Le vainqueur et les vaincus après Pharsale
La guerre civile interrompit les rapports que Cicéron
avait entretenus avec César pendant la guerre des
Gaules. Il hésita longtemps à s'y engager, et
c'est après de longues indécisions que les
remords de sa conscience, la crainte de l'opinion, et surtout
l'exemple de ses amis le décidèrent enfin
à partir pour le camp de Pompée. «Comme
le boeuf suit le troupeau, disait-il, je vais rerouver les
honnêtes gens» (1) ; mais il n'y allait
qu'à contre-coeur et sans espérance.
Après Pharsale, il ne crut pas qu'il fût
possible de continuer la lutte : il le dit ouvertement dans
un conseil des chefs républicains qui fut tenu
à Dyrrhachium, et il s'empressa de retourner à
Brindes pour se mettre à la disposition du
vainqueur.
Que de regrets ne dut-il pas
éprouver alors, si sa pensée se reporta
à quelques années en arrière et s'il se
ressouvint de son retour triomphant de l'exil ! Dans cette
même ville, où on l'avait reçu avec tant
de fêtes, il était contraint de débarquer
furtivement, de cacher ses licteurs, d'éviter la foule
et de ne sortir que de nuit. Il y passa onze mois, les plus
tristes de sa vie, dans l'isolement et
l'anxiété. Son coeur était
déchiré de tous les côtés, et ses
affaires domestiques ne lui causaient pas moins de chagrin
que les événements publics. Son absence avait
achevé de déranger sa fortune. Au moment
où elle était le plus embarrassée, il
avait eu l'imprudence de prêter ce qu'il avait d'argent
à Pompée : le poignard du roi d'Egypte avait
emporté à la fois la créance et le
débiteur. Pendant qu'il essayait de se procurer
quelques ressources en vendant ses meubles et sa vaisselle,
il découvrit que sa femme s'entendait avec ses
affranchis pour le dépouiller de ce qui lui restait ;
il apprit que son frère et son neveu, qui
s'étaient rendus auprès de César,
cherchaient à se justifier à ses dépens,
et travaillaient à le perdre afin de se sauver ; il
revit Tullia, sa fille chérie, mais il la revit triste
et malade, pleurant à la fois les infortunes de son
père et les infidélités de son mari. A
ces malheurs trop réels se joignent en même
temps pour lui des malheurs imaginaires qui ne le font
guère moins souffrir ; il est tourmenté surtout
par ses irrésolutions habituelles. A peine a-t-il mis
le pied en Italie qu'il se repent déjà d'y
être venu. Suivant son usage, son imagination
inquiète met toujours les choses au pire, et il est
ingénieux à trouver dans tout ce qui lui arrive
quelque raison d'être mécontent. Il se
désole lorsque Antoine veut le forcer à quitter
l'Italie ; quand on lui permet d'y rester, il se
désole encore, parce que cette exception qu'on fait en
sa faveur peut nuire à sa réputation. Si
César néglige de lui écrire, il prend
l'alarme ; s'il reçoit une lettre de lui, quelque
bienveillante qu'elle soit, il en pèse si bien tous
les termes qu'il finit par y découvrir quelque motif
de s'effrayer ; l'amnistie, même la plus large et la
plus complète, ne le rassure pas tout à fait.
«Quand on pardonne si facilement, dit-il, c'est qu'on
diffère sa vengeance» (2).
Enfin, après un
séjour de près d'une année dans cette
ville bruyante et empestée, il lui fut permis de
quitter Brindes. Il revint dans ses belles maisons de
campagne qu'il aimait tant et où il avait
été si heureux ; il retrouva ses livres, il
reprit ses études interrompues, il put goûter de
nouveau ces biens précieux dont on jouit sans y songer
quand on les possède, et qu'on ne commence à
apprécier que lorsqu'on les a un moment perdus, la
sécurité et le repos. Rien n'égala
jamais pour lui le charme de ces premiers jours passés
tranquillement à Tusculum après tant d'orages,
et de ce retour aux calmes plaisirs de l'esprit, pour
lesquels il sentait bien alors qu'il était
véritablement fait. «Sachez, écrivait-il
à son ami Varron, que depuis mon retour je me suis
réconcilié avec mes vieux amis, je veux dire
avec mes livres. A la vérité, si je les fuyais,
ce n'est pas que je fusse irrité contre eux, mais je
ne pouvais les voir sans quelque confusion. Il me semblait
qu'en m'engageant dans des affaires si agitées, avec
des alliés douteux, je n'avais pas suivi assez
fidèlement leurs préceptes. Ils me pardonnent,
ils me rappellent à leur compagnie ; ils me disent que
vous avez été plus sage que moi de ne point les
quitter. A présent que je suis rentré en
grâce avec eux, j'espère bien qu'il me sera plus
facile de supporter les maux qui nous accablent et ceux dont
nous sommes menacés» (3).
Sa conduite était
désormais toute tracée. Il devait au grand
parti qu'il avait servi et défendu de se tenir en
dehors du gouvernement nouveau. Il lui fallait chercher dans
la philosophie et les lettres un emploi utile de son
activité, et se créer une retraite honorable
loin des affaires publiques, dont il ne pouvait plus
s'occuper avec honneur. Il l'avait bien compris lorsqu'il
disait : «Conservons au moins une demi-liberté
en sachant nous cacher et nous taire» (4). Se taire et se
cacher, c'était bien le programme qui lui convenait le
mieux, comme à tous ceux qui s'étaient soumis
après Pharsale. On va voir comment il y fut
fidèle.
I
Il est bien difficile de se déshabituer tout d'un
coup de la politique. Le maniement des affaires et l'exercice
du pouvoir, même quand ils ne contentent pas tout
à fait une âme, la désenchantent du
reste, et la vie paraît vide à celui qui ne les
a plus pour la remplir. C'est ce qui arriva à
Cicéron. Il était certainement très
sincère lorsqu'en quittant Brindes il s'engageait
«à se cacher tout entier daus les lettres»
; mais il avait promis plus qu'il ne pouvait tenir. Il se
fatigua vite du repos, et les plaisirs de l'étude
finirent par lui sembler un peu trop calmes ; il prêta
l'oreille avec plus de curiosité aux bruits du dehors,
et, afin de les mieux entendre, il quitta Tusculum pour
revenir à Rome. Là, il reprit insensiblement
ses anciennes habitudes ; il retourna au sénat ; sa
maison s'ouvrit de nouveau à tous ceux qui aimaient
les lettres et les cultivaient ; il se remit à
fréquenter les amis qu'il avait dans le parti de
César, et par leur intermédiaire il renoua ses
relations avec César lui-même.
Ils se
réconcilièrent facilement, malgré tous
les motifs qu'ils avaient de s'en vouloir. Le goût des
plaisirs de l'esprit qui les réunissait était
plus fort chez eux que toutes les antipathies politiques. La
première irritation passée, ils revinrent l'un
vers l'autre avec cette aisance que donnent l'usage et la
pratique du monde, oubliant ou paraissant oublier tous les
dissentiments qui les avaient séparés.
Cependant ces relations étaient devenues pour
Cicéron plus délicates que jamais. Ce
n'était plus seulement un protecteur qu'il retrouvait
dans son ancien condisciple, c'était un maître.
Il n'y avait plus, comme autrefois, entre eux de
traité ou d'accord qui créât des
obligations réciproques ; il y avait un vainqueur
à qui les droits de la guerre permettaient tout et un
vaincu qui tenait la vie de sa clémence. Ce qui
ajoutait à la difficulté de la situation, c'est
que plus le vainqueur avait le droit de se montrer exigeant,
plus l'opinion publique commandait au vaincu d'être
réservé. On pouvait supposer, à
l'époque de la guerre des Gaules, que Cicéron
défendait les projets de César par
amitié ou pai conviction ; mais depuis qu'en se
prononçant avec tant d'éclat pendant la guerre
civile il avait montré qu'il désapprouvait sa
cause, les complaisances qu'il pouvait avoir pour lui
n'étaient plus que de basses flatteries et une
manière honteuse de mériter son pardon.
Déjà son brusque retour de Pharsale avait
été fort blâmé. «On ne me
pardonne pas de vivre» (5), disait-il. On lui
pardonnait moins encore ses relations familières avec
les amis de César. Les honnêtes gens murmuraient
de le voir visiter si assidûment la maison de Balbus,
aller dîner chez le voluptueux Eutrapélus en
compagnie de Pansa ou d'Antoine et à côté
de la comédienne Cythéris, prendre part aux
fêtes somptueuses que donnait Dolabella avec l'argent
des vaincus ; de tous côtés, la malveillance
avait les yeux ouverts sur ses faiblesses. Il lui fallait
donc satisfaire à la fois tous les partis,
ménager les vainqueurs et les vaincus dans
l'intérêt de sa réputation ou de sa
sûreté, vivre à côté du
maître sans trop lui complaire, mais sans jamais le
fâcher, et accommoder ensemble dans ces rapports
périlleux ce qu'il devait à son honneur et ce
qui était nécessaire à son repos.
C'était une situation délicate, dont un homme
ordinaire aurait eu peut-être quelque peine à se
tirer, mais qui n'était pas au-dessus de la
dextérité de Cicéron. Il avait pour en
sortir à son avantage une qualité merveilleuse
qui l'empêchait de paraître trop humble et trop
bas, même quand il était contraint de flatter.
Mme de Sévigné a dit quelque part :
«L'esprit est une dignité». Ce mot est
vrai dans tous les sens ; il n'y a rien qui aide davantage
à traverser sans bassesse des temps difficiles. Quand
un homme conserve son esprit devant un maître absolu,
quand il ose plaisanter et sourire au milieu du silence et de
l'effroi des autres, il témoigne par là que la
grandeur de celui auquel il parle ne l'intimide pas, et qu'il
se sent assez fort pour la soutenir. C'est encore une
façon de le braver que de rester maître de soi
en sa présence, et il me semble qu'un despote exigeant
et ombrageux doit être presque aussi mécontent
de ceux qui se permettent d'avoir de l'esprit devant lui que
de ceux qu'il peut soupçonner d'avoir du coeur. Il y a
donc au-dessous, mais à côté du courage
de l'âme, qui inspire des résolutions
énergiques, celui de l'esprit, qu'il ne faut pas
dédaigner, car il est souvent le seul qui soit
possible. Après la défaite des gens de coeur,
les gens d'esprit ont leur tour, et ils rendent encore
quelques services quand les autres n'ont plus le pouvoir de
rien faire. Comme ils sont déliés et souples,
qu'ils savent relever vivement la tête après que
la nécessité les a forcés de la plier,
ils se soutiennent avec quelque honneur dans la ruine de leur
parti. Leur raillerie, si discrète qu'elle soit, est
une sorte de protestation contre le silence imposé
à tout le monde, et elle empêche au moins
qu'après avoir perdu la liberté d'agir on ne
perde encore tout à fait celle de parler. L'esprit
n'est donc pas une chose aussi futile qu'on affecte de le
dire ; il a sa grandeur aussi, et il peut se faire
qu'après une grande catastrophe, quand tout est muet,
abattu, découragé, il maintienne seul la
dignité humaine en grand danger de périr.
Tel fut à peu
près le rôle de Cicéron à cette
époque, et il faut reconnaître que ce rôle
ne manquait pas d'importance. Dans cette grande ville,
soumise et muette, lui seul osait parler. Il avait
commencé à le faire de bonne heure, et il
était encore à Brindes, ignorant si on lui
ferait grâce, qu'il effrayait déjà
Atticus par la liberté de ses propos.
L'impunité le rendit naturellement plus audacieux, et
après qu'il fut de retour à Rome il ne prit
presque plus d'autre précaution que de rendre ses
railleries le plus agréables et le plus spirituelles
qu'il le pouvait. César aimait l'esprit, même
quand il s'exerçait à ses dépens. Au
lieu de se fâcher des bons mots de Cicéron, il
en faisait une collection, et au plus fort delà guerre
d'Espagne il donnait l'ordre à ses correspondants de
les lui envoyer : Cicéron, qui le savait, parlait sans
se gêner. Cette liberté, qui était alors
si rare, attirait sur lui tous les yeux. Jamais il n'avait
été plus entouré. Les amis de
César le fréquentaient volontiers pour se
donner, à l'exemple de leur chef, un air de
libéralité et de tolérance. Comme il
était, depuis la mort de Pompée et de Caton, le
survivant le plus illustre du parti républicain, les
partisans que conservait encore la république
s'empressaient autour de lui. On venait donc le voir de tous
les côtés, et tous les partis se rencontraient
le matin dans son vestibule. «Je reçois en
même temps, disait-il, la visite de beaucoup
d'honnêtes gens qui sont tristes et celle de nos joyeux
vainqueurs» (6).
Cet empressement avait sans doute de quoi le flatter, et rien
ne devait lui faire plus de plaisir que d'avoir repris son
importance. Remarquons cependant qu'en redevenant un grand
personnage dont on recherchait l'amitié, dont on
fréquentait la maison, il manquait déjà
à la première partie du programme qu'il
s'était tracé ; la part qu'il prit, vers la
même époque, au retour des exilés ne
tarda pas à lui faire oublier l'autre. Il avait
renoncé à se cacher pour répondre aux
avances de César ; nous allons voir comment il
renonça à se taire pour le remercier de sa
clémence.
On a bien raison d'admirer
la clémence de César, et les éloges
qu'on en fait sont mérités. Au milieu des
guerres sans pitié de l'ancien monde, c'est la
première fois qu'on voit luire un rayon
d'humanité. Aucun doute n'était encore
entré dans l'âme d'un vainqueur sur
l'étendue de ses droits ; il les croyait sans limite
et les exerçait sans scrupule. Qui songeait, avant
César, à proclamer et à pratiquer le
respect du vaincu ? Il fut le premier qui annonça que
sa vengeance ne survivrait pas à sa victoire et qu'il
ne frapperait pas un ennemi désarmé. Ce qui
ajoute à l'admiration que sa conduite inspire, c'est
qu'il donna ce bel exemple de modération et de douceur
dans une époque de violence, entre les proscriptions
de Sylla et celles d'Octave ; c'est qu'il fit grâce
à ses ennemis au moment même où ses
ennemis massacraient ses soldats prisonniers et
brûlaient vivants ses matelots avec leurs navires.
Cependant il ne faut rien exagérer, et l'histoire ne
doit pas être un panégyrique. Sans
prétendre diminuer la gloire de César, il est
permis de se demander quel motif il avait de pardonner aux
vaincus, il est juste de chercher de quelle façon et
dans quelles limites s'exerça sa
clémence.
Curion, un de ses meilleurs amis, disait un jour à
Cicéron, dans une conversation intime, que
César était cruel par tempérament, et
qu'il n'avait épargné ses ennemis que pour
conserver l'affection du peuple (7) ; mais le sceptique
Curion était fort disposé, comme Caelius,
à voir toujours les gens par leur mauvais
côté : il a certainement calomnié son
chef. La vérité est que César
était clément à la fois par nature et
par système, pro natura et pro instituto
(8) ; c'est le
continuateur de ses Commentaires qui le dit, et
celui-là le connaissait bien. Or, si le coeur ne
change pas, la politique peut changer avec les circonstances.
Quand on est bon uniquement par nature, on l'est toujours ;
mais lorsqu'à cet instinct naturel qui porte à
la clémence se joint la réflexion qui calcule
le bon effet qu'elle produira et le profit qu'on en doit
tirer, il peut arriver qu'on devienne moins clément
dès qu'on a moins d'intérêt à
l'être. Celui qui, par système, se faisait doux
et humain pour attirer les gens à lui, se
résignera, par système aussi, à
être cruel, s'il éprouve le besoin de les
intimider. C'est ce qui est arrivé à
César, et quand on étudie sa vie de
près, on trouve que sa clémence a souffert plus
d'une éclipse. Je ne crois pas qu'il ait commis
aucunes cruautés sans motif et pour le motif de les
commettre, comme faisaient tant de ses contemporains ; mais
il ne se les refusait pas non plus lorsqu'il y trouvait
quelque avantage. Pendant qu'il était préteur
en Espagne, il lui est arrivé de prendre d'assaut des
villes qui demandaient à se rendre pour avoir un
prétexte de les piller. En Gaule, il n'a jamais
hésité à effrayer ses ennemis par des
vengeances terribles ; nous le voyons faire trancher la
tête à tout le sénat des
Vénètes, massacrer les Usipètes et les
Tenctères, vendre à la fois comme esclaves les
quarante mille habitants de Genabum, couper le poing à
tous ceux qui dans Uxellodunum avaient pris les armes contre
lui. Et l'héroïque chef des Arvernes, ce
Vercingétorix qui fut un adversaire si digne de lui,
ne l'a-t-il pas tenu cinq ans entiers en prison, pour donner
ensuite froidement l'ordre de l'égorger le jour de son
triomphe ? Même à l'époque des guerres
civiles, et quand il combattait ses concitoyens, il se
fatigua de pardonner. Lorsqu'il vit que son système de
clémence ne désarmait pas ses ennemis, il y
renonça, et leur obstination, qui le surprit, finit
par le rendre cruel. A mesure que la lutte se prolonge, elle
prend des deux côtés des couleurs plus sombres.
Entre les républicains exaspérés par
leurs défaites et le vainqueur furieux de leur
résistance, la guerre devient sans merci. Après
Thapsus, César donne l'exemple des supplices, et son
armée, s'inspirant de sa colère, égorge
les vaincus sous ses yeux. Il avait déclaré, en
partant pour sa dernière expédition d'Espagne,
que sa clémence était à bout, et que
tous ceux qui ne poseraient pas les armes seraient mis
à mort. Aussi la bataille de Munda fut-elle terrible.
Dion raconte que les deux armées s'attaquèrent
avec une rage silencieuse, et qu'au lieu des chants guerriers
qui retentissent d'ordinaire, on n'entendait par moments que
ces mots : «Frappe et tue». Le combat fini, le
massacre commença. Le fils aîné de
Pompée, qui était parvenu à s'enfuir,
fut traqué dans les forêts pendant plusieurs
jours, et tué sans miséricorde, comme les chefs
vendéens dans nos guerres du Bocage.
Le plus beau moment de la
clémence de César, c'est Pharsale. Il avait
annoncé d'avance, lorsqu'il entra en Italie, qu'on ne
verrait pas recommencer les proscriptions. «Je ne veux
pas imiter Sylla, disait-il dans une lettre
célèbre, et qui fut sans doute fort
répandue. Inaugurons une nouvelle façon de
vaincre, et cherchons notre sûreté dans la
clémence et la douceur» (9). Il ne démentit
pas d'abord ces belles paroles. Après la victoire, il
donna l'ordre à ses soldats d'épargner leurs
concitoyens, et sur le champ de bataille même il tendit
la main à Brutus et à beaucoup d'autres. On a
tort de penser toutefois qu'il y ait eu à ce moment
une amnistie générale (10). Au contraire, un
édit d'Antoine, qui gouvernait Rome en l'absence de
César, défendit sévèrement
à tous les pompéiens de revenir en Italie sans
en avoir obtenu la permission. Cicéron et Laelius, qui
n'étaient pas à craindre, furent seuls
exceptés. Beaucoup d'autres rentrèrent ensuite,
mais on ne les rappela qu'individuellement et par des
décrets spéciaux. C'était le moyen pour
César de tirer un meilleur parti de sa
clémence. D'ordinaire ces grâces qu'on accordait
ainsi en détail n'étaient pas gratuites, et on
les faisait presque toujours payer aux exilés d'une
partie de leur fortune. Rarement aussi elles étaient
complètes du premier coup ; on leur permettait de
revenir en Sicile, puis en Italie, avant de leur ouvrir tout
à fait les portes de Rome. Ces degrés
habilement ménagés, en multipliant le nombre
des faveurs accordées par César, ne laissaient
pas s'assoupir l'admiration publique. Chaque fois le choeur
des flatteurs recommençait ses louanges, et l'on ne
cessait pas de célébrer la
générosité du vainqueur.
Il y avait donc, après Pharsale, un certain nombre
d'exilés en Grèce et dans l'Asie qui
attendaient avec impatience qu'on leur donnât la
permission de revenir chez eux, et qui ne l'obtinrent pas
tous. Les lettres de Cicéron nous rendent le service
de nous en faire connaître quelques uns. Ce sont des
gens de toute condition et de toute fortune, des
négociants et des fermiers de l'impôt aussi bien
que des grands seigneurs. A côté d'un Marcellus,
d'un Torquatus, d'un Domitius, il y a des personnages
entièrement inconnus, comme Trebianus et Toranius, ce
qui prouve que la vengeance de César ne
s'arrêtait pas aux chefs du parti. On y rencontre aussi
trois écrivains, et, ce qui est digne de remarque,
c'est que ce sont peut-être les plus maltraités.
L'un d'eux, T. Ampius, était un fougueux
républicain qui ne montra pas dans l'exil autant de
fermeté qu'on aurait cru. Il s'occupait à
écrire une histoire des hommes illustres, et il
paraît qu'il ne profitait pas assez pour son compte des
beaux exemples qu'il y trouvait. Nous connaissons mieux les
deux autres, qui ne se ressemblent guère :
c'était l'Etrusque Caecina, un négociant bel
esprit, et le savant Nigidius Figulus. Nigidius, qu'on
mettait à côté de Varron pour
l'étendue de ses connaissances, et qui était,
comme lui, à la fois philosophe, grammairien,
astronome, physicien, rhéteur et jurisconsulte, avait
surtout frappé ses contemporains par la profondeur de
ses recherches théologiques. Comme on le voyait
s'occuper beaucoup des doctrines des Chaldéens et des
Orphiques, il passait pour un grand magicien. On croyait
qu'il prédisait l'avenir et on le soupçonnait
de ressusciter les morts. Tant d'occupations d'un genre si
différent ne l'empêchaient pas de
s'intéresser aux affaires de son pays. On ne pensait
pas alors qu'un savant fût dispensé d'être
un citoyen. Il brigua et obtint des dignités publiques
; il fut préteur en des temps difficiles et se fit
remarquer par son énergie. Quand César entra en
Italie, Nigidius, fidèle à la maxime de son
maître Pythagore, qui ordonne au sage de porter secours
à la loi menacée, s'empressa de quitter ses
livres, et il était au premier rang des combattants de
Pharsale. Caecina avait paru d'abord aussi ferme que
Nigidius, et il s'était fait remarquer comme lui par
son ardeur républicaine. Non content de prendre les
armes contre César, il l'avait encore insulté
dans un pamphlet, au commencement de la guerre : mais il
était aussi faible que violent, il ne put pas
supporter l'exil. Cet homme léger et mondain avait
besoin des plaisirs de Rome, et il se désolait d'en
être privé. Pour obtenir sa grâce, il
imagina d'écrire un nouvel ouvrage destiné
à contredire l'ancien et à en effacer le
mauvais effet. Il l'avait
appelé ses Plaintes, et ce titre indique assez
quel en était le caractère. Il y prodiguait
sans mesure les éloges à César, et
cependant il craignait toujours de n'en avoir pas dit assez.
«Je frémis de tous mes membres, disait-il
à Cicéron, quand je me demande s'il en sera
content» (11). Tant d'humiliations
et de bassesse finirent par toucher le vainqueur, et tandis
qu'il laissait impitoyablement mourir en exil
l'énergique Nigidius, qui ne savait pas flatter, il
permettait à Caecina de se rapprocher de l'Italie et
de s'établir en Sicile.
Cicéron s'était fait le consolateur de tous ces
exilés, et il employait son crédit à
rendre leur condition meilleure. Il les servit tous avec le
même dévouement, quoiqu'il y en eût parmi
eux dont il avait à se plaindre ; mais il ne se
souvenait plus de leurs torts dès qu'il les voyait
malheureux. Il mettait une habileté touchante, en leur
écrivant, à accommoder son langage à
leur situation ou à leurs sentiments, se souciant peu
d'être d'accord avec lui-même, pourvu qu'il
pût les consoler et leur être utile. Après
avoir dit à ceux qui se lamentaient d'être
éloignés de Rome qu'ils avaient tort de vouloir
y revenir, et qu'il vaut mieux entendre seulement parler des
malheurs de la république que de les voir de ses yeux,
il écrivait tout le contraire à ceux qui
supportaient trop courageusement l'exil, et qui ne voulaient
pas, au grand désespoir de leur famille, demander leur
rappel. Quand il rencontrait un empressement trop servile
à prévenir et à provoquer les
bontés de César, il n'hésitait pas
à le blâmer, et, avec des ménagements
infinis, il rappelait au respect de lui-même le
malheureux qui l'oubliait. S'il voyait au contraire qu'on
fût disposé à commettre quelque
héroïque imprudence et à tenter, sans
profit pour personne, un coup d'éclat dangereux, il
s'empressait de retenir cet élan de courage inutile et
prêchait la prudence et la résignation. Pendant
ce temps, il n'épargnait pas ses peines. Il allait
trouver les amis du maître, ou, s'il en était
besoin, il essayait de voir le maître lui-même,
quoiqu'il fût bien difficile d'aborder un homme sur
lequel retombaient les affaires du monde entier. Il priait,
il promettait, il fatiguait de ses supplications et presque
toujours il finissait par réussir, car César
tenait à l'engager de plus en plus dans son parti par
les faveurs qu'il lui accordait. Une fois la grâce
obtenue, il voulait être le premier à l'annoncer
à l'exilé, qui l'attendait impatiemment ; il le
félicitait avec effusion et joignait à ses
compliments quelques leçons de modération et de
silence qu'il donnait volontiers aux autres, mais qu'il ne
pratiquait pas toujours lui-même.
Parmi ces exilés, il n'y avait pas de personnage plus
important que l'ancien consul Marcellus ; il n'y en avait pas
non plus que César eût autant de raison de
haïr. Par une sorte de bravade cruelle, Marcellus avait
fait battre de verges un habitant de Côme, pour montrer
quel cas il faisait des droits que César avait fait
accorder à cette ville. Après Pharsale, il
s'était retiré à Mitylène et ne
songeait pas à en revenir, quand ses parents et
Cicéron se mirent en tête d'obtenir sa
grâce. Pendant qu'ils faisaient les premières
démarches, ils rencontrèrent un obstacle sur
lequel ils n'avaient point compté : ils pensaient
qu'ils n'auraient à supplier que César, et il
leur fallut commencer par fléchir Marcellus.
C'était un homme énergique que le mauvais
succès de sa cause n'avait pas abattu, un
véritable philosophe, qui s'était fort bien
accommodé de l'exil, un républicain
obstiné, qui ne voulait pas retourner à Rome
pour la voir esclave. Il fallut toute une longue
négociation avant qu'il consentît à
permettre qu'on implorât pour lui le vainqueur ; encore
ne le permit-il que de fort mauvaise grâce. Lorsqu'on
lit les lettres que Cicéron lui écrit à
cette occasion, on admire beaucoup son habileté, mais
on a quelque peine à comprendre les motifs de son
insistance. On se demande avec surprise pourquoi il prend au
retour de Marcellus beaucoup plus d'intérêt que
Marcellus n'en prenait lui-même. Ils n'avaient jamais
été très liés ensemble ;
Cicéron ne se gênait pas pour le blâmer de
son obstination, et l'on sait que ces caractères
raides et entiers ne lui convenaient pas. Il faut donc qu'il
ait eu pour souhaiter si vivement que Marcellus revînt
à Rome quelque motif plus fort que l'affection qu'il
avait pour lui. Ce motif, qu'il ne dit pas et qu'on devine,
c'est la peur que lui faisait l'opinion publique. Il savait
bien qu'on lui reprochait de n'avoir pas assez fait pour sa
cause, et lui-même s'accusait par moments de l'avoir
abandonnée trop vite. Lorsque du milieu de Rome,
où il passait si joyeusement son temps dans ces
somptueux dîners que lui donnaient Hirtius et
Dolabella, et où il allait, disait-il, pour
égayer un peu sa servitude, il venait à songer
à ces braves gens qui se faisaient tuer en Afrique et
en Espagne, ou qui vivaient en exil dans quelque ville triste
et ignorée de la Grèce, il s'en voulait de
n'être pas avec eux, et la pensée de leurs
souffrances troublait souvent ses plaisirs. Voilà pourquoi il travaillait avec
tant d'ardeur à leur retour. Il lui importait de
diminuer le nombre de ceux dont les misères formaient
un contraste fâcheux avec le bonheur dont il jouissait,
ou qui, par leur fière attitude, paraissaient
condamner sa soumission. Toutes les fois qu'un proscrit
revenait à Rome, il semblait à Cicéron
qu'il se délivrait lui-même d'un remords et
qu'il échappait aux reproches des malveillants. Aussi,
quand il eut obtenu, contre son attente, la grâce de
Marcellus, sa joie ne connut-elle pas de bornes. Elle alla
jusqu'à lui faire oublier la résolution qu'il
avait prise de se taire, et à laquelle il avait
été fidèle pendant deux ans. Il prit la
parole dans le sénat pour remercier César, et
prononça le célèbre discours qui nous
est resté (12).
La réputation de ce
discours a eu des fortunes très diverses. On l'a
longtemps admiré sans réserve, et au
siècle dernier, le bon Rollin le regardait comme le
modèle et le dernier terme de l'éloquence ;
mais cet enthousiasme a beaucoup diminué depuis qu'on
est devenu moins sensible à l'art de louer
délicatement les princes, et qu'on fait plus de cas
d'une parole franche et libre que des flatteries les plus
ingénieuses. Il est certain qu'on souhaiterait parfois
dans ce discours un peu plus de dignité. On est
surtout choqué de la façon dont les souvenirs
délicats de la guerre civile y sont rappelés.
Il fallait n'en rien dire ou en parler plus fièrement.
Devait-on par exemple dissimuler les motits que les
républicains avaient de prendre les armes et
réduire toute la lutte à un conflit d'ambition
entre deux grands personnages ? Etait-ce bien le moment,
après la défaite de Pompée, d'immoler
Pompée à César, et d'affirmer avec cette
assurance qu'il aurait moins bien usé de la victoire ?
Pour ne point juger trop sévèrement ces
concessions que Cicéron se croit obligé de
faire au parti victorieux, nous avons besoin de nous rappeler
en quelles circonstances fut prononcé ce discours.
C'était la première fois qu'il parlait en
public depuis Pharsale. Dans ce sénat
épuré par César et qu'il avait rempli de
ses créatures, on n'avait pas encore entendu une voix
libre. Les amis et les admirateurs du maître avaient
seuls la parole, et quelque excès que nous trouvions
dans les éloges que Cicéron lui donne, on peut
être assuré que toutes ces flatteries durent
sembler tièdes au prix de celles qu'on entendait tous
les jours. Ajoutons que, comme personne n'avait encore
osé faire l'essai de la tolérance de
César, on n'en connaissait pas exactement les limites.
Or, il est naturel que celui qui ne sait pas au juste
où commence la témérité redoute
toujours un peu d'être téméraire.
Lorsqu'on ignore la mesure de la liberté permise, la
crainte de la dépasser peut empêcher quelquefois
de l'atteindre. D'ailleurs cet orateur qui parlait pour un
exilé était lui-même un des vaincus. Il
connaissait toute l'étendue des droits que
conférait alors la victoire, et il n'essaye pas de la
dissimuler. «Nous avons été
défaits, dit-il à César, vous pouviez
légitimement nous faire tous mourir» (13). Aujourd'hui les
choses sont bien changées. L'humanité a
diminué ces droits impitoyables, et le vaincu, qui le
sait, ne s'abandonne pas aussi facilement lui-même : du
moment qu'il ne court plus les mêmes dangers, il lui
est facile d'avoir plus de courage ; mais quand il se
trouvait en présence d'un maître qui avait sur
lui un pouvoir absolu, quand il savait qu'il ne tenait la
liberté et la vie que d'un bienfait toujours
révocable, sa parole ne pouvait plus avoir la
même assurance, et il ne serait pas juste d'appeler
timidité la réserve qu'imposait une situation
si périlleuse. Il reste enfin une dernière
manière plus simple et probablement plus vraie que les
autres d'expliquer ces éloges un peu trop
intempérants qu'on a reprochés à
Cicéron, c'est de reconnaître qu'ils
étaient sincères. Plus les droits du vainqueur
étaient grands, plus il était beau d'y
renoncer, et le mérite augmentait encore quand on y
renonçait en faveur d'un homme qu'on avait des motifs
légitimes de haïr. Aussi l'émotion
fut-elle très grande parmi les sénateurs quand
ils virent César pardonner à son ennemi
personnel, et Cicéron la partagea. Ce qui prouve que
toutes ces effusions de joie et de reconnaissance dont son
discours est rempli ne sont pas seulement des mensonges
oratoires, c'est qu'on les retrouve dans une lettre qu'il
adresse à Sulpicius et qui n'était pas
écrite pour le public. «Ce jour m'a paru si
beau, lui dit-il en lui racontant celle mémorable
séance du sénat, que j'ai cru voir la
république renaître !» (14) C'est aller bien
loin, et rien ne ressemble moins au réveil de la
république que cet acte arbitraire d'un maître
faisant grâce à des gens qui n'étaient
coupables que d'avoir bien servi leur pays. Cette violente
hyperbole n'en est pas moins la preuve de l'émotion
profonde et sincère que causait alors à
Cicéron la clémence de César. On sait
combien cette vive nature était ouverte aux
impressions du moment. Il se laisse ordinairement saisir avec
tant de force par l'admiration ou la haine qu'il est rare
qu'il garde la mesure en les exprimant. C'est de là
que sont venus, dans le discours pour Marcellus, quelques
éloges hyperboliques et quelques excès de
compliments dont il est aisé de se rendre compte,
quoiqu'on aimât mieux ne pas les y rencontrer.
Une fois ces
réserves faites, il ne reste plus qu'à admirer.
Le discours de Cicéron ne contient pas seulement des
flatteries, comme on le prétend, et ceux qui le lisent
avec soin et sans prévention y trouvent autre chose.
Après avoir remercié César de sa
clémence, il se permet de lui dire quelques
vérités et de lui donner quelques conseils.
Cette seconde partie, qui se cache un peu aujourd'hui sous
les splendeurs de l'autre, est bien plus curieuse, quoique
moins éclatante, et elle a dû produire en son
temps plus d'effet. Bien qu'il ait refait son ouvrage avant
de le publier, comme c'était son habitude, il a
dû y conserver le mouvement de l'improvisation. S'il
n'a pas trouvé du premier coup ces belles
périodes, les plus sonores et les plus pompeuses de la
langue latine, il est probable au moins qu'il n'a pas
changé grand'chose à l'ordre des idées
et à la suite du discours. On sent qu'il s'anime et
s'échauffe peu à peu, et qu'à mesure
qu'il avance il ose davantage. Le succès de sa belle
parole, dont on était privé depuis si
longtemps, les applaudissements de ses amis, l'admiration et
la surprise des sénateurs nouveaux qui ne l'avaient
pas encore entendu, cette sorte d'ivresse qu'on
éprouve soi-même à parler quand on
s'aperçoit qu'on vous écoute, enfin le lieu
même où il parle, ces murailles du sénat,
auxquelles il fait allusion dans son discours, et qui
gardaient le souvenir de tant de voix éloquentes et
libres, tout lui redonne du coeur. Il oublie les
précautions timides du début, et l'audace lui
revient avec le succès. N'est-ce pas attaquer
indirectement le pouvoir absolu que de dire : «Je
souffre de voir que le destin de la république, qui
doit être immortelle, dépende tout entier de la
vie d'un homme qui doit mourir» (15) ? Et que penser de
cette autre parole, plus vive encore, presque cruelle :
«Vous avez beaucoup fait pour enlever l'admiration des
hommes ; vous n'avez pas fait assez pour mériter leurs
éloges» (16) Que faut-il donc que
César fasse pour que l'avenir puisse le louer autant
qu'il l'admirera ? Il faut qu'il change ce qui existe :
«La république ne peut pas rester comme elle
est». Il ne s'explique pas, mais on devine ce qu'il
veut. C'est la liberté qu'il souhaite, non pas cette
liberté entière dont on avait joui
jusqu'à Pharsale, mais une liberté
réglée et modérée, compatible
avec un pouvoir fort et victorieux, la seule que Rome
pût alors supporter. Il est clair qu'en ce moment
Cicéron ne croyait pas qu'il fût impossible
d'arriver à une transaction entre César et la
liberté. Un homme qui renonçait avec tant
d'éclat à l'un des droits les moins
contestés de la victoire ne pouvait-il pas être
tenté de renoncer plus tard aux autres ? Et quand on
le voyait si clément et si généreux
envers les particuliers, était-il défendu de
croire qu'il pourrait bien faire un jour cette
libéralité à sa patrie ? Quelque faible
que fût cette espérance, comme alors il n'y en
avait pas d'autre, un honnête homme et un bon citoyen
ne devaient pas la laisser perdre, et c'était leur
devoir d'encourager César par tous les moyens à
la réaliser. Ils n'étaient donc pas coupables
de le louer avec effusion de ce qu'il avait fait pour le
pousser à faire plus encore, et il me semble que les
éloges dont l'accable Cicéron, quand on songe
au dessein qu'il avait en les lui donnant, perdent un peu cet
air d'esclavage qu'on leur a reproché.
César écoula les compliments avec plaisir et
les conseils sans colère. Il était trop heureux
que Cicéron renonçât enfin à se
taire pour songer à se fâcher de ce qu'il avait
dit. Il lui importait que cet homme d'Etat sur lequel on
avait les yeux rentrât de quelque façon dans la
vie publique. Cette grande voix qui s'obstinait à
rester muette semblait protester contre le gouvernement
nouveau. En n'essayant même pas de le contredire, elle
laissait croire qu'on n'avait pas la liberté de le
faire et faisait paraître l'esclavage plus lourd. On
était donc si content d'entendre encore la parole de
Cicéron qu'on le laissait parler comme il voulait. Il
s'en aperçut vite, et il en profita. A partir de ce
moment, quand il parle en public, on sent qu'il est plus
à son aise. Son ton se raffermit, et il s'embarrasse
moins de compliments et d'éloges. C'est qu'avec le
discours pour Marcellus il avait fait l'essai des
libertés qu'il pouvait prendre. Le terrain une fois
sondé, il était plus maître de ses pas et
marchait avec assurance.
Telle fut la situation de
Cicéron pendant la dictature de César ; on voit
bien qu'elle n'était pas aussi humble qu'on l'a
prétendu, et que, dans un temps de despotisme, il a su
rendre quelques services à la liberté. Ces
services ont été généralement
méconnus ; je n'en suis pas surpris. Il en est un peu
des hommes comme des oeuvres d'art : quand on les voit
à distance, on n'est frappé que des situations
franches et des attitudes bien dessinées ; les
détails et les nuances échappent. On comprend
bien ceux qui se livrent entièrement au vainqueur,
comme Curion ou Antoine, ou ceux qui lui résistent
sans repos, comme Labiénus et Caton. Quant à
ces esprits ingénieux et flexibles qui fuient toute
extrémité, qui vivent adroitement entre la
soumission et la révolte, qui tournent les
difficultés plus qu'ils ne les forcent, qui ne se
refusent pas à payer de quelques flatteries le droit
de dire quelques vérités, on est toujours
tenté de leur être sévère. Comme
on ne peut pas bien démêler leur attitude dans
ce lointain d'où on les regarde, leurs moindres
complaisances paraissent des lâchetés, et il
semble qu'ils se prosternent quand ils ne font que saluer. Ce
n'est qu'en se rapprochant d'eux, c'est-à-dire en
étudiant les faits de plus près, qu'on arrive
à leur rendre justice. Je crois que cette étude
minutieuse n'est pas défavorable à
Cicéron, et qu'il ne se trompait pas lorsqu'il disait
plus tard, en parlant de cette époque de sa vie, que
son esclavage n'avait pas été sans quelque
honneur ; quievi cum aliqua dignitate (17).
II
En rendant compte des rapports de Cicéron et de
César après Pharsale, j'ai volontairement omis
de parler de la lutte courtoise qu'ils se livrèrent
à propos de Caton. C'est un incident si curieux qu'il
m'a semblé mériter la peine d'être
étudié à part, et, pour mieux comprendre
les sentiments que chacun des deux apporta à cette
lutte, peut-être n'est-il pas inutile de commencer par
bien connaître le personnage qui fut l'objet du
débat.
On se fait
généralement une idée assez juste de
Caton, et ceux qui l'attaquent comme ceux qui l'admirent sont
à peu près d'accord sur les traits principaux
de son caractère. Ce n'était pas une de ces
natures fuyantes et multiples, comme Cicéron, qu'il
est si difficile de saisir. Au contraire, personne ne fut
jamais plus absolu, plus uniforme que lui, et il n'y a pas de
figure dans l'histoire dont les qualités et les
défauts soient aussi nettement marqués. Le seul
danger pour ceux qui l'étudient, c'est d'être
tentés d'exagérer encore ce relief vigoureux.
Avec un peu de bonne volonté, il est facile de faire
de cet opiniâtre un têtu, de cet homme franc et
sincère un rustre et un brutal, c'est-à-dire
d'avoir la charge et non le portrait de Caton. Pour
éviter de tomber dans cet excès, il convient,
avant de parler de lui, de relire une petite lettre qu'il
adressait à Cicéron, proconsul en Cilicie
(18). Ce billet
est tout ce qui nous reste de Caton, et je serais surpris
qu'il n'étonnât pas beaucoup ceux qui se sont
fait de lui une idée préconçue. Il n'y a
là ni rudesse ni brutalité, mais au contraire
beaucoup de finesse et d'esprit. L'occasion était
très délicate : il s'agissait de refuser
à Cicéron une faveur qu'il souhaitait beaucoup
obtenir. Il avait eu sur ses vieux jours la
velléité d'être un victorieux, et il
demandait au sénat de voter des actions de
grâces aux dieux pour le succès de la campagne
qu'il venait de faire. En général, le
sénat se montra complaisant à ce caprice, Caton
presque seul résista ; mais il ne voulait pas non plus
se brouiller avec Cicéron, et la lettre qu'il lui
écrivit pour justifier son refus est un chef-d'oeuvre
d'habileté. Il lui prouve qu'en s'opposant à sa
demande il entend mieux que lui les intérêts de
sa gloire. S'il ne veut pas remercier les dieux des
succès que Cicéron a obtenus, c'est qu'il croit
que Cicéron ne les doit qu'à lui-même. Ne
vaut il pas mieux qu'on en reporte sur lui tout l'honneur que
si on l'attribuait au hasard ou à la protection du
ciel ? Voilà certainement une façon fort
aimable de refuser, et qui ne laissait pas même
à Cicéron, tout mécontent qu'il
était, le droit de se mettre en colère. Caton
était donc un homme d'esprit à ses heures,
quoique au premier abord on ait quelque peine à le
supposer. Son caractère s'était assoupli dans
l'étude assidue qu'il avait faite des lettres
grecques; il vivait au milieu d'un monde
élégant, et, sans le vouloir, il en avait pris
quelque chose. C'est ce que nous fait soupçonner cette
lettre spirituelle, et il faut nous souvenir d'elle et avoir
soin de la relire toutes les fois que nous serons
tentés de nous le figurer comme un paysan
malappris.
Il faut avouer cependant
que d'ordinaire il était raide et obstiné, dur
pour lui-même et sévère aux autres.
C'était la pente de son humeur ; il y ajouta par sa
volonté. La nature n'est pas seule coupable de ces
caractères entiers et absolus qu'on rencontre, et une
certaine recherche d'originalité piquante, un peu de
complaisance qu'on a pour soi-même font bien souvent
qu'on aide la nature et qu'on l'accuse avec plus de vigueur.
Caton était entraîné à ce
défaut par le nom même qu'il portait. L'exemple
de son illustre aïeul était toujours devant ses
yeux, et son unique étude fut de lui ressembler sans
tenir compte de la différence des temps et des hommes.
En imitant, on exagère. Il y a toujours un peu
d'effort et d'excès dans les vertus qu'on essaye de
reproduire. On ne prend que les endroits les plus saillants
de son modèle,et l'on néglige les autres, qui
les tempèrent. C'est ce qui arriva à Caton, et
Cicéron le blâme justement de n'avoir
imité que les côtés rudes et durs de son
grand-père. «Si vous laissiez prendre, lui
dit-il, à l'austérité de votre sagesse
quelques teintes de ses moeurs gaies et faciles, vos
qualités en seraient plus agréables»
(19). Il est
certain qu'il y avait chez le vieux Caton une pointe de verve
piquante, de gaieté rustique, de bonhomie railleuse
que son petit-fils ne connaissait pas. Il ne prit de lui que
la rudesse et l'obstination, qu'il poussa à
l'extrême.
De tous les excès,
le plus dangereux peut-être est l'excès du bien
; c'est au moins celui dont il est le plus difficile de se
corriger, car le coupable s'applaudit lui-même, et
personne n'ose le reprendre. Ce fut le défaut de Caton
en toute chose de ne pas connaître de mesure. A force
de vouloir être ferme dans son opinion, il se rendait
inflexible aux conseils de ses amis et aux leçons de
l'expérience. La pratique de la vie, cette
maîtresse impérieuse, pour parler comnme
Bossuet, n'avait pas de prise sur lui. Son énergie
allait jusqu'à l'obstination, et son
honnêteté avait quelquefois le tort d'être
trop scrupuleuse. Ce furent ces délicatesses
exagérées qui l'empêchèrent de
réussir quand il brigua les fonctions publiques. Le
peuple était fort exigeant pour ceux qui lui
demandaient ses suffrages. Pendant tout le reste de
l'année, il se laissait mener et malmener ; mais le
jour des élections il savait qu'il était le
maître, et se plaisait à le montrer. On ne
parvenait pas à le gagner, si l'on ne flattait tous
ses caprices. Cicéron s'est souvent moqué de
ces malheureux et obligeants candidats (natio
officiosissima candidatorum) qui vont le matin frapper
à toutes les portes, qui passent leur temps en visites
et en compliments, qui se font un devoir d'accompagner tous
les généraux quand ils rentrent dans Rome ou
qu'ils en sortent, qui forment le cortège de tous les
orateurs influents, et qui sont forcés d'avoir des
égards et des respects infinis pour tout le monde.
Parmi les gens du peuple, desquels en définitive
dépendait l'élection, les plus honnêtes
voulaient être flattés, les autres exigeaient
qu'on les achetât. Caton n'était pas homme
à faire plus l'un que l'autre. Il ne voulait ni
flatter ni mentir ; encore moins consentait-il à
payer. Quand on le pressait d'offrir ces repas et ces
présents que depuis longtemps les candidats n'osaient
plus refuser, il répondait brusquement : «Est-ce
un trafic de plaisir que vous faites avec une jeunesse
débauchée, ou le gouvernement du monde que vous
demandez au peuple romain ?» Et il ne cessait de
répéter cette maxime «qu'il ne faut
solliciter que par son mérite» (20) Dure parole ! disait
Ci-céron, et qu'on n'était pas accoutumé
à entendre dans un temps où toutes les
dignités étaient à vendre. Elle
déplut au peuple, qui profitait de cette
vénalité, et Caton, qui s'obstinait à ne
solliciter que par son mérite, fut presque toujours
vaincu par ceux qui sollicitaient avec leur argent.
Les caractères de ce genre, honnêtes et absolus,
se rencontrent, à des degrés différents,
dans la vie privée comme dans la vie publique. A ce
titre, ils sont du domaine de la comédie aussi bien
que de l'histoire. Si je ne craignais de manquer à la
gravité de personnage que j'étudie, je dirais
que cette fière réponse que je viens de citer
me fait involontairement songer à l'une des plus
belles créations de notre théâtre. C'est
un Caton aussi que Molière a voulu peindre dans le
Misanthrope. A la vérité, il s'agit
seulement de la fortune d'un particulier et non pas du
gouvernement du monde, et il n'est plus question que d'un
procès civil ; mais à ce propos le Caton de la
comédie parle tout à fait comme l'autre. Il ne
veut pas non plus se plier aux usages qu'il n'approuve pas.
Même au risque de perdre son procès, il ne
visitera pas ses juges, et quand on lui dit :
Et qui voulez-vous donc qui pour vous sollicite
?
il répond aussi fièrement que Caton :
Qui je veux ? La raison, mon bon droit,
l'équité.
Quoi qu'on fasse, ces personnages inspirent toujours un grand
respect. Le coeur manque lorsqu'on veut les blâmer, et
cependant il faut avoir le courage de le faire. Ce n'est pas
avec ces exagérations et ces partis pris de rigueur
que la probité, l'honneur, la liberté, toutes
les nobles causes enfin, veulent être défendues.
Elles ont assez de désavantages par elles-mêmes
dans la lutte qu'elles livrent à la corruption et
à la licence, sans qu'on les fasse plus
déplaisantes encore par une raideur et une
sévérité inutiles. Exagérer les
scrupules, c'est désarmer la vertu. C'est bien assez
qu'elle soit forcée d'être grave ; pourquoi
vouloir la rendre rebutante ? Sans rien sacrifier des
principes, il est des points sur lesquels elle doit savoir
céder aux hommes pour les dominer. Ce qui prouve que
ces gens qui se piquent de ne céder jamais ont tort,
c'est qu'ils ne sont pas aussi intraitables qu'ils le
supposent, et que, malgré leur résistance, ils
finissent toujours par faire quelques concessions. Cet
austère, ce rigoureux Alceste, il est du monde
après tout, et du meilleur. Il vit à la cour,
et on le reconnaît bien, je ne dis pas seulement
à ses manières et à sa tournure, quoique
je me figure l'homme aux rubans verts mis avec goût et
élégance, mais à ces atténuations
qu'il emploie, à ces faux-fuyants de politesse qui
sont des menonges aussi, et qu'il ne souffrirait pas chez
Philinte. Avant d'éclater contre le grand seigneur au
sonnet, il prend des formules adroites où la
vérité ne se laisse qu'entrevoir :
Est-ce qu'à mon sonnet vous trouvez à redire
?
- Je ne dis pas cela.
Ce je ne dis pas
cela, qu'il répète si souvent, qu'est-ce
autre chose, à le juger avec la rigueur du
misanthrope, qu'une condescendance et une faiblesse coupables
? Rousseau le reproche durement à Alceste, et je ne
crois pas qu'Alceste, s'il reste fidèle à ses
principes, trouve rien à répondre à
Rousseau. Il ne serait pas difficile non plus de montrer dans
Caton des démentis de ce genre. Ce rigoureux ennemi de
la brigue, qui d'abord ne voulait rien faire pour le
succès de ses candidatures, il finit par solliciter :
il allait sur le champ de Mars, comme tout le monde, serrer
la main des citoyens et demander leur voix. «Eh quoi !
lui disait ironiquement Cicéron, que ces
contradictions mettaient en bonne humeur, est-ce à
vous de venir me demander mon suffrage ? N'est-ce pas moi
plutôt qui dois remercier un homme de votre
mérite qui veut bien braver les fatigues et les
périls pour moi (21) ?» Il faisait
plus, ce sévère ennemi du mensonge : il avait
un de ces esclaves, appelés nomenclateurs, qui
savaient le nom et la profession de tous les citoyens de
Rome, et il s'en servait, comme les autres, pour faire croire
aux pauvres électeurs qu'il les connaissait.
«N'est-ce pas abuser et tromper le public ?»
disait Cicéron, et Cicéron n'avait pas tort. Ce
qu'il y a de plus triste, c'est que ces concessions, qui
compromettent la dignité et l'unité d'un
caractère, ne servent de rien : on les fait
généralement de mauvaise grâce et trop
tard ; elles n'effacent pas le souvenir des rudesses
passées et ne gagnent plus personne. Malgré ses
sollicitations tardives et l'aide de son nomenclateur, Caton
n'arriva point au consulat, et Cicéron le blâme
sévèrement des maladresses qui le firent
échouer. Il pouvait sans doute se passer d'être
consul ; mais la république avait besoin qu'il le
fût, et aux yeux de beaucoup de bons citoyens
c'était presque l'abandonner et la trahir que de
favoriser, par des raffinements de scrupules et des
exagérations d'honnêteté, le triomphe des
plus méchants.
Encore comprend-on ces
exagérations et ces excès chez un homme qui a
l'intention de fuir l'approche des humains, comme Alceste ;
mais ils ne sont plus pardonnables quand on veut vivre avec
eux, et encore moins quand on aspire à les gouverner.
Le gouvernement des hommes est quelque chose de
délicat et de difficile qui demande qu'on ne commence
pas par rebuter ceux qu'on se propose de conduire. On doit
assurément avoir l'intention de les rendre meilleurs,
mais il faut commencer par les prendre comme ils sont. C'est
la première loi de la politique de ne vouloir que ce
qui est possible. Caton méconnut souvent cette loi. Il
ne savait pas se plier à ces ménagements sans
lesquels on ne gouverne pas les peuples ; il n'avait pas
assez de souplesse dans le caractère ni ce
degré d'intrigue honnête qui fait réussir
dans les choses qn'on entreprend ; il manquait de ce liant
qui rapproche les ambitions opposées, qui calme les
jalousies rivales, qui groupe des gens divisés
d'humeurs, d'opinions, d'intérêts, autour d'un
homme. Il ne pouvait être qu'une protestation
éclatante contre les moeurs de son temps ; il
n'était pas un chef de parti. Osons le dire,
malgré le respect que nous éprouvons pour lui,
son âme était obstinée, parce que son
esprit était étroit. Il ne voyait pas d'abord
les points sur lesquels on doit se relâcher et ceux
qu'il faut défendre jusqu'à la fin. Disciple
des stoïciens, qui disaient que toutes les fautes sont
égales, c'est-à-dire, suivant la plaisanterie
de Cicéron, qu'il y a autant de mal à tuer un
poulet sans nécessité qu'à
étrangler son père, il avait appliqué
cette étrange et dure théorie à la
politique. Enfermé dans la légalité
stricte, il en défendait les moindres vétilles
avec un acharnement fâcheux. Son admiration pour le
passé ne savait pas choisir. Il imitait les anciens
costumes comme il suivait les vieilles maximes, et il
affectait de ne pas porter de tunique sous sa toge, parce que
Camille n'en avait pas. Son manque d'étendue dans
l'esprit, son zèle étroit et obstiné,
furent plus d'une fois nuisibles à la
république. Plutarque lui reproche d'avoir jeté
Pompée dans les bras de César en lui refusant
quelques satisfactions de vanité sans importance.
Cicéron le blâme d'avoir
mécontenté les chevaliers, qu'il avait eu tant
de peine à rapprocher du sénat. Sans doute les
chevaliers faisaient des demandes déraisonnables, mais
il devait tout leur accorder plutôt que de les laisser
apporter à César l'appui de leurs immenses
richesses. C'est à cette occasion que Cicéron
disait de lui : «Il se croit dans la république
de Platon et non dans la boue de Romulus» (22), et ce mot est
resté comme celui qui caractérise le mieux
cette politique maladroite qui, en exigeant trop des hommes,
finit par n'en rien obtenir.
Le rôle naturel de Caton, c'était la
résistance. Il ne s'entendait pas à discipliner
et à conduire un parti ; il était admirable
quand il s'agissait de tenir tête à un
adversaire. Il employait pour le vaincre une tactique qui lui
a souvent réussi : quand il voyait qu'on allait
prendre une décision qui lui semblait funeste, et
qu'il fallait à tout prix empêcher le peuple de
voter, il prenait la parole et ne la quittait plus. Plutarque
dit qu'il pouvait parler tout un jour sans se fatiguer. Les
murmures, les cris, les menaces, rien ne lui faisait peur.
Quelquefois un licteur l'arrachait de la tribune ; mais
dès qu'il était libre, il y remontait. Un jour,
le tribun Trébonius fut tellement impatienté de
cette résistance qu'il le fit conduire en prison :
Caton, sans se troubler, continua sa harangue en marchant, et
la foule le suivit pour l'entendre. Il est à remarquer
qu'il n'était pas véritablement impopulaire :
le peuple, qui aime le courage, finissait par être
dompté par ce sang-froid opiniâtre et cette
invincible énergie. Il lui est arrivé de se
déclarer quelquefois pour lui, contrairement à
son intérêt et à ses
préférences, et César, tout-puissant sur
la populace, redoutait cependant les boutades de Caton.
Il n'en est pas moins vrai que, comme je l'ai
déjà dit, Caton ne pouvait pas être un
chef de parti, et ce qui est plus triste, c'est que le parti
pour lequel il combattait n'avait pas de chef. C'était
une réunion de gens d'esprit et de grands personnages,
dont aucun n'avait les qualités nécessaires
pour dominer les autres. Sans parler de Pompée qui
n'était qu'un allié douteux dont on se
méfiait, parmi les autres, Scipion rebutait tout le
monde par sa hauteur et ses cruautés ; Appius Claudius
n'était qu'un augure convaincu qui croyait aux poulets
sacrés ; Marcellus manquait de souplesse et
d'aménité, et il reconnaît lui-même
que presque personne ne l'aimait ; Servius Sulpicius avait
toutes les faiblesses d'un jurisconsulte pointilleux ; enfin
Cicéron et Caton péchaient par les excès
opposés, et il aurait fallu les unir tous les deux ou
les modifier l'un par l'autre pour avoir un politique
complet. Il n'y avait donc que des individualités
brillantes, et point de chef, dans le parti
républicain avant Pharsale, et même on peut dire
que, comme ces amours-propres jaloux et ces vanités
rivales s'étaient mal fondus ensemble, c'est à
peine s'il y avait un parti.
La guerre civile, qui fut un écueil pour tant
d'autres, qui mit à nu tant de petitesses et de
lâchetés, fut au contraire ce qui
révéla toute la bonté et toute la
grandeur de Caton. Il se fit alors une sorte de crise dans
son caractère. De même que dans certaines
maladies l'approche des derniers moments donne plus
d'élévation et de lucidité à
l'esprit, de même il semble qu'à la menace de
cette grande catastrophe qui allait engloutir les
institutions libres de Rome, l'âme honnête de
Caton se soit encore épurée, et que son
intelligence ait puisé dans le sentiment des dangers
publics une vue plus juste de la situation. Tandis que la
peur rend les autres exagérés, il se corrige de
ses exagérations ordinaires ; en songeant aux
périls que court la république, il devient tout
d'un coup sage et modéré. Lui qui était
toujours prêt à tenter des résistances
inutiles, il conseille de céder à César,
il veut qu'on lui accorde ce qu'il demande, il se
résigne à toutes les concessions pour
éviter la guerre civile. Quand elle éclate, il
la subit avec tristesse, et il essaye par tous les moyens
d'en diminuer les horreurs. Toutes les fois qu'on le
consulte, il est du côté de la modération
et de la douceur. Au milieu de ces jeunes gens, héros
des sociétés polies de Rome, parmi ces beaux
esprits lettrés et élégants, c'est le
rude Caton qui défend la cause de l'humanité.
Il fait décider, malgré les emportements des
pompéiens fougueux, qu'aucune ville ne sera
pillée, qu'aucun citoyen ne sera tué en dehors
du champ de bataille. Il semble que l'approche des
calamités qu'il prévoit ait attendri ce coeur
énergique. Le soir du combat de Dyrrhachium, tandis
que tout le monde se réjouissait dans le camp de
Pompée, Caton seul, en voyant les cadavres
étendus de tant de Romains, Caton pleura : nobles
larmes, dignes de celles que versa Scipion sur la ruine de
Carthage, et dont l'antiquité a si souvent
rappelé le souvenir ! Sous la tente, à
Pharsale, il blâmait sévèrement ceux qui
ne parlaient que de massacrer et de proscrire et qui se
partageaient d'avance les maisons et les terres des vaincus.
Il est vrai qu'après la défaite, lorsque la
plupart de ces exagérés étaient aux
genoux de César, Caton allait lui chercher partout des
ennemis et ranimer la guerre civile aux
extrémités du monde. Autant il voulait qu'on
cédât avant la bataille, autant il était
décidé à ne pas se soumettre quand il
n'y avait plus d'espoir d'être libre. On connaît
son héroïque résistance en Afrique, non
seulement contre César, mais contre les furieux du
parti républicain, toujours prêts à
commettre quelque excès. On sait comment après
Thapsus, quand il vit que tout était perdu, il ne
voulut pas accepter le pardon du vainqueur et se tua à
Utique.
Cette mort eut un immense
retentissement dans tout le monde romain. Elle fit rougir
ceux qui commençaient à s'accoutumer à
l'esclavage ; elle rendit une sorte d'élan aux
républicains découragés et ranima
l'opposition. De son vivant, Caton n'avait pas toujours rendu
de bons services à son parti, il lui fut très
utile après sa mort. La cause proscrite avait
désormais son idéal et son martyr. Ce qui lui
restait de partisans se réunit et s'abrita sous ce
grand nom. A Rome surtout, dans cette grande ville
inquiète et remuante, où tant de gens
courbaient la tête sans se résigner, sa
glorification devint le thème ordinaire des
mécontents. «On se battit autour du corps de
Caton, dit M. Mommsen, comme à Troie on s'était
battu autour du cadavre de Patrocle». Fabius Gallus,
Brutus, Cicéron, et beaucoup d'autres sans doute que
nous ne connaissons pas, écrivirent son éloge.
Cicéron commença le sien à la demande de
Brutus. Il fut d'abord rebuté par la difficulté
du sujet : «c'est un ouvrage d'Archimède»,
disait-il (23) ;
mais en avançant il prit goût à son
travail, et il l'acheva avec une sorte d'enthousiasme. Ce
livre n'est pas arrivé jusqu'à nous ; nous
savons seulement que Cicéron y faisait une apologie
complète et sans réserve de Caton : «il
l'élève jusqu'aux cieux» (24), dit Tacite. Ils
avaient été cependant plus d'une fois en
désaccord, et il en parle sans beaucoup de
ménagements dans plusieurs endroits de sa
correspondance ; mais, comme il arrive, la mort raccommoda
tout. D'ailleurs Cicéron, qui se reprochait de n'avoir
pas assez fait pour son parti, était heureux de
trouver une occasion de lui payer sa dette. Son livre, que
recommandaient à la fois le nom de l'auteur et celui
du héros, eut un si grand succès que
César en fut inquiet et mécontent. Il se garda
bien cependant de laisser voir sa mauvaise humeur ; au
contraire, il s'empressa d'écrire une lettre flatteuse
à Cicéron pour le féliciter du talent
qu'il avait déployé dans son ouvrage. «En
le lisant, lui disait-il, je sens que je deviens plus
éloquent» (25). Au lieu d'employer
aucune mesure de rigueur, comme on pouvait le craindre, il
pensa que la plume seule, suivant l'expression de Tacite,
devait venger les attaques que la plume avait faites. Par son
ordre, son lieutenant et son ami Hirtius adressa à
Cicéron une longue lettre, qui fut publiée, et
dans laquelle il discutait son livre. Plus tard, comme cette
réponse ne fut pas jugée suffisante,
César lui-même entra dans la lice et au milieu
des soucis que lui causait la guerre d'Espagne, il composa
l'Anti-Caton.
On a justement loué
cette modération de César : elle n'est pas
commune chez les gens qui possèdent une
autorité sans limites, et les Romains disaient avec
raison qu'il est rare qu'on se contente d'écrire quand
on peut proscrire. Ce qui ajoute au mérite de sa
conduite généreuse, c'est qu'il
détestait Caton. Il en parle toujours avec amertume
dans ses Commentaires, et quoiqu'il ait coutume de
rendre justice à ses ennemis, il ne manque pas une
occasion de le décrier. N'a-t-il pas osé
prétendre qu'en prenant les armes contre lui, Caton
cédait à des rancunes personnelles et au
désir de venger les échecs électoraux
(26), quand il
savait bien que personne ne s'est plus
généreusement oublié lui-même pour
ne songer qu'à son pays ! C'est qu'il y avait entre
eux plus que des dissentiments politiques, il y avait des
antipathies de caractère. Les défauts de Caton
devaient être particulièrement
désagréables à César, et ses
vertus étaient de celles que non seulement
César ne chercha pas à acquérir, mais
qu'il ne pouvait pas comprendre. Comment aurait-il
été sensible à ce respect étroit
de la légalité, à cet asservissement aux
vieilles coutumes, lui qui trouvait un plaisir piquant
à se moquer des anciens usages ? Comment un prodigue,
qui avait pris l'habitude de répandre sans compter
l'argent de l'Etat et le sien, pouvait-il rendre justice
à ces scrupules rigoureux que Caton se faisait dans le
maniement des deniers publics, aux soins qu'il apportait
à ses affaires privées, à cette
ambition, étrange pour ce temps, de n'avoir pas plus
de dettes que de biens ? C'étaient là, je le
répète, des qualités que César ne
pouvait pas comprendre. Il était donc sincère
et convaincu quand il les attaquait. Homme d'esprit et de
plaisir, indifférent aux principes, sceptique sur les
opinions, habitué à vivre au milieu d'un monde
léger et poli, il était difficile que Caton lui
semblât autre chose qu'un fanatique et qu'un brutal.
Comme il n'y avait rien qu'il mît au-dessus de la
distinction des sentiments et de la politesse des
manières, un vice élégant lui convenait
mieux qu'une vertu sauvage. Caton au contraire, quoiqu'il ne
fût pas resté étranger à la
culture des lettres et à l'esprit du monde, n'en
était pas moins demeuré au fond un vieux
Romain. Malgré leurs efforts, le monde et les lettres
n'avaient pas pu déraciner tout à fait cette
brusquerie ou, si l'on veut, cette brutalité de formes
qu'il tenait de son tempérament et de sa race, et l'on
en retrouve quelque chose jusque dans ses plus belles
actions. Pour n'en citer qu'un exemple, Plutarque, dans
l'admirable récit qu'il a fait de ses derniers
moments, raconte que, comme un esclave refusait, par
affection pour Caton, de lui donner son épée,
il lui asséna un furieux coup de poing dont sa main
fut ensanglantée. Aux yeux d'un délicat comme
César, ce coup de poing révélait une
nature vulgaire, et je crains bien qu'il ne l'ait
empêché de comprendre la beauté de cette
mort. Le même contraste ou plutôt les mêmes
antipathies se retrouvent dans toute leur conduite
privée. Tandis que César avait pour maxime
qu'il faut tout pardonner à ses amis, et qu'il
poussait la complaisance jusqu'à fermer les yeux sur
leurs trahisons, Caton était trop difficile et trop
regardant pour les siens. Il n'hésita point à
se brouiller, à Chypre, avec Munatius, le compagnon de
toute sa vie, en lui témoignant une méfiance
blessante. Dans son ménage, il était sans doute
un modèle d'honneur et de fidélité ;
cependant il ne sut pas toujours conserver pour sa femme le
respect et les égards qu'elle méritait. On sait
comment il la céda sans façon à
Hortensius, qui la lui demandait, pour la reprendre ensuite
sans scrupule après la mort d'Hortensius. Que la
conduite de César avec la sienne fut
différente, quoiqu'il eût à se plaindre
d'elle ! Un homme avait été surpris la nuit
dans sa maison, les tribunaux instruisaient l'affaire, il
pouvait venger son outrage, il aima mieux l'oublier.
Appelé comme témoin devant les juges, il
déclara qu'il ne savait rien, sauvant ainsi son rival
pour conserver la réputation de sa femme. Il ne la
répudia que plus tard, quand le bruit de l'aventure se
fut dissipé. C'était agir en homme du monde et
qui sait vivre. Ici encore, entre Caton et lui, c'est le
moins scrupuleux et au fond le moins honorable des deux,
c'est le mari volage et libertin qui, par une certaine
délicatesse naturelle, met l'avantage de son
côté.
Ces contrastes de conduite, ces oppositions de
caractère, me semblent expliquer mieux encore que tous
les différends politiques la façon dont
César traitait Caton dans son ouvrage. Les fragments
qui en restent et le témoignage de Plutarque prouvent
qu'il l'attaquait avec une extrême violence, et qu'il
essayait de le rendre à la fois ridicule et odieux. Il
eut beau faire, sa peine fut perdue. On continua,
malgré lui, de lire et d'admirer le livre de
Cicéron. Non seulement la réputation de Caton
survécut aux outrages de César, mais elle
grandit encore sous l'empire. A l'époque de
Néron, quand le despotisme était le plus lourd,
Thraséa écrivit de nouveau son histoire,
Sénèque le cite à chaque page de ses
livres, et jusqu'à la fin il fut l'orgueil et le
modèle des honnêtes gens qui, dans l'abaissement
général des caractères, conservaient
quelque sentiment d'honneur et de dignité. Ils
étudiaient encore plus sa mort que sa vie, car on
avait surtout besoin alors d'apprendre à mourir, et
quand cette triste nécessité se
présentait, c'était son exemple qu'on se
mettait devant les yeux et son nom qu'on avait à la
bouche. C'est assurément une grande gloire que d'avoir
soutenu et consolé tant de nobles coeurs dans ces
cruelles épreuves, et je crois bien que Caton n'en
aurait pas souhaité d'autre.
III
La conséquence à tirer de la conduite de
César après Pharsale et de ses rapports avec
Cicéron, c'est qu'à ce moment il voulait se
rapprocher du parti républicain. Il lui était
difficile de faire autrement. Tant qu'il s'était agi
de renverser la république, il avait accepté
l'appui de tout le monde, et les plus méchants
étaient venus à lui de
préférence. «Quand un homme était
perdu de dettes et manquait de tout, dit Cicéron, s'il
était prouvé de plus qu'il fût un
scélérat capable de tout oser, César en
faisait son ami» (27) ; mais tous ces gens
sans scrupules et sans principes, excellents pour renverser
un pouvoir établi, ne valent rien pour établir
un pouvoir nouveau. Il était impossible que le
gouvernement de César inspirât quelque confiance
tant qu'on ne verrait pas auprès du maître, et
à côté de ces gens de coup de main qu'on
avait appris à craindre, quelques personnages
honorables qu'on eût l'habitude de respecter. Or, les
personnages de ce genre se trouvaient surtout parmi les
vaincus. Il faut ajouter qne ce n'était pas la
pensée de César qu'un parti seul profitât
de sa victoire. Il avait une autre ambition que de
travailler, comme Marius ou Sylla, au triomphe d'une faction
: il voulait fonder un gouvernement nouveau, et il appelait
des hommes d'opinion différente à l'aider dans
son entreprise. On a prétendu qu'il avait
cherché à réconcilier les partis, et on
lui en a fait de grands compliments. L'éloge n'est pas
tout à fait juste : il ne les réconciliait pas,
il les annihilait. Dans le régime monarchique qu'il
voulait établir (28), les anciens partis
de la république n'avaient pas de place. ïl
s'était adroitement servi des discussions du peuple et
du sénat pour les dominer tous les deux ; le premier
résultat de sa victoire fut de les mettre à
l'écart l'un et l'autre, et l'on peut dire
qu'après Pharsale, à l'exception de
César lui-même, il n'y avait plus que des
vaincus. C'est ce qui explique qu'une fois victorieux il se
soit servi indifféremment des partisans du
sénat comme des démocrates. Cette
égalité qu'il mettait entre eux était
naturelle, puisqu'ils étaient tous devenus
également et sans distinction ses sujets. Il savait
bien seulement qu'en acceptant les services d'anciens
républicains il n'aurait pas des instruments toujours
dociles, qu'il serait forcé de leur accorder une
certaine indépendance d'action et de parole, de
conserver, au moins pour les dehors, quelque apparence de
république ; mais cela même ne lui faisait pas
trop de peine. Il n'avait pas pour la liberté ces
répugnances invincibles des princes qui, étant
nés sur un trône absolu, n'en connaissent le nom
que pour la redouter et la maudire. Il avait vécu
vingt-cinq ans avec elle, il en avait pris l'habitude, il en
connaissait l'importance. Aussi ne chercha-t-il pas à
la détruire entièrement. Il ne fit pas taire, comme il le pouvait, les
voix éloquentes qui regrettaient le passé ; il
n'imposa même pas silence à cette opposition
taquine qui essayait de répondre par des railleries
à ses victoires. Il laissa critiquer quelques actes de
son administration et souffrit qu'on lui donna des conseils.
Ce grand esprit savait bien qu'on énerve un pays quand
on rend les citoyens indifférents à leurs
affaires et qu'on leur fait perdre le goût de s'en
occuper. Il ne croyait pas que sur l'obéissance inerte
et silencieuse on pût rien établir de solide, et
dans le gouvernement qu'il fondait il tenait à
conserver quelque vie publique. C'est Cicéron qui nous
l'apprend dans un passage curieux de sa correspondance.
«Nous jouissons ici d'un calme profond, écrit-il
à l'un de ses amis ; j'aimerais mieux pourtant un peu
d'agitation honnête et salutaire» ; et il ajoute
: «Je vois que César est de mon avis»
(29).
Toutes ces raisons le déterminèrent à
faire un pas de plus dans cette voie de
générosité et de clémence
où il était entré depuis Pharsale. Il
avait pardonné à la plupart de ceux qui avaient
porté les armes contre lui ; il en appela plusieurs
à partager son pouvoir. Au moment même où
il rappelait la plupart des exilés, il nomma Cassius
son lieutenant ; il donna à Brutus le gouvernement de
la Gaule cisalpine et à Sulpicius celui de la
Grèce. Nous parlerons plus loin des deux premiers ; il
importe, pour mieux apprécier la politique de
César, de faire rapidement connaître le
troisième, et de chercher comment il s'était
rendu digne des bienfaits du vainqueur et de quelle
façon il en profita.
Servius Sulpicius
appartenait à une famille importante de Rome, et
c'était le jurisconsulte le plus célèbre
de son temps. Cicéron lui donne ce grand éloge
qu'il fit entrer le premier la philosophie dans le droit,
c'est-à-dire qu'il relia entre elles toutes ces
règles minutieuses et toutes ces formules
précises dont se composait cette science par des vues
d'ensemble et des principes généraux (30). Aussi
n'hésite-t-il pas à le mettre bien au-dessus de
ses devanciers, et surtout de cette grande famille des
Scaevola dans laquelle il semble que la jurisprudence romaine
se fût jusque-là incarnée. Il y avait
cependant entre eux et Sulpicius une différence qu'il
importe de remarquer : les Saeevola ont donné à
Rome des jurisconsultes, des augures, des pontifes,
c'est-à-dire qu'ils ont excellé dans les arts
qui sont amis du calme et de la paix ; mais c'étaient
aussi des citoyens très actifs, des politiques
résolus, de vaillants soldats qui détendaient
courageusement leur pays contre les factieux et contre
l'étranger. Ils se montrèrent, dans leur vie
occupée, capables de toutes les affaires et à
la hauteur de toutes les situations. Scaevola l'augure, quand
Cicéron l'a connu, était encore, malgré
son âge, un vieillard vigoureux, qui se levait au petit
jour pour répondre à ses clients de la
campagne. Il arrivait le premier à la curie, et il
avait toujours sur lui quelque livre qu'il lisait, pour ne
pas rester désoeuvré en attendant ses
collègues ; mais le jour où Saturninus
menaça le repos public, ce savant qui aimait tant
l'étude, ce vieillard infirme qui se soutetenait
à peine et ne pouvait se servir que d'un bras, arma ce
bras d'un javelot et marcha en tête du peuple à
l'assaut du Capitole (31). Scaevola le pontife
n'était pas seulement un habile jurisconsulte,
c'était aussi un administrateur intègre dont
l'Asie n'oublia jamais le souvenir. Quand les publicains
attaquèrent son questeur Rutilius Rufus, coupable
d'avoir voulu les empêcher de ruiner la province, il le
défendit avec une éloquence admirable et une
vigueur qu'aucune menace ne put ébranler. Il refusa de
quitter Rome au moment des premières proscriptions, et
d'abandonner ses clients et ses affaires, quoiqu'il sût
le sort qui l'attendait. Blessé aux funérailles
de Marius, il fut achevé quelques jours plus tard,
près du temple de Vesta (32). Du reste, ces
hommes-là n'étaient pas une exception à
Rome. Dans les beaux temps de la république, le
citoyen complet devait être à la fois
agriculteur, soldat, administrateur, financier, avocat et
même jurisconsulte. Il n'y avait pas de
spécialité alors, et d'un vieux Romain nous
serions forcés de faire aujourd'hui quatre ou cinq
personnages différents ; mais à l'époque
où nous sommes parvenus, ce faisceau d'aptitudes
diverses qu'on exigeait d'un seul homme se brise : chacun se
cantonne dans une science spéciale, et l'on commence
à distinguer les hommes d'étude des hommes
d'action. Etait-ce que les caractères perdaient de
leur trempe énergique, ou faut-il croire seulement que
depuis qu'on connaissait et qu'on pratiquait les
chefs-d'oeuvre de la Grèce, chaque science
étant devenue plus compliquée, le fardeau de
toutes réunies ne fût plus possible à
porter ? Quoi qu'il en soit, si Sulpicius était
au-dessus des Scaevola comme jurisconsulte, il était
loin d'avoir leur fermeté comme citoyen.
Préteur ou consul, ce ne fut jamais qu'un homme
d'étude et de cabinet. Dans les circonstances qui
demandent de la résolution, toutes les fois qu'il faut
se décider et agir, il est mal à son aise. On
sent que cet esprit honnête et doux n'était pas
fait pour être le premier magistrat d'une
république en révolution. La manie qu'il avait
déjouer toujours son rôle de conciliateur et
d'arbitre dans cette époque de violence finissait par
prêter à rire. Cicéron lui-même,
quoiqu'il fût son ami, se moque un peu de lui, quand il
nous montre ce grand pacificateur partant avec son petit
secrétaire, après avoir repassé toutes
ses rubriques de juriste, pour s'entremettre entre les
partis, au moment où les partis ne demandent
qu'à se détruire.
César avait toujours pensé que Sulpicius
n'était pas d'un caractère à lui opposer
une grande résistance, et il avait travaillé de
bonne heure à se l'attacher. Il commença par se
faire un allié dans sa maison, et un allié
puissant. On disait beaucoup dans Rome que le bon Sulpicius
se laissait mener par sa femme Postumia : Cicéron, qui
aime à redire les méchants bruits, nous le
laisse plusieurs fois entendre. Or, Postumia n'avait pas la
réputation d'être sans reproches, et
Suétone place son nom dans la liste de celles qui
furent aimées de César. Elle se trouve
là en très nombreuse compagnie ; mais ce
volage, qui passait si vite d'une maîtresse à
l'autre, avait ce privilège singulier, que toutes les
femmes qu'il délaissait n'en restaient pas moins ses
amies dévouées. Elles lui pardonnaient ses
infidélités, elles continuaient à
s'associer à tous ses succès, elles mettaient
au service de sa politique ces prodigieuses ressources de
finesse et d'obstination qu'une femme qui aime est seule
capable de trouver. C'est sans doute Postumia qui
décida Sulpicius à travailler pour César
pendant tout le temps qu'il fut consul, et à s'opposer
aux emportements de son collègue Marcellus, qui
voulait qu'on nommât un autre gouverneur des Gaules.
Cependant, malgré toutes ses faiblesses, Sulpicius
n'en était pas moins un républicain
sincère, et quand la guerre eût
éclaté, il se déclara contre
César et quitta 1'Italie. Après la
défaite, il se soumit comme les autres, et il avait
repris ses occupations ordinaires quand César l'alla
chercher dans sa retraite pour lui donner la Grèce
à gouverner.
Il était certainement impossible de trouver un
gouvernement qui lui convînt mieux. Le séjour
d'Athènes, de tout temps agréable aux riches
Romains, devait l'être plus encore en ce moment,
où cette ville servait d'asile à tant
d'illustres exilés. En même temps que Sulpicius
avait le plaisir d'entendre les rhéteurs et les
philosophes les plus célèbres du monde, il
pouvait causer de Rome et de la république avec de
grands personnages comme Marcellus et Torquatus, et
satisfaire ainsi tous ses goûts à la fois. Il
n'y avait rien qui dût plaire davantage à ce
savant et à ce lettré, dont le hasard avait
fait un homme d'Etat, que l'exercice d'un pouvoir
étendu, mais sans péril, mêlé aux
jouissances les plus délicates de l'esprit, dans un
des pays les plus beaux et les plus grands du monde.
César l'avait donc servi à souhait en
l'envoyant par devoir dans celle ville où les Romains
allaient ordinairement par plaisir. Nous ne voyons pas
cependant que Sulpicius ait été sensible
à ces avantages. A peine arrivé en
Grèce, il est mécontent d'y être venu, et
il lui tarde d'en sortir. Evidemment ce n'était pas le pays qui
lui déplaisait, il ne se serait pas trouvé
mieux ailleurs ; mais il regrettait la république.
Après l'avoir si timidement défendue, il ne
pouvait se consoler de sa chute, et il se reprochait de
servir celui qui l'avait renversée. Ces sentiments
éclatent dans une lettre qu'il écrit de
Grèce à Cicéron. «La fortune, lui
dit-il, nous a enlevé les biens qui devaient nous
être les plus précieux, nous avons perdu
l'honneur, la dignité, la patrie... Au temps où
nous vivons, ceux-là sont les plus heureux, qui sont
morts» (33).
Quand un homme timide et
modéré comme Sulpicius osait parler ainsi, que
ne devaient pas dire et penser les autres ! On le devine
lorsqu'on voit de quelle sorte Cicéron écrit
à la plupart d'entre eux. Quoiqu'il s'adresse à
des fonctionnaires du gouvernement nouveau, il ne prend pas
la peine de dissimuler ses opinions ; il exprime librement
ses regrets, parce qu'il sait bien qu'on les partage. Il
parle à Servilius Isauricus, proconsul d'Asie, comme
à un homme que le pouvoir absolu d'un seul ne
satisfait pas et qui souhaite qu'on y mette quelques limites
(34). Il dit
à Cornificius, gouverneur d'Afrique, que les affaires
vont mal à Rome, et qu'il s'y passe bien des choses
dont il serait blessé (35). «Je sais ce
que vous pensez de la fortune des honnêtes gens et des
malheurs de la république», écrit-il
à Furfanius, proconsul de Sicile, en lui recommandant
un exilé (36). Ces personnages
pourtant avaient accepté de César des fonctions
importantes : ils partageaient son pouvoir, ils passaient
pour ses amis ; mais tous les bienfaits qu'ils avaient
reçus de lui ne les avaient, pas entièrement
attachés à sa cause. Ils faisaient leurs
réserves en le servant, et ne se livraient qu'à
moitié. D'où pouvaient venir ces
résistances que rencontrait le gouvernement nouveau
parmi des gens qui avaient accepté d'abord d'en faire
partie ? Elles tenaient à divers motifs qu'il est
facile de signaler. Le premier, le plus important
peut-être, c'est que ce gouvernement, même en les
comblant d'honneurs, ne pouvait pas leur rendre ce que
l'ancienne république leur aurait donné. Avec
l'établissement de la monarchie, une révolution
importante s'accomplit dans toutes les charges publiques :
les magistrats devinrent des fonctionnaires. Autrefois les
élus du suffrage populaire avaient le droit d'agir
comme ils voulaient dans la sphère de leurs fonctions.
Une initiative féconde animait à tous les
degrés cette hiérarchie de dignités
républicaines. Depuis l'édile jusqu'au consul,
tous étaient souverains chez eux. Ils ne pouvaient
plus l'être sous un gouvernement absolu. Au lieu
d'administrer pour leur compte, ils n'étaient plus,
pour ainsi dire, que des canaux par lesquels la
volonté d'un seul homme circulait jusqu'aux
extrémités du monde. Assurément la
sécurité publique gagna beaucoup à voir
disparaître ces conflits de pouvoir qui la troublaient
sans cesse, et ce fut un grand bienfait pour les provinces
qu'on enlevât la toute-puissance à leurs avides
gouverneurs.
Néanmoins, si les administrés profitaient de
ces réformes, il était naturel que les
administrateurs en fussent très mécontents. Du
moment qu'ils n'étaient plus chargés que
d'appliquer les ordres d'un autre, l'importance de leurs
fonctions diminuait, et cette autorité souveraine,
absolue, qu'ils sentaient toujours sur leur tête,
finissait par peser aux plus résignés. Si les
ambitieux se plaignaient de l'amoindrissement de leurs
pouvoirs, les honnêtes gens ne s'accoutumaient pas
aussi facilement qu'ils le croyaient à la perte de la
liberté. A mesure qu'on s'éloignait davantage
de Pharsale, leurs regrets devenaient plus vifs. Ils
commençaient à revenir de la surprise de la
défaite, ils se remettaient peu à peu de
l'épouvante qu'elle leur avait causée. Dans les
premiers moments qui suivent ces grandes catastrophes
où l'on a pensé périr, on se livre tout
entier au plaisir de vivre, mais ce plaisir est un de ceux
auxquels on s'habitue le plus vite, et il est si naturel de
l'éprouver qu'on finit bientôt par ne plus le
ressentir. Tous ces gens effrayés qui le lendemain de
Pharsale ne souhaitaient que le repos, quand on le leur eut
donné, souhaitèrent autre chose. Tant qu'on
n'était pas certain de vivre, on ne
s'inquiétait pas de savoir si on vivrait libre ; une
fois la vie assurée, le désir de la
liberté revint dans tous les coeurs, et ceux qui
servaient César l'éprouvèrent comme les
autres. César, on le sait, avait donné à
ce désir quelques satisfactions, mais elles ne
suffirent pas longtemps. Il est aussi difficile de
s'arrêter sur la pente de la liberté que sur
celle de l'arbitraire. Une faveur qu'on accorde en fait
souhaiter une autre, et l'on songe moins à jouir de ce
qu'on a obtenu qu'à regretter ce qui manque. C'est ainsi que Cicéron,
qui avait accueilli avec des transports de joie la
clémence de César et qui saluait le retour de
Marcellus comme une sorte de restauration de la
république, changea bientôt de sentiment et de
langage. A mesure qu'on avance dans sa correspondance, il
devient plus aigre et plus frondeur. Lui qui avait si
sévèrement condamné ceux qui
«après avoir désarmé leurs bras ne
désarmaient pas leur coeur (37)», il avait le
coeur rempli des plus amers ressentiments. Il disait à
tout propos que tout était perdu, qu'il rougissait
d'être esclave, qu'il avait honte de vivre. Il
attaquait de ses railleries impitoyables les mesures les plus
utiles et les actes les plus justes. Il se moquait de la
réforme du calendrier, et il affectait de
paraître scandalisé de l'agrandissement de Rome.
Il alla plus loin encore. Le jour où le sénat
fit placer la statue de César à
côté de celles des anciens rois, il ne put
s'empêcher de faire une allusion cruelle à la
façon dont le premier de ces rois avait péri.
«Je suis bien aise, dit-il, de voir César si
près de Romulus (38) !» Et
cependant il y avait un an à peine que, dans le
discours pour Marcellus, il le conjurait, au nom de la
patrie, de veiller sur ses jours, et qu'il lui disait avec
effusion : «Votre sûreté fait la
nôtre !»
César n'avait donc
autour de lui que des mécontents. Les
républicains modérés, sur lesquels il
comptait pour l'aider dans son oeuvre, ne pouvaient pas se
résigner à la perte de la république.
Les exilés qu'il avait rappelés à Rome,
plus humiliés que reconnaissants de sa
clémence, n'abjuraient pas leurs ressentiments. Ses
propres généraux, qu'il comblait de richesses
et d'honneurs, sans pouvoir assouvir leur cupidité,
accusaient son ingratitude ou même complotaient sa
mort. Le peuple enfin, dont il était l'idole, et qui
lui avait si complaisamment accordé toutes ses
demandes, le peuple lui-même commençait à
s'éloigner de lui ; il n'accueillait plus ses
victoires avec les mêmes applaudissements qu'autrefois,
et il semblait avoir peur de l'avoir fait trop grand. Quand
on porta sa statue à côté de celles des
rois, la foule, qui la vit passer, resta muette, et nous
savons que la nouvelle de ce silence inaccoutumé,
répandue par les courriers des rois et des peuples
alliés dans tous les pays du monde, fit croire partout
qu'une révolution était proche (39). Dans les provinces
de l'Orient, où se cachaient les derniers soldats de
Pompée, le feu des guerres civiles, plus assoupi
qu'éteint, se ranimait à tout moment, et ces
alertes perpétuelles, sans amener de dangers
sérieux, empêchaient la paix publique de
s'affermir. A Rome, on lisait avec fureur les beaux ouvrages
où Cicéron célébrait les gloires
de la république ; on s'arrachait les pamphlets
anonymes, qui n'avaient jamais été plus
violents ni plus nombreux. Comme il arrive à la veille
des grandes crises, tout le monde était
mécontent du présent, inquiet de l'avenir et
préparé à l'imprévu. On sait de
quelle façon tragique se dénoua cette situation
tendue. Le coup de poignard de Brutus n'était pas tout
à fait, comme on l'a dit, un accident et un hasard ;
ce fut le malaise général des esprits qui amena
et qui explique un si terrible dénoûment. Les
conjurés n'étaient guère plus de
soixante, mais ils avaient Rome entière pour complice
(40). Toutes ces
inquiétudes et ces rancunes, ces regrets amers du
passé, ces désappointements d'ambition, ces
convoitises trompées, ces haines ouvertes ou
secrètes, ces passions mauvaises ou
généreuses, dont les coeurs étaient
pleins, armèrent leurs bras, et les ides de mars ne
furent que l'explosion sanglante de tant de colères
amassées.
Ainsi les
événements trompèrent tous les projets
de César. Il ne trouva pas sa sûreté dans
sa clémence, comme il le pensait ; il échoua
dans cette oeuvre de conciliation qu'il avait tentée
aux applaudissements du monde ; il ne parvint pas à
désarmer les partis. Cette gloire était
réservée à un homme qui n'avait ni
l'étendue de son génie ni la
générosité de son caractère,
à l'habile et cruel Octave. Ce n'est pas la seule fois
que l'histoire nous donne le triste spectacle de voir les
personnages ordinaires réussir où les plus
grands avaient échoué ; mais dans les
entreprises de ce genre le succès dépend
surtout des circonstances, et il faut reconnaître
qu'elles favorisèrent singulièrement Auguste.
Tacite nous apprend la cause principale de son heureuse
fortune, lorsqu'il dit, en parlant de l'établissement
de l'empire : «Il n'y avait presque plus personne alors
qui eût vu la république» (41). Au contraire, les
gens sur lesquels César prétendait
régner l'avaient tous connue. Beaucoup la
maudissaient, quand elle troublait par ses agitations et ses
orages le repos de leur vie ; presque tous la
regrettèrent dès qu'ils l'eurent perdue. Il y a
dans l'usage et l'exercice de la liberté,
malgré les périls auxquels elle expose, un
charme et un attrait souverains qui ne peuvent pas s'oublier
lorsqu'on les a connus. C'est contre ce souvenir
obstiné que vint se briser le génie de
César. Mais après la bataille d'Actium,les gens
qui avaient assisté aux grandes scènes de la
liberté et qui avaient vu la république
n'existaient plus. Une guerre civile de vingt ans, la plus
meurtrière de toutes celles qui ont jamais
dépeuplé le monde, les avait presque tous
dévorés. La génération nouvelle
ne remontait pas plus loin que César. Les premiers
bruits qu'elle avait entendus étaient les acclamations
qui saluaient le vainqueur de Pharsale, de Thapsus et de
Munda ; le premier spectacle qui avait frappé ses yeux
était celui des proscriptions. Elle avait grandi parmi
les pillages et les massacres. Pendant vingt ans, elle avait
tremblé tous les jours pour ses biens ou pour sa vie.
Elle avait soif de sécurité ; elle était
prête à tout sacrifier au repos. Rien ne
l'attirait vers le passé, comme les contemporains de
César. Au contraire, tous les souvenirs qu'elle en
avait gardés ne faisaient que l'attacher davantage au
régime sous lequel elle vivait, et quand par hasard
elle tournait les yeux en arrière, elle y trouvait
beaucoup de sujets d'épouvante sans aucun sujet de
regret. C'est seulement à ces conditions que le
pouvoir absolu devait être le tranquille
héritier de la république.
(1) Ad
Att., VII, 7. |
|
(2) Ad
Att., XI, 20, je lis cognitionem au lieu de
notionem qui ne me semble pas avoir de sens. |
|
(3) Ad
fam., IX, 1. |
|
(4) Ad
Att., XVI, 31. |
|
(5) Ad
fam., X. |
|
(6) Ad
Att. IX, 20. |
|
(7) Ad
Att., X, 4. |
|
(8) Bell.
afric, 88. |
|
(9) Ad
Att., IX, 7. |
|
(10) L'amnistie
générale, dont parle Suétone, n'eut
lieu que beaucoup plus tard. |
|
(11) Ad
fam., VII, 7. |
|
(12) Il va
sans dire que je crois à l'authenticité de
ce discours : elle a été contestée
pour des raisons qui me semblent futiles. Je
répondrai plus loin à celles qui sont
tirées du caractère même du discours,
en montrant qu'il est moins bas et moins servile qu'on ne
1e prétend. |
|
(13) Pro
Marc, 4. |
|
(14) Ad
fam., IV, 4. |
|
(15) Pro
Marc, 7. |
|
(16) Pro
Marc, 8. |
|
(17) Philipp.
III, 11. |
|
(18) Ad
fam., XV, 5. |
|
(19) Pro
Muraena, 31. |
|
(20) Pro
Mur., 35. |
|
(21) Pro
Mur. 36. |
|
(22) Ad
Att., II, 1. |
|
(23) Ad
Att., XII, 4. |
|
(24) Ann.,
IV, 34. |
|
(25) Ad
Att., XIII, 46. |
|
(26) Bell.
civ.,I, 4. |
|
(27) Philipp.,
II, 32. |
|
(28) Comme
l'oeuvre de César a été interrompue
par sa mort, il n'est pas facile de dire quels
étaient ses projets. Les uns veulent qu'il n'ait
souhaité qu'une sorte de dictature à vie ;
le plus grand nombre suppose qu'il pensait à
établir définitivement un régime
monarchique. La question est trop grave pour être
abordée incidemment et vidée en quelques
mots. Je dirai seulement que peut-être il ne
pensait d'abord qu'à la dictature ; mais à
mesure qu'il devenait plus puissant, il semble que
l'idée de fonder une monarchie prenait plus de
consistance dans son esprit. Toutefois on peut
inférer d'un passage de Plutarque (Brut.,1)
qu'il n'était pas encore fixé, quand il
mourut, sur la question de
l'hérédité. |
|
(29) Ad
fam., XII, 17. |
|
(30) Brut.,
51. |
|
(31) Pro
Rabir., 7. |
|
(32) Pro
Rosc. am., 12. |
|
(33) Ad
fam. IV, 5. |
|
(34) Ad
fam. XIII, 68. |
|
(35) Ad
fam., XII, 18. |
|
(36) Ad
fam., VI, 9. |
|
(37) Pro
Marc, 10. |
|
(38) Ad
Att., XIII, 45. |
|
(39) Pro
Dejot., 12. |
|
(40) «Tous
les honnêtes gens, dit Cicéron (Phil,
II, 12), autant qu'ils l'ont pu, ont tué
César. Les moyens ont manqué aux uns, la
résolution aux autres, l'occasion à
plusieurs, la volonté n'a manqué à
personne». |
|
(41) Ann.,
I, 3. |