L - Dernières guerres contre Mithridate

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III - REORGANISATION DE L'ASIE ANTERIEURE (63)

Dans l'Asie Mineure, la vie est aux rivages. Le long du littoral de l'Euxin, les villes étaient moins pressées qu'aux bords de la mer Egée ; mais il s'y trouvait des terres aussi fertiles. Pompée laissa la partie montagneuse et aride de la Paphlagonie intérieure à un prince, Attale, qui se disait de la race des Pyléménides, les anciens rois du pays, et il comprit dans la Bithynie la fertile région qui descend à l'Euxin, entre le Sangarius et l'Halys, avec quelques districts du Pont, à l'est du dernier de ces fleuves. La grande ville grecque d'Amisos, au milieu de cette contrée, paraît avoir reçu garnison comme poste avancé de la domination romaine. Quoique Pompée n'eût point osé porter plus loin vers l'est le domaine de la république, il tint à conserver le souvenir de ses victoires sur Mithridate en donnant à la nouvelle province le double nom de Pont et Bithynie.

Il organisa aussi la province de Cilicie qui fut divisée en six districts : la Cilicie de la plaine et celle des montagnes, le Pamphylie, la Pisidie, l'Isaurie et la Lycaonie, auxquelles furent ajoutés les territoires phrygiens de Laodicée, d'Apamée, de Synnade et plus tard (58), l'île de Chypre. Tarse en était la capitale, caput Ciliciae. Les lettres de Cicéron nous font connaître les villes où le gouverneur devait tenir ses assises, conventus juridici : Tarse, pour la Cilicie des plaines, Iconium pour la Lycaonie, Philomelium pour l'Isaurie, Perge pour la Pamphylie, Laodicée, dont le ressort contenait vingt-cinq villes, Apamée quinze, Synnade vingt et une.

Le vaste pays compris entre le mont Amanus au nord et le désert d'Arabie au sud forma la nouvelle province de Syrie ; mais elle renfermait trop de peuples, de dynastes et de cités, qui, à la chute des Séleucides et après la défaite de Tigrane, s'étaient crus indépendants, pour que Rome fît autre chose dans cette région que d'y prendre les droits de suzeraineté, sans toucher aux libertés locales. Elle laissa de grands privilèges à ces populations dont l'affection lui était nécessaire sur cette frontière lointaine qui, d'un jour à l'autre, pouvait être menacée.

Après la part du peuple souverain, celle des rois clients : en récompense de son parricide, Pharnace garda le Bosphore, et partagea avec Castor de Phanagorie le titre d'ami et d'allié du peuple romain. Le tétrarque des Tolistoboïes, dans la Galatie, Déjotarus, s'était montré fidèle et vaillant, Pompée lui donna pour ses troupeaux de plantureux pâturages entre l'Halys et l'Iris et aux environs des riches cités de Pharnacie et de Trapézonte (Trébizonde) ; il y ajouta la petite Arménie, région montagneuse et pauvre, mais où Déjotarus allait faire, dans l'intérêt de Rome, un service de surveillance sur la frontière de la grande Arménie. Brogitarus, son gendre, reçut la forteresse de Mithridatium avec un territoire étendu sur la commune limite du Pont et de la Galatie. Le fils du vaincu de Chéronée, Archélaos, fut nommé grand prêtre de Comana ; nous avons dit la part faite à Attale dans la Paphlagonie ; Ariobarzane avait recouvré la Cappadoce, Pompée lui donna encore la Sophène, qui le rendit maître des gués de l'Euphrate. La Gordyène, plus à l'est, restait à Tigrane. Le Séleucide Antiochus conserva la Commagène, petite province où les Romains avaient besoin d'un vassal docile, parce qu'elle réunissait la Cappadoce à la Syrie et commandait les passages de l'Euphrate. Sur la rive gauche du grand fleuve, l'émir de l'Osroëne, Abgar, avait aussi accepté le rôle de client de Rome. Toutes les avenues de l'Asie-Mineure par le haut Euphrate étaient donc bien gardées.

Ces dynastes restaient suspects, alors même qu'on les récompensait ; il n'en était pas ainsi des villes. Rome aimait le régime municipal, et favoriser les cités asiatiques parut à son général un acte de bonne politique dans ces pays de la servilité. Pompée fonda ou repeupla jusqu'à trente-neuf villes dont le site fut si bien choisi que quelques-unes subsistent encore. Il déclara libres la grande cité d'Antioche sur l'Oronte et près d'elle Séleucie qui avait repoussé toutes les attaques de Tigrane ; sur la côte de Palestine, Gaza ; sur l'Euxin, Phanagorie ; sur la mer Egée, Mitylène. Cyzique, qui avait si vaillamment résisté à Mithridate reçut un vaste territoire, et Héraclée du Pont, Sinope, Amisos, malgré leur longue résistance aux Romains, furent relevées de leurs ruines.

Assisté des commissaires du sénat, Pompée écrivit la formule des nouvelles provinces, Pont et Bithynie, Syrie, Cilicie, et il le fit avec tant de sagesse, que, deux siècles plus tard, ces règlements étaient encore observés. Jamais vainqueurs n'avaient fait oublier leurs victoires par plus de bienfaits et l'on ne saurait trop admirer ce génie de gouvernement qui prévoyait de si loin les besoins des sujets et les nécessités de l'empire. De l'Euxin à la mer Rouge, toute l'Asie antérieure était reconstituée, sans qu'on l'eût soumise à cette uniformité d'administration qui provoque les résistances, parce qu'elle contrarie les moeurs. Villes sujettes de tous les degrés, princes vassaux, libres républiques, toutes les formes politiques subsistaient sur ce continent et se faisaient équilibre. Le royaume de Pont si longtemps menaçant n'existait plus, et l'Arménie, tombée du haut rang où elle était un instant montée, n'était plus qu'une barrière contre le grand empire oriental, celui des Parthes, que Rome laissait debout parce qu'elle ne pouvait l'atteindre.

Venu sur ce continent après Sylla et Lucullus, Pompée n'avait pas eu de grands coups à frapper, mais il y organisa la domination de Rome, il y fixa les limites que l'empire ne put jamais franchir, et volontiers nous le laisserons se vanter, en étalant sa robe triomphale, d'avoir achevé le long enfantement de la grandeur romaine.