LII - Le premier triumvirat et le consulat de César (60-59)

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II - LE CONSULAT DE CESAR (59)

Cependant les premières paroles du nouveau consul furent un appel à la concorde : il promit au sénat de ne rien proposer contre ses prérogatives, il essaya de se réconcilier avec Bibulus et il demanda les conseils de Cicéron. En prenant possession de sa dignité, il établit que le journal de tous les actes du sénat serait régulièrement tenu et publié, afin de gêner les intrigues ténébreuses, en soumettant le gouvernement au contrôle de l'opinion publique. Quelques jours après, il lut au sénat la loi suivante : «Pour relever l'agriculture et repeupler les solitudes de l'Italie, on distribuera aux pauvres les terres du domaine public. Celles de la Campanie, où l'on établira 20 000 colons, seront données aux citoyens ayant au moins trois enfants, et une redevance sera payée, pour ces concessions, au trésor. Si les terres publiques ne suffisent pas, on emploiera l'argent rapporté par Pompée à acheter du consentement des propriétaires des domaines particuliers au prix où ils ont été marqués sur les registres du dernier cens. Vingt répartiteurs élus veilleront à l'exécution de la présente loi». Il n'y avait rien à reprendre dans cette proposition dont la sagesse et l'opportunité rappelaient la première loi de Tiberius, avec cette différence que César déclarait ne vouloir pas être au nombre des commissaires. Au temps des Gracques, l'aristocratie était toute-puissante : elle brisa la loi et le tribun. Aujourd'hui c'était du consulat, comme au temps de Spurius Cassius, que le coup partait, et la noblesse n'avait que Caton pour la défendre, car Cicéron restait dans ses villas, pour n'avoir pas à louer dans César ce qu'il avait blâmé dans Rullus ; craignant de parler, craignant de se taire, il s'était enfui loin du champ de bataille. Ce n'est pas la loi que je redoute, s'écria Caton, mais le prix dont le peuple devra la payer ; et il parla si vivement, que César, cédant à l'impatience, le fit saisir et traîner à la prison, dont on ne ferma point la porte. Puis le consul congédia les Pères en leur disant : «Je vous avais faits juges et arbitres suprêmes de cette loi, afin que si quelqu'une de ses dispositions vous déplaisait, elle ne fût pas portée devant le peuple avant d'avoir été discutée par vous ; mais, puisque vous n'avez point voulu procéder à une délibération préalable, le peuple seul décidera». C'était le retour à la loi Hortensia, que la législation cornélienne avait supprimée. Forcé par ce refus de concours de tout porter par-devant l'assemblée populaire, il réunit rarement le sénat. Les comices représentaient, il est vrai, la souveraineté nationale, dont le sénat n'était que le grand conseil ; mais leur demander tout, c'était déplacer l'axe du gouvernement : naguère il était dans la curie ; César le mettait au Forum. Et il y avait vingt ans à peine que Sylla avait enlevé aux tribus leur pouvoir législatif !

Le jour où il présenta sa loi au peuple, la scène entre Tiberius et Octavius recommença, mais César se garda bien d'aller jusqu'à l'extrémité où le fils de Cornélie s'était perdu. Il supplia longtemps son collègue de ne point s'opposer à cet acte de justice ; et, pour rendre les grands odieux, il engagea le peuple à joindre ses prières aux siennes. Quand vous réclameriez tous cette loi, répondit Bibulus, vous ne l'auriez pas. Alors César, se tournant du côté de Pompée et de Crassus, leur demanda ce qu'ils pensaient de la proposition. Tous deux la louèrent hautement. Mais, dans le cas où on la repousserait par la force, que feras-tu ? dit-il à Pompée. Si on l'attaque avec l'épée, je la défendrai avec l'épée et le bouclier. En l'entendant ainsi parler, les nobles comprirent pourquoi ils avaient vu la ville se remplir de vétérans pompéiens.

Bibulus, esprit court et têtu, résista jusqu'au bout. Le jour du vote, malgré l'aspect menaçant du Forum rempli d'hommes armés, il vint avec Caton et Lucullus se placer auprès de son collègue pour déclarer qu'il observait le ciel, et que par conséquent toute affaire devait être suspendue. Mais, dès qu'il voulut parler, on se jeta sur lui. Il fut précipité du haut des degrés du temple de Castor, et forcé de chercher asile dans un édifice voisin. Lucullus aussi faillit périr. Deux tribuns furent blessés ; Caton, deux fois chassé de la tribune, y remonta deux fois ; à la fin on l'entraîna : la loi passa, et un plébiscite obligea les sénateurs, les magistrats et tous ceux qui brigueraient une charge à l'avenir, à en jurer l'observation littérale. On se souvint de Metellus, et tout le monde jura, même Caton ; un seul, Laterensis, aima mieux renoncer à sa candidature au tribunat. On lui en sait un gré infini, écrit Cicéron, qui le loue et ne l'imita point.

Cette loi agraire était la première qui depuis soixante ans eût réussi à passer. Héritier de la popularité de Marius, César allait donc l'être encore de celle des Gracques. Et cependant les deux autres triumvirs n'avaient pas le droit de s'alarmer, car il semblait n'agir que dans l'intérêt commun. Quand il diminua d'un tiers le prix des fermes de l'Asie où les publicains avaient beaucoup perdu durant la guerre contre Mithridate, c'était, disait-il, pour concilier aux triumvirs, après le peuple maintenant gagné, tout l'ordre équestre. Quand il fit confirmer les actes de Pompée en Orient, c'était la parole donnée par son collègue aux rois et aux peuples de l'Asie qu'il dégageait, comme il venait de remplir, avec la loi agraire, les promesses faites par lui à ses vétérans. Quand il vendait enfin, au prix de 6.000 talents, au roi d'Egypte, Ptolémée Aulète, l'alliance de Rome, c'était encore pour que ce prince dût sa couronne au triumvirat. Il n'était donc que le fidèle exécuteur du traité d'alliance mais on se souvient de celui qui donne, bien plus que de celui qui promet, et César, accomplissant ce que son collègue n'avait pu faire, recueillait la reconnaissance, ou du moins s'élevait dans l'opinion. Pompée n'était plus que l'obligé de César. Il consentit même à perdre vis-à-vis de lui le bénéfice de l'âge, en devenant son gendre. Ce mariage ajoutait les liens de la parenté à ceux de la politique ; mais, dans la famille comme dans l'Etat, c'était le second rang que Pompée acceptait. Il ne s'en apercevait pas, car il ne pouvait supposer que quelqu'un eût la prétention de s'égaler à lui, et César évitait de lui ôter cette pensée. C'était une coutume à Rome que, dans les séances du sénat, celui à qui le consul avait demandé le premier son avis conservât toute l'année ce privilège auquel on tenait beaucoup. César avait fait d'abord cet honneur à Crassus ; après le mariage de Julie, ce fut Pompée qu'il chargea d'ouvrir la délibération : petite chose dont s'accommodait la vanité de l'homme qui voulait avoir en tout la prééminence.

Deux lois du consulat de César, de Provinciis ordinandis et de Pecuniis repetundis, qui se complétaient l'une l'autre, restèrent jusqu'aux derniers temps de l'empire le fond de la législation en la matière. Elles avaient pour but la bonne administration des provinces et la répression des concussionnaires. Comme tous les jeunes nobles, il avait débuté au Forum en accusant des gouverneurs coupables ; mais il demeura toujours fidèle à ce patronage des provinciaux que les autres oubliaient dès qu'ils arrivaient aux charges. Il avait compris que le temps était venu de s'élever au-dessus des préjugés étroits de la cité, et que Rome devait autre chose au monde qu'un éternel pillage.

La seconde de ces lois avait plus de cent chapitres, et elle différait des lois analogues précédemment rendues en précisant mieux quels actes et quelles personnes elle atteindrait et en aggravant les peines antérieurement édictées. Elle s'appliquait à tout homme ayant reçu indûment de l'argent, à Rome ou dans les provinces, pour quelque acte que ce fût. Aussi Cicéron l'appelle une loi aussi sage que juste, par laquelle les peuples libres jouissaient enfin véritablement de leur liberté. Elle régla la dépense des cités pour le proconsul, ses légats, son questeur, et elle interdit les dons volontaires qu'il est si facile à ceux qui ont le pouvoir d'exiger sans demander rien. Elle augmenta la pénalité contre les concussionnaires, qui furent déclarés incapables de siéger au sénat et de paraître en justice comme accusateurs ou comme témoins. Pour que la preuve contre eux devînt facile, les gouverneurs durent laisser une copie de leurs comptes dans les deux plus importantes villes de la province et en déposer une troisième à Rome dans le trésor public. Lorsqu'un concussionnaire était poursuivi en justice, il pouvait sauver ses biens en s'exilant avant le jugement, puisque cet exil volontaire mettait fin aux procès. La loi Julia édicta que, même dans ce cas, les biens seraient saisis, fussent-ils déjà dans les mains des héritiers, et qu'ils serviraient à dédommager les personnes lésées. S'ils ne suffisaient pas, les individus qui avaient profité de la prévarication étaient condamnés à parfaire la restitution. Enfin il décréta que le gouverneur ne resterait que deux ans dans les provinces consulaires, un an dans les provinces prétoriennes. Sylla n'avait pas permis aux chevaliers et aux plébéiens de récuser dans leurs procès plus de trois juges. Le tribun Vatinius, un ami de César, accorda un droit égal de récusation à l'accusé et à l'accusateur, quelle que fût leur condition.

Ainsi, des terres pour les pauvres de Rome, de la justice pour les provinciaux, des sévérités pour le mal qui minait la république, la vénalité, tels furent les principaux actes de César durant sa magistrature.

Que faisaient les grands pendant ce consulat si sagement réformateur ? Caton protestait en faveur d'abus dont il ne profitait pas ; Favonius imitait ses plaintes, jusqu'à ses gestes, et ne jurait que le dernier la loi agraire. Lucullus s'était mis de l'opposition contre le consul ; quelques mots de César sur ses immenses richesses qui appartenaient à l'Etat, comme butin de guerre, le firent rentrer dans le silence et l'ombre. Hortensius, déconcerté par sa maladroite intervention dans le procès de Clodius, avait laissé la politique et soignait ses murènes. Cicéron, séduit quelque temps par les avances de Pompée et par les caresses de César, s'était vite rejeté en arrière. Il voulait retourner aux lettres, s'enfuir vers les montagnes paternelles et le berceau de son enfance ; il s'écriait : Quand donc vivrons-nous, quando vivemus ? et il invitait Atticus à venir philosopher avec lui, à l'ombre de la statue d'Aristote. Mais il ne tenait pas en place ; il voyageait de Formies à Antium, d'Antium à Tusculum, inquiet, tourmenté, avide de nouvelles, tournant autour de Rome sans oser y rentrer et tâchant, par des demi ouvertures, par des confidences ménagées, de se faire offrir l'augurat, pour se donner à lui-même un prétexte de reparaître en scène. Triste spectacle que celui d'un noble esprit qui ne peut, lorsque son heure est passée, renoncer ni au pouvoir ni aux applaudissements de la foule !

Quant au sénat, il semblait n'exister plus, l'un des consuls le convoquant rarement, et l'autre lui ayant défendu de se réunir, par la proclamation d'un justitium. Bibulus, pour entacher d'illégalité les actes de son collègue, avait déclaré fériés tous les jours de son consulat. Mais la religion était un instrument bien usé, et l'on souriait de cette opposition faite au nom de croyances depuis longtemps perdues : les plaisants nommèrent cette année le consulat de Julius et de César.

A défaut de guerre sérieuse, on lui faisait une guerre d'épigrammes. Bibulus, renfermé chez lui, lançait de là contre son collègue des édits en style d'Archiloque, où l'accusation d'avoir été le complaisant de Nicomède et le complice de Catilina était le moindre outrage. Les grands portaient aux nues le courage de leur champion, mais Cicéron, jaloux du bruit qui se faisait autour d'un consul inactif, remarquait malignement que c'était une façon nouvelle d'arriver à la gloire. Pour César, il s'inquiétait peu qu'on rît à ses dépens, et il laissait à ses adversaires cette dernière consolation des vaincus. Pompée en prenait moins aisément son parti : le 25 juillet il monta à la tribune pour parler contre ces édits de Bibulus. «Oh ! qu'il était humble et abattu, écrit Cicéron, qu'on voyait bien qu'il n'était pas plus content de lui-même que ceux qui l'écoutaient !» Et avec une naïveté d'orgueil qui fait sourire, l'orateur osait ajouter : «J'étais tourmenté de la crainte que les services de Pompée ne parussent à la postérité plus grands que les miens. Voilà un souci que je n'ai plus ; il est tombé si bas !»

Les lois de César étaient excellentes ; en refusant de les préparer avec lui et de s'associer à ses projets, l'oligarchie venait de commettre la dernière faute, celle qui précède, en les amenant, les grandes catastrophes. César voulait alors des réformes, non pas une révolution, et ses réformes auraient peut-être sauvé la république. Dans dix ans il sera trop tard, parce que, au lieu d'employer ces dix années à se délivrer des maux qui le minaient, le gouvernement aristocratique ne les employa qu'à chercher les moyens de se délivrer de César. Les grands comptaient sur leur sénatus-consulte dérisoire touchant la province réservée par eux au consul populaire pour être bientôt débarrassés de lui. Mais le peuple dont il s'était conservé l'affection par une succession non interrompue de jeux, de spectacles et de largesses, fit pour lui ce qu'il avait déjà fait pour Marius, Lucullus et Pompée. Sur la proposition du tribun Vatinius, il répondit au sénatus-consulte dérisoire sur les provinces proconsulaires en lui donnant, par le plébiscite vatinien, le gouvernement, pour cinq années, de la Gaule cisalpine et de l'Illyrie, avec trois légions, les seules forces militaires qui pussent se trouver légalement en Italie. Cette loi était très habilement combinée dans l'intérêt de César, car elle lui donnait, avec une armée considérable, une province dont il s'était fait le patron, et qui, étant à proximité de Rome, recevait jour par jour les nouvelles du forum et de la curie ; mais elle était aussi fort utile à la république qui était menacée d'une guerre formidable de l'autre côté des Alpes. Caton ne s'occupait point de ce péril. Tout à sa ferveur républicaine et à sa haine contre César, il s'était écrié : C'est la tyrannie que vous armez, et vous la mettez dans un fort au-dessus de vos têtes. Plus patriote devant le péril de l'Etat que la faction oligarchique, la majorité sénatoriale, sollicitée par Pompée, ajouta au don populaire une quatrième légion et une troisième province, la Narbonnaise, alors en grand danger, pour une durée certainement égale à celle que le plébiscite avait fixée.

Ces commandements prolongés étaient dans l'esprit de la constitution romaine ; le proconsulat n'avait été imaginé, trois siècles plus tôt, qu'afin d'assurer à un consul le temps d'achever ses opérations militaires. Metellus, Lucullus et Pompée en avaient eu récemment de plus longs que celui qui venait d'être donné à César, et le peuple, le sénat, voyaient juste en recourant à la précaution usitée dans les jours de péril. Mal récompensés à leur gré pour la conduite de leurs ambassadeurs dans la conspiration de Catilina, les Allobroges venaient de ravager la Narbonnaise, où des succès gagnés et de sérieux combats valurent plus tard le triomphe au propréteur Pomptinus. Cette levée de boucliers avait causé peu d'inquiétude, mais l'invasion germanique, arrêtée quarante années auparavant par Marius, recommençait. La masse des nations établies dans les bassins supérieurs du Danube et du Rhin et dans les vallées des Alpes s'agitait confusément. Déjà le peuple le plus redouté dans la Germanie entière, les Suèves, au nombre de cent vingt mille, étaient entrés de vive force en Gaule, au-dessus de la province romaine dont ils touchaient la frontière, et quatre cent mille Helvètes se préparaient à la traverser en armes ; de sorte que la Gaule méridionale et, par suite, l'Italie se trouvaient exposées à une invasion aussi dangereuse que celle qui avait pénétré jusqu'aux environs d'Aix et de Verceil. Les Suèves, en effet, n'étaient que l'avant-garde de ce monde barbare sans cesse attiré par ses appétits sur le monde civilisé ; et le pays abandonné par les Helvètes allait être occupé par de belliqueuses peuplades qui, du haut des Alpes, jetteraient des regards avides sur les riches plaines de la Cisalpine. Pour le moment, les envahisseurs, maîtres des vallées du Rhin et de la Saône, ne semblaient menacer que l'est et le centre de la Gaule ; mais l'avidité de ceux qui étaient prêts à les suivre pouvait les faire changer de direction ; et, à Rome, le souvenir des terreurs causées durant dix années par les Cimbres et les Teutons vivait toujours. Le plébiscite Vatinien n'était donc pas une de ces faveurs irréfléchies que le peuple accorde parfois à ses chefs ; le sénat, de son côté, avait obéi au sentiment de l'intérêt public, lorsqu'il avait décidé, par la réunion du gouvernement de la Narbonnaise à celui de la Cisalpine, que la garde de toute la frontière du nord serait confiée à un seul général, et que ce général aurait assez de temps devant lui pour préparer, comme son oncle Marius, le plan de défense et l'exécuter. Les alliances nouées par César dans le Noricum prouvent qu'il s'était bien rendu compte de sa mission, il prenait ses précautions de ce côté, afin de couvrir contre une attaque des Gaulois Pannoniens la porte orientale de l'Italie, tandis qu'il en défendrait, dans l'Ouest, les postes avancés contre leurs frères de la grande Gaule.

On a contesté l'égale durée des deux gouvernements : celui de la Narbonnaise devant être plus court que celui de la Cisalpine ; le sens pratique des Romains n'aurait pas compris une différence, surtout quand le vrai danger était sur les bords du Rhône ; le sénat, alors en voie de réconciliation avec César, n'a pu la faire, et Pompée, qui soutint au forum le plébiscite pour la Cisalpine, qui appuya vivement à la curie le sénatus-consulte pour la Narbonnaise, a dû demander que les conditions fussent égales. Du reste, Velleius Paterculus, Appien et Plutarque affirment qu'elles l'ont été.

Nous avons une autre preuve que les sénateurs pliaient sous la volonté énergique et prévoyante de César, même après son consulat. Dès qu'il eut déposé les faisceaux, deux préteurs voulurent faire invalider ses actes ; il demanda que la question fût aussitôt discutée dans la curie. Les amis de Caton firent beaucoup de bruit, et durant trois jours il y eut de vives altercations ; mais le sénat refusa de laisser s'établir une délibération régulière. Un tribun proposa aussi de le citer en justice ; ses collègues opposèrent leur veto : double intrigue qui était une double illégalité, car les sénateurs avaient été contraints par un plébiscite de jurer l'observation de sa loi principale, et un procès ne pouvait être intenté à un magistrat tant qu'il était en fonction ; César, proconsul au sortir du consulat, jouissait de cette immunité.

Averti par ces attaques maladroites, il se promit d'en prévenir le retour ou les effets, en faisant arriver chaque année aux charges urbaines des amis disposés à le défendre contre une surprise. Plusieurs, dit Suétone, lui jurèrent avec serment d'empêcher qu'on l'accusât en son absence et quelques-uns en renouvelèrent par écrit l'engagement.

Parmi les sénateurs si bien disposés en apparence pour César, il s'en trouvait assurément qui comptaient sur l'épée d'un barbare pour les débarrasser de leur redoutable adversaire. Pompée, sans penser à mal, estimait que César, éloigné de Rome durant cinq années, lui laisserait les bénéfices les plus clairs de leur association : l'influence prépondérante dans Rome et ce rôle de suprême modérateur qui suffisait à un homme ayant plus la vanité que l'ambition du pouvoir. César calculait autrement. Deux exemples contraires, la triste fin des Gracques et les succès de Sylla, avaient montré qu'il n'y avait rien à faire sans une armée. Pour avoir une armée, il fallait une province, une guerre heureuse, du butin ; or la Gaule était riche, elle était redoutée, elle était aux portes de l'Italie. De Rome on verrait presque, on entendrait cette guerre contre la race odieuse dont le nom rappelait le lugubre souvenir du Capitole racheté à prix d'or ; les succès viendraient y retentir comme à deux pas du champ de bataille. Il pensait qu'après avoir acquis autant et plus de gloire militaire que Marius, Sylla et Pompée, il saurait mieux s'en servir, pour donner enfin à la république l'organisation que, depuis un siècle, elle cherchait à travers les guerres civiles et les proscriptions. Dans ces idées entrait-il plus d'ambition que de patriotisme ? Beaucoup ne voient dans la conduite de César que le premier mobile ; je crois fermement qu'il faut y joindre le second.