Brutus - Ses relations avec Cicéron
Sans les lettres de Cicéron, nous ne
connaîtrions pas Brutus. Comme on n'a jamais
parlé de lui de sang-froid, et que les partis
politiques se sont habitués à placer sous son
nom leurs haines ou leurs espérances, les traits
véritables de sa physionomie se sont effacés de
bonne heure. Au milieu des débats passionnés
que son nom seul soulève, tandis que les uns, comme
Lucain, le mettent presque dans le ciel, et que les autres,
comme Dante, le placent résolûment dans l'enfer,
il n'a pas tardé à devenir une sorte de
personnage légendaire. La lecture de Cicéron
nous ramène à la réalité.
Grâce à lui, cette figure saisissante, mais
confuse, que l'admiration ou la terreur avait grandie outre
mesure, se précise et prend des proportions humaines.
Si elle perd de sa grandeur à être vue de si
près, au moins y gagne-t-elle de devenir vraie et
vivante.
La liaison de Cicéron et de Brutus dura dix ans. Le
recueil des lettres qu'ils s'écrivirent dans cet
intervalle devait être volumineux, puisqu'un
grammairien en cite le neuvième livre. Elles sont
toutes perdues, à l'exception de vingt-cinq, qui ont
été écrites après la mort de
César (1).
Malgré la perte des autres, Brutus tient encore une si
grande place dans les ouvrages qui nous restent (le
Cicéron, surtout dans sa correspondance, qu'on y
trouve tous les éléments nécessaires
pour le bien connaître. Je vais les réunir, et
refaire non pas le récit de la vie entière de
Brutus, ce qui m'obligerait à insistes sur des
événements trop connus, mais seulement
l'histoire de ses relations avec Cicéron.
I
Atticus, l'ami de tout le monde, les rapprocha.
C'était vers l'an 700, peu de temps après que
Cicéron fut revenu de l'exil, et au milieu des
troubles que suscitait Clodius, un de ces agitateurs
vulgaires comme Catilina, par lesquels César
épuisait les forces de l'aristocratie romaine, pour en
avoir un jour plus facilement raison. La situation que
Cicéron et Brutus occupaient alors dans la
république était fort différente.
Cicéron avait rempli les fonctions les plus
élevées, et y avait rendu d'illustres services.
Son talent et sa probité en faisaient un auxiliaire
précieux pour le parti aristocratique, auquel il
s'était attaché ; il n'était pas sans
influence auprès du peuple, que charmait sa parole ;
les provinces l'aimaient pour l'avoir vu défendre plus
d'une fois leurs intérêts contre d'avides
gouverneurs, et tout récemment encore l'Italie lui
avait prouvé son affection en le portant en triomphe
de Brindes à Rome. Brutus n'avait que trente et un ans
; une grande partie de sa vie s'était passée
loin de Rome, à Athènes, où l'on savait
qu'il s'était livré avec ardeur à
l'étude de la philosophie grecque, à Chypre et
en Orient, où il avait suivi Caton. Il n'avait encore
rempli aucune de ces fonctions qui donnaient une importance
politique, et il lui fallait attendre plus de dix ans avant
de songer au consulat. Pourtant Brutus était
déjà un personnage. Dans ses premières
relations avec Cicéron, malgré la distance que
mettaient entre eux l'âge et les dignités, c'est
Cicéron qui fait les avances, qui ménage
Brutus, et qui le prévient. On dirait que ce jeune
homme eût fait naître de lui une
singulière attente, et qu'on pressentît
confusément qu'il était destiné à
de grandes choses. Pendant que Cicéron était en
Cilicie, Atticus, le pressant de faire droit à
quelques demandes de Brutus, lui disait : «Quand vous
ne rapporteriez de cette province que son amitié, ce
serait beaucoup» (2). Et Cicéron
écrivait de lui à la même époque :
«Il est déjà le premier de la jeunesse,
il sera bientôt, je l'espère, le premier de la
cité» (3).
Tout en effet semblait
promettre à Brutus un grand avenir. Descendant d'une
des plus illustres maisons de Rome, neveu de Caton,
beau-frère de Cassius et de Lépide, il venait
d'épouser une des filles d'Appius Claudius ; une autre
était déjà mariée au fils
aîné de Pompée. Par ces alliances, il
tenait de tous côtés aux familles les plus
influentes ; mais son caractère et ses moeurs le
distinguaient plus encore que sa naissance. Sa jeunesse avait
été austère : il avait
étudié la philosophie, non pas en curieux,
comme un des exercices les plus utiles de l'esprit, mais en
sage qui veut s'appliquer les leçons qu'elle donne. Il
était revenu d'Athènes avec un grand renom de
sagesse, que confirma sa vie honnête et
réglée. L'admiration qu'excitait sa vertu
redoublait quand on venait à songer dans quel milieu
elle avait pris naissance, et à quels
détestables exemples elle avait résisté.
Sa mère Servilie avait été une des plus
violentes passions de César, peut-être son
premier amour. Elle eut toujours sur lui un grand empire, et
en profita pour s'enrichir après Pharsale, en se
faisant adjuger les biens des vaincus. Quand elle eut
vieilli, et qu'elle sentit le puissant dictateur lui
échapper, pour continuer à le dominer encore,
elle favorisa, dit-on, ses amours avec une de ses filles, la
femme de Cassius. Celle qui avait épousé
Lépide n'avait pas un meilleur renom, et
Cicéron raconte à propos d'elle une plaisante
histoire. Un jeune fat romain, C. Védius, traversant
la Cilicie en grand équipage, avait jugé
commode de laisser une partie de ses effets chez un de ses
hôtes. Malheureusement cet hôte mourut ; les
scellés furent mis sur les bagages du voyageur comme
sur le reste, et on y trouva tout d'abord les portraits de
cinq grandes dames, parmi lesquels celui de la soeur de
Brutus. «Il faut avouer, dit Cicéron, qui ne
perdait pas l'occasion d'un bon mot, que le frère et
le mari méritent bien leur nom. Le frère est
bien sot (brutus), qui ne s'aperçoit de rien,
et le mari bien complaisant (lepidus), qui supporte
tout sans se plaindre» (4). Voilà ce
qu'était la famille de Brutus. Quant à ses
amis, il n'est pas besoin d'en parler. On sait comment vivait
alors la jeunesse riche de Rome, et ce qu'étaient les
Coelius, les Curion et les Dolabella. Parmi tous ces
excès, l'honnêteté rigide de Brutus, son
application aux affaires, ce dédain des plaisirs, ce
goût de l'étude qu'attestait sa physionomie
pâle et sérieuse, ressortaient davantage par le
contraste. Aussi tous les yeux étaient-ils
fixés sur ce grave jeune homme, qui ressemblait si peu
aux autres. En l'abordant, on ne pouvait se défendre
d'un sentiment qui semblait mal convenir à son
âge : il inspirait le respect. Ceux même qui
étaient ses aînés et ses
supérieurs, Cicéron et César
malgré leur gloire, Antoine, qui lui ressemblait si
peu, ses adversaires, ses ennemis, ne pouvaient en sa
présence échapper à cette impression. Ce
qui est plus surprenant, c'est qu'elle lui a survécu.
On l'a éprouvée devant sa mémoire comme
devant sa personne ; vivant et mort, il a commandé le
respect. Les historiens officiels de l'empire, Dion, qui a
tant maltraité Cicéron, Velléius, le
flatteur de Tibère, ont tous respecté Brutus.
Il semble que les rancunes politiques, le désir de
flatter, les violences des partis, se soient sentis
désarmés devant cette austère
figure.
En le respectant, on
l'aimait. Ce sont des sentiments qui ne marchent pas toujours
ensemble. Aristote défend qu'on emploie dans le drame
des héros parfaits de tout point, de peur qu'ils
n'intéressent pas le public. Il en est un peu dans la
vie comme au théâtre ; une sorte d'effroi
instinctif nous éloigne des personnages
irréprochables, et, comme c'est d'ordinaire par nos
faiblesses communes que nous nous rapprochons, on ne se sent
guère attiré vers ce qui n'a pas de faiblesses,
et l'or se contente de respecter la perfection à
distance. Cependant il n'en était pas ainsi pour
Brutus, et Cicéron a pu dire de lui avec
vérité dans un des ouvrages qu'il lui adresse :
«Qui fut jamais plus respecté que vous et plus
chéri ?» (5) C'est qu'en effet cet
homme sans faiblesses était faible pour ceux qu'il
aimait. Sa mère et ses soeurs avaient sur lui beaucoup
d'influence et lui ont fait commettre plus d'une faute. Il
avait beaucoup d'amis, dont Cicéron lui reprochait de
trop écouter les conseils : c'étaient
d'honnêtes gens qui n'entendaient rien aux affaires ;
mais Brutus leur était si tendrement attaché
qu'il ne savait pas se défendre d'eux. Sa
dernière douleur à Philippes fut d'apprendre la
mort de Flavius, son préfet des ouvriers, et celle de
Labéon, son lieutenant ; il s'oublia lui-même
pour pleurer sur eux. Sa dernière parole avant de
mourir fut de se féliciter de ce qu'aucun de ses amis
ne l'avait trahi : cette fidélité, qui
était si rare alors, a consolé ses derniers
moments. Ses légions aussi, quoiqu'elles fussent
composées en partie d'anciens soldats de César,
et qu'il les tînt sévèrement, punissant
les pillards et les maraudeurs, ses légions
l'aimaient, et lui restèrent fidèles. Enfin le
peuple de Rome lui-même, qui en général
était ennemi de la cause qu'il défendait, lui a
témoigné plus d'une fois sa sympathie. Quand
Octave fit proclamer ennemis publics les assassins de
César, en entendant prononcer le nom de Brutus
à la tribune, tout le monde baissa tristement la
tête, et du milieu de ce sénat
épouvanté, qui pressentait les proscriptions,
une voix libre osa déclarer que jamais elle ne
condamnerait Brutus.
Cicéron subit le
charme comme les autres, mais ce ne fut pas sans
résister. Son amitié avec Brutus a
été pleine de troubles et d'orages, et,
malgré la communauté de leurs opinions, il
s'est élevé plus d'une fois entre eux des
discussions violentes. Leurs dissentiments s'expliquent par
la diversité de leurs caractères. Jamais deux
amis ne se ressemblèrent moins. Il n'y avait pas
d'homme qui semblât plus fait pour la
société que Cicéron ; il y apportait
toutes les qualités qui sont nécessaires pour y
réussir, une grande flexibilité d'opinion,
beaucoup de tolérance pour les autres, assez de
facilité pour lui-même, le talent de manoeuvrer
avec aisance entre tous les partis, et une certaine
indulgence naturelle qui lui faisait tout comprendre et
presque tout accepter. Quoiqu'il ait fait de bien mauvais
vers, il avait un tempérament de poète, une
étrange mobilité d'impressions, une
sensibilité irritable, un esprit souple,
étendu, rapide, qui concevait promptement, mais
abandonnait vite ses idées, et d'un bond passait d'un
extrême à l'autre. Il n'a pas pris une seule
résolution grave dont il ne se soit repenti le
lendemain. Toutes les fois qu'il embrassait un parti, il
n'était vif et décidé qu'au
début, et allait toujours en s'attiédissant.
Brutus au contraire n'avait pas un esprit rapide ;
d'ordinaire il hésitait au début d'une
entreprise et ne se décidait pas du premier coup.
Sérieux et lent, il s'avançait en toutes choses
par degrés ; mais une fois qu'il était
résolu, il s'enfermait dans son idée sans que
rien pût l'en distraire : il s'isolait et se
concentrait en elle, il s'animait, il s'enflammait pour elle
par la réflexion, et finissait par n'écouter
plus que cette logique inflexible qui le poussait à la
réaliser. Il était de ces esprits dont
Saint-Simon dit qu'ils ont une suite enragée. Son
obstination faisait sa force, et César l'avait bien
compris quand il disait de lui : «Tout ce qu'il veut,
il le veut bien» (6).
Deux amis qui se
ressemblaient si peu devaient naturellement se heurter dans
toutes les occasions. Leurs premiers différends furent
littéraires. C'était l'habitude alors au
barreau de partager une cause importante entre plusieurs
orateurs ; chacun prenait la partie qui convenait le mieux
à son talent. Cicéron, contraint de
paraître souvent devant les juges, y venait avec ses
amis et ses disciples, et leur distribuait une part de sa
tâche, afin de pouvoir y suffire. Souvent il se
contentait de garder pour lui la péroraison, où
son éloquence abondante et passionnée se
mettait à l'aise, et leur abandonnait le reste. C'est
ainsi qu'au début de leur amitié Brutus plaida
à ses côtés et sous sa direction.
Cependant Brutus n'était pas de son école :
admirateur fanatique de Démosthène, dont il
avait fait placer la statue parmi celles de ses aïeux,
nourri de l'étude des Attiques, il cherchait à
reproduire leur sobriété élégante
et leur fermeté nerveuse. Tacite dit que ses efforts
n'étaient pas toujours heureux : à force de
fuir les ornements et le pathétique, il était
terne et froid ; en recherchant trop la précision et
la force, il devenait sec et tendu. C'étaient des
défauts antipathiques à Cicéron, qui,
voyant d'ailleurs dans cette éloquence, qui fit
école, une critique de la sienne, essaya par tous les
moyens de convertir Brutus ; mais il n'y réussit pas,
et sur ce point ils ne parvinrent jamais à s'entendre.
Après la mort de César, et quand il s'agissait
de bien autre chose que de débats littéraires,
Brutus envoya à son ami le discours qu'il venait de
prononcer au Capitole, et le pria de le corriger.
Cicéron se garda bien d'en rien faire : il connaissait
trop par expérience l'amour-propre des
écrivains pour courir le risque de blesser Brutus en
essayant de mieux faire que lui. Le discours du reste lui
semblait fort beau, et il écrivait à Atticus
qu'on ne pouvait rien voir de plus élégant ni
de mieux écrit. «Pourtant, ajoutait-il, si
j'avais eu à le faire, j'y aurais mis plus de
passion» (7). Assurément
Brutus ne manquait pas de passion, mais c'était comme
un feu secret et contenu qui ne se communiquait qu'aux plus
proches, et il répugnait à employer ces grands
mouvements et ce pathétique enflammé sans
lesquels on n'entraîne pas la foule.
Il n'était donc pas
pour Cicéron un disciple fidèle, on peut
ajouter qu'il n'était pas non plus un ami commode. Il
manquait de souplesse dans ses rapports, et son ton
était toujours rude et brusque. Au commencement de
leurs relations, Cicéron, accoutumé à
étre ménagé des plus grands personnages,
trouvait les lettres de ce jeune homme aigres et hautaines,
et il en était blessé. Ce n'était pas le
seul reproche qu'il eût à lui faire. On
connaît la vanité irritable,
soupçonneuse, exigeante du grand consulaire ; on sait
à quel point il aimait la louange : il se l'accordait
libéralement à lui-même, il l'attendait
des autres, et s'ils tardaient à la lui donner, il
n'avait pas honte de la réclamer. Ses amis
étaient généralement complaisants pour
cette naïve faiblesse, et n'attendaient pas pour le
louer d'y être invités par lui. Brutus seul
résistait ; il se piquait de franchise et disait sans
ménagement ce qu'il avait sur le coeur. Aussi
Cicéron s'est-il plaint souvent qu'il lui
marchandât les éloges ; un jour même il se
fâcha sérieusement contre lui. Il s'agissait du
grand consulat et de la délibération à
la suite de laquelle Lentulus et les complices de Catilina
furent exécutés. C'était l'action la
plus ferme de la vie de Cicéron, et il avait le droit
d'en être fier, puisqu'il l'avait payée de
l'exil. Brutus, dans le récit qu'il faisait de cette
journée, diminuait au profit de Caton, son oncle, la
part que Cicéron y avait prise. Il le louait seulement
d'avoir puni la conjuration sans dire qu'il l'avait
découverte, et se contentait de l'appeler un excellent
consul. «Le maigre éloge ! disait Cicéron
en colère ; on le croirait d'un ennemi» (8). Mais ce
n'étaient là que de petits différends
d'amour-propre qui pouvaient facilement se guérir ;
voici un dissentiment plus grave et qui mérite qu'on
s'y arrête, car il donne fort à penser sur la
société romaine de cette époque.
En 702, c'est-à-dire
peu de temps après qu'eut commencé sa liaison
avec Brutus, Cicéron partit comme proconsul pour la
Cilicie. Il n'avait pas recherché cette fonction, car
il savait quelles difficultés il allait y trouver. Il
partait décidé à accomplir son devoir,
et il ne pouvait l'accomplir sans se mettre à la fois
sur les bras les patriciens, ses protecteurs, et les
chevaliers, ses protégés et ses clients. En
effet, patriciens et chevaliers, d'ordinaire ennemis,
s'entendaient avec une rare concorde pour piller les
provinces. Les chevaliers, fermiers de l'impôt public,
n'avaient qu'une pensée : ils voulaient faire fortune
en cinq ans, durée ordinaire de leur bail. Aussi
réclamaient-ils sans pitié l'impôt du
dixième sur les productions du sol, l'impôt du
vingtième sur les marchandises, dans les ports le
droit d'entrée, le droit de pâturage dans
l'intérieur des terres, enfin tous les tributs que
Rome avait imposés aux peuples soumis. Leur
avidité ne respectait rien ; Tite-Live a dit sur eux
ce mot terrible : «Partout où
pénètre un publicain, il n'y a plus de justice
ni de liberté pour personne» (9). Il était bien
difficile aux malheureuses villes d'assouvir ces financiers
intraitables ; presque partout les caisses municipales, mal
administrées par des magistrats inhabiles ou
pillées par des magistrats malhonnêtes,
étaient vides. Cependant il fallait trouver de
l'argent à tout prix. Or, à qui pouvait-on en
demander, sinon aux banquiers de Rome, devenus depuis un
siècle les banquiers du monde entier ? C'est donc
à eux qu'on s'adressait. Quelques-uns étaient
assez riches pour tirer de leur fortune particulière
de quoi prêter aux villes ou aux souverains
étrangers, comme ce Rabirius Postumus, pour lequel
Cicéron a plaidé, et qui fournit au roi
d'Egypte l'argent nécessaire pour reconquérir
son royaume. D'autres, pour moins s'exposer, formaient des
associations financières dans lesquelles les plus
illustres Romains apportaient leurs fonds. C'est ainsi que
Pompée était intéressé pour une
somme importante dans une de ces sociétés en
commandite qu'avait fondée Cluvius de Pouzzoles. Tous
ces prêteurs, que ce fussent des particuliers ou des
compagnies, des chevaliers ou des patriciens, étaient
très peu scrupuleux et n'avançaient leur argent
qu'à des taux énormes,
généralement à 4 ou 5 pour 400 par mois.
La difficulté pour eux consistait à se faire
payer. Comme il n'y a que les gens tout à fait
ruinés qui acceptent ces dures conditions, l'argent
qu'on prête à de si gros intérêts
est toujours compromis. Quand l'échéance
arrivait, la pauvre ville était moins en état
de payer que jamais : elle faisait mille chicanes, parlait de
se plaindre au sénat et commentait par invoquer le
proconsul. Malheureusement pour elle, le proconsul
était le plus souvent un complice de ses ennemis qui
prenait sa part dans leurs bénéfices. Les
créanciers, qui s'étaient assuré son
concours en le payant bien, n'avaient alors qu'à
envoyer dans la province quelque affranchi ou quelque homme
d'affaires qui les représentait ; le proconsul mettant
la puissance publique au service des intérêts
particuliers, donnait à ce mandataire un titre de
lieutenant, quelques soldats, des pleins pouvoirs, et si l'on
n'arrivait pas vite à quelque arrangement
satisfaisant, la ville insolvable subissait les horreurs d'un
siège en pleine paix et d'un pillage officiel. Le
proconsul qui refusait de se prêter à ces abus
et qui prétendait, suivant l'expression de
Cicéron, empêcher les provinces de mourir,
soulevait naturellement les colères de tous ceux qui
vivaient de la mort des provinces. Les chevaliers, les grands
seigneurs, qui n'étaient plus remboursés,
devenaient ses ennemis mortels. Il lui restait, à la
vérité, la reconnaissance des provinces, mais
c'était bien peu de chose. On avait remarqué
que, dans ces pays de l'Orient, «façonnés
par une longue servitude à une dégoûtante
flatterie» (10), les gouverneurs qui
recevaient le plus d'hommages et auxquels on élevait
le plus de statues étaient précisément
ceux qui avaient le plus volé, parce qu'on les
redoutait davantage. Le prédécesseur de
Cicéron avait tout à fait ruiné la
Cilicie : aussi songeait-on à lui bâtir un
temple. Voilà quelques-unes des difficultés
auxquelles s'exposait un gouverneur honnête, quand il
s'en rencontrait. Cicéron s'en tira avec honneur : il
y a eu rarement dans la république romaine de province
aussi bien administrée que la sienne ; mais il n'en
rapporta que quelque reconnaissance, peu d'argent, beaucoup
d'ennemis, et il faillit s'y brouiller avec Brutus.
Brutus, qui le croirait ?
avait la main dans ces trafics. Il avait prêté
de l'argent à Ariobarzane, roi d'Arménie, un de
ces petits princes que Rome laissait vivre par
charité, et à la ville de Salamine, dans
l'île de Chypre. Au moment du départ de
Cicéron, Atticus, qui lui-même, comme on sait,
ne dédaignait pas ces sortes de profits, lui
recommanda très vivement ces deux affaires ; mais
Brutus avait mal placé ses fonds, et il ne fut pas
possible à Cicéron de le faire rembourser.
Ariobarzane avait beaucoup de créanciers et n'en
payait aucun. «Je ne connais rien, disait
Cicéron, de plus pauvre que ce roi, de plus
misérable que ce royaume» (11). On n'en put rien
tirer. Quant à l'affaire de Salamine, elle fut tout
d'abord plus grave. Brutus n'avait pas osé avouer dans
le principe qu'il y fût directement
intéressé, tant l'usure était
énorme et les précédents scandaleux. Un
certain Scaptius, ami de Brutus, avait prêté aux
habitants de Salamine une forte somme à 4 pour 100 par
mois. Comme ils ne pouvaient pas la rendre, il avait, selon
l'usage, obtenu d'Appius, le prédécesseur de
Cicéron, une compagnie de cavalerie, avec laquelle il
avait tenu le sénat de Salamine si étroitement
assiégé que cinq sénateurs
étaient morts de faim. En apprenant cette conduite,
Cicéron fut révolté et se hâta de
rappeler ces soldats dont on avait fait un si mauvais usage.
Il ne croyait encore nuire qu'à un
protégé de Brutus ; mais à mesure que
l'affaire prenait une plus mauvaise tournure, Brutus se
découvrait davantage, afin que Cicéron
mît plus de complaisance à l'arranger. Quand il
vit qu'il n'y avait plus d'espoir d'être payé
qu'avec de grandes réductions, il se fâcha tout
à fait et se décida à faire
connaître que Scaptius n'était qu'un
prête-nom et qu'il était lui-même le
véritable créancier des Salaminiens.
L'étonnement qu'éprouva Cicéron, quand
il l'apprit, sera partagé par tout le monde, tant
l'action de Brutus semble en désaccord avec toute sa
conduite. Certes son désintéressement et sa
probité ne peuvent pas être mis en doute.
Quelques années auparavant, Caton venait de leur
rendre un éclatant hommage, lorsque, ne sachant
à qui se fier, tant les hommes d'honneur
étaient rares, même autour de lui, il l'avait
chargé de recueillir et de porter à Rome le
trésor du roi de Chypre. Soyons donc assurés
que, si Brutus s'est conduit comme il l'a fait avec les
Salaminiens, c'est qu'il a cru pouvoir le faire. Il a suivi
l'exemple des autres, il a cédé à un
préjugé qui était général
autour de lui. Pour les Romains de cette époque, les
provinces étaient encore des pays conquis. Il y avait
trop peu de temps qu'on les avait soumises pour que le
souvenir de leur défaite se fût effacé.
On supposait qu'elles ne l'avaient pas oublié, ce qui
entraînait à se méfier d'elles ; en tout
cas, on s'en souvenait, et l'on se croyait toujours
armé contre elles de ce terrible droit de la guerre
contre lequel personne n'a réclamé dans
l'antiquité. Les biens du vaincu appartenant tous au
vainqueur, loin de s'accuser de leur prendre ce qu'on leur
enlevait, on croyait leur donner ce qu'on ne prenait pas, et
peut-être au fond du coeur s'estimait-on
généreux de leur laisser quelque chose. Les
provinces étaient donc regardées comme les
domaines et les propriétés du peuple romain
(praedia, agri fructuarii populi Romani), et on les
traitait en conséquence. Quand on consentait à
les ménager, ce n'était pas par pitié ou
par affection pour elles, mais par prudence, et pour imiter
les bons propriétaires qui se gardent bien
d'épuiser leur champ en lui demandant trop à la
fois. C'est là le sens des lois qui furent faites sous
la république pour protéger les provinces ;
l'humanité y avait moins de part que
l'intérêt bien entendu, qui, en s'imposant
quelque retenue dans le présent, ménage
l'avenir. évidemment Brutus acceptait pleinement cette
façon d'envisager les droits du vainqueur et la
condition des vaincus. Nous touchons là à une
des plus grandes faiblesses de cette âme honnête,
mais étroite. Nourrie dans les opinions
égoïstes de l'aristocratie romaine, elle n'avait
pas assez d'étendue ni d'élévation pour
en découvrir l'iniquité, elle y cédait
sans résistance jusqu'au jour où sa douceur et
son humanité naturelles reprenaient le dessus sur les
souvenirs de son éducation et les traditions de son
parti. La façon dont il s'est conduit dans les
provinces qu'il a gouvernées montre que sa vie ne fut
qu'un combat entre l'honnêteté de sa nature et
ces préjugés impérieux. Après
avoir ruiné les Salaminiens par ses usures, il
gouverna la Gaule cisalpine avec un
désintéressement qui lui fit honneur, et tandis
qu'il s'était fait détester dans l'île de
Chypre, on conserva à Milan, jusque sous Auguste, le
souvenir de son administration bienfaisante. Le même
contraste se retrouve dans sa dernière campagne ; il
pleura de douleur en voyant les habitants de Xante s'obstiner
à détruire leur ville, et la veille de
Philippes il promit à ses soldats le pillage de
Thessalonique et de Lacédémone. C'est la seule
faute grave que Plutarque trouve à reprendre dans
toute sa vie ; elle était le réveil d'un
préjugé obstiné auquel il ne put jamais
se soustraire malgré la droiture de son âme, et
qui prouve l'empire qu'exerça sur lui jusqu'à
la fin cette société dans laquelle la naissance
l'avait placé.
Cependant ce
préjugé n'était pas alors subi par tout
le monde. Cicéron, qui, étant un homme nouveau,
pouvait plus facilement se défendre de la tyrannie des
traditions, avait toujours témoigné plus
d'humanité pour les provinces et blâmé
les profits scandaleux qu'on en tirait. Dans sa lettre
à son frère, il proclamait hautement ce
principe (12),
tout à fait nouveau, qu'il ne fallait pas les
gouverner dans l'intérêt exclusif du peuple
romain, mais aussi dans leur intérêt à
elles, et de façon à leur donner le plus de
bonheur et de bien-être qu'on pouvait. C'est ce qu'il
essayait de faire en Cilicie : aussi fut-il très
blessé de la conduite de Brutus. Il refusa nettement
de s'y associer, quoique Atticus, dont la conscience
était plus commode, l'en priât avec chaleur.
«Je suis fâché, lui répondit-il, de
ne pouvoir plaire à Brutus, et plus encore de le
trouver si différent de l'idée que je me
faisais de lui» (13). - «S'il me
condamne, disait-il ailleurs, je ne veux pas avoir de pareils
amis. Au moins suis-je assuré que son oncle Caton ne
me condamnera pas» (14).
Ces paroles étaient
amères, et leur amitié aurait sans doute
beaucoup souffert de ces discussions, si les graves
événements qui survinrent alors ne les avaient
de nouveau rapprochés. Cicéron était
à peine de retour en Italie que la guerre civile,
prévue depuis longtemps, éclata. Les
dissentiments particuliers devaient s'effacer devaient ce
grand conflit. D'ailleurs Cicéron et Brutus se
trouvaient réunis alors par une communauté de
sentiments singulière. Tous deux s'étaient
rendus au camp de Pompée, mais tous deux l'avaient
fait sans entraînement ni passion, comme un sacrifice
qu'exigeait le devoir. Brutus aimait César, qui lui
témoignait dans toutes les occasions une affection
paternelle, et de plus il détestait Pompée.
Outre que cette vanité solennelle n'était pas
faite pour lui plaire, il ne lui pardonnait pas la mort de
son père, tué pendant les guerres civiles de
Sylla. Cependant il oublia, dans ce danger public, ses
préférences et ses haines, et se rendit en
Thessalie, où se trouvaient déjà les
consuls et le sénat. Dans le camp de Pompée,
nous savons qu'il se fit remarquer par son zèle
(15) ; pourtant
il s'y passait bien des choses qui devaient le blesser, et
sans doute il trouvait que trop de rancunes, trop d'ambitions
personnelles s'y mêlaient à la cause de la
liberté, qu'il voulait seule défendre. C'est ce
qui déplaisait aussi à son ami Cicéron
et à Cassius, son beau-frère, et ces deux
derniers, indignés du langage de tous ces furieux qui
entouraient Pompée, résolurent de ne pas
poursuivre la guerre à outrance, ainsi que les autres
le voulaient. «Je me souviens encore, écrivait
plus tard Cicéron à Cassius, de ces entretiens
familiers dans lesquels, après de longues
délibérations, nous prîmes le parti
d'attacher au succès d'une seule bataille, sinon la
justice de la cause, au moins notre décision»
(16). On ne sait
si Brutus assistait à ces entretiens de ses deux amis
; ce qui est certain, c'est qu'ils se conduisirent tous les
trois de la même façon. Cicéron, le
lendemain de Pharsale, refusa le commandement des restes de
l'armée républicaine ; Cassius s'empressa de
livrer à César la flotte qu'il commandait ;
quant à Brutus, il fit son devoir en homme de coeur
pendant le combat ; mais, la bataille finie, il jugea qu'il
avait assez fait et vint s'offrir au vainqueur, qui
l'accueillit avec joie, le prit à part, le fit parier,
et parvint à en tirer quelques lumières sur la
retraite de Pompée. Après cet entretien, Brutus
était tout gagné ; non seulement il n'alla pas
rejoindre les républicains qui combattaient en
Afrique, mais il suivit César dans la conquête
de l'égypte et de l'Asie.
II
Brutus avait trente-sept ans à la bataille de
Pharsale. C'était, pour les Romains, l'âge de
l'activité politique. D'ordinaire on venait alors
d'être questeur ou édile ; on entrevoyait devant
soi la préture et le consulat, et l'on se faisait, en
luttant vaillamment sur le forum ou dans la curie, des titres
pour y arriver. Ce qu'imaginait de plus beau tout jeune homme
à son entrée dans les affaires, c'était
d'obtenir ces grands honneurs à l'âge où
le permettaient les lois, la préture à quarante
ans, le consulat à quarante-trois, et il n'y avait
rien de plus honorable que de pouvoir dire : «J'ai
été préteur ou consul dès que
j'ai eu le droit de l'être (meo anno)». Si
par bonheur, pendant qu'on l'était, le sort favorisait
de quelque guerre importante qui donnât l'occasion de
tuer cinq mille ennemis, on obtenait le triomphe, et il ne
restait plus rien à souhaiter.
Il n'est pas douteux que
Brutus n'eût conçu cette espérance comme
les autres, et il est certain que sa naissance et ses talents
lui auraient permis de la réaliser ; Pharsale renversa
tous ces projets. Les honneurs ne lui étaient pas
interdits, car il était l'ami de celui qui les
distribuait ; mais ces honneurs n'étaient plus que de
vains titres depuis qu'un homme avait pris pour lui tout le
réel du pouvoir. Cet homme prétendait bien
être le seul maître et il n'admettait personne
à partager avec lui l'autorité. «Il
n'écoute pas même les siens, disait
Cicéron, et ne prend conseil que de lui»
(17). Pour les
autres, la vie politique n'existait plus. Il arriva donc
même à ceux qu'occupait le gouvernement nouveau
de se sentir désoeuvrés, surtout après
les violentes agitations des années
précédentes. Le dieu, suivant l'expression de
Virgile, faisait des loisirs à tout le monde. Brutus
employa ces loisirs à revenir aux études de sa
jeunesse qu'il avait plutôt interrompues que
délaissées. Y revenir, c'était se
rapprocher plus étroitement encore de
Cicéron.
Ce n'est pas qu'il
l'eût oublié ; pendant qu'il suivait
César en Asie, il avait appris que son ami,
retiré à Brindes, y souffrait à la fois
des menaces des césariens, qui ne lui pardonnaient pas
d'être parti pour Pharsale, et des rancunes des
pompéiens, qui lui reprochaient d'en être trop
vite revenu. Entre toutes ces colères, Cicéron,
qui, comme on sait, n'avait pas beaucoup d'énergie,
était fort abattu. Brutus lui écrivit pour le
raffermir. «Vous avez fait des actions, lui disait-il,
qui parleront de vous malgré votre silence, qui
vivront après votre mort, et qui, par le salut de
l'Etat, si l'Etat est sauvé, par sa perle, s'il ne
l'est pas, déposeront à jamais en faveur de
votre conduite politique» (18). Cicéron dit
qu'en lisant cette lettre il lui sembla sortir d'une longue
maladie et rouvrir les yeux à la lumière. Quand
Brutus fut de retour à Rome, leurs relations se
multiplièrent. En se connaissant mieux, ils
s'apprécièrent davantage. Cicéron, dont
l'imagination était si vive, le coeur si jeune
malgré ses soixante ans, s'éprit tout à
fait de Brutus. Ce commerce assidu avec un esprit si curieux,
une âme si droite, ranima et rajeunit son talent. Dans
les beaux ouvrages qu'il publie alors et qui se
succèdent coup sur coup, son ami tient toujours une
grande place. On voit que son coeur est plein de lui, il en
parle le plus qu'il peut, il ne se lasse pas de le louer, il
veut avant tout lui plaire ; on dirait qu'il ne se soucie
plus que des éloges et de l'amitié de
Brutus.
C'est surtout
l'étude de la philosophie qui les réunit. Tous
deux l'aimaient et la cultivaient depuis leur jeunesse, tous
deux semblèrent l'aimer davantage et la cultiver avec
plus d'ardeur quand le gouvernement d'un seul les eut
éloignés des affaires publiques.
Cicéron, qui ne pouvait se faire au repos, tourna
toute son activité vers elle. «La Grèce
vieillit, disait-il à ses amis et à ses
élèves, allons lui arracher sa gloire
philosophique» (19) ; et il se mit le
premier à l'oeuvre. Il tâtonna d'abord quelque
temps et ne trouva pas du premier coup la philosophie qui
convenait à ses compatriotes. Un moment il avait
été tenté de les diriger vers ces
questions de métaphysique subtile qui
répugnaient au bon sens pratique des Romains. I1 avait
traduit le Timée, c'est-à-dire ce qu'il
y a de plus obscur dans la philosophie de Platon ; mais il
s'aperçut vite qu'il se trompait, et il s'empressa de
quitter cette route où il aurait marché tout
seul. Dans les Tusculanes, il revint aux questions de
morale appliquée et n'en sortit plus. Les
caractères divers des passions, la nature propre de la
vertu, la hiérarchie des devoirs, tous ces
problèmes qu'un honnête homme se pose pendant sa
vie, surtout celui devant lequel il recule souvent, mais qui
revient toujours avec une obstination terrible, et trouble
à certains moments les âmes les plus
matérielles et les plus terrestres, l'avenir
après la mort, voilà ce qu'il étudie
sans tour de force dialectique, sans préjugé
d'école, sans parti pris de système, et avec
moins de souci d'inventer des idées nouvelles que de
prendre un peu partout des principes pratiques et
sensés. Tel est le caractère de la philosophie
romaine, dont il faut bien se garder de médire, car
son rôle a été grand dans le monde, et
c'est par elle que la sagesse des Grecs, rendue plus solide
à la fois et plus transparente, est arrivée
jusqu'aux peuples de l'Occident. Cette philosophie date de
Pharsale, comme l'empire, et elle doit beaucoup à la
victoire de César, qui, en supprimant la vie
politique, força les esprits curieux à chercher
d'autres aliments à leur activité. Accueillie
d'abord avec enthousiasme par toutes les âmes
souffrantes et désoeuvrées, elle devint de plus
en plus populaire à mesure que l'autorité des
empereurs se faisait plus lourde. A cette domination absolue
que le pouvoir exerçait sur les actions
extérieures, on était heureux d'opposer la
pleine possession de soi que donne la philosophie ;
s'étudier, s'enfermer en soi-même,
c'était échapper par un côté
à la tyrannie du maître, et, en cherchant
à se bien connaître, on semblait agrandir le
terrain où sa puissance n'avait pas d'accès.
Les empereurs le comprirent bien ; ils furent les mortels
ennemis d'une science qui se permettait de limiter leur
autorité. Avec l'histoire, qui rappelait des souvenirs
fâcheux, elle leur fut bientôt suspecte ;
c'étaient, dit Tacite, deux noms déplaisants
aux princes, ingrata principibus nomina.
Je n'ai pas à faire
voir pourquoi tous les ouvrages de philosophie
composés à la fin de la république ou
sous l'empire ont une importance beaucoup plus grande que les
livres que nous écrivons aujourd'hui sur les
mêmes sujets : on l'a trop bien dit déjà
pour que j'aie à y revenir (20). Il est certain
qu'en ce temps où la religion se bornait au culte,
où ses livres ne contenaient que des recueils de
formules et le détail minutieux des pratiques, et
où elle ne se piquait d'apprendre à ses adeptes
que la science de sacrifier selon les rites, la philosophie
seule pouvait donner à toutes les âmes
honnêtes et troublées, flottant sans direction
et avides d'en trouver une, l'enseignement dont elles avaient
besoin. Il faut donc ne pas oublier, quand on lit un livre de
morale de cette époque, qu'il n'était pas
seulement écrit pour les lettrés oisifs que
charment les beaux discours, mais pour ceux que
Lucrèce représente cherchant au hasard le
chemin de la vie ; il faut se dire qu'on a pratiqué
ces préceptes, que ces théories sont devenues
des règles de conduite, et que, pour ainsi parler,
toute cette morale a vécu. Qu'on prenne par exemple la
première Tusculane : Cicéron veut y
prouver que la mort n'est pas un mal. Quel lieu commun en
apparence, et qu'il nous est difficile de ne pas regarder
tous ces beaux développements comme un exercice
oratoire et une amplification d'école ! Il n'en est
rien cependant, et la génération pour laquelle
ils étaient écrits y trouvait autre chose. Elle
les lisait à la veille des proscriptions pour
retremper ses forces, et sortait de cette lecture plus ferme,
plus résolue, mieux préparée à
soutenir les grands malheurs qu'on prévoyait. Atticus
lui-même, l'égoïste Atticus, si
éloigné de risquer sa vie pour personne, y
prenait une énergie inconnue. «Vous me dites,
lui écrit Cicéron, que mes Tusculanes
vous donnent du coeur : tant mieux. Il n'y a pas de ressource
plus prompte et plus sûre contre les
événements que celle que j'indique»
(21). Cette
ressource, c'était la mort. Aussi que de gens en ont
profité ! Jamais on n'a vu un plus incroyable
mépris de la vie, jamais la mort n'a moins fait de
peur. Depuis Caton, le suicide devient une contagion, une
frénésie. Les vaincus, Juba,
Pétréius, Scipion, ne connaissent pas d'autre
manière de se sauver du vainqueur. Latérensis
se tue de regret, quand il voit son ami Lépide trahir
la république ; Scapula, qui ne peut plus
résister dans Cordoue, fait construire un bûcher
et se brûle vivant ; lorsque Décimus Brutus,
fugitif, hésite à choisir ce remède
héroïque, Blasius, son ami, se tue devant lui,
pour lui donner l'exemple. A Philippes, c'est un
véritable délire. Ceux mêmes qui
pouvaient se sauver ne cherchent pas à survivre
à leur défaite. Quintilius Varus se revêt
des ornements de sa dignité et se fait tuer par un
esclave ; Labéon creuse lui-même sa fosse et se
tue sur le bord ; le jeune Caton, de peur d'être
épargné, jette son casque et crie son nom ;
Cassius est impatient et se tue trop tôt ; Brutus
clôt la liste par un suicide étonnant de calme
et de dignité. Quel étrange et effrayant
commentaire des Tusculanes, et comme cette
vérité générale, ainsi
pratiquée par tant de gens de coeur, cesse
d'être un lieu commun !
C'est avec le même
esprit qu'il faut étudier les trop courts fragments
qui restent des ouvrages philosophiques de Brutus. Toutes les
pensées générales qu'on y trouve ne
paraîtront plus insignifiantes et vagues quand on
songera que celui qui les a formulées a
prétendu aussi les mettre en pratique dans sa vie. Le
plus célèbre de tous ces écrits de
Brutus, le traité de la Vertu, était
adressé à Cicéron et digne de tous les
deux. C'était un bel ouvrage qui plaisait surtout
parce qu'on sentait que l'écrivain était bien
convaincu de tout ce qu'il disait (22). Il nous en reste un
passage important conservé par Sénèque.
Dans ce passage, Brutus raconte qu'il vient de voir à
Mitylène M. Marcellus, celui auquel César
pardonna plus tard à la prière de
Cicéron. Il l'a trouvé tout occupé
d'études sérieuses, oubliant sans peine Rome et
ses plaisirs, et goûtant dans ce silence et ce repos un
bonheur qu'il n'avait jamais connu. «Quand il fallut le
quitter, dit-il, et que je vis que je m'en allais sans lui,
il me sembla que c'était moi qui partais pour l'exil,
et non pas Marcellus qui y restait» (23). De cet exemple il
conclut qu'il ne faut pas se plaindre d'être
exilé, puisqu'on peut emporter avec soi toute sa
vertu. La morale du livre était que pour vivre heureux
on n'a besoin que de soi. C'est encore un lieu commun, si
l'on veut ; mais, en essayant de conformer sa vie
entière à cette maxime, Brutus en avait fait
une vérité vivante. Ce n'était pas une
thèse de philosophie qu'il développait, mais
une règle de conduite qu'il proposait aux autres et
qu'il avait prise pour lui. Il s'était
accoutumé de bonne heure à se renfermer en
lui-même et à y placer ses plaisirs et ses
peines. De là vint cette liberté d'esprit qu'il
gardait dans les affaires les plus graves, ce dédain
des choses extérieures que tous les contemporains ont
remarqué, et la facilité qu'il avait à
s'en détacher. La veille de Pharsale, tandis que tout
le monde était inquiet et soucieux, il lisait
tranquillement Polybe et prenait des notes en attendant le
moment du combat. Après les ides de mars, au milieu
des émotions et des frayeurs de ses amis, lui seul
conservait une sérénité éternelle
qui impatientait un peu Cicéron. Chassé de
Rome, menacé par les vétérans de
César, il se consolait de tout en disant : «Il
n'y a rien de mieux que de s'enfermer dans le souvenir de ses
bonnes actions et de ne pas s'occuper des
événements ni des hommes» (24). Cette
facilité à s'abstraire des choses
extérieures et à vivre en soi-même est
certainement une qualité précieuse pour un
homme de réflexion et d'étude : c'est
l'idéal que se propose un philosophe ; mais n'est-elle
pas un danger, une faute chez un homme d'action et un
politique ? Convient-il de se détacher de l'opinion
des autres quand le succès des choses qu'on entreprend
dépend de l'opinion ? Sous prétexte
d'écouter sa conscience et de la suivre
résolûment, doit-on ne tenir aucun compte des
circonstances et s'engager au hasard dans des aventures sans
résultat ? Enfin, en voulant se tenir en dehors de la
foule, et se préserver absolument de ses passions, ne
risque-t-on pas de perdre le lien qui attache à elle
et de devenir incapable de la conduire ? Appien, dans le
récit qu'il fait de la dernière campagne de
l'armée républicaine, raconte que Brutus
était toujours maître de lui, et qu'il se tenait
presque en dehors des graves affaires qui se
débattaient. Il
aimait à causer et à lire ; il visitait en
curieux les lieux qu'on traversait et faisait parler les gens
du pays : c'était un philosophe au milieu des camps.
Cassius au contraire, uniquement occupé de la guerre,
ne se laissant jamais détourner ailleurs, et pour
ainsi dire tendu tout entier vers ce but, ressemblait
à un gladiateur qui combat (25). Je soupçonne
que Brutus devait un peu dédaigner cette
fiévreuse activité toute renfermée dans
des soins vulgaires, et que ce rôle de gladiateur le
faisait sourire. Il avait tort : c'est au gladiateur
qu'appartient le succès dans les choses humaines, et
l'on n'y réussit qu'en y mettant son âme tout
entière. Quant à ces spéculatifs
renfermés en eux-mêmes, qui veulent se tenir en
dehors et au-dessus des passions du jour, ils étonnent
la foule et ne l'entraînent pas ; ils peuvent
être des sages, ils font de mauvais chefs de
parti.
Du reste, il est bien
possible que Brutus, livré à lui-même,
n'aurait pas eu la pensée de devenir un chef de parti.
Il n'était pas hostile au pouvoir nouveau, et
César n'avait négligé aucune occasion de
se l'attacher en lui accordant la grâce des
pompéiens les plus compromis. De retour à Rome,
il lui confia le gouvernement d'une des plus belles provinces
de l'empire, la Gaule cisalpine. Vers le même temps, on
apprit la défaite de l'armée
républicaine à Thapsus et la mort de Caton.
Brutus en fut sans doute fort attristé. Il
écrivit lui-même et fit composer par
Cicéron l'éloge de son oncle ; mais on sait par
Plutarque qu'il le blâmait de s'être soustrait
à la clémence de César. Quand Marcellus,
qui venait d'obtenir son pardon, fut assassiné
près d'Athènes, quelques personnes
affectèrent de croire et de dire que César
pouvait bien être complice de ce crime. Brutus
s'empressa d'écrire, avec une chaleur qui surprit
Cicéron, pour le disculper. Il était donc alors
tout à fait sous le charme de César. Ajoutons
qu'il avait pris dans le camp de Pompée l'horreur des
guerres civiles. Elles lui avaient enlevé quelques-uns
de ses amis les plus chers, par exemple Torquatus et
Triarius, deux jeunes gens de grand avenir dont il regretta
amèrement la perte. En songeant aux désordres
qu'elles avaient causés, aux victimes qu'elles avaient
faites, il disait sans doute avec le philosophe Favonius, son
ami : «Il vaut encore mieux souffrir un pouvoir
arbitraire que de ranimer des guerres impies» (26). Comment donc
s'est-il laissé entraîner à les
recommencer ? Par quelle conspiration savante ses amis
sont-ils parvenus à vaincre ses répugnances,
à l'armer contre un homme qu'il aimait, à
l'engager dans une entreprise qui devait bouleverser le monde
? C'est ce qui mérite d'être raconté, et
les lettres de Cicéron permettent de
l'entrevoir.
III
Depuis Pharsale, les mécontents ne manquaient pas.
Cette grande aristocratie, qui avait si longtemps
gouverné le monde, ne pouvait pas se tenir pour battue
après une seule défaite. Il était
d'autant plus naturel qu'elle voulût tenter un dernier
effort qu'elle sentait bien que la première fois elle
n'avait pas combattu dans de bonnes conditions, et qu'en
liant sa cause à celle de Pompée, elle
s'était placée sur un mauvais terrain.
Pompée n'inspirait guère plus de confiance
à la liberté que César. On savait qu'il
avait du goût pour les pouvoirs extraordinaires, et
qu'il aimait à concentrer dans ses mains toute
l'autorité publique. Au commencement de la guerre
civile, il avait repoussé avec tant de hauteur les
propositions les plus justes et mis tant d'ardeur à
précipiter la crise, qu'il semblait plutôt
vouloir se débarrasser d'un rival qui le gênait
que venir au secours de la république menacée.
Cicéron, son ami, nous dit que lorsqu'on voyait dans
son camp l'insolence de son entourage et son obstination
à ne vouloir prendre l'avis de personne, on
soupçonnait que celui qui avant la bataille
accueillait si mal les conseils serait un maître
après la victoire. Voilà pourquoi tant
d'honnêtes gens, et Cicérone le premier, avaient
hésité si longtemps à se déclarer
pour lui ; voilà surtout pourquoi des hommes
intrépides, comme Brutus, s'étaient tant
pressés de poser les armes après la
première défaite. Il faut ajouter que, si l'on
n'était pas parfaitement rassuré sur les
intentions de Pompée, il était possible aussi
de se méprendre sur les projets de César. Il
voulait le pouvoir, personne ne l'ignorait ; mais quelle
sorte de pouvoir ? était-ce seulement une de ces
dictatures temporaires, nécessaires dans les Etats
libres après une époque d'anarchie, qui
suspendent la liberté, mais ne l'anéantissent
pas ? S'agissait-il de recommencer Marius et Sylla, auxquels
la république avait survécu ? A la rigueur, on
pouvait le croire, et rien n'empêche de supposer que
plusieurs des officiers de César, ceux surtout qui,
détrompés plus tard, conspirèrent contre
lui, ne l'aient alors pensé.
Mais après Pharsale il n'y avait plus moyen de
conserver cette illusion. Ce n'était pas une
autorité d'exception que César demandait,
c'était un gouvernement nouveau qu'il
prétendait fonder. Ne lui avait-on pas entendu dire
que la république était un mot vide de sens et
que Sylla n'était qu'un sot d'avoir abdiqué la
dictature ? Ses mesures pour régler à son
profit l'exercice du suffrage populaire, la
désignation qu'il avait faite d'avance des consuls et
des préteurs pour plusieurs années de suite, le
trésor public et l'administration des revenus de
l'état livrés à ses affranchis et
à ses esclaves, toutes les dignités
réunies sur sa tête, la censure sous le nom de
préfecture des moeurs, la dictature perpétuelle
qui ne l'empêche pas de se faire nommer consul tous les
ans, tout enfin dans ses lois et dans sa conduite indiquait
une sorte de prise de possession définitive du
pouvoir. Loin de prendre aucun de ces ménagements
qu'employa plus tard Auguste pour dissimuler l'étendue
de son autorité, il semblait l'étaler avec
complaisance, et sans se soucier des ennemis que sa franchise
pouvait lui faire. Au contraire, par une sorte de scepticisme
ironique et d'impertinence hardie qui sentait son grand
seigneur, il aimait à choquer les partisans fanatiques
des anciens usages. Il souriait de voir pontifes et augures
effarés quand il osait nier les dieux en plein
sénat, et c'était son amusement de
déconcerter ces vieillards formalistes, gardiens
superstitieux des anciennes pratiques. De plus, comme il
était homme de plaisir avant tout, il n'aimait pas
seulement le pouvoir pour l'exercer, mais pour en jouir ; il
ne se contentait pas du solide de l'autorité
souveraine, il en voulait aussi les dehors, l'éclat
qui l'entoure, les hommages qu'elle exige, la pompe qui la
relève, et même le nom qui la désigne. Ce
titre de roi qu'il souhaitait avec ardeur, il n'ignorait pas
à quel point il effrayait les Romains : mais sa
hardiesse se faisait un plaisir de braver de vieux
préjugés, en même temps que sa franchise
trouvait sans doute plus loyal de donner au pouvoir qu'il
exerçait son nom véritable. Cette conduite de
César eut pour résultat de dissiper toutes les
obscurités. Grâce à elle, il n'y avait
plus d'illusion ni de malentendu possibles. La question se
trouvait posée, non pas entre deux ambitions rivales,
comme au temps de Pharsale, mais entre deux gouvernements
contraires. Les opinions, comme il arrive, se
précisèrent l'une par l'autre, et la
prétention, qu'avouait hautement César, de
fonder une monarchie amena la création d'un grand
parti républicain.
Comment, dans ce parti, les plus hardis, les plus violents
eurent-ils l'idée de s'unir et de s'organiser ? De
quelle manière arriva-t-on, de confidence en
confidence, à former un complot contre la vie du
dictateur ? C'est ce qu'il est impossible de bien savoir. Il
semble seulement que la première idée du
complot ait été conçue à la fois
dans deux camps tout à fait opposés, parmi les
vaincus de Pharsale, et, ce qui est plus surprenant, parmi
les généraux mêmes de César. Ces
deux conspirations étaient probablement distinctes
à l'origine, et chacune agissait pour son compte :
tandis que Cassius avait songé à tuer
César sur les bords du Cydnus, Tréhonius avait
été sur le point de l'assassiner à
Narbonne. Elles finirent plus tard, on ne sait comment, par
se rejoindre.
Tout parti commence par se chercher un chef. Si l'on avait
voulu continuer les traditions de la guerre
précédente, ce chef était tout
trouvé : il restait un fils de Pompée, Sextus,
échappé par miracle de Pharsale et de Munda, et
qui avait survécu à tous les siens. Vaincu,
mais non découragé, il errait dans les
montagnes ou le long des rivages, tour à tour partisan
habile, pirate audacieux, et les pompéiens
obstinés se réunissaient autour de lui, mais on
ne voulait plus être pompéien. On souhaitait
avoir pour chef quelqu'un qui ne fût pas seulement un
nom, mais un principe, qui représentât la
république et la liberté sans
arrière-pensée personnelle. Il fallait que, par
sa vie, ses moeurs, son caractère, il fût en
opposition complète avec le gouvernement qu'on allait
attaquer. On le voulait honnête parce que le pouvoir
était corrompu, désintéressé pour
protester contre ces convoitises insatiables qui entouraient
César, déjà illustre, afin que les
éléments divers dont se composait le parti
fléchissent sous lui, jeune pourtant, car on avait
besoin d'un coup de main. Or, il n'y avait qu'un seul homme
qui réunît toutes ces qualités :
c'était Brutus. Aussi tout le monde avait-il les yeux
sur lui. La voix publique le désignait comme le chef
du parti républicain alors même qu'il
était encore l'ami de César. Quand les premiers
conjurés allaient de tous côtés cherchant
des complices, on leur faisait toujours la même
réponse : «Nous en serons, si Brutus nous
conduit». César lui-même, malgré sa
confiance et son amitié, semblait quelquefois
pressentir d'où lui viendrait le danger. Un jour qu'on
lui faisait peur du mécontentement et des menaces
d'Antoine et de Dolabella : «Non, répondit-il,
ce ne sont pas ces débauchés qui sont à
craindre ; ce sont les maigres et les pâles». Il
voulait surtout désigner Brutus.
A cette pression de
l'opinion publique, qui disposait de Brutus, et l'engageait
sans son aveu, il fallait bien ajouter des excitations plus
précises pour le décider ; elles lui vinrent de
tous les côtés. Je n'ai pas besoin de rappeler
ces billets qu'il trouvait sur son tribunal, ces inscriptions
qu'on plaçait au bas de la statue de son aïeul
(27), et toutes
ces manoeuvres habiles que Plutarque a si bien
racontées. Mais personne n'a mieux servi les desseins
de ceux qui voulaient faire de Brutus un conspirateur que
Cicéron, qui pourtant ne les connaissait pas. Ses
lettres nous montrent dans quelle disposition d'esprit il
était alors. Le dépit, la colère, le
regret de la liberté perdue y éclatent avec une
singulière vivacité. «J'ai honte
d'être esclave» (28), écrit-il un
jour à Cassius sans se douter qu'à ce moment
même Cassius cherchait dans l'ombre les moyens de ne
plus l'être. Il était impossible que ces
sentiments ne se fissent pas jour dans les livres qu'il
publiait alors. Nous les y retrouvons aujourd'hui que nous
les lisons de sang-froid ; à plus forte raison les
devait-on voir quand ces livres étaient
commentés par la haine et lus avec des yeux que la
passion rendait pénétrants. Que
d'épigrammes y étaient saisies qui nous
échappent ! Que de mots piquants et amers,
inaperçus aujourd'hui, étaient alors applaudis
au passage et répétés malignement dans
ces entretiens où l'on déchirait le
maître et ses amis! C'était là ce que
Cicéron appelle spirituellement «les morsures de
la liberté, qui ne déchire jamais mieux que
lorsqu'on l'a quelque temps muselée» (29). Avec un peu de
complaisance, on trouvait partout des allusions. Si l'auteur
parlait avec tant d'admiration de l'antique éloquence,
c'est qu'il voulait faire honte de ce forum désert et
de ce sénat muet ; les souvenirs du régime
ancien n'étaient rappelés que pour attaquer le
nouveau, et l'éloge des morts devenait la satire des
vivants. Cicéron comprenait bien toute la
portée de ses livres quand il en disait plus tard :
«Ils furent pour moi comme un sénat, comme une
tribune d'où je pouvais parler» (30). Rien n'a plus servi
à irriter l'opinion publique, à jeter dans les
âmes le regret du passé et le
dégoût du présent, à
préparer enfin les événements qui
allaient suivre.
Brutus, en lisant les
écrits de Cicéron, devait être plus
ému qu'aucun autre ; c'est à lui qu'ils
étaient dédiés, c'est pour lui qu'ils
étaient faits. Quoique destinés à agir
sur le public entier, ils contenaient des parties qui
s'adressaient plus directement à lui. Cicéron
ne cherchait pas seulement à réveiller ses
sentiments patriotiques, il lui rappelait les souvenirs et
les espérances de sa jeunesse. Avec une
habileté perfide, il intéressait même sa
vanité à la restauration de l'ancien
gouvernement en montrant quelle place il aurait pu s'y faire.
«Brutus, lui disait-il, je sens ma douleur se ranimer
en jetant les yeux sur vous et en pensant que, lorsque votre
jeunesse s'élançait avec
impétuosité vers la gloire, vous avez
été arrêté tout à coup par
la malheureuse destinée de la république.
Voilà le sujet de ma douleur, voilà la cause de
mes soucis et de ceux d'Atticus, qui partage mon estime et
mon affection pour vous. Vous êtes l'objet de tout
notre intérêt, nous désirons que vous
recueilliez les fruits de votre vertu ; nous faisons des
voeux pour que l'état de la république vous
permette un jour de faire revivre et d'augmenter encore la
gloire des deux illustres maisons que vous
représentez. Vous deviez être le maître au
forum, y régner sans rival ; aussi sommes-nous
doublement affligés que la république soit
perdue pour vous, et vous pour la république»
(31). De
semblables regrets exprimés de cette façon, et
dans lesquels l'intérêt privé se
mêlait à l'intérêt public,
étaient bien faits pour troubler Brutus. Antoine
n'avait pas tout à fait tort quand il accusait
Cicéron d'avoir été complice de la mort
de César. S'il n'a pas frappé lui-même,
il a armé les bras qui frappèrent, et les
conjurés n'étaient que justes lorsqu'au sortir
du sénat, après les ides de mars, ils
appelaient Cicéron en agitant leurs
épées sanglantes.
A ces excitations qui venaient du dehors s'en joignirent
d'autres, plus puissantes encore, que Brutus trouvait dans sa
maison. Sa mère s'était toujours servi de
l'empire qu'elle avait sur lui pour le rapprocher de
César ; mais justement à cette heure critique
l'empire de Servilie fut amoindri par le mariage de Brutus
avec sa cousine Porcia. Fille de Caton, veuve de Bibulus,
Porcia apportait dans sa nouvelle maison toutes les passions
de son père et de son premier mari, et surtout la
haine de César, qui avait causé tous ses
malheurs. A peine y était-elle entrée que des
dissentiments éclatèrent entre elle et sa
belle-mère. Cicéron, qui nous les apprend, n'en
dit pas le motif ; mais il n'est pas téméraire
de supposer que ces deux femmes se disputaient l'affection de
Brutus, et qu'elles voulaient le dominer pour
l'entraîner dans des directions différentes.
L'influence de Servilie perdit sans doute quelque chose dans
ces discussions domestiques, et sa voix, combattue par les
conseils d'une épouse nouvelle et chérie, n'eut
plus la même autorité quand elle parlait pour
César.
Ainsi tout se
réunissait pour entraîner Brutus. Qu'on se
figure cet homme faible et timoré attaqué de
tant de côtés à la fois, par les
excitations de l'opinion publique, par les souvenirs du
passé, par les traditions de sa famille et le nom
même qu'il portait, par ces reproches secrets
placés sous sa main, semés sous ses pas, qui
venaient à chaque moment frapper ses yeux inattentifs,
murmurer à son oreille distraite, retrouvant ensuite
chez lui les mêmes souvenirs et les mêmes
reproches sous la forme de douleurs légitimes et de
regrets touchants. Ne devait-il pas finir par céder
à cet assaut de tous les jours ? Cependant il est
probable qu'il a résisté avant de se rendre, il
a livré de violents combats pendant ces nuits sans
sommeil dont parle Plutarque ; mais comme ces luttes
intérieures ne pouvaient pas avoir de confidents,
elles n'ont pas laissé de trace chez les historiens.
Tout ce qu'on peut faire, si l'on tient à les
connaître, c'est d'essayer d'en retrouver comme un
souvenir lointain dans les lettres que Brutus écrivit
plus tard, et que nous avons conservées. On y voit par
exemple qu'il revient à deux reprises sur cette
même pensée : «Nos ancêtres
croyaient que nous ne devons pas souffrir un tyran,
fût-il notre père (32)... Avoir plus
d'autorité que les lois et le sénat, c'est un
droit que je n'accorderais pas à mon père
lui-même» (33). N'est-ce pas la
réponse qu'il se faisait toutes les fois qu'il se
sentait troublé par le souvenir de l'affection
paternelle de César, lorsqu'il songeait que cet homme
contre lequel il allait s'armer l'appelait son enfant ? Quant
aux faveurs qu'il en avait reçues ou qu'il pouvait en
attendre, elles auraient pu en désarmer un autre, mais
lui s'affermissait et se raidissait contre elles. «Il
n'y a pas, disait-il, d'esclavage assez avantageux pour me
faire quitter le dessein d'être libre» (34). C'est par là
qu'il se défendait contre les amis du dictateur,
peut-être contre sa mère, quand elle lui
montrait, pour l'éblouir, que, s'il voulait souffrir
la royauté de César, il pouvait espérer
de la partager. Ce n'est pas lui qui aurait jamais consenti
à payer de sa liberté le droit de dominer sur
les autres ; le marché lui aurait paru
désavantageux. «Il vaut mieux, a-t-il
écrit quelque part, ne commander à personne que
d'être l'esclave de quelqu'un. On peut vivre sans
commander, et il n'y a pas de raison de vivre quand on est
esclave» (35).
Au milieu de toutes ces anxiétés qu'on ne
pouvait pas connaître, il se passa un fait qui surprit
beaucoup le public, et que les lettres de Cicéron
racontent sans l'expliquer. Quand on apprit que César,
vainqueur des fils de Pompée, revenait à Rome,
Brutus mit à se porter à sa rencontre un
empressement que tout le monde remarqua et que beaucoup de
gens blâmèrent. Quel était donc son
dessein ? Quelques mots de Cicéron, auxquels on n'a
pas fait assez d'attention, permettent de le deviner. Au
moment de prendre une résolution suprême, Brutus
voulait tenter sur l'esprit de César un dernier effort
et essayer une dernière fois de le rapprocher de la
république. Il affecta de louer devant lui les gens du
parti vaincu, surtout Cicéron, dans l'espérance
qu'ils pourraient être rappelés aux affaires.
César écouta ces éloges avec
bienveillance, accueillit bien Brutus, et ne le
découragea pas trop. Celui-ci, trop facilement
confiant, s'empressa de retourner à Rome et d'annoncer
à tout le monde que César revenait aux
honnêtes gens. Il alla jusqu'à conseiller
à Cicéron d'adresser au dictateur une lettre
politique qui contînt de bons conseils et quelques
avances ; mais Cicéron ne partageait pas les
espérances de son ami, et après quelques
hésitations il refusa d'écrire. Du reste, les
illusions de Brutus ne furent pas longues. Antoine l'avait
devancé auprès de César. Antoine, qui
par ses folies venait de troubler la tranquillité de
Rome, avait beaucoup à se faire pardonner ; mais il
savait bien le moyen d'y parvenir. Pendant que Brutus
essayait de rapprocher César des républicains
et croyait y avoir réussi, Antoine, pour
fléchir son maître, flattait ses désirs
les plus chers, et sans doute faisait luire à ses yeux
cette couronne tant convoitée. La scène des
lupercales fit voir clairement qu'Antoine l'avait
emporté, et il ne fut plus possible à Brutus de
douter des intentions de César. A la
vérité, le plan d'Antoine ne réussit pas
cette fois : les cris de la foule, l'opposition de deux
tribuns, forcèrent César à refuser le
diadème qu'on lui offrait ; mais on savait bien que
cet échec ne l'avait pas découragé.
L'occasion n'était que remise et allait se
représenter. A propos de la guerre contre les Parthes,
on devait apporter au sénat un vieil oracle sibyllin
qui disait que les Parthes ne seraient vaincus que par un
roi, et demander ce titre pour César. Or, il y avait
dans le sénat trop d'étrangers et trop de
lâches pour que la réponse fût douteuse.
C'est le moment que choisit Cassius pour
révéler à Brutus la conjuration qui se
tramait et l'en faire le chef.
Cassius, dont le nom
devient, à partir de ce moment, inséparable de
celui de Brutus, formait avec lui un contraste complet. Il
avait gagné une grande réputation militaire en
sauvant les débris de l'armée de Crassus et en
chassant les Parthes de la Syrie ; mais en même temps
on l'accusait d'être ami du plaisir, épicurien
de doctrine et de conduite, avide de pouvoir, et peu
scrupuleux sur les moyens de l'acquérir. Comme presque
tous les proconsuls, il avait pillé la province qu'il
gouvernait ; on disait que la Syrie ne s'était
guère bien trouvée d'avoir été
sauvée par lui, et qu'elle aurait presque autant
aimé passer par les mains des Parthes. Cassius
était amer dans ses railleries, inégal,
emporté, quelquefois cruel (36), et l'on comprend
qu'un assassinat ne lui ait pas répugné ; mais
d'où lui vint la pensée de tuer César ?
Plutarque dit que c'est du dépit de n'avoir pas obtenu
la préture urbaine que la faveur du dictateur avait
accordée à Brutus, et rien n'empêche en
effet de croire que des ressentiments personnels aient aigri
cette âme violente. Pourtant, si Cassius n'avait eu que
cet outrage à venger, il n'est pas probable qu'il se
fût entendu avec celui qui en avait été
le complice et qui en avait profité. Il avait bien
d'autres motifs de haïr César. Aristocrate de
naissance et de passion, il portait dans son coeur toutes les
haines de l'aristocratie vaincue ; il lui fallait une
sanglante revanche de la défaite des siens, et le
pardon de César n'avait pas éteint cette
colère que soulevait en lui le spectacle de sa caste
opprimée. Ainsi, tandis que Brutus cherchait à
être l'homme d'un principe, Cassius était
ouvertement l'homme d'un parti. Il paraît qu'il eut de
bonne heure la pensée de venger Pharsale par un
assassinat. Du moins Cicéron dit que, quelques mois
à peine après qu'il eut obtenu son pardon, il
attendait César sur une des rives du Cydnus pour le
tuer, et que César ne fut sauvé que par le
hasard qui le fit aborder sur l'autre rive. A Rome,
malgré les faveurs dont il était l'objet, il
reprit son dessein. C'est lui qui noua la conjuration, alla
trouver les mécontents, les réunit dans des
conférences secrètes, et comme il vit que tous
demandaient d'avoir Brutus pour chef, c'est lui aussi qui se
chargea de lui parler.
Ils étaient encore
brouillés à la suite de leur rivalité
pour la préture urbaine. Cassius mit de
côté tous ses ressentiments et alla trouver son
beau-frère. «Il le prit par la main, raconte
Appien, et lui dit : Que ferons-nous si les flatteurs de
César proposent de le faire roi ? Brutus
répondit qu'il comptait ne pas aller au sénat.
- Mais quoi ? reprit Cassius. Si nous y sommes appelés
en notre qualité de préteurs, que faudra-t-il
donc faire ? - Je défendrai la république, dit
l'autre, jusqu'à la mort. - Ne veux-tu donc pas,
répondit Cassius en l'embrassant, prendre quelques-uns
des sénateurs pour complices de tes desseins ?
Penses-tu que ce sont des misérables et des
mercenaires ou les premiers citoyens de Rome qui placent sur
ton tribunal les inscriptions que tu y trouves ? On attend
des autres préteurs des jeux, des courses ou des
chasses ; ce qu'on réclame de toi, c'est que tu rendes
à Rome sa liberté, comme l'ont fait tes
ancêtres» (37). Ces paroles
achevèrent d'entraîner une âme que tant de
sollicitations secrètes ou publiques avaient depuis
longtemps ébranlée. Hésitante encore,
mais déjà presque gagnée, elle
n'attendait plus pour se rendre que de se trouver en
présence d'une résolution bien
arrêtée.
La conjuration avait enfin son chef. Il n'y avait plus de
raison d'hésiter ni d'attendre. Pour éviter les
indiscrétions ou les faiblesses, il fallait se
hâter d'agir. C'est peu de temps après la
fête des lupercales, célébrée le
45 de février, que Cassius avait tout
révélé à Brutus, et moins d'un
mois après, le 15 de mars, César était
frappé dans la curie de Pompée.
IV
Brutus fut bien réellement le chef de la
conjuration, quoiqu'il n'en ait pas eu la première
pensée. Cassius, qui l'avait formée, aurait pu
seul lui disputer le droit de la diriger. Peut-être en
eut-il un moment l'intention. Nous voyons qu'il proposa
d'abord un plan de conduite où se retrouve toute la
violence de son caractère. Il voulait qu'on tuât
avec César ses principaux amis, et surtout Antoine.
Brutus s'y refusa, et les autres conjurés furent de
son opinion. Cassius lui-même finit par se rendre, car
il faut remarquer que, quoique impérieux et hautain,
il subissait, lui aussi, l'ascendant de Brutus. Il essaya
plusieurs fois de s'y soustraire ; mais, après
beaucoup d'emportements et de menaces, il se sentait vaincu
par la froide raison de son ami : c'est donc Brutus qui a
vraiment conduit toute l'entreprise.
On le voit bien, et dans la manière dont elle fut
conçue et exécutée on retrouve tout
à fait son caractère et son tour d'esprit. Nous
ne sommes pas ici devant une conjuration ordinaire ; nous
n'avons pas affaire à des conspirateurs de
métier, à des gens de violence et de coups de
main. Ce ne sont pas non plus des ambitieux vulgaires qui
convoitent la fortune ou les honneurs d'un autre, ni
même des furieux que des haines politiques
égarent jusqu'à la frénésie. Ces
sentiments sans doute se trouvaient dans le coeur de beaucoup
de conjurés, les historiens le disent ; mais Brutus
les a forcés à se cacher. Il a tenu à
accomplir son action avec une sorte de dignité
tranquille. C'est au système seul qu'il en veut ;
quant à l'homme, il semble qu'aucune haine ne l'anime
contre lui. Après l'avoir frappé, il ne
l'outrage pas ; il permet, malgré beaucoup de
réclamations, qu'on lui fasse des funérailles
et qu'on lise son testament au peuple. Ce qui le
préoccupe avant tout, c'est de ne point paraître
travailler pour lui ni pour les siens, et d'éviter
tout soupçon d'ambition personnelle ou
d'intérêt de parti. Telle fut cette
conspiration, à laquelle prirent part des gens de
caractère très divers, mais qui est tout
empreinte de l'esprit même de Brutus. Son influence
n'est pas moins sensible sur les événements qui
la suivirent. Il n'agissait point au hasard, quoique
Cicéron l'en ait accusé et que tout le monde le
répète ; il s'était fait d'avance une
règle de conduite pour l'avenir, il avait un plan bien
arrêté. Malheureusement il se trouva que ce
plan, conçu dans des réflexions solitaires,
loin du commerce et de la connaissance des hommes, ne pouvait
pas être appliqué. C'était l'oeuvre d'un
logicien qui raisonne, qui prétend se conduire au
milieu d'une révolution comme en des temps
réguliers et veut introduire le respect étroit
de la légalité jusque dans une oeuvre de
violence. Il reconnut qu'il s'était trompé, et
il lui fallut renoncer successivement à tous ses
scrupules ; mais, comme il n'avait pas la souplesse du
politique qui sait se plier aux nécessités, il
céda trop tard, de mauvaise grâce, et en se
retournant toujours avec regret vers ces beaux projets qu'il
était forcé d'abandonner. C'est de là
que vinrent ses hésitations et ses
incohérences. On a dit qu'il avait
échoué pour n'avoir pas eu d'avance un plan
précis ; je crois au contraire qu'il n'a pas
réussi pour avoir voulu être trop fidèle,
malgré les leçons que lui donnaient les
événements, au plan chimérique qu'il
avait conçu. Il suffira d'un récit rapide des
faits pour montrer que ce fut là ce qui causa sa perte
avec celle de son parti, et rendit inutile le sang
versé.
Après la mort de César, les conjurés
sortirent du sénat en agitant leurs
épées et en appelant le peuple. Le peuple les
écouta avec surprise, sans trop de colère, mais
sans aucune sympathie. Se voyant seuls, ils montèrent
au Capitole, où l'on pouvait se défendre, et
s'y enfermèrent sous la garde de quelques gladiateurs.
Ils n'y furent rejoints que par ces amis douteux que trouvent
toujours les partis quand ils paraissent réussir. Si
l'on avait eu peu d'empressement à les suivre, on
avait encore moins d'envie de les attaquer. Les partisans de
César étaient épouvantés. Antoine
avait jeté ses vêtements de consul et
s'était caché. Dolabella affectait de sembler
joyeux et laissait entendre qu'il était aussi des
conjurés. Beaucoup quittaient Rome à la
hâte et fuyaient dans les campagnes. Pourtant,
lorsqu'on vit que tout restait dans l'ordre et que les
conjurés se contentaient de faire des harangues au
Capitole, le coeur revint aux plus effrayés.
L'épouvante qu'avait causée cette action hardie
fit place à la surprise d'une si étrange
inaction. Le lendemain, Antoine avait repris ses
vêtements consulaires, rassemblé ses amis,
retrouvé son audace, et il fallait compter avec
lui.
«Ils ont agi, disait
Cicéron, avec un courage d'homme et une prudence
d'enfant ; animo virili, consilio puerili»
(38). Il est
certain qu'ils semblaient n'avoir rien préparé,
rien prévu. Le soir des ides de mars, ils attendaient
les événements sans avoir rien fait pour les
diriger. était-ce, comme on l'a dit,
imprévoyance et légèreté ? Non,
c'était système et parti pris. Brutus ne
s'était associé avec les autres que pour
délivrer la république de l'homme qui entravait
le jeu régulier des institutions. Lui mort, le peuple
reprenait ses droits et redevenait libre d'en user. On aurait
paru travailler pour soi en gardant, même un jour,
cette autorité qu'on arrachait à César.
Or, préparer d'avance des décrets ou des lois,
s'entendre pour régler l'avenir, aviser aux moyens de
donner aux affaires la direction qu'on voulait,
n'était-ce pas en quelque sorte prendre pour soi le
rôle de la république entière ? Et
qu'avait fait de plus César ? Ainsi, sous peine de
paraître l'imiter et n'avoir agi que par une
rivalité d'ambition, les conjurés devaient
abdiquer une fois le grand coup frappé. Voilà
comment je pense qu'il faut s'expliquer leur conduite. C'est
par une étrange préoccupation de
désintéressement et de légalité
qu'ils restèrent volontairement
désarmés. Ils mirent une sorte de gloire
à ne s'entendre que pour tuer César. Cet acte
accompli, ils devaient rendre au peuple la direction de ses
affaires et le choix de son gouvernement, le laissant libre
de témoigner sa reconnaissance à ceux qui
l'avaient délivré, ou, s'il le voulait, de les
payer par l'oubli.
C'est là que
commençait l'illusion : ils crurent qu'entre le peuple
et la liberté il n'y avait que César, et qu'une
fois que César n'existerait plus, la liberté
allait tout naturellement renaître ; mais le jour
où ils appelèrent les citoyens à
reprendre leurs droits, personne ne répondit, et
personne ne pouvait répondre, car il n'y avait plus de
citoyens. «Depuis bien longtemps, dit Appien à
cette occasion, le peuple romain n'était plus qu'un
mélange de toutes les nations. Les affranchis
étaient confondus avec les citoyens, l'esclave n'avait
plus rien qui le distinguât de son maître. Enfin
les distributions de blé qu'on faisait à Rome y
attiraient les mendiants, les paresseux, les
scélérats de toute l'Italie» (39). Cette population
cosmopolite sans passé, sans traditions,
n'était plus le peuple romain. Le mal était
ancien, et les esprits clairvoyants auraient dû depuis
longtemps le découvrir. Cicéron semble s'en
douter quelquefois, surtout quand il voit avec quelle
facilité on trafique des votes dans les
élections. Néanmoins, tout marchait encore avec
une apparente régularité, et les choses
allaient du branle qu'elles avaient reçu. Dans une
situation pareille, et quand un Etat ne va plus que par
l'habitude d'aller, tout est perdu, si ce mouvement
s'arrête un seul jour. Or, avec César les vieux
rouages cessèrent de jouer. L'interruption ne fut pas
longue, mais la machine était si
délabrée qu'en s'arrêtant elle croula de
toutes parts. Ainsi les conjurés ne pouvaient pas
même refaire ce existait avant la guerre civile, et
cette dernière ounî re de république, si
imparfaite qu'elle fût, était perdue pour
toujours.
Voilà pourquoi ils
ne furent entendus ni suivis par personne. A la vue de cette
populace indifférente, dans ce Capitole où on
les laissait seuls, le coeur dut manquer à plus d'un.
Cicéron surtout était désolé de
voir qu'on ne faisait rien que de beaux discours. Il voulait
qu'on agît, qu'on profitât du moment, qu'on
mourût s'il le fallait : «La mort ne serait-elle
pas belle dans un si grand jour ?» Ce vieillard,
ordinairement indécis, avait alors plus de
résolution que tous ces jeunes gens qui venaient de
faire un coup si hardi. Et pourtant que proposait-il
après tout ? «Il fallait, disait-il, exciter
encore le peuple». On vient de voir si le peuple
pouvait répondre. «On devait convoquer le
sénat, profiter de ses frayeurs pour lui arracher des
décrets favorables» (40). Assurément
le sénat aurait voté ce qu'on aurait voulu ;
mais les décrets rendus, comment les faire
exécuter ? Tous ces projets étaient
insuffisants, et il n'était guère possible d'en
proposer d'utiles à des gens décidés
à ne pas sortir de la loi. La seule chance qui pouvait
rester, c'était de s'emparer hardiment du pouvoir, de
le garder par la violence et l'illégalité , en
ne reculant pas même devant la proscription, d'opposer
à cette tyrannie populaire qu'on venait de
détruire une dictature aristocratique, en un mot de
recommencer Sylla. C'est peut-être ce qu'aurait fait
Cassius ; mais Brutus avait horreur de la violence. La
tyrannie, de quelque côté qu'elle vînt,
lui semblait un crime ; il eût mieux aimé
périr avec la république que de la sauver par
ces moyens.
Les quelques jours qui suivirent se passèrent dans
d'étranges alternatives. Il y eut comme une sorte
d'interrègne où les partis se mesurèrent
avec des chances diverses. Le peuple, qui n'avait pas suivi
les conjurés, ne soutenait guère plus leurs
ennemis. Comme on ne savait sur quoi s'appuyer, des deux
côtés on escarmouchait au hasard. De là
des contradictions et des surprises. Un jour on proclamait
l'amnistie, et Brutus allait dîner chez Lépide ;
le lendemain on mettait le feu aux maisons des
conjurés. Après avoir aboli la dictature, on
ratifiait les actes du dictateur. Les amis de César
lui élevaient une colonne et un autel sur le forum ;
un ami de César les faisait abattre. C'est au milieu
de cette situation embarrassée, quand les deux partis
flottaient indécis et tâtonnants, sans rien oser
de hardi, quand chacun cherchait autour de soi où
était la force, que parurent ceux qui désormais
allaient être les maîtres.
Depuis longtemps, il
s'opérait à Rome une révolution
secrète qu'on n'apercevait guère parce que les
progrès en étaient lents et continus, mais qui,
lorsqu'elle fut complète, changea la forme de
l'état. Tant qu'on n'avait combattu qu'aux portes de
la ville et en Italie, les campagnes étaient courtes.
Les citoyens n'avaient pas le temps de perdre dans les camps
les traditions de la vie civile ; il n'y avait encore ni
soldats de métier, ni généraux de
profession. Mais à mesure que les guerres
étaient plus lointaines et plus longues, ceux qui les
faisaient s'accoutumaient à vivre loin de Rome. Ils
perdaient si longtemps de vue le forum qu'ils en oubliaient
les passions et les habitudes. En même temps, comme le
droit de cité s'était étendu, la
légion s'ouvrait à des gens de tous les pays.
Ce mélange acheva d'affaiblir les liens qui
rattachaient le soldat à la cité ; il prit
l'habitude de s'isoler d'elle, d'avoir ses
intérêts séparés, de regarder le
camp comme sa patrie. Après la grande guerre des
Gaules, qui avait duré dix ans, les
vétérans de César ne se rappelaient plus
qu'ils étaient citoyens, et dans leurs souvenirs ils
ne remontaient pas au delà d'Arioviste et de
Vercingétorix. Quand il avait fallu les
récompenser, César, qui n'était pas
ingrat, leur avait distribué les plus belles terres
d'Italie ; et cette distribution s'était faite dans
des conditions nouvelles. Jusqu'à cette époque,
les soldats, après la guerre, rentraient dans la masse
du peuple : quand on les envoyait dans quelque colonie, ils y
allaient perdus et comme absorbés parmi les autres
citoyens ; mais alors ils passèrent sans transition de
leur camp dans les domaines qu'on leur avait donnés,
et par là l'esprit militaire se conserva chez eux.
Comme ils n'étaient pas très
éloignés les uns des autres et qu'ils pouvaient
se voir, ils ne perdirent pas tout à fait le
goût de la vie d'aventure. «Ils comparaient, dit
Appien, les travaux pénibles de l'agriculture avec les
hasards brillants et fructueux des combats» (41). Ils formaient donc
au sein de l'Italie toute une population de soldats
prêtant l'oreille aux bruits de guerre et prêts
à accourir au premier appel.
Précisément il y en avait alors beaucoup
à Rome que César y avait appelés en
attendant qu'il leur désignât des terres.
D'autres étaient tout près, dans la Campanie,
occupés à s'établir, et
dégoûtés peut-être de ces
premières fatigues de leur installation. Plusieurs
d'entre eux revinrent à Rome au bruit des
événements, le reste attendait pour se
décider qu'on les payât cher et se mettait aux
enchères. Or, les acheteurs ne manquaient pas.
L'héritage du grand dictateur tentait toutes les
convoitises. Grâce à ces soldats prêts
à vendre leurs services, chacun des
compétiteurs avait ses partisans et ses chances.
Antoine les dominait tous de l'éclat de son
autorité consulaire et des souvenirs de
l'amitié de César ; mais auprès de lui
se soutenaient le débauché Dolabella, qui avait
donné des espérances à tous les partis,
et le jeune Octave, qui arrivait de l'Epire pour recueillir
la succession de son oncle. Il n'y avait pas jusqu'à
cet incapable Lépide qui n'eût mis plusieurs
légions dans ses intérêts et ne fit
quelque figure parmi ces ambitieux. Et tous, entourés
de soldats qu'ils avaient achetés, maîtres de
provinces importantes, s'observaient avec méfiance en
attendant de se combattre.
Que faisait cependant
Brutus ? L'occasion des ides de mars une fois manquée,
il pouvait encore profiter de ces querelles des
césariens pour se jeter sur eux et les écraser.
Les gens résolus de son parti lui conseillaient de
l'essayer et d'appeler aux armes toute cette jeunesse qui, en
Italie et dans les provinces, avait applaudi à la mort
de César ; mais Brutus détestait la guerre
civile et ne pouvait se décider à en donner de
nouveau le signal. Comme il s'était imaginé que
le peuple s'empresserait d'accepter la liberté qu'on
lui rendait, il avait cru que la restauration de la
république se ferait sans violence. Une illusion le
menait à l'autre, et ce coup de poignard qui
commença une guerre effroyable de douze années
lui semblait devoir assurer pour jamais la
tranquillité publique. C'est dans cette persuasion
qu'au sortir de la curie de Pompée, où il
venait de tuer César, il parcourut les rues de Rome en
criant : «La paix ! la paix !» Et ce mot fut
désormais sa devise. Quand ses amis, apprenant les
dangers qu'il courait, étaient venus des municipes
voisins pour le défendre, il les avait
renvoyés. Il aimait mieux se tenir renfermé
dans sa maison que de donner aucun prétexte de
commencer les violences. Forcé de quitter Rome, il
resta caché quelque temps encore dans les jardins du
voisinage, inquiété par les soldats, ne sortant
que de nuit, mais attendant toujours ce grand mouvement
populaire qu'il s'obstinait à espérer. Personne
ne remua. Il s'éloigna encore davantage et alla se
réfugier dans ses villas de Lanuvium et d'Antium. De
là il entendait les bruits de guerre dont retentissait
l'Italie, et il voyait tous les partis se préparer
à combattre. Seul il résistait toujours. Il a
passé six mois entiers à reculer devant cette
nécessité terrible qui devenait tous les jours
plus inévitable. Il ne pouvait se résoudre
à l'accepter et prenait l'avis de tout le monde.
Cicéron raconte même, dans ses lettres (42), une sorte de
conseil qui se tint à Antium pour savoir ce qu'il
convenait de faire. Servilie y assistait avec Porcia, Brutus
avec Cassius, et on y avait appelé quelques-uns des
amis les plus fidèles, parmi lesquels Favonius et
Cicéron. Servilie, plus soucieuse de la
sûreté que de l'honneur de son fils, voulait
qu'il s'éloignât. Elle avait obtenu d'Antoine,
qui était resté son ami pour son fils et son
gendre, une légation, c'est-à-dire une
commission pour aller chercher du blé en Sicile.
C'était un prétexte spécieux et
sûr pour quitter l'Italie ; mais partir avec une
permission signée d'Antoine, accepter un exil comme un
bienfait, quelle honte ! Cassius ne voulait pas y consentir,
il parlait avec emportement, il s'indignait, il
menaçait, «on aurait dit qu'il ne respirait que
la guerre». Brutus au contraire, calme,
résigné, interrogeait ses amis,
décidé à les satisfaire, même en
risquant sa vie. Souhaitait-on qu'il retournât à
Rome ? Il était prêt à s'y rendre. A
cette proposition, tout le monde se récriait. Rome
était pleine de périls pour les
conjurés, et l'on ne voulait pas exposer sans profit
les dernières espérances de la liberté.
Alors que faire ? On ne s'entendait guère que pour
regretter amèrement la conduite qu'on avait tenue.
Cassius déplorait qu'on n'eût pas tué
Antoine, comme il l'avait demandé, et Cicéron
n'avait garde de le contredire. Malheureusement ces
récriminations ne servaient de rien ; il ne s'agissait
pas de se plaindre du passé, le moment était
venu de régler l'avenir, et l'on ne savait à
quoi se résoudre.
Après cette
conférence, Brutus ne se décida pas encore tout
de suite. Il persista à rester tant qu'il le put dans
sa villa de Lanuvium, lisant et discutant, sous ses beaux
portiques, avec les philosophes grecs, sa
société ordinaire. Cependant il fallut partir.
L'Italie devenait de moins en moins sûre, les
vétérans infestaient les routes et pillaient
les maisons de campagne. Brutus alla rejoindre à
Vélie quelques vaisseaux qui l'attendaient pour le
conduire en Grèce. Il appelait son départ un
exil, et, par une dernière illusion, il
espérait que ce ne serait pas le signal de la guerre.
Comme Antoine l'accusait de la préparer, il lui
répondit, au nom de Cassius et au sien, par une lettre
admirable dont voici la fin : «Ne vous flattez pas de
nous effrayer, la crainte est au-dessous de notre
caractère. Si d'autres motifs étaient capables
de nous donner quelque penchant pour la guerre civile, votre
lettre n'est pas faite pour nous l'ôter, car les
menaces ne peuvent rien sur des coeurs libres ; mais vous
savez bien que nous détestons la guerre, que rien ne
pourra nous y entraîner, et vous prenez sans doute un
air menaçant pour faire croire que nos
résolutions sont l'effet de nos craintes. Voici nos
sentiments : nous souhaitons de vous voir vivre avec
distinction dans un Etat libre ; nous ne voulons pas
être vos ennemis, mais nous faisons plus de cas de la
liberté que de votre amitié. Nous prions donc
les dieux de vous inspirer des conseils salutaires à
la république et à vous-même. Sinon, nous
désirons que les vôtres vous nuisent le moins
possible, et que Rome soit libre et glorieuse» (43)!
A Vélie, Brutus fut
rejoint par Cicéron, qui, lui aussi, songeait à
partir. Découragé par l'inaction de ses amis,
effrayé par les menaces de ses ennemis, il avait
déjà essayé de fuir en Grèce ;
mais le vent l'avait rejeté sur les côtes de
l'Italie. Quand il apprit que Brutus allait
s'éloigner, il voulut le voir encore, et, s'il
était possible, partir avec lui. Cicéron a
souvent parlé avec un accent déchirant des
émotions de cette dernière entrevue. «Je
l'ai vu, racontait-il plus tard au peuple, je l'ai vu
s'éloigner de l'Italie pour n'y point causer une
guerre civile. 0 spectacle de douleur, je ne dis pas
seulement pour les hommes, mais pour les flots et les rivages
! Le sauveur de la patrie était forcé de la
fuir, ses destructeurs y restaient tout-puissants»
(44). La
dernière pensée de Brutus en ce triste moment
fut encore pour la paix publique. Malgré tant de
mécomptes, il comptait toujours sur le peuple de Rome
; il pensait qu'on n'avait pas assez fait pour
réveiller son ardeur ; il ne pouvait se
résigner à croire qu'il n'y eût plus de
citoyens. Il partait avec le regret de n'avoir pas
essayé une dernière lutte sur le terrain de la
loi. Sans doute il ne lui était pas possible à
lui de retourner à Rome, de reparaître au
sénat ; mais Cicéron était moins
compromis, sa gloire forçait le respect ; on aimait
à écouter sa parole. Ne pouvait-il pas tenter
ce dernier combat ? Brutus l'avait toujours pensé ; en
ce moment, il osa le dire. Il montra à Cicéron
un grand devoir à accomplir, un grand rôle
à jouer ; ses conseils, ses reproches, ses
prières, le déterminèrent à
renoncer à son voyage et à revenir à
Rome. Il lui semblait entendre, comme il le disait plus tard,
la voix de la patrie qui le rappelait (45). Et ils se
séparèrent pour ne plus se retrouver.
Cependant Brutus avait beau résister, la pente
inévitable des événements contre
laquelle il luttait depuis six mois l'entraînait
à la guerre civile. En quittant l'Italie, il
était venu à Athènes, où il
passait son temps à écouter
l'académicien Théomneste et le
péripatéticien Cratippe. Plutarque voit dans
cette conduite une habile dissimulation. «En secret,
dit-il, il préparait la guerre». Les lettres de
Cicéron prouvent au contraire que c'est la guerre qui
l'alla chercher. La Thessalie et la Macédoine
étaient pleines d'anciens soldats de Pompée qui
y étaient restés depuis Pharsale ; les
îles de la mer Egée, les villes de la
Grèce, qui étaient regardées comme des
sortes de lieux d'asile pour les exilés, contenaient
beaucoup de mécontents qui n'avaient pas voulu plier
sous César, et depuis les ides de mars elles
étaient le refuge de tous ceux qui fuyaient la
domination d'Antoine. Enfin Athènes était
peuplée de jeunes gens des plus grandes maisons de
Rome, républicains par leur naissance et par leur
âge, qui venaient y achever leur éducation. Tous
n'attendaient que Brutus pour prendre les armes. A son
arrivée il se fit de tous les côtés un
grand et irrésistible mouvement auquel il fut
contraint de céder lui-même. Apuleius et
Vatinius lui amenèrent les troupes qu'ils
commandaient. Les anciens soldats de la Macédoine se
réunirent sous les ordres de Q. Hortensius ; il en
vint tant d'Italie que le consul Pansa finit par se plaindre
et menaça d'arrêter au passage les recrues de
Brutus. Les étudiants d'Athènes, et parmi eux
le fils de Cicéron et le jeune Horace,
quittèrent leurs études et
s'enrôlèrent sous lui. En quelques mois, Brutus
était maître de toute la Grèce, et il
avait huit légions.
En ce moment le parti républicain semblait se
réveiller partout à la fois. Cicéron
avait réussi à Rome plus qu'il ne
l'espérait, et trouvé à Antoine des
ennemis qui l'avaient battu devant Modène. Brutus
venait de former une armée importante en Grèce.
Cassius parcourait l'Asie recrutant des légions sur
son passage, et tout l'Orient se déclarait pour lui.
L'espérance revenait aux plus timides et il semblait
qu'on pouvait tout attendre pour la république du
concours de tant de généreux défenseurs.
C'est pourtant à ce moment même, où il
importait tant d'être uni, qu'éclata entre
Cicéron et Brutus le dissentiment le plus grave qui
les ait jamais divisés. Quelque déplaisir qu'il
nous cause, ii faut le raconter, car il achève de les
bien faire connaître tous les deux.
Cicéron se plaignit
le premier. Cet homme d'ordinaire si faible, si
hésitant, était devenu singulièrement
énergique depuis la mort de César. La sagesse,
la clémence, la modération, belles
qualités qu'il aimait beaucoup et pratiquait
volontiers, ne lui semblaient plus convenir aux circonstances
où l'on se trouvait. Ce grand prôneur des
victoires pacifiques prêchait la guerre à tout
le monde ; cet ami rigoureux de la légalité
demandait à tout le monde d'en sortir.
«N'attendez pas les decrets du sénat»
(46), disait-il
à l'un. - «Soyez votre sénat à
vous-même» (47), écrivait-il
à l'autre. Pour arriver à ses fins, tous les
moyens lui semblaient bons, même les plus violents ;
toutes les alliances lui plaisaient, même celle des
gens qu'il n'estimait pas. Brutus au contraire, tout en se
décidant à prendre les armes, était
resté scrupuleux et timoré, et il continuait
à ne pas aimer la violence. Quoique son nom soit
surtout resté célèbre par un assassinat,
le sang lui répugnait. Contrairement à ces lois
inhumaines, acceptées de tout le monde, et qui
livraient sans réserve le vaincu à la
discrétion du vainqueur, il épargnait ses
ennemis quand ils étaient en son pouvoir. Il venait
d'en donner un exemple en laissant la vie au frère
d'Antoine après l'avoir vaincu. Bien que ce fût
un méchant homme, et que pour toute reconnaissance il
eût tenté de corrompre les soldats qui le
gardaient, Brutus avait persisté à le traiter
avec douceur. Il semble que ce ne soit pas un grand crime ;
cependant on en fut très irrité à Rome.
Les menaces furieuses d'Antoine auxquelles on venait
d'échapper avec tant de peine, le souvenir des
frayeurs qu'on avait eues et des alternatives terribles qu'on
traversait depuis six mois avaient exaspéré les
plus calmes. Il n'y a rien de violent comme les
colères des gens modérés, quand on les
pousse à bout. A tout prix, ils voulaient en finir, et
le plus vite possible. Ils se rappelaient avec quelle
répugnance et quelle lenteur Brutus avait
commencé la guerre. En le voyant si facile, si
clément, ils craignaient de le voir retomber dans ses
hésitations et différer encore le moment de la
vengeance et de la sécurité. Cicéron se
chargea de faire connaître à Brutus leur
mécontentement. Dans sa lettre que nous avons encore,
il énumérait avec beaucoup de vivacité
les fautes qu'on avait commises depuis la mort de
César ; il rappelait toutes ces faiblesses, toutes ces
hésitations qui avaient découragé les
gens résolus, et, ce qui devait surtout blesser
Brutus, le ridicule qu'on avait eu de vouloir établir
la paix publique par des harangues. «Ignorez-vous donc,
lui disait-il, de quoi il s'agit en ce moment ? Une troupe de
scélérats et de misérables menace
jusqu'aux temples des dieux, et ce qui est en question dans
cette guerre, c'est notre vie ou notre mort. Qui
épargnons-nous ? que taisons nous ? Est-il sage de
ménager des hommes qui, s'ils sont vainqueurs,
effaceront jusqu'à la trace de notre existence
?» (48)
Ces reproches
émurent Brutus, et c'est en récriminant qu'il y
répondit. Lui aussi était mécontent du
sénat et de Cicéron. Quelque admiration qu'il
éprouvât pour l'éloquence des
Philippiques, bien des choses devaient le blesser en
les lisant. Le ton général de ces discours, ces
amères personnalités, ces invectives ardentes
ne pouvaient plaire à celui qui, en frappant
César, avait voulu paraître sans passion, et
plutôt l'ennemi d'un principe que d'un homme. Or, s'il
y a dans les Philippiques un grand amour de la
liberté, il y a aussi une haine violente contre un
homme. On sent bien que cet ennemi de la patrie est en
même temps un adversaire intime et personnel. Il a
tenté d'asservir Rome, mais il s'est aussi permis de
railler dans un discours fort plaisant tous les ridicules du
vieux consulaire. Le jour où Cicéron a lu cette
invective, son irritable vanité s'est émue ;
«il a pris le mors aux dents» (49), selon l'expression
d'un contemporain. La haine généreuse qu'il
ressent contre un ennemi public s'est enflammée de
rancunes particulières ; une lutte à outrance a
commencé, poursuivie avec une ardeur toujours nouvelle
à travers quatorze harangues. «Je veux, avait-il
dit, l'accabler de mes invectives et le livrer flétri
aux outrages éternels de la
postérité» (50) ; et il a tenu
parole. Cette persistance passionnée, ce ton
d'emportement et de violence devait blesser Brutus. Ce qui ne
lui déplaisait pas moins que les colères de
Cicéron, c'étaient ses complaisances. Il lui en
voulait des éloges hyperboliques qu'il accordait
à des gens qui ne les méritaient guère,
à ces généraux qui avaient servi toutes
les causes, à ces hommes d'Etat compromis sous tous
les régimes, à ces ambitieux, à ces
intrigants de toute sorte que Cicéron avait
réunis avec tant de peine pour en former ce qu'il
appelait le parti des honnêtes gens ; il souffrait
surtout de le voir prodiguer des honneurs au jeune Octave, et
mettre à ses pieds la république ; et quand il
l'entendait appeler «un divin jeune homme envoyé
par les dieux pour la défense de la patrie», il
avait peine à se contenir.
Lequel des deux avait
raison ? Brutus assurément, si l'on songe au
dénoûment. Il est certain qu'Octave ne pouvait
être qu'un ambitieux et qu'un traître. Le nom
qu'il portait était pour lui une inévitable
tentation ; lui livrer la république, c'était
la perdre. Brutus avait raison de croire qu'Octave
était plus à redouter qu'Antoine, et sa haine
ne le trompait pas quand il prévoyait dans ce divin
jeune homme tant vanté par Cicéron le
maître futur de l'empire, l'héritier et le
successeur de celui qu'il avait tué. Etait-ce bien
pourtant Cicéron qu'il fallait accuser, ou seulement
les circonstances ? Lorsqu'il accepta les secours d'Octave,
était-il libre de les refuser ? La république
alors n'avait pas un seul soldat à opposer à
ceux d'Antoine ; il fallait prendre ceux d'Octave ou
périr. Après qu'il eut sauvé la
république, on aurait eu mauvaise gràce
à lui marchander les remercîments et les
honneurs. D'ailleurs ses vétérans les
demandaient pour lui d'une façon qui ne souffrait pas
de refus, et souvent même les lui accordaient par
avance. Le sénat sanctionnait tout au plus vite, de
peur qu'on ne se passât de son aveu. «Les
circonstances, dit quelque part Cicéron, lui ont
donné le commandement ; nous n'avons ajouté que
les faisceaux» (51). Ainsi, avant de
blâmer les complaisances de Cicéron ou d'accuser
sa faiblesse, il fallait songer aux difficultés de sa
position.
Il essayait de
rétablir la république avec le secours de gens
qui l'avaient combattue et qui ne l'aimaient pas. Quel fonds
pouvait-il faire sur un Hirtius, auteur d'une loi
sévère contre les pompéiens, sur un
Plancus et un Pollion, anciens lieutenants de César,
sur un Lépide et un Octave, qui voulaient le remplacer
? Et pourtant il n'avait pas d'autre appui qu'eux. A ce grand
ambitieux qui, le lendemain même des ides de mars,
s'était voulu faire le maître, il ne pouvait
opposer qu'une coalition d'ambitieux secondaires ou plus
dissimulés. Au milieu de toutes ces convoitises
ouvertes ou cachées, rien n'était plus
difficile que de se diriger. Il fallait les brider les unes
par les autres, les flatter pour les conduire, et les
contenter à demi pour les contenir. De là ces
honneurs prodigués ou promis, ce luxe d'éloges
et de titres décernés, ces exagérations
de reconnaissance officielle. C'était une
nécessité imposée par les circonstances
; au lieu de faire un crime à Cicéron de
l'avoir subie, il fallait en conclure qu'essayer une
dernière lutte légale, revenir à Rome
pour y réveiller l'ardeur populaire, se fier encore
sur la force des souvenirs et la puissance souveraine de la
parole, c'était s'exposer à des dangers
inutiles et à des mécomptes certains.
Cicéron le savait bien. Il a pu quelquefois sans
doute, au milieu de l'ardeur du combat, se laisser enivrer
par les triomphes de son éloquence, comme ce jour
où il écrivait naïvement à Cassius
: «Si l'on pouvait parler plus souvent, il ne serait
pas trop difficile de rétablir la république et
la liberté» (52). Mais cette illusion
ne durait guère. L'ivresse dissipée, il ne
tardait pas à reconnaître l'impuissance de la
parole, et disait le premier qu'il ne fallait mettre son
espérance que dans l'armée républicaine.
Il n'a jamais varié dans cette opinion. «Vous me
dites, écrivait-il à Atticus, que j'ai tort de
croire que la république dépende
entièrement de Brutus ; il n'est rien de plus vrai. Si
elle peut être sauvée, elle ne le sera que par
lui et les siens» (53). C'est sans
illusions, sans espérance que Cicéron avait
tenté cette dernière entreprise, et uniquement
pour obéir aux désirs de Brutus, toujours
obstiné dans son amour des résistances
légales et des luttes pacifiques. Il appartenait donc
à Brutus moins qu'à personne de lui reprocher
d'y avoir succombé. Cicéron avait raison de
rappeler souvent cette entrevue de Vélie où son
ami le décida malgré ses répugnances
à retourner à Rome. Ce souvenir était sa
défense ; il devait interdire à Brutus toute
parole amère contre celui qu'il avait lui-même
jeté dans une aventure sans issue.
Cicéron dut
ressentir profondément ces reproches. Pourtant son
amitié pour Brutus n'en fut pas altérée.
C'est encore sur lui qu'il a les yeux, c'est lui qu'il
appelle, quand tout lui semble perdu en Italie. Rien n'est
plus touchant que ce dernier cri d'alarme. «Nous sommes
les jouets, mon cher Brutus, de la licence des soldats et de
l'insolence du chef. Chacun veut avoir dans la
république autant de pouvoir qu'il a de forces. On ne
connaît plus ni raison, ni mesure, ni loi, ni devoir ;
on n'a plus souci de l'opinion publique ni du jugement de la
postérité. Accourez donc et donnez enfin
à la république cette liberté que vous
lui avez conquise par votre courage, mais dont nous ne
pouvons pas encore jouir. Tout le monde va se presser autour
de vous ; la liberté n'a plus d'asile que sous vos
tentes. Voilà notre situation en ce moment ;
puisse-t-elle devenir meilleure ! S'il en arrive autrement,
je ne pleurerai que la république ; elle devait
être immortelle. Pour moi, il me reste si peu de temps
à vivre» (54). Peu de mois
après, Lépide, Antoine et Octave, triumvirs
pour reconstituer la république, comme ils
s'appelaient, se réunirent près de Bologne. Ils
se connaissaient trop pour ne pas se savoir capables de tout
: aussi avaient-ils pris les uns contre les autres de
minutieuses précautions. L'entrevue eut lieu dans une
île, et ils y arrivèrent avec un nombre
égal de troupes qui ne devaient pas les perdre de vue.
Pour plus de sûreté encore, et de peur qu'il n'y
eût quelque poignard caché, ils en vinrent
à se fouiller l'un l'autre. Après s'être
ainsi rassurés, ils discutèrent longtemps. Il
ne fut guère question des moyens de reconstituer la
république : ce qui les occupa le plus avec le partage
du pouvoir, ce fut la vengeance, et l'on dressa avec soin la
liste de ceux qu'on allait tuer. Dion Cassius fait remarquer
que, comme ils se détestaient profondément,
l'on était sûr, si l'on était très
lié avec l'un d'entre eux, d'être le mortel
ennemi des deux autres, en sorte que chacun demandait
précisément la tête des meilleurs amis de
ses nouveaux alliés. Mais cette difficulté ne
les arrêta pas : ils avaient la reconnaissance bien
moins exigeante que la haine, et en payant de quelques amis,
même de quelques parents, la mort d'un ennemi, ils
trouvaient encore le marché bon. Grâce à
ces complaisances mutuelles, on s'accorda vite, et la liste
fut dressée. Cicéron n'y était pas
oublié, comme on pense bien : Antoine l'avait
réclamé avec passion, et il n'est pas probable,
quoi que disent les écrivains de l'empire, qu'Octave
l'ait beaucoup défendu ; il lui aurait rappelé
une reconnaissance pénible et le souvenir d'un parjure
trop éclatant.
Avec la mort de
Cicéron nous sommes arrivés au terme de ce
travail, puisque nous ne nous étions proposé
que d'étudier les rapports de Cicéron et de
Brutus. Si l'on voulait le pousser plus loin et
connaître aussi la fin de Brutus, il suffirait de lire
l'admirable récit de Plutarque. Je craindrais de le
gâter en l'abrégeant. Nous y voyons qu'en
apprenant que Cicéron venait de périr, Brutus
ressentit une vive douleur. C'était plus qu'un ami
qu'il regrettait : il avait perdu avec lui une
espérance qui lui était chère et
à laquelle il n'avait pas voulu renoncer. Cette fois
pourtant il lui fallait bien reconnaître qu'il n'y
avait plus de citoyens à Rome et
désespérer tout à fait de ce lâche
peuple qui laissait ainsi périr ses défenseurs.
«S'ils sont esclaves, dit-il tristement, c'est leur
faute plus que celle de leurs tyrans». Aucun aveu n'a
dû lui coûter davantage. Depuis qu'il avait
tué César, sa vie n'était plus qu'une
série de mécomptes, et les
événements semblaient se jouer de tous les
plans qu'il avait formés. Ses scrupules de
légalité lui avaient fait perdre l'occasion de
sauver la république ; son horreur pour la guerre
civile n'avait servi qu'à la lui faire commencer trop
tard. Ce n'était pas assez qu'il se fût
trouvé forcé malgré lui de violer la loi
et de combattre ses concitoyens, il se voyait encore
contraint d'avouer, à son grand regret, qu'en
espérant trop des hommes il s'était
trompé. Il avait bonne opinion d'eux quand il les
étudiait de loin, avec ses chers philosophes. Combien
ses opinions changèrent quand il en vint à les
manier et à s'en servir, quand il lui fallut
être témoin de l'affaiblissement des
caractères, surprendre les convoitises
secrètes, les haines insensées, les
lâches frayeurs de ceux qu'il regardait comme les plus
honnêtes et les plus braves ! Sa blessure fut si
profonde, qu'en apprenant les dernières faiblesses de
Cicéron, il en vint à douter même de la
philosophie, sa science préférée, qui
avait fait le charme de sa vie. «Que lui sert,
disait-il, d'avoir écrit avec tant d'éloquence
pour la liberté de sa patrie, sur l'honneur, sur la
mort, sur l'exil, sur la pauvreté ? En
vérité, je commence à n'avoir plus de
confiance dans ces études dont Cicéron s'est
tant occupé» (55). En lisant cette
amère parole, on songe à celle qu'il
prononça avant de mourir ; l'une fait comprendre
l'autre, et elles sont toutes les deux le symptôme du
même mal intérieur qui s'étend à
mesure que la pratique des affaires le désenchante de
plus en plus des hommes et de la vie. Il doutait de la
philosophie en voyant la faiblesse de ceux qui l'avaient le
plus étudiée ; quand il vit que le parti des
proscripteurs triomphait, il douta de la vertu. C'est bien
ainsi que devait finir cet homme d'étude devenu,
malgré ses répugnances, un homme d'action et
jeté par les événements hors de sa
nature.
(1) L'authenticité
de ces lettres a été souvent
contestée depuis le siècle dernier. Tout
récemment encore la question a été
débattue en Allemagne avec beaucoup de
vivacité, et un critique distingué, F.
Hermann de Goettingue, a publié des
mémoires très remarquables, et auxquels il
me semble difficile de répondre, pour
établir qu'elles sont bien de Brutus et de
Cicéron. J'ai résumé ses principaux
arguments dans les Recherches sur la manière
dont furent recueillies les lettres de
Cicéron. ch. V. |
|
(2) Ad
Att., VI, 1. |
|
(3) Ad
fam. II, 11. |
|
(4) Ad
Att. VI, 1. |
|
(5) Orat.
10. |
|
(6) Ad
Att., XIV, 1. - On a pu voir au musée Campana
une statue très curieuse de Brutus. L'artiste qui
l'a faite n'a point cherché à
idéaliser son modèle, et il semble n'avoir
aspiré qu'à une réalité
vulgaire ; mais on y reconnaît bien Brutus. A ce
front bas, à ces os de la face accusés avec
tant de lourdeur, on devine un esprit étroit et
une âme entêtée. La figure a un air
fiévreux et malade ; elle est à la fois
jeune et vieille, comme il arrive à ceux qui n'ont
pas eu de jeunesse. On y sent surtout une tristesse
étrange, celle d'un homme accablé sous le
poids d'une destinée grande et fatale. Dans le
beau buste de Brutus conservé au musée du
Capitole, la figure est plus pleine et plus belle. La
douceur et la tristesse sont restées ; l'air
maladif a disparu. Les traits y ressemblent tout à
fait à ceux qu'on trouve sur la fameuse
médaille qui fut frappée pendant les
dernières années de Brutus, et qui porte
à son revers un bonnet phrygien entre deux
poignards, avec cette légende menaçante :
Idus martiae. Michel-Ange avait commencé un
buste de Brutus dont on peut voir l'admirable
ébauche aux Offices de Florence. Ce n'était
pas une étude de fantaisie, et l'on voit qu'il
s'était servi des portraits antiques en les
idéalisant. |
|
(7) Ad
Att. XV, 1B. |
|
(8) Ad
Att. XII, 21. |
|
(9) Liv.
XLV, 18. |
|
(10) Cic.
Ad Quint. I, 1. |
|
(11) Ad
Att. VI, 1. |
|
(12) Ad
Quint. I, 1. |
|
(13) Ad
Att. VI, 1. |
|
(14) Ad
Att. V, 21. |
|
(15) Ad
Att., XI, 4. |
|
(16) Ad
fam., XV, 15. |
|
(17) Ad
fam. IV, 9. |
|
(18) Cic.,
Brut., 96. |
|
(19) Tusc.
II, 2. |
|
(20) Voyez
sur cette question l'ouvrage si intéressant de M.
Martha, les Moralistes sous l'Empire romain. |
|
(21) Ad
Att. XV, 2. |
|
(22) Ad
Quint. X, 1. |
|
(23) Sen.,
Cons. ad Helviam, 9. |
|
(24) Epist.
Brut., 1, 16. |
|
(25) App.,
De bell. civ., IV, 133. |
|
(26) Plut.,
Brut., 12. |
|
(27) Ceux
qui employaient ces manoeuvres savaient bien qu'ils
prenaient Brutus par son endroit le plus sensible. Sa
descendance de celui qui chassa les rois était
très contestée. Plus on la regardait comme
douteuse, plus il tenait à l'établir. Lui
dire : «Non, tu n'es pas Brutus»,
c'était le mettre en demeure ou en tentation de
prouver son origine par ses actions. |
|
(28) Ad
fam., XV, 18. |
|
(29) De
Offic., II, 7. |
|
(30) De
divin. II, 2. |
|
(31) Brutus,
97. |
|
(32) Epist.
Brut. I, 17. |
|
(33) Epist.
Brut. I, 16. |
|
(34) Epist.
Brut. I, 17. |
|
(35) Quint.
IX, 3 |
|
(36) Il
faut cependant remarquer qu'il y a plusieurs lettres de
Cassius dans la correspondance de Cicéron et que
quelques-unes sont spirituelles et fort gaies. On y
trouve même des calembours. (Ad fam., XV,
19.) |
|
(37) De
Bell. civ., II, 113. - Plutarque raconte la
même chose et presque dans les mêmes
termes. |
|
(38) Ad
Att. XIV, 4. |
|
(39) De
Bell. civ., II, 420. |
|
(40) Ad
Att. XIV, 10 et XV, 11. |
|
(41) De
Bell. civ., III, 42. |
|
(42) Ad
Att. XV, 11. |
|
(43) Ad
fam. XI, 3. |
|
(44) Philipp.,
X, 4. |
|
(45) Ad
fam. X, 1. |
|
(46) Ad
fam. XI, 7. |
|
(47) Ad
fam. X, 16. |
|
(48) Ad
Brut. II, 7. |
|
(49) Ad
fam., XI, 23. |
|
(50) Philipp.,
XIII, 19. |
|
(51) Philipp.,
XI, 8. |
|
(52) Ad
fam. XII, 2. |
|
(53) Ad
Att. XIV, 20. |
|
(54) Ad
Brut. I, 10. |
|
(55) Epist.
Brut. I, 17. |