Haut-Empire
I. Caractères généraux
Le principat est le nom du nouveau régime
établi par Auguste en 27 avant JC., et qui s'est
transformé progressivement en despotisme militaire, en
monarchie absolue, en empire. A partir de 28 av. JC., Auguste
avait abrogé les dispositions exceptionnelles qu'il
avait prises comme triumvir reipublicae constituendae
; le 13 janvier 27, il avait achevé l'organisation de
l'Etat en restituant de sa seule autorité le pouvoir
au Sénat et au peuple, en partageant les provinces ;
et le 16 de ce même mois, le Sénat lui avait
décerné le surnom d'Auguste.
L'année 27 est donc la date de fondation du principat,
le point de départ de l'ère impériale,
restée d'ailleurs sans application pratique. Voulant
s'appuyer sur l'aristocratie et tenir compte des traditions
et des souvenirs, Auguste fait reposer son régime
à la fois sur le principe républicain de la
souveraineté du peuple et sur l'idée nouvelle
d'un partage officiel des pouvoirs entre le Sénat et
le Prince, magistrat unique, permanent, viager,
représentant du peuple. On peut accepter en ce sens
l'expression de dyarchie, inventée par Mommsen. C'est
un compromis entre le régime sénatorial de
Sylla et l'autocratie de César. Ce dernier eût
voulu éliminer le Sénat et constituer une
administration exclusivement impériale. Auguste recule
devant cette tâche. Il laisse subsister les formes
anciennes, les comices, les magistratures ; il donne au
Sénat le gouvernement d'une moitié de l'empire
et même des pouvoirs nouveaux, les pouvoirs
législatif et judiciaire. Mais cette hypocrisie
constitutionnelle dissimule en fait une révolution
profonde, amenée par la ruine des moeurs et des
institutions républicaines, par la conquête de
l'Italie et du monde qui a transformé la cité
romaine en un empire, par la création d'une
armée de métier permanente. Le principat est
plus que la réunion des anciennes magistratures.
Auguste affecte en vain de se considérer comme un
magistrat. Il a les pouvoirs d'un monarque ; les limites
qu'il s'est imposées sont illusoires. Il est
obligé de porter lui-même les premiers coups
à son oeuvre ; l'incapacité du Sénat
l'oblige à s'emparer de l'administration de Rome et de
l'Italie ; il crée l'organe qui va le plus contribuer
à transformer le principat en despotisme militaire, la
préfecture du prétoire. C'est pendant la
seconde moitié du troisième siècle que
s'achève cette évolution qui aboutit à
la monarchie de Dioclétien et de Constantin.
II. Caractères particuliers
Le prince est théoriquement un magistrat, sans
cependant porter ce nom ; aussi le droit public n'admet pas
l'hérédité du principat. Le prince est
soumis aux lois, sauf quand il obtient des dispenses
spéciales ou des privilèges personnels
généralement transmis aux successeurs. C'est
seulement au troisième siècle, quand le droit
de dispenser des lois a passé du Sénat à
l'empereur, que celui-ci est délié des
prohibitions du droit privé, et seulement au
Bas-Empire qu'il est au-dessus des lois. Comme magistrat et
surtout comme possesseur de la puissance tribunicienne, il
est inviolable ; tout attentat au prince par acte,
écrit, parole est assimilé à un crime
contre l'Etat [majestas]. Magistrat viager, il ne peut
être poursuivi pendant sa charge ; en fait, il est donc
irresponsable ; cependant s'il abdique ou s'il est
déposé, le Sénat peut lui intenter une
poursuite criminelle soit de son vivant, soit après sa
mort. Dès le début du principat, l'idée
monarchique se manifeste par l'institution du culte
impérial et de la consécration [Imperator].
III. Eligibilité
Il n'y a aucunecondition d'éligibilité, aucune
cause d'incapacité pour la nomination du prince. On
peut élire des enfants (Diaduménien, Gordien
III). Les femmes sont-elles admises au trône ?
Séjan avait promis à la petite-fille de
Tibère, Livilla, de l'associer au trône ;
Caligula avait institué sa soeur Drusilla comme
héritière de l'empire ; Livie aurait pu
être associée au pouvoir sous Tibère ; la
seconde Agrippine l'a été dans une certaine
mesure sous Claude et Néron ; Mamaea eut une situation
analogue sous Alexandre ; Claude II et Aurélien
paraissent avoir reconnu Zénobie comme associée
; ces rares exemples ne permettent pas de croire que le
principat ait été régulièrement
accessible aux femmes.
IV. Titres
Les empereurs ont constamment repoussé le titre de
roi, même en Egypte où ils ont les pouvoirs
royaux. Ils n'ont pas de titre propre. Le mot
princeps, employé dès Auguste, ne
signifie que le premier des citoyens et n'a jamais
été officiel. En règle
générale, jusqu'à Hadrien, sauf pour la
dynastie claudienne et Vitellius, les empereurs laissent de
côté pour eux et leurs principaux descendants
leur nom de famille remplacé par leur cognomen ; mais
ensuite les noms gentilices reparaissent. Les empereurs
n'indiquent pas la tribu. Ils portent une série de
titres qui forment le nom impérial [Imperator]. Ajoutons ici, pour
les consulats impériaux, que l'empereur prend à
sa guise le consulat éponyme. Caligula, Vespasien,
Domitien, Elagabal l'ont eu pendant plusieurs années ;
il avait été voté à
perpétuité à Caligula et à
Vitellius, pour cinq ans à Tibère et à
Séjan, pour dix ans à Domitien. Quelques
empereurs ont eu la puissance consulaire pour faire le cens,
donner des jeux. Mais en somme, depuis l'abandon du consulat
par Auguste en 23, il n'a plus fait partie intégrante
du pouvoir impérial.
V. Eléments et acquisition du pouvoir
impérial
Ce sujet est très obscur. La partie essentielle des
pouvoirs d'Auguste, puis de ses successeurs, a
été l'imperium ou puissance
proconsulaire, le commandement en chef. C'est la date
d'acquisition de cette puissance, et non de la puissance
tribunicienne, qui marque le commencement officiel du
règne, le dies imperii. Elle n'émane
probablement pas des comices. Elle est prise sur l'invitation
soit du Sénat, soit de l'armée
représentée par les prétoriens ou les
légions ou un groupe de soldats, qui donne la
première salutation militaire. Le Sénat,
généralement prévenu par l'armée,
n'a pas eu souvent occasion d'exercer sa prérogative ;
mais son choix représente cependant la
procédure la plus légale, la plus
modérée, une politique plus habile ; la plupart
des empereurs créés par l'armée,
Vitellius, Macrin, Elagabal, Gordien Ier, Philippe,
probablement Claude II, sauf Maximin, se font confirmer par
le Sénat ; Hadrien s'excuse de n'avoir pu attendre
l'invitation du Sénat ; après la mort de
Caligula, le Sénat essaie de rétablir la
république, et une partie des troupes lui confie
ensuite le choix de l'empereur en lui donnant des
instructions ; à la chute de Néron, Verginius
Rufus déclare que le choix appartient au Sénat
; Pertinax, élu de l'armée, abdique pour se
faire réélire par le Sénat ; celui-ci
oppose à Maximin deux empereurs, Maxime et Balbin, et
un César, Gordien III ; sur la demande des soldats, il
nomme Tacite. Dans ses tentatives de restauration
sénatoriale du IIIe siècle, il revendique
encore le droit de choisir l'empereur. L'institution du
prince n'est donc, en fait, définitive et
régulière que quand il a eu les deux
approbations ; mais en droit l'une ou l'autre suffit. Chacun
des deux pouvoirs tient naturellement à arriver le
premier. L'acquisition de l'imperium donne le titre
d'imperator, la puissance militaire [Imperator], et a pour
corollaire la prise du nom d'Auguste [Augustus].
Le second pouvoir qui constitue l'essence du principat est la
puissance tribunicienne. Elle avait été
conférée à vie en 36 à Auguste,
qui la conserva après l'abandon du consulat. Ses
successeurs la reçoivent du Sénat et du peuple.
Sur la décision du Sénat, un magistrat,
peut-être un consul, propose, après un
délai variable, qui a pu être au début
l'ancien trinum nundinum, la rogation aux comices,
peut-être par centuries ; ce sont les comitia
tribuniciae potestatis, simple formalité qui a pu
subsister longtemps et qui au IIIe siècle se
réduit à des acclamations sur le Champ de Mars.
La rogation votée fait-elle partie de cette loi dont
nous avons un fragment dans l'inscription relative à
Vespasien et qu'il faut peut-être identifier avec la
lex regia dont parlent les jurisconsultes ? C'est peu
probable. L'inscription de Vespasien renferme une nouvelle
délimitation des pouvoirs, devenue nécessaire
après le règne de Néron. Elle a la
formule de sanction des lois, mais elle est
rédigée comme un sénatus-consulte. Elle
accorde à Vespasien, en se référant
généralement à l'exemple d'Auguste, de
Tibère et de Claude, une série de pouvoirs
particuliers : pleine autorité en politique
étrangère, droit de réunir et de
présider le Sénat, de lui faire toutes sortes
de propositions, droit de commendatio pour
l'élection des magistrats, droit d'étendre le
pomerium, de faire tous les actes utiles à
l'Etat, dispense des lois et plébiscites, ratification
des actes antérieurs de Vespasien. La liste de ces
droits pouvait sans doute être modifiée à
chaque règne, augmentée par exemple du jus
tertiae, quartae ou quintae relationis [Oratio
ad Senatum]. En réunissant donc le
sénatus-consulte sur l'acquisition ou la
reconnaissance des titres d'Imperator et d'Augustus, la loi sur la puissance
tribunicienne, la loi spéciale d'investiture, on a
l'ensemble des pouvoirs conférés par le
Sénat, au début sans doute en trois actes
distincts, plus tard généralement en une fois.
Ils sont complétés par la concession
ultérieure du grand pontificat, du patriciat, du titre
de pater patriae.
VI. Perpétuité et annalité de la
puissance tribunicienne
Le principat a été viager dès sa
création. Auguste a eu, comme César, la
puissance tribunicienne à perpétuité ;
il a pris en outre à vie le nom d'Imperator ; en 23 le
Sénat, en échange du consulat, lui a
confirmé la puissance proconsulaire à vie et en
tous lieux, Tibère n'a pas exécuté son
projet de se retirer et il fonde définitivement la
perpétuité du pouvoir. Il n'y a pas eu d'autre
part, au haut-Empire, d'abdication réelle. Dès
23, Auguste a combiné la perpétuité et
l'annalité de la puissance tribunicienne, et
dès lors les empereurs comptent ainsi leurs
années de règne ; mais le calendrier romain
garde l'éponymie consulaire. Pour Auguste, le point de
départ fut le jour d'acquisition de la puissance
tribunicienne annale, probablement le 1 juillet ; pour les
empereurs suivants, probablemenl le dies imperii. Mais
à partir du 27 octobre 97, à l'occasion de
l'association au pouvoir de Trajan, Nerva prend pour
l'année tribunicienne impériale le point de
départ de l'année des tribuns, le 10
décembre, et alors l'espace compris entre
l'avènement et ce jour forme la première
année de règne. Ce système
établit l'accord des années tribuniciennes des
corégents et des collègues. Dans la pratique on
se règle sur le calendrier ordinaire. La Syrie et les
pays voisins employèrent jusqu'à Néron
l'ère dite d'Actium partant du 1 octobre, avec le
même expédient que dans le système de
Nerva ; l'Egypte garda jusqu'à la fin de l'Empire une
ère analogue parlant du l9 août.
VII. Entrée en fonctions
[Imperator] - Ajoutons
qu'il n'y a pas de cérémonie nécessaire,
pas de translation d'insignes spéciaux. Quelques actes
indiquent cependant l'avènement, par exemple la
première salutation, offerte et acceptée, du
nom d'imperator, l'acceptation des titres
décernés, le choix du premier mot d'ordre pour
la garde, la première lettre ou le premier discours au
Sénat, le premier édit au peuple.
VIII. Insignes et Privilèges
[Imperator] ;
[Moneta]
IX. Famille impériale
L'extension de la domus divina a beaucoup varié
selon les époques et les souverains. Elle ne se
confond pas exactement avec la gens. C'est Auguste qui a
créé ses premiers droits et privilèges
en conférant l'inviolabilité tribunicienne
à Octavie et à Livie, et dès Caligula le
serment militaire comprit la famille impériale. Elle a
des honneurs et des privilèges mal
déterminés. Après Livie, honorée
de ce titre par le testament d'Auguste, et Agrippine femme de
Claude, le titre d'Augusta n'a plus guère eu
d'importance politique, sauf pour Julia Mamaea ; depuis
Domitien il est donné généralement aux
épouses des empereurs, quelquefois à leurs
mères, grand'mères, filles, à des
proches parentes, à une occasion spéciale, par
décision de l'empereur, souvent sur la demande du
Sénat. L'impératrice a les mêmes
exemptions que l'empereur pour les lois sur le mariage, le
droit de faire porter des torches devant elle, d'avoir des
licteurs sacerdotaux, d'aller dans le char des Vestales ;
plusieurs ont porté les titres de mater
castrorum, mater castrorum et senatus et patriae.
Les membres de la famille impériale ont des
sièges spéciaux au premier rang dans les
fêtes publiques, des gardes pris parmi les
prétoriens ou les cavaliers germains. Les femmes sont
souvent honorées de sacrifices, de voeux
extraordinaires, les hommes rarement. Les voeux annuels sont
étendus sous Tibère à Livie et, à
partir des Flaviens, en bloc aux descendants et à la
famille impériale, mais en général sans
indiquer nominativement les hommes. Il en est de même
pour les actes publics renfermant des prières pour
l'empereur et le peuple. On a célébré
aussi le jour de naissance de plusieurs femmes, de Livie,
d'Antonia, des deux Agrippines, de Galeria, femme de
Vitellius, d'un seul prince, Gaius, fils aîné
d'Auguste. Le fils de l'empereur est Princeps
juventitutis. Jusqu'à Hadrien plusieurs princes
ont revêtu le duumvirat municipal en se faisant
remplacer par un praefectus. Le droit d'effigie n'est
accordé aux membres défunts de la famille
impériale que restreint aux proches parents de
l'empereur et seulement jusqu'aux Flaviens ; à
l'égard des vivants, jusqu'aux Flaviens il n'est
donné régulièrement qu'aux princes
associés au pouvoir, tels qu'Agrippa, Tibère,
Drusus le jeune ; ensuite il appartient en
général aux impératrices et souvent
à d'autres princesses, et régulièrement
aux princes associés au pouvoir ou
désignés comme successeurs sans association
effective. De bonne heure la consécration a
été étendue aux impératrices
(Livie, Poppée, Plotina, Sabina, les deux Faustines,
Julia Domna), et à quelques princes et princesses
(Drusilla, Claudia, Domitilla, Julia, Marciana, soeur de
Trajan, Matidia, le fils de Domitien, le père de
Trajan, Valerianus, fils aîné de Gallien)
[Apotheosis].
X. Déposition et jugement du prince
[Imperator].
XI. Transmission du pouvoir
Le vice fondamental de l'empire a été l'absence
du principe d'hérédité. Sans doute
Auguste était le fils adoptif et l'héritier de
César ; il y a eu sous la dynastie julienne une sorte
d'hérédité de fait ; mais le principe de
la souveraineté populaire reste incompatible avec
l'hérédité. A la mort de l'empereur le
pouvoir revient théoriquement aux consuls et au
Sénat. Il n'y a pas de choix légal d'un
successeur. Les empereurs ont cependant imaginé
plusieurs expédients pour régler leur
succession. Ils ont choisi et proposé leur successeur,
soit leur fils ou leur descendant naturel agnatique, souvent
adopté comme fils, en indiquant leur
préférence, s'il y en a plusieurs ; soit,
à défaut de descendance naturelle, un fils
adoptif ; on connaît les adoptions de Marcellus, de
Caius et de Lucius, puis de Drusus et de Tibère par
Auguste, de Germanicus par Tibère, de Néron par
Claude, de Pison par Galba, de Trajan par Nerva, d'Hadrien
par Trajan, du premier Verus, puis d'Antonin par Hadrien,
peut-être d'Albinus par Septime-Sévère,
d'Alexandre par Elagabale. L'adoption a lieu d'abord selon
les formes ordinaires, puis de bonne heure par une simple
déclaration de volonté, en dehors des
conditions légales. Ces adoptions expliquent les
séries fictives d'ancêtres dont se glorifient,
par exemple, Commode et Caracalla.
L'empereur indique le ou les successeurs, ainsi choisis, de
quatre manières :
1° Au premier siècle il les présente et les
recommande au Sénat, comme on a vu ; ou il les
institue comme héritiers de son patrimoine.
2° A partir d'Hadrien, le titre de César est
réservé au futur successeur fils naturel ou
adoptif de l'Auguste, rarement étranger ; ce titre est
accordé par l'empereur, mais
généralement sur l'invitation du Sénat ;
le César est princeps juventutis, au IIIe
siècle s'appelle nobilissimus, a son image sur
les monnaies, le droit de faire porter des torches devant
lui, probablement de se vêtir de pourpre, est
coopté dans les collèges sacerdotaux, prend le
consulat ordinaire le 1er janvier après sa nomination,
mais a encore besoin d'une investiture formelle pour devenir
Auguste. Au IIIe siècle, les Césars n'ont la
puissance tribunicienne que quand ils sont presque
associés au pouvoir et assimilés aux
Augustes.
3° Dès Auguste apparaît le système
appelé par Mommsen corégence. Le
corégent, d'abord le parent (Agrippa gendre et
Tibère beau-fils d'Auguste), puis le fils naturel ou
adoptif de l'empereur régnant, abandonne
généralement son nom gentilice ; il n'a pas de
titre précis ; le nom d'Auguste est
réservé à l'empereur ; les expressions
consors imperii, particeps imperii, collega et autres
analogues sont exactes, mais sans valeur officielle. On
connaît mal les honneurs et privilèges du
corégent. Il a vraisemblablement des gardes du corps,
le droit d'effigie sur les monnaies, la couronne de lauriers
quand il est en même temps Imperator, des
secrétaires de rang équestre. Depuis
Néron il fait partie des grands collèges
sacerdotaux ; après Tibère, il prend le
consulat après la puissance tribunicienne et plus tard
après sa nomination au rang de César. Il a deux
pouvoirs essentiels, la puissance proconsulaire et la
puissance tribunicienne secondaire décernées
l'une après l'autre jusqu'à Néron,
ensuite simultanément. Il n'y a eu que deux fois deux
corégents ensemble, Tibère et Germanicus,
Germanicus et Drusus. La concession de la corégence
est viagère, doit être confirmée par le
Sénat. Comme proconsul le corégent est
inférieur à l'empereur, supérieur aux
gouverneurs, à des légats, des questeurs,
correspond avec le Sénat ; son mandat, qui
s'étend à tout l'empire, ne comporte pas en
théorie d'attributions précises, mais en fait
souvent le commandement dans plusieurs provinces, la
direction de guerres importantes. Ce proconsulat paraît
avoir été donné pour la dernière
fois à Commode. La puissance tribunicienne secondaire
est conférée par l'empereur, sous forme de
cooptation, probablement après consultation du
Sénat, d'abord sous Auguste pour un certain temps,
puis à vie ; quoique ne donnant que
l'inviolabilité, le droit d'intercéder, de
réunir le Sénat, elle constitue
véritablement l'association à l'empire ; mais
le corégent, pour devenir empereur, a encore besoin
d'une investiture dont la formule est inconnue.
4° Enfin il y a le système du gouvernement en
commun de la collégialité. Projeté
probablement par Auguste pour Gaius et Lucius, il fut
réalisé par Marc-Aurèle, qui s'associa
en 161, en lui donnant le titre d'Auguste, d'abord Lucius
Verus, puis, en 177, son fils Commode. Dès lors,
l'association a été pratiquée,
tantôt entre le père et le ou les fils
(Septime-Sévère et ses deux fils, Gordien Ier
et Gordien II, Macrin et Diaduménien, peut-être
Maximin et Maxime, les deux Philippe, Valérien et
Gallien, Gallus et Hostilianus, Gallus et Volusianus),
tantôt entre deux frères (Caracalla et Geta),
tantôt entre deux ou trois princes non parents. Les
associés sont égaux ; le grand pontificat a
été partagé en 238 ; mais la division
territoriale de l'empire n'aura lieu que sous
Dioclétien. Après la mort d'un collègue,
l'Auguste survivant reste au pouvoir.
XII. Les pouvoirs impériaux
1° Pouvoir militaire [Imperator].
2° Administration de Rome, de l'Italie et des provinces
impériales [Imperator] ; [Praefectus
urbi, Provincia, Regio]. - Ajoutons ici qu'outre les
provinces impériales le prince possède en
propre l'Egypte, qu'il dirige tous les Etats clients, tels
que le royaume de Cottius, le Bosphore, la grande
Arménie, qu'il nomme les correcteurs des Villes libres
dans toutes les provinces. En outre, supérieur aux
proconsuls sénatoriaux, il peut leur donner des
instructions, faire des règlements pour leurs
provinces, y régler à sa guise beaucoup
d'affaires.
3° Affaires étrangères [Imperator]. - Le Sénat
n'a plus ici de droit formel. Cependant quelques empereurs,
comme Tibère dans la première partie de son
règne, Trajan, Marc-Aurèle le consultent par
déférence, lui envoient les ambassades, lui
communiquent des traités, des nouvelles
militaires.
4° [Imperator] ;
[Aerarium ; Fiscus ; Latifundia ; Patrimonium ; Ratio
privata] - Ajoutons ici qu'Auguste, puis Tibère
jusqu'à son départ de Rome et Caligula
publièrent des espèces de comptes rendus
financiers.
5° Justice [Imperator] ; [Judex judicium
; Judicia publica ; Ordo judiciorum].
6° Pouvoirs religieux et sacerdoces impériaux
[Imperator].
7° Législation. - Le prince a
théoriquement, comme magistrat, l'initiative des lois
d'accord avec le peuple et le Sénat. C'est
vraisemblablement au nom de sa puissance tribunicienne
qu'Auguste, ayant refusé la cura legum et morum
en 19, 18 et 11 av. JC., fit voter en 18 par la plèbe
ses lois de ambitu, de maritandis ordinibus. Claude et
Nerva paraissent aussi avoir fait voter des
plébiscites. Mais en fait, les empereurs ont
laissé le pouvoir législatif propre au
Sénat. Ils se sont approprié seulement
dès l'époque de Vespasien le droit de remettre
les déchéances encourues en vertu des lois sur
le mariage ; ils sont intervenus de bonne heure dans les
dispenses et privilèges en matière
d'association, dans l'organisation municipale, se sont
réservé la concession de nombreuses
catégories de privilèges, ont émis des
leges datae impériales [Imperator] ; [Lex data,
Senatus].
8° Constitutions impériales. - Le prince a, comme
tout magistrat, le droit d'adresser au peuple des
édits. En second lieu, dès Auguste, une clause
de la loi d'investiture, probablement empruntée au
régime de César et des triumvirs, lui avait
donné le droit d'accomplir «tout ce qui lui
paraîtrait utile à l'Etat dans les choses
divines et humaines» ; c'est-à-dire qu'elle
avait conféré force légale à
toutes les constitutions, quelle qu'en fût la forme
extérieure, decretum, edictum, epistula,
interlocutio, mandatum, subscriptio ; à tous les
Acta du prince [Acta principis, Constitutiones principum,
mantatum]. L'empereur tranche en outre par ses rescrits
les controverses juridiques. Enfin il intervient souvent dans
la formation du droit lui-même, surtout en faveur de
l'équité, soit par des ordonnances qui ont une
des formes précédentes, soit par une voie
extraordinaire, par exemple, en faveur des
fidéicommis, soit par une proposition de loi au
Sénat [oratio principis ad Senatum].
9° Poste et monnaie impériale [Cursus publicus,
Moneta].
10° Droit de nominatio et de commendatio
pour les magistrats [Imperator] ; [Candidatus
Caesaris ; Magistratus].
11° Fonctions impériales. - L'empereur nomme
lui-même tous ses auxiliaires et ses serviteurs,
détermine leur compétence, peut les
révoquer ; leurs fonctions cessent de plein droit
à sa mort. On peut distinguer trois catégories
d'emplois. Pour la maison et la cour de l'empereur il y a des
esclaves, des affranchis, et de bonne heure, dans les
services importants du trésor, du secrétariat,
de la chancellerie des chevaliers. Puis viennent les
fonctionnaires de l'Etat, non magistrats, recrutés
parmi les chevaliers et comprenant tous les grades
d'officiers (militiae) et une grande partie des postes
administratifs. Enfin les fonctionnaires pris parmi les
sénateurs. A côté du prince il y a en
outre son conseil.
12° Censures impériales. - Auguste ne porta pas le
titre de censeur ; il y eut sous lui des censeurs non consuls
; en 28 av. JC., il fit le cens comme consul avec Agrippa ;
pour les deux cens suivants, il eut l'imperium
consulaire ; en 13, Tibère le fit par une loi
spéciale ; la censure fut revêtue ensuite sans
le consulat par Claude, Vespasien et Titus ; Domitien la prit
à vie ; Nerva laissa de côté le titre de
censeur perpétuel ; ses successeurs gardèrent
les droits que comportait encore la censure
dépouillée par Auguste de ses attributions
essentielles.
XIII. Action personnelle du prince
Elle varie selon le caractère de chaque souverain et
nous échappe en grande partie ; mais elle a dû
être très considérable, car
l'administration du Haut-Empire est restée
rudimentaire ; elle n'a pas comporté, comme le
Bas-Empire, de chefs de l'armée comme les magistri
militum, de vrais ministres comme les préfets du
prétoire du IVe siècle, les deux comtes des
finances, le questeur du palais. A l'armée il n'y a
pas de grade militaire fixe supérieur à celui
de légat légionnaire ; pour les grandes
guerres, l'empereur peut investir de pouvoirs étendus
des legati Augusti pro praetore, tels que Drusus en
Germanie, Tibère en Pannonie, Corbulo en
Arménie, Avidius Cassius en Orient : mais l'empereur
est toujours le général en chef de
l'armée. Dans l'administration civile, au-dessus de
tous les fonctionnaires, il y a l'empereur. C'est lui qui est
censé agir directement, même quand il emploie
des hommes de confiance, sénateurs, chevaliers ou
affranchis, par exemple, pour les constructions nouvelles,
les libéralités au peuple. Mécène
sous Auguste, Sénèque sous Néron, Mucien
sous Vespasien ont eu une influence politique importante,
mais sans mandat officiel. Il ne faut faire exception que
pour les corégents, Agrippa, Tibère. Les
affranchis, tout puissants sous plusieurs empereurs,
Narcisse, Polybe, Callistus sous Claude, Laco, Icelus sous
Galba, ne s'appuient que sur la faveur dit prince. Un seul
personnage a grandi à côté de l'empereur
et a souvent été son rival, le préfet du
prétoire [Praefectus praetorio].
XIV. Caractère juridique des actes
impériaux
Les actes législatifs et judiciaires d'un empereur
sont irrévocables. Il en est sans doute de même
des édits, souvent confirmés d'ailleurs par des
sénatus-consultes. Les nominations de fonctionnaires
doivent sans doute être renouvelées en bloc pour
les postes inférieurs, en détail pour les
charges importantes. Les concessions particulières
(beneficia) faites à des cités, à
des groupes, à des individus, surtout pour la
jouissance gratuite du sol public, les exemptions
d'impôts, de redevances, dont le point de départ
est l'année 27 av. JC., paraissent avoir
été révisées en détail
à chaque règne, jusqu'à l'époque
de Titus, à partir de laquelle il y a une confirmation
générale, sauf contestation pour tel ou tel
cas. L'annulation des actes d'un empereur après sa
mort, l'actorum rescissio, soit avec, soit sans
condamnation posthume, les embrasse tous théoriquement
; en fait, elle n'est appliquée qu'avec une grande
discrétion et amène surtout la révision
des jugements criminels.
XV. Rapports avec le Sénat
1° Nomination des sénateurs [Imperator], [Allectio ;
Clavus latus ; Magistratus ; Senatus]
2° Rapports légaux avec le Sénat. -
L'empereur est théoriquement membre du Sénat ;
Auguste a toujours été en tête de la
liste des sénateurs, et dès lors le prince est
en fait le seul princeps senatus, mais en ne portant
ce titre que rarement.
3° Séances du Sénat. - Les membres seuls de
la première dynastie ont voté au Sénat,
les premiers ou les derniers ; mais les bons princes
assistent régulièrement aux séances.
L'empereur peut convoquer le Sénat en vertu de sa
puissance tribunicienne ou d'une clause de la loi
d'investiture qui lui donne les pouvoirs les plus larges.
Auguste, Tibère, Claude ont souvent préside le
Sénat et y ont fait des propositions orales ; les
empereurs suivants ne prennent la présidence et ne
font de relations orales que comme consuls ordinaires. Les
propositions impériales passent les premières.
L'empereur peut en outre adresser au Sénat des
propositions écrites (oratio principis ad
senatum), écarter ou laisser discuter une
proposition d'un magistrat, annuler un
sénatus-consulte par son intercession ; il surveille
la rédaction des procès-verbaux [Acta
Senatus ; Ab Actis].
4° Commissions sénatoriales [Consilium
Principis].
5° Communications au Sénat. - Le Sénat sert
d'intermédiaire entre le public et l'empereur, qui lui
envoie quelquefois à son avènement une sorte de
programme du règne, l'explication de faits
antérieurs, qui vient souvent lui lire des
pièces officielles, des édits adressés
au peuple, lui communique des nouvelles importantes. Le
nombre et l'importance de ces communications varient du reste
selon le caractère et les tendances de chaque
empereur.
6° Rapports généraux avec le Sénat.
- Une première période comprend les dynasties
julienne et claudienne où le Sénat
représente encore essentiellement l'ancienne
aristocratie romaine. Il se contenterait d'égards, du
maintien apparent de la dyarchie et surtout de la juridiction
sur ses membres qu'il ne cessera de réclamer. Il ne
fait pas d'opposition de principe au nouveau régime,
car il n'y a plus de parti républicain. Les tentatives
de Chéréa et de Vindex restent isolées ;
l'opposition des philosophes, des hommes d'Etat, des
littérateurs, tels que Sénèque, Tacite,
est plutôt morale que politique ; ils détestent
non le principat, mais les mauvais princes. Mais
l'aristocratie peut encore former des complots, fournir des
compétiteurs au trône. C'est là ce qui
explique en partie la guerre implacable des deux pouvoirs
pendant presque toute cette période. Auguste
épure le Sénat, relève sa
considération morale, défend aux
sénateurs d'épouser des affranchies, secourt
les sénateurs pauvres, donne au Sénat la
juridiction criminelle, fortifie par tous les moyens la caste
sénatoriale, essaie en un mot de pratiquer loyalement
la dyarchie, tout en portant les premiers coups à son
oeuvre. Tibère continue d'abord cette politique ; son
gouvernement est profondément aristocratique ; il
donne au Sénat le pouvoir législatif,
l'élection d'une partie des magistrats, augmente son
activité judiciaire, lui soumet toutes les affaires
importantes. Il le combat et le décime dans la seconde
partie du règne. Caligula est d'abord aussi favorable
au Sénat ; il lui accorde la cassation du testament de
Tibère, l'expulsion des délateurs, la
grâce des condamnés politiques, la suppression
des procès de lèse-majesté, la
suppression de l'appel à l'empereur contre les
sentences des magistrats sénatoriaux ; mais son
règne finit comme celui de Tibère. Claude
abolit les actes de Caligula, rappelle les bannis, affecte
une grande déférence pour les magistrats et les
sénateurs, demande au Sénat la juridiction pour
ses procurateurs ; mais d'autre part il fait tuer plusieurs
sénateurs et ses affranchis créent cette
nouvelle administration qui va miner les pouvoirs du
Sénat. Dans les cinq premières années de
Néron, le Sénat règne avec Burrhus et
Sénèque, malgré les empiétements
de l'administration impériale ; mais ensuite, surtout
après la mort d'Agrippine, de Burrhus et les grandes
conspirations de Pison et de Vinicius, la guerre recommence
entre les deux pouvoirs. D'après Suétone,
Néron se serait proposé de supprimer le
Sénat et de donner toutes les fonctions à
l'ordre équestre et aux affranchis.
Dans une deuxième période, à partir de
Vespasien jusqu'à Commode, sauf pendant le court
règne de Domitien rempli par la lutte du prince et du
Sénat, après la disparition de la vieille
aristocratie, remplacée par des familles provinciales,
deux tendances caractérisent la politique des Flaviens
et des Antonins. D'une part les empiétements sur le
domaine du Sénat continuent sans arrêt. Il
suffit de citer la multiplication des constitutions
impériales aux dépens des
sénatus-consultes ; les réformes fondamentales
d'Hadrien, constitution définitive de l'ordre
équestre comme classe de fonctionnaires
impériaux, séparation de la maison
impériale et des fonctions publiques, organisation du
consilium principis) ; l'extension des pouvoirs des
préfets de Rome et du prétoire,
l'établissement des consulares, puis des
juridici en Italie, la substitution du fisc à
l'aerarium, de la régie au fermage pour les
impôts et les redevances, l'emploi des préfets
du prétoire comme chefs d'armée. D'autre part,
les deux pouvoirs sont d'accord sur le terrain politique ;
Pline et Tacite célèbrent l'alliance du
principat et de la liberté ; le Sénat est
comblé d'honneurs et de prévenances. Trajan se
nomme après le Sénat et la République,
punit les délateurs, laisse au Sénat la
liberté de ses choix pour le vigintivirat.
Malgré quelques hostilités passagères,
Hadrien traite aussi le Sénat avec égard,
rejette les accusations de lèse-majesté,
présente au Sénat les ambassadeurs, lui demande
ses comites, lui renvoie beaucoup d'affaires, le
consulte sur le choix des jurisconsultes de son conseil.
Antonin et Marc-Aurèle poussent encore plus loin la
politique sénatoriale. Marc-Aurèle soumet au
Sénat presque toutes les affaires importantes,
beaucoup de procès criminels, délègue
à des sénateurs beaucoup de procès
civils, prend dans le Sénat presque tous les curateurs
des grandes villes, oblige les sénateurs provinciaux
à avoir le quart de leurs biens en Italie. Commode
recommence la guerre contre le Sénat, avec l'aide de
ses préfets du prétoire, le remplit
d'affranchis, essaie déjà d'écarter les
sénateurs de l'armée. Le règne de
Pertinax est une courte revanche du Sénat.
Dans une troisième période,
Septime-Sévère, continué par Caracalla,
porte à la dyarchie les coups les plus profonds.
Hostile à l'aristocratie sénatoriale par son
caractère, son origine provinciale, par le
ressentiment des sympathies que Pescenius Niger et Albinus
avaient trouvées au Sénat, il achève de
l'abattre par l'extension énorme donnée au
pouvoir des préfets de la Ville et du prétoire,
par le caractère militaire imprimé à
toute l'administration, par l'exclusion graduelle des
sénateurs de l'armée, par la transformation de
la garde et l'établissement d'une légion aux
portes de Rome, par la suppression presque complète
des provinces sénatoriales, par la concession du droit
de cité à tout l'Empire. En
réalité, la dyarchie d'Auguste finit avec le
règne purement militaire de
Septime-Sévère. Mais le Sénat ne perd
pas le souvenir de son ancien rôle ; son importance a
augmenté comme corps social. En face des empereurs
militaires du IIIe siècle, occupés à la
défense des frontières, il représente la
société civile, l'élément stable
au milieu de l'anarchie et des crises de cette époque.
Ces raisons expliquent le regain de vie, l'espèce de
renaissance du Sénat au IIIe siècle. Sous
Alexandre-Sévère, type de l'empereur
sénatorial, il fournit le conseil de régence ;
Alexandre le débarrasse des créatures
d'Elagabal, le consulte en tout, adjoint au préfet de
Home une commission de quatorze consulaires, compose son
conseil de sénateurs, ne nomme de sénateurs, de
consuls qu'avec l'approbation du Sénat. Contre
Maximin, le Sénat organise la défense de
l'Italie, nomme trois empereurs, Maxime et Balbin, Gordien
III, et la commission des XX viri Reipublicae
curandae. Il aide activement Philippe et Decius. Sous
Valérien et Gallien il y a une sorte de gouvernement
sénatorial qui ordonne des levées, arme le
peuple de Rome ; et la tradition si défavorable
créée contre Gallien par la haine du
Sénat s'explique en partie par une mesure de cet
empereur, l'interdiction aux sénateurs des fonctions
militaires. Après le règne de Claude II
favorable au Sénat, Aurélien est obligé
de le traiter avec rigueur, à la suite de
désordres à Rome, de conspirations, et
peut-être de la révolte des monétaires.
Son règne a dû préparer les
réformes de Dioclétien. A sa mort,
l'armée remet le choix de l'empereur au Sénat
qui élit Tacite, tout dévoué à la
corporation. C'est la dernière victoire du
Sénat, qui est également d'accord avec Probus,
mais en désaccord avec Carinus.
Bas-Empire
Dioclétien et Constantin achèvent la
transformation du principat en une monarchie absolue, servie
par une administration fortement centralisée, dans une
société divisée en castes, ayant chacune
leurs droits, leurs devoirs, leurs charges,
s'échelonnant depuis le colon, serf de la
glèbe, jusqu'au sénateur. Après
l'anarchie du IIIe siècle, Dioclétien et
Constantin se sont proposé d'assurer la transmission
régulière du trône, et la
prépondérance du pouvoir civil par
l'association de plusieurs empereurs, la séparation
définitive des fonctions civiles et des fonctions
militaires, la ruine de la préfecture du
prétoire en tant que puissance militaire,
l'abaissement de Rome au rang de ville provinciale,
l'établissement d'une hiérarchie de
fonctionnaires aboutissant dans chaque service à une
sorte de ministre.
I. Les Augustes et les Césars
En septembre 285, Dioclétien nomme Maximien
César avec la puissance tribunicienne, puis le 1er
avril 286 il le fait Auguste à Nicomédie.
Dioclétien prend l'épithète de
Jovius, Maximien celle d'Herculius ; ces
épithètes passent à leurs fils et
petits-fils adoptifs. Les deux Augustes sont collègues
et égaux, considérés comme frères
; mais le plus ancien occupe le premier rang. La puissance
impériale est toujours théoriquement une et
indivisible ; il y a unité législative,
monétaire ; la garde est commune aux deux princes ;
les deux parties du monde s'appellent, dans la Notitia
dignitatum, partes Orientis, partes Occidentis, pour
indiquer le maintien de l'unité. Mais en fait il y a
partage réel des pouvoirs. Chaque Auguste a son
armée, son trésor. Dioclétien
s'établit à Nicomédie, Maximien à
Milan ; l'un a l'Orient, l'autre l'Occident, et le centre de
gravité du monde romain ne tardera pas à
être transporté en Orient par la création
de Constantinople. Le 1er mars 293 Dioclétien
complète son système en proclamant deux
Césars adoptés par les deux Augustes et devenus
en même temps leurs gendres, Constance Chlore et
Galère. Ces nouveaux Césars sont de vrais
empereurs ; ils ont le titre de nobilissimus, la
pourpre et la couronne de laurier, mais pas le
diadème, la puissance tribunicienne, les pouvoirs
militaire, judiciaire ; ils administrent directement une
partie du territoire, Constance la Gaule et la Bretagne,
Galère les provinces danubiennes et l'Illyricum avec
la Macédoine, la Grèce et la Crète ;
mais d'autre part chaque César est sous la
dépendance de son Auguste, considéré
comme son père par suite d'une adoption fictive et qui
peut le déposer ; il n'a ni consistoire, ni
chancellerie, ni finances propres, reçoit ses
subordonnés de l'Auguste, ne donne lui-même ni
donativum ni récompenses militaires, n'a de
légions que par mandat spécial ; son nom ne
figure que sur celles des lois qui intéressent ses
provinces. Entre eux les Césars sont regardés
comme frères. Le système de Dioclétien
lui survit ; on trouve après lui souvent deux et
même trois Augustes ; après Julien, à
partir de Valentinien, il n'y a plus de vrais Césars ;
les fils d'empereurs sont nommés alors
immédiatement Augustes : ainsi Gratien, Valentinien
II, Honorius, Théodose II. A partir de
Dioclétien ce sont donc les empereurs qui nomment
leurs successeurs, quand ce n'est pas l'armée ou les
grands officiers de la couronne qui les imposent. Le
Sénat garde peut-être son droit
théorique, mais en fait ne l'exerce plus que pour
l'élection de Majorien. L'empire n'est pas
théoriquement héréditaire, mais la
transmission presque régulière dans les
mêmes familles crée en fait
l'hérédité et une sorte de droit divin
en Occident jusqu'à la mort de Valentinien III. A
l'extinction d'une dynastie, le choix revient
régulièrement à l'armée ou
à un groupe de soldats, avec l'intervention
fréquente des grands fonctionnaires de la cour.
II. Titres et cérémonial
Les anciens titres impériaux se maintiennent jusque
sous Valentinien et Valens. La mention du proconsulat est sur
les monnaies depuis Dioclétien, disparaît sans
doute avec Julien. La mention de la puissance tribunicienne
subsiste très longtemps. Le mot dominus devient
sous Dioclétien la forme usuelle de salutation et
figure régulièrement sur les monnaies
après Constantin. A la place d'invictus il y a
maximus victor ac triumphator jusque sous Valentinien
et Valens. Gratien quitte avec le pontificat la plus grande
partie des anciens titres. Ses successeurs s'appellent
dominus noster, avec quelqu'une des additions :
invictissimus princeps, toto orbe victor, aeternus,
perpetuus, perennis, maximus princeps ou Augustus, et
surtout pius felix semper Augustus et des surnoms de
victoires. Le consulat figure dans les pièces
officielles jusqu'à Justinien. L'empereur porte des
étoffes d'or et de soie, ornées de diamants et
de perles, le manteau de pourpre, le diadème, sans
doute rendu plus somptueux par Constantin. Il y a pour les
audiences un cérémonial compliqué avec
l'adoratio qui consiste à plier le genou devant
l'empereur, à prendre et à porter la pourpre
à sa bouche. Tout ce qui touche l'empereur est
sacer, sacratissimus, divinus, quoique l'idée
de la divinité impériale recule sous
l'influence du christianisme.
III. Pouvoirs impériaux
L'empereur, assisté de son consistoire, a
officiellement tous les pouvoirs. Pour le pouvoir judiciaire
et la justice, nous renvoyons aux articles Judex judicium
; Judicia publica ; Ordo judiciorum. Le prince exerce le
pouvoir législatif de trois manières
principales :
1° par des édits au peuple (ad populum, ad
provinciales), à une province, à une
cité, à Constantinople, à Rome, à
une corporation.
2° par des constitutions (orationes)
envoyées au Sénat, souvent sous forme de
lettres et dont la lecture faite par le maître des
offices, le primicerius notariorum, le préfet
de Rome, un autre fonctionnaire ou même un
sénateur, tient lieu de promulgation. 3° par des
constitutions envoyées directement à un
magistrat, le plus souvent un préfet du
prétoire, chargé de les promulguer ou de les
transmettre à des magistrats inférieurs ; la
formule data indique l'envoi par l'empereur,
missu l'envoi par le magistrat, accepta la
réception par le magistrat inférieur ou
supérieur, lecta l'enregistrement, apud
acta, proposita l'affichage par le magistrat. L'empereur
envoie toujours des rescrits, mais moins nombreux que
précédemment. Il est aidé dans la
préparation des lois par le consistoire. Une partie
des lois est du reste provoquée,
préparée par un rapport des grands magistrats,
préfets de Rome et du prétoire (relatio,
suggestio), quelquefois par un sénatus-consulte.
En 446 Théodose II et Valentinien III créent
une procédure nouvelle : discussion préalable
entre le Sénat et le consistoire, première
rédaction par le questeur du palais, seconde lecture
devant les deux assemblées, lecture définitive
devant le consistoire.
IV. Régime administratif et fonctions
publiques
L'organisation territoriale est uniforme ; l'Italie est
assimilée aux provinces. Rome et Constantinople ont un
régime particulier. Les traits essentiels à
signaler sont : la suppression des rouages
sénatoriaux, la sépation des pouvoirs civils et
militaires, le rattachement des fonctionnaires à un
service central, la disparition presque complète des
affranchis dans l'administration, un double système de
surveillance par les chefs hiérarchiques et par les
palatini chargés de tournées et
d'inspections, l'organisation des bureaux. L'empereur nomme
tous les fonctionnaires sur la présentation du chef de
service, signe leurs brevets (codicilli)
enregistrés sur le majus ou le minus
laterculum par les notarii ; ils recoivent leurs
instructions (mandata), leurs insignes, en
général le manteau militaire (chlamys,
paenula), le ceinturon (cingulum militiae) et la
toge prétexte, et une investiture solennelle. On fixe
leur traitement qui est soit en argent, soit en nature
(annonae, capitus), et que paie
généralement le préfet du
prétoire. La durée des fonctions importantes
est généralement d'une année, mais peut
être prolongée. Dans les carrières
inférieures il y a un certain temps de service,
généralement de quinze à vingt-cinq ans
au bout desquels on obtient sa retraite. A côté
des fonctionnaires effectifs (in actu), il y a les
fonctionnaires honoraires (honorarii) qui obtiennent
des codicilli honorarii, epistolae honorariae
sans avoir passé réellement par la fonction, et
les vacantes qui obtiennent en plus le port du
cingulum. Les fonctionnaires en activité et en
retraite constituent la classe des honorati ; ils sont
pourvus de nombreux privilèges en matière de
juridiction, d'impôts, de droits honorifiques, en
matière de préséance. Les fonctionnaires
importants obtiennent généralement,
après un certain temps de service ou l'acquisition
d'un certain grade, la dignité sénatoriale soit
au degré le plus bas avec le simple titre de
clarissimes ou de consulares, soit à un
degré plus élevé avec des titres
honorifiques de vicaires, de comtes, etc. La
hiérarchie, fixée dès la deuxième
moitié du siècle, comprend, outre le patriciat,
trois classes, pourvues de la dignité
sénatoriale, les Illustres, les
Spectabiles et les Clarissimi. On constate,
surtout après Constantin, une élévation
progressive des fonctions dans cette hiérarchie. A la
fin il n'y en a plus qu'un petit nombre qui ne
confère, soit en activité, soit comme retraite,
que le titre inférieur à la dignité
sénatoriale, celui de perfectissimus.
Les classes inférieures fournissent beaucoup plus de
fonctionnaires qu'auparavant. Il n'y a plus de
carrière sénatoriale propre. Après la
questure et la préture, les jeunes clarissimes
arrivent rapidement aux rangs de respectables et
d'illustres en passant par une foule de charges, par
exemple d'avocats auprès des grands tribunaux et du
fisc, de notaires et de comtes du consistoire, de
decuriones et silentiarii, de judices
sacrarum cognitionum, de domestici et
protectores, de magistri scriniorum, de
gouverneurs, de préfets de l'annone, de vicaires. Il
n'y a plus de différence effective entre les charges
de cour et les fonctions publiques. Les principales charges
de cour sont :
1° le Quaestor sacri Palatii
2° le Praepositus sacri cubiculi
3° les comtes [Comes]
4° les deux comites domesticorum
5° le primicerius notariorum
6° le magister officiorum.
Ce dernier, l'ancien magister admissionum, dirige tout
le personnel du palais, préside aux audiences,
surveille les fabriques d'armes, la poste de concert avec les
préfets du prétoire, délivre les
evectiones ; il a sous ses ordres : 1° les
Agentes in rebus ; 2° les mensores,
dirigés par un primicerius et chargés de
préparer les logements du prince et de sa suite ;
3° les lampadarii ; 4° les
admissionales auxquels on peut rattacher les trois
decuriones, gardes du palais, de la chambre
impériale, souvent chargés de missions
importantes et chefs des trente silentiarii ; 5°
les milices palatines, créées sans doute par
Constantin pour remplacer la garde, les scholae
scutariorum et gentilium, sept en Orient, cinq en
Occident ; 6° les quatre bureaux de la chancellerie, le
scrinium epistolarum, le scrinium memoriae, le
scrinium libellorum et probablement le scrinium
dispositionum, chargé de préparer les
voyages du prince et d'autres affaires extraordinaires.
V. Rapports avec le Sénat
Le rôle politique et les pouvoirs du Sénat de
Rome au IVe siècle sont insignifiants ; en
général les empereurs, sauf Maximien, Maxence,
Constance pendant quelque temps, et Valentinien, l'honorent
et le respectent, comme le représentant de Rome et de
la noblesse de l'empire ; ils ne communiquent plus
régulièrement avec lui que par
l'intermédiaire du préfet de la Ville ou par
des députations de sénateurs.
Article de Ch. Lécrivain