L - Dernières guerres contre Mithridate |
III - REORGANISATION DE L'ASIE ANTERIEURE
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Dans l'Asie Mineure, la vie est aux rivages. Le long du
littoral de l'Euxin, les villes étaient moins
pressées qu'aux bords de la mer Egée ; mais il
s'y trouvait des terres aussi fertiles. Pompée laissa
la partie montagneuse et aride de la Paphlagonie
intérieure à un prince, Attale, qui se disait
de la race des Pyléménides, les anciens rois du
pays, et il comprit dans la Bithynie la fertile région
qui descend à l'Euxin, entre le Sangarius et l'Halys,
avec quelques districts du Pont, à l'est du dernier de
ces fleuves. La grande ville grecque d'Amisos, au milieu de
cette contrée, paraît avoir reçu garnison
comme poste avancé de la domination romaine. Quoique
Pompée n'eût point osé porter plus loin
vers l'est le domaine de la république, il tint
à conserver le souvenir de ses victoires sur
Mithridate en donnant à la nouvelle province le double
nom de Pont et Bithynie.
Il organisa aussi la province de Cilicie qui fut
divisée en six districts : la Cilicie de la plaine et
celle des montagnes, le Pamphylie, la Pisidie, l'Isaurie et
la Lycaonie, auxquelles furent ajoutés les territoires
phrygiens de Laodicée, d'Apamée, de Synnade et
plus tard (58), l'île de Chypre. Tarse en était
la capitale, caput Ciliciae. Les lettres de
Cicéron nous font connaître les villes où
le gouverneur devait tenir ses assises, conventus
juridici : Tarse, pour la Cilicie des plaines, Iconium
pour la Lycaonie, Philomelium pour l'Isaurie, Perge pour la
Pamphylie, Laodicée, dont le ressort contenait
vingt-cinq villes, Apamée quinze, Synnade vingt et
une.
Le vaste pays compris entre le mont Amanus au nord et le
désert d'Arabie au sud forma la nouvelle province de
Syrie ; mais elle renfermait trop de peuples, de dynastes et
de cités, qui, à la chute des Séleucides
et après la défaite de Tigrane,
s'étaient crus indépendants, pour que Rome
fît autre chose dans cette région que d'y
prendre les droits de suzeraineté, sans toucher aux
libertés locales. Elle laissa de grands
privilèges à ces populations dont l'affection
lui était nécessaire sur cette frontière
lointaine qui, d'un jour à l'autre, pouvait être
menacée.
Après la part du peuple souverain, celle des rois
clients : en récompense de son parricide, Pharnace
garda le Bosphore, et partagea avec Castor de Phanagorie le
titre d'ami et d'allié du peuple romain. Le
tétrarque des Tolistoboïes, dans la Galatie,
Déjotarus, s'était montré fidèle
et vaillant, Pompée lui donna pour ses troupeaux de
plantureux pâturages entre l'Halys et l'Iris et aux
environs des riches cités de Pharnacie et de
Trapézonte (Trébizonde) ; il y ajouta la petite
Arménie, région montagneuse et pauvre, mais
où Déjotarus allait faire, dans
l'intérêt de Rome, un service de surveillance
sur la frontière de la grande Arménie.
Brogitarus, son gendre, reçut la forteresse de
Mithridatium avec un territoire étendu sur la commune
limite du Pont et de la Galatie. Le fils du vaincu de
Chéronée, Archélaos, fut nommé
grand prêtre de Comana ; nous avons dit la part faite
à Attale dans la Paphlagonie ; Ariobarzane avait
recouvré la Cappadoce, Pompée lui donna encore
la Sophène, qui le rendit maître des gués
de l'Euphrate. La Gordyène, plus à l'est,
restait à Tigrane. Le Séleucide Antiochus
conserva la Commagène, petite province où les
Romains avaient besoin d'un vassal docile, parce qu'elle
réunissait la Cappadoce à la Syrie et
commandait les passages de l'Euphrate. Sur la rive gauche du
grand fleuve, l'émir de l'Osroëne, Abgar, avait
aussi accepté le rôle de client de Rome. Toutes
les avenues de l'Asie-Mineure par le haut Euphrate
étaient donc bien gardées.
Ces dynastes restaient suspects, alors même qu'on les
récompensait ; il n'en était pas ainsi des
villes. Rome aimait le régime municipal, et favoriser
les cités asiatiques parut à son
général un acte de bonne politique dans ces
pays de la servilité. Pompée fonda ou repeupla
jusqu'à trente-neuf villes dont le site fut si bien
choisi que quelques-unes subsistent encore. Il déclara
libres la grande cité d'Antioche sur l'Oronte et
près d'elle Séleucie qui avait repoussé
toutes les attaques de Tigrane ; sur la côte de
Palestine, Gaza ; sur l'Euxin, Phanagorie ; sur la mer
Egée, Mitylène. Cyzique, qui avait si
vaillamment résisté à Mithridate
reçut un vaste territoire, et Héraclée
du Pont, Sinope, Amisos, malgré leur longue
résistance aux Romains, furent relevées de
leurs ruines.
Assisté des commissaires du sénat,
Pompée écrivit la formule des nouvelles
provinces, Pont et Bithynie, Syrie, Cilicie, et il le fit
avec tant de sagesse, que, deux siècles plus tard, ces
règlements étaient encore observés.
Jamais vainqueurs n'avaient fait oublier leurs victoires par
plus de bienfaits et l'on ne saurait trop admirer ce
génie de gouvernement qui prévoyait de si loin
les besoins des sujets et les nécessités de
l'empire. De l'Euxin à la mer Rouge, toute l'Asie
antérieure était reconstituée, sans
qu'on l'eût soumise à cette uniformité
d'administration qui provoque les résistances, parce
qu'elle contrarie les moeurs. Villes sujettes de tous les
degrés, princes vassaux, libres républiques,
toutes les formes politiques subsistaient sur ce continent et
se faisaient équilibre. Le royaume de Pont si
longtemps menaçant n'existait plus, et
l'Arménie, tombée du haut rang où elle
était un instant montée, n'était plus
qu'une barrière contre le grand empire oriental, celui
des Parthes, que Rome laissait debout parce qu'elle ne
pouvait l'atteindre.
Venu sur ce continent après Sylla et Lucullus,
Pompée n'avait pas eu de grands coups à
frapper, mais il y organisa la domination de Rome, il y fixa
les limites que l'empire ne put jamais franchir, et
volontiers nous le laisserons se vanter, en étalant sa
robe triomphale, d'avoir achevé le long enfantement de
la grandeur romaine.