstances, qu'on écrivait en toute hâte,
où l'on se trouvait, ces lettres contenaient toute la
vie des deux amis. Cicéron les a heureusement
caractérisées quand il a dit :
«C'était une conversation entre nous
deux». Malheureusement nous n'entendons plus
aujourd'hui qu'un des deux interlocuteurs, et la conversation
est devenue un monologue. En publiant les lettres de son ami,
Atticus se garda bien d'y joindre les siennes. Sans doute il
ne voulait pas qu'on pût lire trop à
découvert dans ses sentiments, et sa prudence
cherchait à dérober au public la connaissance
de ses opinions secrètes et l'accès de sa vie
intime ; mais il a eu beau vouloir se cacher, la volumineuse
correspondance que Cicéron entretint avec lui suffit
pour le faire connaître, et il est facile d'y prendre
une idée exacte du personnage à qui elle est
adressée. Ce personnage est assurément l'un des
plus curieux d'une époque importante, et il
mérite qu'on se donne la peine de l'étudier
avec quelque soin.
I
Atticus avait vingt ans quand commença la guerre de
Marius et de Sylla. Il en vit de près les
débuts et faillit en être victime ; le tribun
Sulpicius, l'un des principaux chefs du parti populaire, qui
était son parent, fut tué, par l'ordre de
Sylla, avec ses partisans et ses amis, et comme Atticus le
fréquentait beaucoup, il courut alors quelques
risques. Ce premier danger décida de toute sa vie.
Comme il était, malgré son âge, un esprit
ferme et prudent, il ne se laissa pas abattre : il
réfléchit et raisonna. S'il avait eu
jusque-là quelques velléités d'ambition
politique et la pensée de rechercher les honneurs, il
y renonça sans peine en voyant de quel prix il fallait
quelquefois les payer. Il comprit qu'une république
où l'on s'arrachait ainsi le pouvoir par la force
était perdue, et qu'en périssant elle risquait
d'entraîner avec elle ceux qui l'auraient servie. Il
résolut donc de se tenir loin des affaires, et toute
sa politique consista désormais à se faire une
situation sûre, en dehors des partis, à l'abri
des dangers.
On demandait un jour à Sieyès :
«Qu'avez-vous fait pendant la Terreur ? - Ce que j'ai
fait ! répondit-il, j'ai vécu».
C'était beaucoup. Atticus a fait bien plus encore. Il
a vécu, non pas seulement pendant une terreur de
quelques mois, mais pendant une terreur de plusieurs
années. Comme pour mettre à l'épreuve sa
prudence et son habileté, il a été
placé dans l'époque la plus troublée de
l'histoire. Il a assisté à trois guerres
civiles, il a vu Rome envahie quatre fois par des
maîtres différents et les massacres recommencer
à chaque victoire nouvelle. Il a vécu, non pas
humble, ignoré, se faisant oublier dans quelque ville
lointaine, mais à Rome et en pleine lumière.
Tout contribuait à attirer les yeux sur lui ; il
était riche, ce qui était un motif suffisant
d'être proscrit ; il avait une grande réputation
d'homme d'esprit ; il fréquentait volontiers les
puissants, et, par ses liaisons au moins, il était
regardé comme un personnage. Cependant il sut
échapper à tous les dangers que lui
créaient sa position et sa fortune, et même il
trouva moyen de grandir à chacune de ces
révolutions qui semblaient devoir le perdre. Chaque
changement de régime qui précipitait ses amis
du pouvoir le laissait plus riche et mieux assis, si bien
qu'au dernier il se trouva tout naturellement placé
presque à côté du nouveau maître.
Par quelle merveille d'habileté, par quel prodige de
savantes combinaisons parvint-il à vivre
honoré, riche et puissant dans un temps où il
était si difficile seulement de vivre ? C'était
un problème plein de difficultés; voici comment
il le résolut.
En présence des premiers massacres dont il avait
été témoin, Atticus s'était
décidé à vivre désormais loin des
affaires et des partis ; mais cela n'est pas aussi facile
qu'on serait tenté de le croire, et la plus ferme
volonté ne suffit pas toujours pour y réussir.
On a beau déclarer qu'on veut rester neutre, le monde
s'obstine à vous classer d'après le nom que
vous portez, les traditions de votre famille, vos liaisons
personnelles et les premières manifestations de vos
préférences. Atticus comprit que, pour
échapper à cette sorte d'enrôlement
forcé et pour dérouter tout à fait
l'opinion publique, il fallait quitter Rome et la quitter
pour longtemps. Il espérait, par cet exil volontaire,
reprendre la pleine possession de lui-même et rompre
les liens qui, malgré lui, l'attachaient encore au
passé. Mais, s'il voulait se dérober aux yeux
de ses concitoyens, il prétendait n'être pas
oublié de tout le monde. Il comptait revenir ; il ne
voulait pas revenir comme un étranger qu'on ne
connaît plus, et perdre tout le bénéfice
de ses premières amitiés. Aussi ne choisit-il
pas pour son séjour quelque propriété
lointaine, dans une province ignorée, ou quelqu'une de
ces villes inconnues sur lesquelles les yeux du peuple romain
ne s'arrêtaient jamais. Il se retira à
Athènes, c'est-à-dire dans la seule ville qui
eût conservé un grand renom et qui se
soutînt encore dans l'admiration des peuples en face de
Rome. Là, par quelques libéralités bien
placées, il s'attira d'abord l'affection de tout le
monde. Il distribua du blé aux citoyens, il
prêta de l'argent sans intérêt à
cette ville de beaux esprits dont les finances étaient
toujours embarrassées. Il fit plus, il flatta les
Athéniens par un endroit qui leur était plus
sensible. Le premier de tous les Romains, il osa ouvertement
déclarer le goût qu'il avait pour les lettres et
les arts de la Grèce. Jusque-là c'était
la mode, chez ses compatriotes, d'estimer et de cultiver les
muses grecques en secret et de s'en moquer en public.
Cicéron lui-même, qui bravait en tant
d'occasions ce sot préjugé, n'osait pas
paraître savoir trop couramment le nom d'un grand
sculpteur ; mais Cicéron était un homme d'Etat
à qui il convenait de montrer, au moins par moments,
ce mépris superbe des autres peuples qui constituait
en partie ce qu'un appelait la gravité romaine. Il
fallait bien flatter cette faiblesse nationale, si l'on
voulait plaire au peuple. Atticus, qui ne comptait rien lui
demander, était plus libre ; aussi se moqua-t-il
ouvertement des usages. Dès son arrivée, il se
mit à parler et à écrire en grec,
à fréquenter sans se cacher les ateliers des
sculpteurs et des peintres, à acheter des statues et
des tableaux, et à composer des ouvrages sur tes
beaux-arts Les Athéniens étaient aussi
charmés que surpris de voir un de leurs vainqueurs
partager leur goût le plus cher et protester ainsi
contre l'injuste dédain des autres. Leur
reconnaissance, qui, comme l'on sait, était toujours
très bruyante, accabla Atticus de flatteries de toute
sorte. On multiplia les décrets en son honneur ; on
lui offrit toutes les dignités de la cité ; on
voulut même lui élever des statues. Atticus
s'empressa de tout refuser ; mais l'effet était
produit, et le bruit de tant de popularité ne manquait
pas d'arriver à Rome, apporté par ces jeunes
gens de grande famille qui venaient terminer leur
éducation en Grèce. De cette façon, le
nom d'Atticus ne perdait rien à son absence ; les gens
de goût s'entretenaient de cet amateur
éclairé des arts qui s'était fait
remarquer même à Athènes, et pendant ce
temps le grand nombre, en ne le voyant plus, perdait
l'habitude de le ranger dans un parti politique.
C'était un pas de fait. Il en restait un plus
important à faire. Atticus avait vu de bonne heure que
la première condition pour être
indépendant, c'est d'être riche. Cette
vérité générale était
encore plus évidente à cette époque que
jamais. Que de gens dont la conduite pendant les guerres
civiles ne peut s'expliquer que par l'état de leur
fortune ! Pour servir César qu'il n'aimait pas, Curion
n'avait qu'un seul motif, l'exigence de ses créanciers
; et Cicéron lui-même place parmi les raisins
principales qui l'empêchent de se rendre au camp de
Pompée, où l'appellent toutes ses sympathies,
l'argent que César lui avait prêté, et
qu'il ne pouvait pas lui rendre. Pour échapper aux
embarras de cette sorte et conquérir sa pleine
liberté, Atticus résolut d'être riche, et
il le devint. Il importe, je crois, de donner ici quelques
détails pour faire voir comment on s'enrichissait
à Rome. Son père lui avait laissé une
fortune assez modique, 2 millions de sesterces (400,000
francs). Lorsqu'il quitta Rome, il vendit presque tous les
biens de sa famille, pour ne rien laisser derrière lui
qui pût tenter les proscripteurs, et acheta des terres
en Epire, dans ce pays des grands troupeaux, où la
terre rapportait tant. Il est probable qu'il ne les paya pas
cher. Mithridate venait de ravager la Grèce, et comme
il n'y restait plus d'argent, tout s'y vendait à vil
prix. Entre des mains habiles, ce domaine prospéra
vite : tous les ans, de nouvelles terres étaient
achetées sur l'épargne du revenu, et Atticus
finit par être un des grands propriétaires du
pays. Mais est-il vraisemblable que sa fortune lui vint
uniquement de la bonne administration de ses champs ? Il
aurait bien voulu le faire croire, pour se donner ainsi
quelque ressemblance avec Caton et les vieux Romains.
Malheureusement pour lui, son ami Cicéron le trahit.
En lisant cette correspondance indiscrète, on ne tarde
pas à reconnaître qu'Atticus avait beaucoup
d'autres moyens pour s'enrichir que la vente de ses
blés et de ses troupeaux. Cet habile agriculteur
était en même temps un adroit négociant
qui a fait heureusement tous les commerces. Il excellait
à tirer profit non seulement des folies des autres, ce
qui est l'ordinaire, mais même de ses plaisirs, et son
talent consistait à s'enrichir où d'autres se
ruinent. On sait par exemple qu'il aimait beaucoup les beaux
livres : c'était alors, comme aujourd'hui, une manie
fort coûteuse ; il sut en faire une source de beaux
bénéfices. Il
avait réuni chez lui un grand nombre de copistes
habiles qu'il formait lui-même ; après les avoir
fait travailler pour lui, et quand sa passion était
satisfaite, il les faisait travailler pour les autres, et
vendait très cher au public les livres qu'ils
copiaient. C'est ainsi qu'il fut un véritable
éditeur pour Cicéron, et comme les ouvrages de
son ami se vendaient beaucoup, il arriva que cette
amitié, qui était pleine d'agréments
pour son coeur, ne fut pas inutile à sa fortune
(1). A la rigueur,
ce commerce pouvait s'avouer, et il n'était pas
défendu à un ami des lettres de se faire
libraire ; mais Atticus s'est mêlé aussi de
beaucoup d'autres opérations qui auraient dû lui
répugner davantage. Comme il voyait le succès
qu'obtenaient partout les combats de gladiateurs, et qu'il
n'y avait plus de fête sans quelqu'une de ces grandes
tueries, il songea à élever des gladiateurs
dans ses domaines. Il les faisait instruire soigneusement
dans l'art de mourir avec grâce, et les louait
très cher aux villes qui voulaient se divertir
(2). Il faut
avouer que ce n'est pas un métier qui convienne
à un savant et à un sage ; mais on y gagnait
beaucoup, et la sagesse d'Atticus était accommodante
dès qu'il y avait un honnête profit à
faire. De plus, il était banquier à l'occasion
et prêtait à gros intérêts, comme
faisaient sans scrupule les plus grands seigneurs de Rome.
Seulement il y mettait un peu plus de ménagements que
les autres, et prenait soin de paraître le moins
possible dans les affaires qu'il traitait ; il avait sans
doute dans l'Italie et dans la Grèce des agents fort
adroits qui faisaient valoir ses fonds. Ses relations
s'étendaient dans le monde entier ; on lui
connaît des débiteurs en Macédoine, en
Epire, à Ephèse, à Délos, un peu
partout. Il prêtait aux particuliers ; il prêtait
aussi aux villes, mais tout à fait en secret, car
cette industrie était alors aussi peu estimée
qu'elle était lucrative, et les gens qui s'y livraient
ne passaient pas pour être honnêtes ni
scrupuleux. Aussi Atticus, qui tenait autant à sa
réputation qu'à sa fortune, ne voulait-il
laisser savoir à personne qu'il ne négligeait
pas ces sortes de profits. II le cachait soigneusement
même à son ami Cicéron, et nous
l'ignorerions aujourd'hui, s'il n'avait point
éprouvé quelques contre-temps dans ce commerce
aventureux. Quoiqu'on y fît d'ordinaire de grands
bénéfices, on pouvait courir aussi quelques
dangers. Après avoir
subi pendant deux siècles la domination romaine,
toutes les villes alliées et municipales, surtout
celles de l'Asie, étaient complétement
ruinées. Elles avaient toutes moins de revenus que de
dettes, et les proconsuls, unis aux fermiers de
l'impôt, achevaient si bien de leur enlever leurs
dernières ressources, qu'il ne restait plus rien
à prendre aux créanciers, quand ils ne se
pressaient pas. C'est ce qui arriva une fois à Atticus
malgré son activité. On voit que Cicéron
le plaisante, dans une de ses lettres, sur le siége
qu'il est allé mettre devant Sicyone (3) : ce siège
était évidemment celui de quelques
débiteurs récalcitrants; Atticus n'a jamais
fait d'autres campagnes. Du reste, celle-là lui
réussit mal. Pendant qu'il allait ainsi en guerre
contre cette malheureuse ville endettée, le
sénat en prit pitié, et la protégea par
un décret contre ses créanciers trop exigeants,
en sorte qu'Atticus, qui était parti d'Epire en
conquérant, enseignes déployées, fut
réduit, dit Cicéron, quand il fut arrivé
sous les murailles, à arracher aux Sicyoniens quelques
pauvres petits écus (nummulorum aliquid)
à force de prières et de caresses (4). Il faut croire
cependant qu'Atticus était ordinairement plus heureux
dans le placement de ses fonds, et sa prudence bien connue
nous assure qu'il savait choisir des débiteurs plus
solvables. Ce qui est certain, c'est que tous ces
métiers qu'il faisait n'auraient pas tardé
à le rendre très riche ; mais il n'eut
même pas besoin de se donner tant de peine, et pendant
qu'il travaillait si adroitement à faire sa fortune,
elle lui arriva toute faite d'un autre côté. Il
avait un oncle, Q. Caecilius, qui passait pour le plus
terrible usurier de Rome, où il y en avait tant, et
qui ne consentait à prêter à ses parents
les plus proches, comme une insigne faveur, qu'à 1
pour 100 par mois. C'était un homme dur, intraitable,
et qui s'était rendu tellement odieux à tout le
monde qu'on ne put empêcher le peuple d'outrager son
cadavre le jour de ses funérailles. Atticus
était le seul qui eût trouvé le moyen de
vivré bien avec lui. Cmcilius l'adopta par son
testament et lui laissa la plus grande partie de son
héritage, 10 millions de sesterces, un peu plus de 2
millions de francs. Désormais sa fortune était
faite, il était indépendant de tout le monde et
maître de se conduire à son gré.
Mais n'était-il pas
à craindre que, quand il serait de retour à
Rome, cette résolution qu'il prenait de fuir tous les
engagements n'eût un mauvais air ? Pour se tenir en
dehors des partis, il ne pouvait pas décemment
prétexter l'indifférence ou la frayeur ; il lui
fallait un motif plus honnête et qu'on pût
afficher : une école de philosophie le lui fournit.
Les épicuriens, sacrifiant tout à la
commodité de la vie, disaient qu'il était bon
de fuir les emplois publics pour éviter les tracas
qu'ils attirent. «Ne pas s'occuper de politique»
était leur maxime favorite. Atticus fit profession
d'être épicurien : dès lors son
abstention avait un prétexte plausible, la
fidélité aux opinions de sa secte, et si on le
blâmait, le blâme retombait sur toute
l'école, ce qui rend toujours la part de chacun plus
légère. En réalité, Atticus
était-il un épicurien véritable et
complet ? C'est une question que les savants discutent, et
que le caractère du personnage permet facilement de
résoudre. Ce serait le mal connaître que de
supposer qu'en quoi que ce soit il s'attachât
scrupuleusement à une école et s'engageât
à en être un disciple fidèle. Il les
avait toutes étudiées pour le plaisir que cette
étude causait à son esprit curieux, mais il
prétendait bien ne pas s'asservir à leurs
systèmes. Il avait trouvé dans la morale
épicurienne un principe qui lui convenait, et il s'en
était emparé pour justifier sa conduite
politique. Quant à épicure lui-même et
à sa doctrine, il s'en souciait fort peu, et il
était prêt à l'abandonner au premier
prétexte. C'est ce que montre très
agréablement Cicéron dans un passage du
Traité des Lois. Il s'est
représenté dans cet ouvrage causant avec
Atticus, aux bords du Fibrène, sous les ombrages
enchantés d'Arpinum. Comme il veut faire remonter
jusqu'aux dieux l'origine des lois, il lui faut
établir d'abord que les dieux s'occupent des hommes,
ce que niaient les épicuriens. Il s'adresse alors
à son ami, et lui dit : «M'accordez-vous,
Pomponius, que la puissance des dieux immortels, leur raison,
leur sagesse, ou, si vous aimez mieux, leur providence,
régit l'univers ? Si vous ne l'admettez pas, il faudra
commencer par le démontrer. - Allons, répond
Atticus, je l'accorde, si vous le voulez, car grâce
à ces oiseaux qui chantent et au murmure de ces
ruisseaux, je n'ai pas peur qu'aucun de mes condisciples
m'entende (5)». Voilà
un philosophe fort accommodant, et l'école ne tirera
pas grand profit d'un adepte qui l'abandonne dès qu'il
est sûr qu'on ne le saura pas. On retrouve bien
là le caractère d'Atticus. Embrasser
résolûment une opinion, c'est s'engager à
la défendre, c'est s'exposer à combattre peur
elle. Or, les querelles philosophiques, bien qu'elles ne
soient pas sanglantes, ne sont pas moins acharnées que
les autres ; c'est de la guerre encore, et Atticus, en toutes
choses, veut la paix, au moins pour lui. Il est piquant
d'examiner le rôle que Cicéron lui donne dans
les dialogues philosophiques où il l'introduit. En
général il ne discute pas, il provoque à
discuter. Curieux et insatiable, il demande, il interroge
toujours ; il excite à répondre, il
soulève les objections, il anime les combattants, et
pendant ce temps il jouit tranquillement du combat, sans y
entrer jamais. On verra tout à l'heure que
c'était justement là son rôle en
politique.
Atticus demeura vingt-trois ans loin de Rome, ne la visitant
qu'à des intervalles très
éloignés et n'y restant d'ordinaire que peu de
temps. Quand il pensa que, par sa longue absence, il
s'était tout à fait dégagé des
liens qui l'attachaient aux partis politiques, quand il eut
conquis l'indépendance avec la fortune, quand il se
fut assuré contre tous les reproches qu'on pouvait
faire à sa conduite en prêtant à sa
prudence l'apparence d'une conviction philosophique, il
songea à retourner définitivement à Rome
et à y reprendre sa vie interrompue. Il choisit pour
revenir un moment où tout était calme, et,
comme pour achever de rompre avec son passé, il revint
avec un surnom nouveau, sous lequel on prit désormais
l'habitude de le désigner. Ce nom d'Atticus, qu'il
rapportait d'Athènes, semblait indiquer hautement
qu'il ne voulait plus vivre que dans l'étude des
lettres et les jouissances des arts.
A partir de ce moment, il
partagea son temps entre le séjour de Rome et celui de
ses maisons de campagne. Il acheva de liquider sans bruit ses
affaires de banque, dont quelques-unes étaient encore
en souffrance, et s'arrangea pour dérober au public
les sources de sa richesse. Il ne conserva guère plus
que ses terres d'Epire et ses maisons de Rome, qui lui
rapportaient beaucoup et dont il pouvait avouer les profits.
Sa fortune s'accroissait toujours, grâce à la
façon dont il l'administrait. Il n'avait d'ailleurs
aucun des défauts qui pouvaient la compromettre : il
n'aimait pas à acheter ou à bâtir, il ne
possédait point de ces splendides villas aux portes de
Rome ou aux bords de la mer, dont l'entretien ruinait
Cicéron. Il prêtait encore quelquefois de
l'argent, mais, à ce qui semble, plutôt pour
obliger que pour s'enrichir. Il avait soin du reste de
choisir des personnes sûres, et il se montrait sans
pitié le jour de l'échéance.
C'était par intérêt pour elles, disait-il
, qu'il agissait ainsi, car, en tolérant leur
négligence, on les encourage à se ruiner. Quant
à ceux avec lesquels son argent eût couru
quelques risques, même ses plus proches parents, il ne
se gênait pas pour les éconduire.
Cicéron, en lui racontant un jour que leur neveu
commun, le jeune Quintus, est venu le trouver et qu'il a
essayé de l'émouvoir par le tableau de sa
misère, ajoute : «J'ai pris alors quelque chose
de votre éloquence ; je n'ai rien
répondu». Le moyen était bon, et Atticus
a dû l'employer plus d'une fois à l'égard
de son beau-frère et de son neveu, qui étaient
toujours sans argent. Pour lui, il avait su se faire à
peu de frais une grande existence. Il vivait dans sa maison
du Quirinal, qui était plus spacieuse et plus commode
à l'intérieur que belle d'apparence, et qu'il
réparait le moins possible, parmi les objets d'art
qu'il avait choisis en Grèce et les esclaves
lettrés qu'il avait pris soin de former lui-même
et que tout le monde lui enviait. Il réunissait
souvent les gens d'esprit de Rome dans des repas où
l'on faisait surtout, à ce qu'il semble, grande
chère d'érudition. Sa munificence ne lui
coùtait guère, s'il est vrai, comme le
prétend Cornélius Népos, qui avait vu
ses comptes, qu'il ne dépensait que 3,000 as (150
francs) par mois pour sa table (6). Cicéron,
toujours indiscret, raconte qu'on y servait des
légumes fort ordinaires sur des plats très
précieux (7) ; mais qu'importe ?
tout le monde s'estimait heureux de faire partie de ces
réunions d'élite dans lesquelles on entendait
causer Atticus et lire les plus beaux ouvrages de
Cicéron avant qu'ils fussent publiés, et l'on
peut dire que tout ce qu'il y a eu de plus distingué
dans ce siècle, qui fut si grand, a tenu à
honneur de fréquenter cette maison du Quirinal.
II
De tous les bonheurs d'Atticus, celui qu'on est le plus
tenté d'envier, c'est l'heureuse fortune qu'il a eue
de s'attacher tant d'amis. Il y prit beaucoup de peine.
Dès son arrivée à Rome, on le voit
occupé à se mettre bien avec tout le monde et
se servir de tous les moyens pour plaire aux gens de tous les
partis. Sa naissance, sa fortune, la façon dont il
l'avait acquise, le rapprochaient des chevaliers : ces riches
fermiers de l'impôt public étaient ses amis
naturels, et il eut bientôt parmi eux un grand
crédit ; mais il n'était pas moins lié
avec les patriciens, si dédaigneux d'ordinaire pour
tout ce qui n'était pas de leur caste. Il avait pris,
pour se les concilier, la route la plus sûre, qui
était de flatter leur vanité. Il profita de ses
connaissances historiques pour leur fabriquer des
généalogies complaisantes dans lesquelles il se
faisait le complice de beaucoup de mensonges, et appuyait de
sa science leurs plus chimériques prétentions.
Cet exemple nous montre déjà comme il
connaissait bien le monde, et le parti qu'il en tirait quand
il voulait gagner l'amitié de quelqu'un. Rien
qu'à voir la nature des services qu'il rendait
à chaque personne, on devine quel profond observateur
ce devait être, et le talent qu'il avait pour saisir le
faible des gens et en profiter. Il avait proposé
à Caton de s'occuper de ses affaires à Rome
pendant son absence, et Caton s'était empressé
d'accepter : un intendant de ce mérite n'était
pas à dédaigner pour un homme qui tenait tant
à sa fortune. Il avait séduit le vaniteux
Pompée en s'occupant à choisir en Grèce
de belles statues pour orner le théâtre qu'il
faisait bâtir (8). Comme il savait bien
que César n'était pas accessible au même
genre de flatteries, et qu'il fallait, pour se l'attirer, des
services plus réels, il lui prêtait de l'argent
(9).
C'était naturellement aux chefs de parti qu'il
s'attachait de préférence ; mais il ne
négligeait pas non plus les autres quand ils pouvaient
les servir. Il cultivait soigneusement Balbus et
Théophane, les confidents de César et de
Pompée ; il allait même visiter quelquefois
Clodius et sa soeur Clodia, ainsi que d'autres gens de
réputation suspecte. N'ayant ni scrupules farouches
comme Caton, ni répugnances violentes comme
Cicéron, il s'accommodait de tout le monde ; sa
complaisance se prêtait à tout ; il convenait
à tous les âges comme à tous les
caractères. Cornélius Népos fait
remarquer avec admiration qu'étant très jeune
il charma le vieux Sylla, et qu'étant très
âgé il sut plaire au jeune Brutus. Entre tous
ces amis si différents d'humeur, de condition,
d'opinions et d'âge, Atticus formait un lien commun. Il
allait perpétuellement de l'un à l'autre, comme
une sorte d'ambassadeur pacifique, cherchant à les
rapprocher et à les unir, car c'était sa
coutume, dit Cicéron, de former des amitiés
(10). Il dissipait
les soupçons et les préjugés qui les
empêchaient de se connaître ; il leur inspirait
le désir de se voir et de se lier, et si plus tard
quelque différend s'élevait entre eux, il se
faisait leur intermédiaire et amenait des explications
qui renouaient tout. Son chef-d'oeuvre en ce genre est
d'être parvenu à réconcilier Hortensius
et Cicéron, et à les faire bien vivre ensemble
malgré l'ardente jalousie qui les séparait. Que
de peine ne dut-il pas avoir pour calmer ces deux
vanités irritables, toujours prêtes à
s'emporter, et que le sort semblait prendre plaisir à
exciter encore davantage en les opposant sans cesse l'une
à l'autre.
Toutes ces liaisons
d'Atticus n'étaient certainement pas de
véritables amitiés. Il y a beaucoup de ces
personnages qu'il n'a fréquentés que pour le
profit qu'en pouvait tirer sa sûreté ou sa
fortune ; mais il y en a d'autres aussi, et en grand nombre,
qui furent vraiment ses amis Pour nous en tenir aux plus
grands, Cicéron n'a aimé personne autant que
lui, Brutus lui a témoigné jusqu'à la
fin une confiance sans réserve, et la veille de
Philippes il lui écrivait encore ses dernières
confidences. Il reste trop de preuves éclatantes de
ces deux illustres amitiés pour qu'on puisse les
révoquer en doute et il faut reconnaître qu'il a
su inspirer une vive affection à deux des plus nobles
âmes de ce temps. On en est d'abord très
surpris. Sa réserve prudente, ce parti pris hautement
avoué de se soustraire à tous les engagements
pour échapper à tous les dangers devaient,
à ce qu'il semble, éloigner de lui des gens de
coeur qui sacrifiaient leur fortune et leur vie à
leurs opinions. Par quel mérite a-t-il su pourtant se
les attacher ? Comment un homme si occupé de lui, si
soigneux de ses intérêts, a-t-il pu jouir aussi
pleinement des agréments de l'amitié, qui
semblent exiger d'abord le dévouement et l'oubli de
soi-même ? Comment est-il parvenu à faire mentir
les moralistes qui prétendent que
l'égoïsme est la mort des affections
véritables (11) ?
C'est encore un problème parmi tant d'autres dont la
vie d'Atticus est pleine, et celui-là est le plus
difficile à résoudre. Vu à distance,
même à travers les éloges de
Cicéron, Atticus ne semble pas attrayant, et ce n'est
pas lui qu'on serait tenté de choisir pour son ami. Il
est pourtant certain que ceux qui ont vécu
auprès de lui ne l'ont pas jugé comme nous. On
l'aimait, et on se sentait tout d'abord porté à
l'aimer. Cette bienveillance générale qu'il
inspira, cette obstination de tout le monde à ne pas
voir ou à pardonner ses défauts, ces vives
amitiés qu'il a fait naître sont des
témoignages auxquels il est impossible de
résister, quelque surprise qu'ils nous causent. Il y
avait donc dans ce personnage autre chose que ce qui nous
semble y être, et il faut qu'il ait
possédé une sorte d'attrait inexplicable pour
nous, qui tenait uniquement à lui et qui a disparu
avec lui. Voilà pourquoi il ne nous est plus possible
de comprendre d'une façon complète cette
séduction étrange qu'il exerçait
à première vue sur tous ses contemporains. On
peut cependant s'en faire quelque idée, et les
'écrivains qui l'ont connu, Cicéron surtout,
laissent entrevoir quelques-unes de ces qualités
brillantes ou solides par lesquelles il gagnait ceux qui
l'approchaient. Je vais les énumérer
d'après leur témoignage, et si elles ne
semblent pas encore suffisantes pour justifier tout à
fait le nombre et la vivacité de ses amitiés,
il faudra y joindre par la pensée ce charme tout
personnel, qu'il est impossible aujourd'hui de définir
ou de retrouver, parce qu'il s'est évanoui tout entier
avec lui. Il avait d'abord beaucoup d'esprit, tout le monde
en est d'accord, et un genre d'esprit particulièrement
propre à être goûté de la
société qu'il fréquentait. Ce
n'était pas seulement un de ces hommes
agréables et légers qui charment un moment,
dans une réunion de passage, mais qui n'ont pas de
ressources et de provisions pour une liaison plus longue. Il
avait beaucoup d'étude et de solide savoir ; non pas
qu'il fût un savant véritable, ce titre n'est
pas une grande recommandation dans les relations du monde :
Cicéron trouvait
que les gens comme Varron, qui sont des puits de science, ne
sont pas toujours amusants, et il raconte que quand il venait
le voir à Tusculum, il ne déchirait pas son
manteau pour le retenir (12). Mais sans être
véritablement un savant, Atticus, dans ses
études, avait touché à tout, aux beaux
arts, à la poésie, à la grammaire,
à la philosophie et à l'histoire. Il
possédait sur tous ces sujets des idées justes,
quelquefois originales ; il pouvait sans trop de
désavantage discuter avec les érudits, et il
avait toujours ,à apprendre à ceux qui ne
l'étaient pas quelque détail curieux qu'ils
ignoraient. Pascal l'eût appelé un honnête
homme ; c'était en toute chose un amateur intelligent
et éclairé. Or, pour plusieurs raisons la
science qu'acquiert un amateur est de celles qui sont le plus
de mise dans le monde. D'abord, comme il n'étudie pas
par principes, il s'intéresse surtout aux
curiosités ; il connaît de
préférence les détails piquants et
nouveaux, et c'est précisément ce que les gens
du monde tiennent à connaître. De plus, la
multiplicité même des études qui le
tentent l'empêche d'en pousser aucune jusqu'au bout ;
son caprice l'emporte toujours ailleurs avant qu'il ait
achevé de rien approfondir. Il en résulte qu'il
sait beaucoup de choses, et toujours dans les limites
où il plaît aux gens du monde de les savoir.
Enfin le propre de l'amateur est de faire tout avec passion,
même ce qu'il ne fait qu'un moment. Comme c'est un
goût tout personnel qui le porte à ses
études et qu'il ne les continue qu'autant qu'elles
l'intéressent, sa parole est phis vive quand il les
expose, son ton plus libre et plus original, par
conséquent plus agréable que celui des gens
d'école, qui travaillent par métier. Telle est
l'idée qu'il faut se faire de la science d'Atticus.
Elle était trop étendue pour que l'entretien
avec lui devînt jamais monotone ; elle n'était
pas assez profonde pour qu'il courût le risque
d'être ennuyeux ; elle était vivante enfin, car
lorsqu'on fait les choses avec passion, il est naturel qu'on
en parle avec intérêt. Voilà ce qui
donnait tant d'attrait à sa conversation, et c'est par
là qu'il a charmé les esprits les plus
difficiles, et les moins prévenus. Il était
bien jeune encore quand le vieux Sylla, qui n'avait pas de
raisons pour l'aimer, le rencontra à Athènes.
Il prit tant de plaisir à l'entendre lire des vers
grecs et latins et causer de littérature, qu'il ne le
quittait pas, et voulait à toute force le ramener avec
lui à Rome. Longtemps après, Auguste
éprouva le même charme ; il ne se lassait pas
d'entendre causer Atticus, et quand il ne pouvait pas l'aller
trouver, il lui écrivait tous les jours rien que pour
recevoir ses réponses, et continuer ainsi de quelque
façon ces longs entretiens dont il était
ravi.
On peut donc se figurer que la première fois qu'on
rencontrait cet homme spirituel on se sentait
rapproché de lui par les agréments de sa
conversation. A mesure qu'on le connaissait davantage, on,
découvrait d'autres qualités plus solides qui
retenaient ceux que son esprit avait attirés.
C'était d'abord une grande sûreté de
commerce. Quoiqu'il fût lié avec des gens
d'opinions très différentes et qu'il eût
par eux le secret de tous les partis, on ne lui a jamais
reproché de l'avoir trahi pour personne. On ne voit
pas non plus qu'il ait fourni à aucun de ses amis de
prétexte sérieux pour s'éloigner de lui,
et qu'aucune de ses relations se soit brisée autrement
que par la mort. Ce commerce si sûr était en
même temps très facile. Personne n'a jamais
été plus indulgent et plus commode. Il se
gardait bien de fatiguer par ses exigences ou de rebuter par
ses brusqueries.
On n'avait pas à craindre dans son amitié ces
orages qui troublèrent si souvent celle de
Cicéron et de Brutus : C'était plutôt une
de ces intimités calmes et sans secousses qui
s'affermissent tous les jours par leur durée
régulière. Voilà surtout ce qui devait
charmer ces hommes politiques, étourdis et
fatigués par cette activité bruyante où
s'épuisait leur vie. Au sortir de ce tourbillon des
affaires, ils étaient heureux de trouver, à
quelques pas du forum, cette maison paisible du Quirinal
où les querelles du dehors ne parvenaient pas, et
d'aller causez un moment avec cet homme d'esprit d'une humeur
si égale, qui les accueillait toujours avec le
même sourire etdans l'affection duquel on se reposait
si tranquillement.
Mais rien
assurément n'a dû lui concilier autant d'amis
que son obligeance. Elle était inépuisable, et
l'on ne pouvait pas prétendre qu'elle fût
intéressée, puisque, contrairement à
l'usage, il donnait beaucoup et n'exigeait rien. C'est encore
là une des raisons pour lesquelles ses amitiés
furent si solides, car ce sont toujours ces sortes
d'échanges qu'on se croit en droit de réclamer,
ces comparaisons qu'on fait malgré soi entre les bons
offices qu'on rend et ceux qu'on a reçus, qui
finissent par troubler les affections les plus fermes.
Atticus, qui le savait bien, s'était arrangé de
façon à n'avoir besoin de personne. Il
était riche, il n'avait jamais de procès, il ne
sollicitait pas les dignités, en sorte qu'un ami
déterminé à reconnaître les
services qu'il en avait reçus, n'en pouvait
guère trouver l'occasion (13). On demeurait son
obligé, et la dette allait toujours en s'agrandissant,
car il ne se lassait lamais d'être utile. Nous avons un
moyen facile d'apprécier l'étendue de cette
obligeance, de la voir de près, et pour ainsi dire
à l'oeuvre : c'est de rappeler rapidement les services
de tout genre qu'il a rendus à Cicéron pendant
leur longue intimité. Cicéron avait grand
besoin d'un ami comme Atticus. Il était de ces hommes
d'esprit qui n'entendent rien à calculer; quand on lui
présentait ses livres de comptes, il eût
volontiers répondu, comme son élève
Pline le Jeune, qu'il était habitué à
une autre littérature : aliis sum chartis, aliis
litteris initiatus. Atticus se fit son homme d'affaires ; on
sait le talent qu'il avait pour ce métier. Il
affermait les biens de Cicéron très cher,
sauvait le plus qu'il pouvait sur les revenus, et payait les
dettes les plus pressées. Quand il en
découvrait de nouvelles, il osait gronder son ami, qui
s'empressait de lui répondre très humblement
qu'il serait plus rangé à l'avenir. Atticus,
qui n'y croyait guère, se mettait alors en campagne
pour combler ce déficit. Il allait trouver l'opulent
Balbus ou les autres grands banquiers de Rome avec lesquels
il était en relations d'affaires. Si le malheur des
temps rendait le crédit difficile, il
n'hésitait pas, et puisait dans sa propre bourse. Ceux
qui le connaissent ne trouveront pas cette
générosité sans mérite. Quand
Cicéron voulait acheter quelque terre, Atticus
commençait par se fâcher ; mais si son ami ne se
rendait pas, il allait vite la visiter et en discuter le
prix. S'agissait-il d'y bâtir quelque
élégante villa, Atticus prêtait son
architecte, corrigeait les plans et surveillait l'ouvrage. La
maison bâtie, il fallait l'orner. Atticus faisait venir
des statues de la Grèce. Il excellait à les
bien choisir, et Cicéron ne tarit pas d'éloges
sur les Hermathènes en marbre pentélique qu'il
lui a procurés. Dans une villa de Cicéron, la
bibliothèque, on le comprend, n'était pas
oubliée ; c'est encore de chez Atticus que venaient
les livres. Il en faisait commerce et réservait les
plus beaux pour son ami. Les livres achetés, il
fallait les mettre en place ; aussitôt Atticus
expédiait son bibliothécaire Tyrannion avec ses
ouvriers, qui peignaient les rayons, collaient les feuilles
de papyrus détachées, mettaient des
étiquettes sur les rouleaux, et disposaient tout dans
un si bel ordre que Cicéron, enchanté,
écrivait : «Depuis que Tyrannion a
arrangé mes livres, on dirait que ma maison a pris une
âme (14)».
Mais Atticus ne s'en
tenait pas à ces services pour ainsi dire tout
extérieurs ; il pénétrait dans la
maison, il en connaissait les secrets. Cicéron n'avait
rien de caché pour lui, et lui confiait sans
réserve tous ses chagrins domestiques. Il lui
racontait les violences de son frère et les folies de
son neveu ; il le consultait sur les ennuis que lui causaient
sa femme et son fils. Quand Tullia est en âge
d'être pourvue, c'est Atticus qui lui cherche un mari.
Celui qu'il proposait était le fils d'un chevalier
riche et rangé. «Revenez, disait-il sagement
à Cicéron, revenez à votre ancien
troupeau». Malheureusement on ne voulut pas
l'écouter. On préféra au riche financier
un grand seigneur ruiné qui dévora la dot de
Tullia et la força de le quitter. Quand Tullia est
morte, peut-être de chagrin, Atticus va visiter chez la
nourrice le petit enfant qu'elle a laissé et prend
soin que rien ne lui manque. Au même moment
Cicéron lui donnait beaucoup d'occupations avec ses
deux divorces. Après qu'il eut renvoyé sa
première femme, Térentia, c'est Atticus qu'il
chargeait de la faire tester en sa faveur. C'est encore
à lui qu'il donnait la commission
désagréable d'éconduire la seconde,
Publilia, quand elle prétendait rentrer de force au
domicile de son mari, qui ne voulait plus d'elle.
Voilà sans doute de grands services ; il en rendait
d'autres plus délicats, plus appréciés
encore. C'est à lui que Cicéron confiait ce
qu'il avait de plus cher au monde, sa gloire
littéraire. Il lui communiquait ses ouvrages
dès qu'il les avait écrits, il les corrigeait
d'après ses conseils, il attendait sa décision
pour les publier. Aussi le traitait-il comme un ami devant
lequel on se met à l'aise et l'on se découvre
tout entier. Quoiqu'il tînt beaucoup à ce qu'on
prît au sérieux son éloquence, quand il
était sûr de n'être entendu que d'Atticus,
il ne se faisait aucun scrupule de plaisanter de
lui-même et de ses ouvrages. Il l'introduisait sans
façon dans tous les secrets du métier, et lui
montrait la recette de ses effets les plus applaudis.
«Cette fois, lui disait-il gaiement, j'ai
employé toute la boîte à essences
d'Isocrate et tous les coffrets de ses disciples (15)». Il n'y a
rien de plus curieux que la manière dont il lui
raconte un jour un de ses plus grands succès de
tribune. Il s'agissait de célébrer le grand
consulat, sujet dans lequel, comme on sait, il était
inépuisable. Ce jour-là, il avait une raison de
parler avec plus d'éclat que de coutume :
Pompée était présent ; or, Pompée
avait la faiblesse d'être jaloux de la gloire de
Cicéron. L'occasion
était bonne de le faire enrager; Cicéron se
garda bien de la négliger : «Quand mon tour fut
venu de parler, écrit-il à Atticus, bon Dieu !
comme je me donnai carrière ! Quel plaisir je pris
à me combler d'éloges en présence de
Pompée, qui ne m'avait pas entendu vanter mon consulat
! Si jamais j'appelai à mon aide périodes,
enthymèmes, métaphores et toutes les autres
figures de la rhétorique, ce fut bien alors. Je ne
parlais plus, je criais, car il s'agissait de mes lieux
communs ordinaires, la sagesse du sénat, la bonne
volonté des chevaliers, l'union de toute l'Italie, les
restes de la conjuration étouffés, l'abondance
et la paix rétablies, etc. Vous savez la musique que
je fais quand je traite ces sujets. Elle fut si belle ce
jour-là que je n'ai pas besoin de vous en dire
davantage ; vous crevez l'avoir entendue d'Athènes
(16)». Il
n'est pas possible de se moquer de soi plus gaiement. Atticus
payait ces confidences par la peine qu'il se donnait pour les
succès des oeuvres de son ami. Comme il les avait vues
naître, et qu'il s'était occupé d'elles
avant qu'elles lussent connues du public, il se regardait
presque comme leur père. C'est lui quise chargeait de
les lancer dans le monde et de les faire réussir.
Cicéron dit qu'il s'y entendait à merveille, et
cela ne nous surprend pas. Le moyen qu'il employait le plus
souvent pour en donner une bonne opinion, était d'en
faire lire les plus beaux endroits par ses meilleurs lecteurs
aux gens d'esprit qu'il réunissait à sa table.
Cicéron, qui connaissait la frugalité ordinaire
de ses repas, le prie de s'en départir un peu pour ces
circonstances : «Ayez soin, lui écrit-il, de
bien traiter vos convives, car, s'ils avaient quelque humeur
contre vous, c'est sur moi qu ils la déchargeraient
(17).
Il était naturel
que Cicéron lui sût un gré infini de tous
ces services ; mais ce serait le mal juger que de supposer
qu'il ne s'était attaché à lui que pour
les profits qu'il en tirait. Il l'aimait
véritablement, et toutes ses lettres sont pleines des
témoignages de la plus sincère affection. Il
n'était heureux qu'avec lui ; il ne se lassait jamais
de le fréquenter ; à peine l'avait-il
quitté qu'il souhaitait ardemment le revoir.
«Que je meure, lui écrivait-il, si non seulement
ma maison de Tusculum, où je me trouve si bien, mais
les îles Fortunées pourraient me plaire sans
vous (18)
!» Quelque plaisir qu'il éprouvât à
être fêté, applaudi, caressé,
à avoir autour de lui des complaisants et des
admirateurs ; du milieu de cette foule et de ce bruit, il se
retournait toujours avec regret vers son ami absent.
«Avec tout ce monde, lui disait-il, je me trouve
beaucoup plus seul que si je n'avais que vous (19)». Tout ce
monde en effet se compose d'amis politiques qui changent avec
les événements, qu'une communauté
d'intérêt vous donne et qu'une rivalité
d'ambition vous enlève ; avec eux, Cicéron est
forcé d'être réservé et discret,
ce qui est un supplice pour une nature aussi ouverte. Au
contraire, il peut tout dire à Atticus, et se confier
à lui sans contrainte. Aussi s'empresse-t-il de
réclamer sa présence au moindre ennui qui lui
survient. «Je vous désire, lui écrit-il,
j'ai besoin de vous, je vous attends. J'ai mille choses qui
m'inquiètent, qui me chagrinent, et dont une seule
promenade avec vous me soulagera (20)». On n'en
finirait pas, si l'on voulait réunir tous ces mots
charmants dont la correspondance est remplie, et par lesquels
le coeur s'exprime. Ils ne laissent aucun doute sur les
sentiments de Cicéron : ils prouvent qu'il ne
regardait pas seulement Atticus comme un de ces amis solides
et sérieux sur l'appui desquels on peut compter, mais
aussi, ce qui est plus surprenant, comme une âme
délicate et tendre : «Vous prenez votre part,
lui dit-il, de toutes les afflictions des autres (21)».
Voilà qui nous éloigne beaucoup de
l'idée que nous nous faisons ordinairement de lui, et
pourtant il n'est guère possible de résister
à des témoignages si formels. Comment
pourrions-nous prétendre qu'il n'avait pour ses amis
qu'une affection douteuse, quand nous voyons tous ses amis
s'en contenter ? Avons-nous le droit d'être plus
exigeants qu'eux, et ne serait-ce pas faire injure à
des gens comme Brutus et Cicéron, que de supposer
qu'ils ont si longtemps été dupes, et qu'ils ne
s'en sont jamais aperçus ? D'un autre
côté, comment expliquer que la
postérité, qui ne juge que d'après les
documents que lui ont fournis les amis d'Atticus, tire de ces
documents mêmes une opinion tout à fait
contraire à celle qu'ils avaient de lui ? Evidemment
c'est que la postérité et les contemporains ne
se mettent pas pour juger les gens au même point de
vue. Nous avons vu qu'Atticus, qui avait pris pour
règle de ne pas se mêler des affaires publiques,
ne se croyait pas tenu de partager les dangers que ses amis
pouvaient courir pour s'en être occupés. Il leur
en laissait tout à fait et les honneurs et les
périls. Tendre, obligeant, dévoué pour
eux pendant tout le cours ordinaire de la vie, quand
survenait une grande crise politique qui les compromettait,
il se mettait à l'écart, et les laissait
s'exposer seuls. Or, lorsqu'on regarde les faits à
distance et qu'on est séparé d'eux, comme nous
le sommes, par plusieurs siècles, on n'aperçoit
plus guère que les événements les plus
importants, et surtout les révolutions politiques,
c'est-à-dire précisément les
circonstances dans lesquelles s'éclipsait
l'amitié d'Atticus. De là le jugement
sévère que nous portons sur elle. Mais les
contemporains apprécient les choses autrement. Ces
grandes crises ne sont après tout que des exceptions
rares et passagères ; sans doute ils en sont
très frappés, mais ils le sont bien plus encore
de ces mille petits incidents que la postérité
n'aperçoit plus, et dont la succession compose la vie
de tous les jours. C'est sur ces bons offices qui se
reproduisent à chaque moment, qui s'emparent d'eux par
leur multiplicité même, qu'ils jugent
l'amitié d'un homme, beaucoup plus que sur un service
signalé qui leur serait rendu dans quelqu'une de ces
grandes et rares occasions. Voilà pourquoi ils avaient
d'Atticus une opinion si différente de la
nôtre.
Ce qui reste hors de
doute, et comme l'un des traits caractéristiques de ce
personnage, c'est le besoin qu'il avait de se faire beaucoup
d'amis, et la peine qu'il prenait pour les attirer et les
retenir. On peut refuser d'admettre, si l'on veut, que ce
besoin fût chez lui l'effet d'une nature
généreuse et sympathique, qu'il vint de ce que
Cicéron appelle admirablement «l'élan de
l'âme qui veut aimer» ; mais, en supposant
même qu'il ne songeât qu'à occuper et
qu'à remplir sa vie', il faut reconnaître que ce
n'est pas la marque d'une nature vulgaire que de la remplir
de cette façon. Cet épicurien raffiné,
ce maître dans l'art de bien vivre savait «que la
vie n'est plus la vie, si l'on ne peut se reposer dans
l'affection d'un ami (22)». Il avait
renoncé aux émotions des luttes politiques, aux
triomphes de la parole, aux joies de l'ambition satisfaite;
mais en revanche il prétendait jouir de tous les
charmes de la vie intérieure. Plus il s'était
renfermé et retranché en elle, plus il
était difficile et délicat sur les plaisirs
qu'elle peut donner ; comme il ne s'était
laissé que ceux-là, il voulait les goûter
pleinement, les savourer, en vivre. Il lui fallait des amis
et parmi eux les plus grands esprits, les plus nobles
âmes de son temps. Son activité, qu'il
n'employait pas ailleurs, il la mettait toute à se
procurer les douceurs de la société que Bossuet
appelle le plus grand bien de la vie humaine. Ce bien,
l'heureux Atticus en a joui au delà même de ses
désirs, et l'amitié l'a largement payé
de tout le mal qu'il s'était donné pour elle.
Elle était son unique passion ; il a pu
complétement la satisfaire, et après avoir
embelli sa vie, c'est encore l'amitié qui a
illustré son nom.
III
La vie privée est donc favorable à Atticus.
Il est moins heureux quand on étudie la conduite qu'il
tint dans les affaires publiques. Sur ce point, les reproches
ne lui ont pas été épargnés, et
il n'est pas facile de le défendre.
Nous ne lui serions
pourtant pas très défavorables, si nous jugions
sa conduite tout à fait avec les idées de nos
jours. L'opinion est devenue beaucoup moins
sévère aujourd'hui pour ceux qui font
ouvertement profession de vivre loin de la politique. Il y a
tant de gens qui aspirent à gouverner leur pays, et il
est devenu si difficile de faire un choix parmi cette foule,
qu'on est tenté de savoir quelque gré à
ceux qui n'ont pas cette ambition. Loin de les blâmer,
on les appelle des modérés et des sages; c'est
une exception qu'on encourage pour débarrasser un peu
cette route encombrée. A Rome, on pensait tout
autrement, et il n'est pas difficile de trouver les raisons
de cette différence. Là, ce qu'on pourrait
appeler le corps politique était en
réalité fort restreint. En dehors des esclaves,
qui ne comptaient pas, du peuple, qui se contentait de donner
ou plutôt de vendre sa voix dans les élections,
et dont c'était le plus grand privilège
d'être amusé aux frais des candidats et nourris
aux dépens du trésor public, il restait
quelques familles d'ancienne race ou d'illustration plus
récente qui se partageaient tous les emplois. Cette
aristocratie de naissance et de fortune n'était pas
très nombreuse, et c'est à peine si elle
suffisait à fournir ce qu'il fallait de magistrats de
toute sorte pour gouverner le monde. On tenait donc à
ce que personne ne fit défaut, et vivre dans la
retraite était regardé comme une
désertion Les choses ne se passent plus de même
dans notre démocratie. Comme toutes les fonctions sont
ouvertes à tout le monde, et que, grâce à
la diffusion des lumières, il peut naître dans
tous les rangs des hommes dignes de les occuper, il n'est
guère à craindre que l'absence de quelques
esprits tranquilles, amis de la paix et du repos, fasse un
vide sensible et regrettable dans ces rangs pressés
qui se précipitent de tous les côtés
à l'assaut du pouvoir. D'ailleurs, nous pensons
aujourd'hui qu'en dehors de la vie publique il y a mille
manières de servir son pays. Les Romains de grande
naissance n'en connaissaient pas d'autre ; ils ne
considéraient le commerce que comme un moyen assez peu
honorable (23)
qu'un particulier emploie pour faire sa fortune, et ne
voyaient pas ce que l'Etat peut y gagner ; la
littérature ne leur semblait qu'un passe-temps
agréable mais futile, et ils n'en comprenaient point
l'importance sociale. Il s'ensuit que chez eux un homme d'un
certain rang ne pouvait trouver qu'une seule façon
honnête d'employer son activité et d'être
utile à son pays, c'était de remplir des
fonctions politiques (24). Faire autre chose
était pour eux ne rien faire ; ils donnaient le nom
d'oisifs aux savants les plus laborieux, et il ne leur venait
pas dans l'esprit qu'en dehors du service de l'Etat, il y
eût rien qui valût la peine d'occuper le temps
d'un citoyen. C'est ainsi que pensaient tous les vieux
Romains, et ils auraient éprouvé une surprise
étrange s'ils avaient vu quelqu'un s'arroger, comme le
fit Atticus, le droit de ne point servir son pays dans la
limite de ses forces et de ses talents. Assurément
Caton, qui ne se reposa jamais, qui à quatre-vingt-dix
ans quittait bravement sa villa de Tusculum pour venir
accuser Servius Galba, le bourreau des Lusitaniens, aurait
trouvé que rester dans sa maison du Quirinal ou dans
sa terre de l'Epire, au milieu de ses livres et de ses
statues, tandis que le sort de Rome se décidait sur le
forum ou à Pharsale, c'était commettre le
même crime que de demeurer sous sa tente un jour de
bataille.
Cette abstention systématique d'Atticus n'était
donc pas une idée romaine ; il la tenait des Grecs.
Dans ces petites républiques ingouvernables de la
Grèce où l'on ne connaissait pas le repos, et
qui passaient sans trêve et sans motif de la tyrannie
la plus dure à la licence la plus
effrénée, on comprend que les hommes
tranquilles et studieux aient fini par se lasser de toutes
ces agitations stériles. Aussi cessèrent-ils de
souhaiter des dignités qu'on n'obtenait qu'en flattant
une multitude capricieuse, et qu'on ne gardait qu'à la
condition de lui obéir. D'ailleurs ce pouvoir si
difficilement acquis, si rarement conservé, quel prix
pouvait-il avoir quand il fallait le partager avec les plus
obscurs démagogues, et valait-il bien la peine de se
donner tant de mal pour devenir le successeur ou le
collègue de Cléon ? En même temps que la
lassitude et le dégoût écartaient les
honnêtes gens de ces luttes mesquines, la philosophie,
tous les jours plus étudiée, communiquait
à ses disciples une sorte d'orgueil qui les amenait au
même résultat. Des hommes qui passaient leur
temps à s'occuper de Dieu et du monde, et qui
essayaient de saisir les lois qui régissent l'univers,
ne daignaient pas descendre de ces hauteurs à
gouverner des états de quelques lieues carrées.
Aussi était-ce une question discutée
ordinairement dans les écoles que de savoir s'il
fallait ou non s'occuper des choses publiques, si le sage
doit rechercher les honneurs, et laquelle vaut mieux de la
vie contemplative ou de la vie d'action. Quelques philosophes
donnaient timidement la préférence à la
vie active, le plus grand nombre soutenait l'opinion
contraire, et, à la faveur de ces discussions, bien
des gens s'étaient crus autorisés à se
faire une sorte d'oisiveté élégante,
dans de voluptueuses retraites, embellies par les lettres et
les arts, où ils vivaient heureux tandis que la
Grèce périssait.
Atticus suivit leur
exemple. Important à Rome cette habitude de la
Grèce, il annonça hautement la
résolution qu'il avait prise de ne point se
mêler aux discussions politiques. Il commença
par se tenir habilement à l'écart pendant
toutes ces querelles qui ne cessèrent d'agiter Rome
depuis le consulat de Cicéron jusqu'aux guerres
civiles. Au moment même où ces luttes
étaient les plus vives, il fréquentait tous les
partis, il avait des amis de tous les côtés, et
trouvait dans ces amitiés éparses un nouveau
prétexte pour rester neutre. Quand César passa
le Rubicon, Atticus avait plus de soixante ans, âge
où cessait pour les Romains l'obligation du service
militaire. C'était une raison de plus pour se tenir
tranquille ; il ne manqua pas de s'en servir. «J'ai
pris ma retraite (25)»,
répondait-il à ceux qui voulaient
l'enrôler. Il tint la même conduite, et avec le
même succès, après la mort de
César ; mais alors il trompa davantage l'opinion
publique. On le savait si bien l'ami de Brutus, qu'on pensait
que cette fois il n'hésiterait pas à se
déclarer. Cicéron lui-même, qui devait le
connaître, y comptait ; mais Atticus ne se
démentit pas, et il profita d'une occasion importante
pour faire savoir au public qu'il ne voulait pas qu'on
l'engageât malgré lui. Pendant que Brutus levait
une armée en Grèce, quelques chevaliers, ses
amis, avaient eu l'idée cie faire une souscription
parmi les plus riches de Rome pour lui donner les moyens de
nourrir ses soldats. On s'adressa d'abord à Atticus
dont on voulait mettre le nom en tête de la liste.
Atticus refusa net de souscrire. Il répondit que sa
fortune était à la disposition de Brutus, s'il
en avait besoin et la lui demandait comme à un ami ;
mais il déclara en même temps qu'il ne
s'associerait pas à une manifestation politique, et
son refus fit manquer la souscription. A la même
époque, fidèle à son usage de caresser
toutes les opinions, il accueillit bien Fulvie, la femme
d'Antoine, ainsi que Volumnius, son préfet des
ouvriers, et, sûr d'avoir partout des amis, il attendit
sans trop de crainte le résultat de la lutte.
Ce qu'il y a de plus
étrange, c'est que cet homme si obstiné
à rester neutre n'était pourtant pas un
indifférent. Son biographe lui donne cet éloge,
qu'il a toujours été du meilleur parti (26), et cela est vrai ;
seulement il s'imposait la loi de ne pas servir son parti :
il se contentait de faire des voeux pour lui. Mais ces voeux,
il les faisait les plus ardents du monde. Il avait, le
croira-t-on ? des passions politiques qui, dans
l'intimité, osaient s'exprimer avec une
vivacité incroyable. Il détestait tellement
César qu'il allait jusqu'à blâmer Brutus
d'avoir permis qu'on l'enterrât (27). Il eût voulu
sans doute, comme le demandaient les plus furieux, qu'on
jetât son corps dans le Tibre. Ainsi il ne
s'interdisait pas d'avoir des préférences, et
de les témoigner à ses amis les plus secrets.
C'est lorsqu'il fallait agir que commençait sa
réserve. Jamais il ne consentit à entrer dans
la lutte ; mais, s'il n'en partageait pas les dangers, il en
ressentait au moins toutes les émotions. On sourit de
le voir s'animer et s'échauffer, comme s'il
était un combattant véritable : il prend sa
part de tous les succès et de tous les revers, il
félicite les énergiques, il adjure les
tièdes, et même il gronde les
défaillants, et se permet de donner des avis et des
réprimandes à ceux qui lui semblent agir trop
mollement, lui qui n'agissait pas du tout. Il fait bon
entendre les reproches qu'il adresse à Cicéron,
quand il le voit hésiter à aller rejoindre
Pompée : il prend le ton le plus pathétique, il
lui rappelle ses actions et ses paroles, il le conjure au nom
de sa gloire, il lui cite ses propres écrits pour le
décider (28). Cet excès
d'audace où il se laisse ainsi entraîner pour
les autres a produit quelquefois des incidents assez
corniques. Au moment où Pompée venait de
s'enfermer dans Brindes, Atticus, ému de la plus vive
douleur, voulait qu'on tentât quelque chose pour le
sauver, et il allait jusqu'à demander à
Cicéron de faire, avant de partir, quelque action
d'éclat. «Il ne faut qu'un drapeau, lui
disait-il, tout le monde viendra s'y ranger (29)». Le bon
Cicéron se sentait tout excité par ces vives
exhortations de son ami, et il y avait des moments où
il était tenté d'avoir de l'audace et où
il ne demandait qu'une occasion pour frapper un grand coup.
L'occasion s'offrit, et voici comment il raconte qu'il en
profita. «Comme j'arrivais à ma maison de
Pompéi, Ninnius, votre ami, vint me dire que les
centurions de trois cohortes qui s'y trouvaient demandaient
à me voir le lendemain, qu'ils voulaient nie livrer la
place. Savez-vous ce que je fis ? Je partis avant le jour,
afin de ne pas les voir. En effet, qu'est-ce que trois
cohortes ? Et quand il y en aurait eu davantage, qu'est-ce
que j'en aurais fait (30) ?»
C'était parler en homme sage, et qui se connaît
bien. Quant à Atticus, on se demande s'il était
bien sincère dans l'ardeur qu'il témoignait
pour sa cause, quand on le voit refuser obstinément de
la servir. Ces grandes passions qui s'enferment si prudemment
dans le coeur et ne se manifestent jamais au dehors sont
à bon droit suspectes. Peut-être voulait-il
seulement animer un peu ce rôle de spectateur qu'il
s'était réservé, en prenant part
jusqu'à un certain point aux émotions de la
lutte. Le sage d'Epicure reste sur ses hauteurs sereines,
d'où il jouit tranquillement de la vue des naufrages
et du spectacle des mêlées humaines; mais il en
jouit de trop loin, et l'agrément qu'il éprouve
est diminué par la distance. Atticus est plus habile
et entend mieux son plaisir : il descend au milieu de la
mêlée même, il la voit de près et
s'y associe, toujours sûr de s'en retirer à
temps.
La seule difficulté
qu'il éprouvait, c'est de faire accepter sa
neutralité à tout le monde. Cette
difficulté était d'autant plus grande pour lui
que sa conduite blessait surtout ceux dont il tenait le plus
à conserver l'estime. Le parti républicain,
qu'il préférait, et dans lequel il comptait le
plus d'amis, devait être beaucoup moins porté
à la lui pardonner que celui de César. On a
fait dans l'antiquité même, et plus encore de
nos jours, un grand éloge de ce mot que
prononça César au début de la guerre
civile : «Qui n'est pas contre moi est pour moi»,
et l'on a fort blâmé le mot tout contraire de
Pompée : «Qui n'est pas pour moi est contre
moi». Cependant, à bien regarder les choses, cet
éloge et ce blâme paraissent également
peu raisonnables. Chacun des deux rivaux, quand il s'exprime
ainsi, est dans son rôle, et leurs paroles
étaient dictées par leurs situations.
César, de quelque façon qu'on le juge, venait
renverser l'ordre établi, et il devait savoir beaucoup
de gré à ceux qui le laissaient faire. Que
pouvait-il raisonnablement leur demander de plus ! En
réalité, ceux qui ne l'empêchaient pas le
servaient. Mais l'ordre légal, l'ordre établi
se croit en droit d'appeler tout le monde à le
défendre et de regarder comme des ennemis tous ceux
qui ne répondent pas à son appel, car c'est un
principe généralement reconnu que celui qui ne
porte pas secours à la loi ouvertement attaquée
devant lui se fait le complice de ceux que la violent. Il
était donc naturel que César, en arrivant
à Rome, accueillit bien Atticus et tous ceux qui
n'étaient pas allés à Pharsale, comme il
l'était aussi qu'on fût très
irrité contre eux au camp de Pompée. Atticus ne
s'émut pas beaucoup de cette colère : il laissa
dire cette jeunesse légère et emportée,
qui ne se consolait pas d'avoir quitté Rome, et qui
menaçait de s'en venger sur ceux qui y étaient
restés. Que lui faisaient ces menaces ? Il
était sûr d'avoir conservé l'estime des
deux hommes les plus importants et les plus respectés
du parti, et il pouvait opposer leur témoignage
à tous les emportements des autres. Cicéron et
Brutus, malgré l'ardeur de leurs convictions, ne lui
en ont jamais voulu de sa conduite, et ils ont paru approuver
qu'il ne se mêlât pas des affaires publiques.
«Je connais l'honnêteté et la noblesse de
vos sentiments, lui disait Cicéron un jour qu'Atticus
avait cru devoir se défendre ; il n'y a entre nous
qu'une différence, c'est que nous avons
réglé notre vie autrement. Je ne sais quelle
ambition m'a fait souhaiter les honneurs, tandis que des
motifs qui ne sont nullement blâmables vous ont fait
prendre le parti d'une honnête oisiveté (31)». D'un autre
côté, Brutus lui écrivait vers la fin de
sa vié : «Je me garde bien de vous blâmer,
Atticus ; votre âge, votre caractère, votre
famille, tout vous fait aimer le repos (32)».
Cette complaisance de la part de Brutus et de Cicéron
est d'autant plus surprenante qu'ils n'ignoraient pas le mal
qu'un exemple pareil pouvait faire à la cause qu'ils
défendaient. Ce n'est pas seulement par l'audace de
ses ennemis que la république périssait,
c'était aussi par l'apathie de ses partisans. Le
triste spectacle qu'elle offrait depuis cinquante ans, la
vente publique des dignités, les violences
scandaleuses qui avaient lieu sur le forum chaque fois qu'on
discutait une loi nouvelle, les batailles qui à chaque
élection ensanglantaient le champ de Mars, ces
armées de gladiateurs dont il fallait s'entourer pour
se défendre, tous ces désordres honteux, toutes
ces basses intrigues dans lesquelles les dernières
forces de Rome achevaient de s'user avaient
complétement découragé les
honnêtes gens. Ils s'éloignaient de la vie
publique ; ils n'avaient plus de goût pour le pouvoir
depuis qu'on était forcé de le disputer aux
gens de violence et de coup de main. Il fallait avoir
l'intrépidité de Caton pour retourner au forum
quand on y avait été reçu à coups
de pierres, et qu'on en était sorti la toge
déchirée et la tête en sang. Ainsi plus
les audacieux entreprenaient, plus les timides laissaient
faire, et dès l'époque du premier triumvirat et
du consulat de Bibulus il fut évident que l'apathie
des honnêtes gens livrerait la république aux
grands ambitieux qui la convoitaient. Cicéron le
voyait bien, et dans ses lettres il ne tarissait pas
d'amères railleries contre ces riches indolents,
amoureux de leurs viviers, et qui se consolaient de la ruine
qu'on prévoyait en pensant qu'ils sauveraient au moins
leurs murènes. Dans
l'introduction de sa République, il attaque
avec une admirable énergie ceux qui,
découragés eux-mêmes, essayent de
décourager les autres, qui soutiennent qu'on a le
droit de ne pas servir son pays et de se faire une fortune en
dehors de la sienne. «N'écoutons pas, dit-il en
finissant, ce signal de la retraite qui retentit à nos
oreilles et voudrait rappeler en arrière ceux qui se
sont déjà avancés dans la
carrière (33)». Brutus
connaissait, lui aussi, ce mal dont se mourait la
république, et il s'est plaint plus d'une fois de la
faiblesse et du découragement des Romains.
«Croyez-moi, écrivait-il, nous craignons trop
l'exil, la mort, la pauvreté (34)». Et celui
à qui il écrit ces belles paroles, c'est
Atticus, et il ne songe pas à lui en faire
l'application ! Quel charme étrange possédait
donc cet homme, quel empire exerçait son
amitié, pour que ces deux grands citoyens se soient
ainsi démentis en sa faveur, et qu'ils lui aient si
hautement pardonné ce qu'ils condamnaient chez les
autres ?
Plus on y songe, et moins on imagine les raisons qu'il
pouvait leur donner pour justifier sa conduite. S'il avait
été un de ces savants qui, enfermés dans
leurs recherches d'histoire ou de philosophie, n'habitent
jamais que le passé ou l'avenir, et ne sont
véritablement pas les contemporains des gens avec
lesquels ils vivent, on attrait compris à la rigueur
qu'il ne participât pas à leurs luttes,
puisqu'il se tenait en dehors de leurs passions ; mais on
sait qu'au contraire il avait le goût le plus vif pour
toutes les petites agitations et les intrigues obscures de la
politique de son temps. Il tenait à les
connaître, il excellait à les
démêler ; c'était une des nourritures
ordinaires qu'il donnait à son esprit curieux, et
Cicéron s'adressait à lui de
préférence quand il voulait les savoir. Il
n'était pas davantage une de ces âmes douces et
timides, faites pour la réflexion et la solitude, et
qui ne se trouvent pas en elles-mêmes le ressort qui
est nécessaire pour la vie active. Cet homme
d'affaires, à l'esprit net et positif, eût fait
au contraire un excellent homme d'état. Pour
être utile à son pays, il n'aurait eu besoin que
d'employer à son service un peu de cette
activité, de cette intelligence qu'il avait mises
à s'enrichir, et Cicéron avait raison de lui
trouver le tempérament politique. Enfin il ne
s'était pas même laissé la triste
ressource de prétendre qu'il ne prenait aucun parti
parce que tous les partis lui étaient
indifférents, et que, n'ayant pas d'opinion
formée, il ne savait de quel côté se
ranger. Dans ses lettres, adressées à
Cicéron et à Brutus, il avait dit cent fois le
contraire ; il les avait cent fois charmés par
l'ardeur de son zèle républicain. Pourtant il
resta tranquille quand arriva l'occasion de servir ce
gouvernement auquel il se disait si attaché. Au lieu
de faire un seul effort pour retarder sa chute, il ne
s'occupa qu'à n'être pas écrasé
sous ses débris. Mais s'il n'a pas essayé de le
défendre, lui a-t-il au moins rendu ce dernier hommage
de paraître le regretter ? A-t-il
témoigné de quelque façon que, quoiqu'il
n'eût pas paru dans le combat, il prenait sa part de la
défaite ? A-t-il su se faire, en vieillissant sous un
pouvoir qu'il était forcé de subir, une de ces
retraites dignes et tristes qui forcent le vainqueur
même au respect ? Non, et c'est assurément ce
qui nous répugne le plus dans sa vie ; il a mis un
empressement fâcheux à s'accommoder au
régime nouveau. Le lendemain du jour où il
avait été proscrit lui-même, on le voit
devenir l'ami des proscripteurs. Il prodigue pour eux toutes
les séductions de son esprit, il fréquente
assidûment leurs maisons, il est de toutes leurs
fêtes. Quelque habitué qu'on soit à le
voir bien accueillir tous les gouvernements qui triomphent,
on ne peut se faire à l'idée que l'ami de
Brutus et le confident de Cicéron soit devenu si vite
le familier d'Antoine et d'Octave. Les plus disposés
à l'indulgence trouveront certainement que ces
illustres amitiés lui créaient des devoirs
qu'il n'a pas remplis, et que c'était trahir la
mémoire de ces hommes qui l'avaient honoré de
leur affection que de leur donne précisément
leurs bourreaux pour successeurs.
Si nous ne sommes pas
disposés à nous montrer pour lui aussi
complaisants que Cicéron et que Brutus, à plus
forte raison ne partagerons-nous pas l'enthousiasme naïf
qu'il inspire à Cornélius Népos. Cet
indulgent biographe n'est frappé, dans toute la vie de
son héros, que de l'heureuse chance qu'il a eu
d'éviter de si grands dangers. Il n'en revient pas
quand il le voit, depuis Sylla jusqu'à Auguste, se
soustraire à tant de guerres civiles, survivre
à tant de proscriptions, et se conserver si
adroitement où tant d'autres périssaient.
«Si l'on comble d'éloges, dit-il, le pilote qui
sauve son vaisseau des rochers et de la tempête, ne
doit-on pas tenir aussi pour admirable la prudence d'un homme
qui, au milieu de ces violents orages politiques, parvient
à se sauver (35) ?»
L'admiration est de trop ici. Nous gardons la nôtre
pour ces gens de coeur qui mirent leurs actions d'accord avec
leurs principes, et qui surent mourir pour défendre
leurs opinions. Leur mauvais succès ne leur nuit pas
dans notre estime, et, quoi qu'en dise l'ami d'Atticus, il y
a des navigations heureuses dont on retire moins d'honneur
que de certains naufrages. Le seul éloge qu'il
mérite complétement, c'est celui que son
biographe lui donne avec tant de complaisance, d'avoir
été le plus habile homme de ce temps; mais on
sait bien qu'il y a d'autres éloges qui valent mieux
que celui-là.
(1) C'est
ce que j'ai essayé d'établir avec plus de
détails dans un mémoire publié par
la Revue archéologique et intitulé :
Atticus, éditeur de Cicéron. |
|
(2) Ad
Att., XV, 4 et 8. |
|
(3) Ad
Att., I,13. |
|
(4) Ad
Att., I, 19. |
|
(5) De
Leg., I, 7. Il est encore fidèle à ce
rôle d'amateur philosophique, quand il dit plus
loin (I, 21) qu'Antiochus lui a fait faire quelques pas
dans l'Académie, deduxit in Academiam
perpauculis passibus. Il ne s'engageait jamais
davantage. |
|
(6) T.
Pomp. Att., 13. Tous les détails qui
précèdent sont tirés de cette vie
d'Atticus par Cornélius Népos. |
|
(7) Ad
Att., VI, 1. |
|
(8) Ad
Att., IV, 9 |
|
(9) Ad
Att., VI, 1. |
|
(10) Ad
Att., VII, 8 : soles conglutinare
amicitias. |
|
(11) C'est
le mot de Tacite : pessimum veri affectus venenum sua
cuique utilitas. |
|
(12) Ad
Att. XIII, 33. |
|
(13) Il
faut pourtant remarquer que la dernière lettre que
nous ayons de Cicéron à Atticus (XVI, 16),
contient la preuve de démarches très
actives que Cicéron avait faites pour sauver une
partie de la fortune d'Atticus compromise après la
mort de César. |
|
(14) Ad
Att., IV, 8. |
|
(15) Ad
Att. II, 1. |
|
(16) Ad
Att. I, 14. |
|
(17) Ad
Att. XVI, 3. |
|
(18) Ad
Att. XII, 3. |
|
(19) Ad
Att. XII, 51. |
|
(20) Ad
Att. I, 18. |
|
(21) Ad
Att. XII, 14. |
|
(22) Cui
potest esse vita vitalis, ut ait Ennius, qui non in amici
mutua benevolentia conquiescat ? (Cicéron,
de Amicit., 6.) |
|
(23) T.
Liv., XXI, 63 : Quaestus omnibus patribus indecorus
visus. |
|
(24) C'est
ce que dit Scipion, dans la République (I,
22). Quum mihi sit unum opus hoc a parentibus
majoribusque meis relictum, procuratio atque
administratio rei publicae, etc. |
|
(25) Corn.
Nep., Attic., 7. Usus es aetatis
vacatione. |
|
(26) Nep.
Att. 6. |
|
(27) Ad
Att. XIV, 10. |
|
(28) Ad
Att. VIII, 2. |
|
(29) Ad
Att. X, 15. |
|
(30) Ad
Att. X, 16. |
|
(31) Ad
Att., 1, 17. Voyez aussi de Offic., I, 21, et
surtout 1, 26. Ce dernier passage contient
évidemment une allusion à Atticus. |
|
(32) Epist.
Brut., I, 17. |
|
(33) De
Rep., I, 2. |
|
(34) Epist.
Brut., I, 17. |
|
(35) Attic.,
10. |