L'étymologie de ce mot est obscure. S'il est
démontré par la forme archaïque
induperare que la première syllabe est bien la
préposition in, les savants modernes ne sont
pas d'accord sur la véritable origine de la racine
per. Les uns la rapprochent du verbe parere,
obéir ; les autres n'admettent point ce
rapprochement.
Dans son sens le plus large, le mot imperium
désignait la puissance publique la plus
élevée qui existât à Rome,
l'ensemble des pouvoirs multiples qui étaient
attribués aux magistrats dits supérieurs. Mais
d'une part cette signification très
générale varia suivant les époques et se
modifia suivant les circonstances : l'imperium
consulaire des premiers siècles de la
République différait de l'imperium
royal, et l'imperium des empereurs n'était pas
identique à celui qu'avaient possédé les
consuls ; l'imperium, exercé hors de Rome,
militiae, n'avait ni la même étendue ni
le même caractère que l'imperium
exercé à Rome même, domi. D'autre
part, le terme imperium fut souvent employé
dans des acceptions plus restreintes : tantôt, pour
désigner spécialement, par opposition à
la potestas ou ensemble des attributions proprement
administratives, le pouvoir judiciaire et l'autorité
militaire, tantôt, plus étroitement encore, pour
caractériser le commandement en chef de
l'armée. Dans une étude sur l'imperium,
il nous paraît donc nécessaire de
considérer moins le mot lui-même et ses divers
sens que les réalités concrètes
exprimées par lui ; nous essayerons de
déterminer avec le plus de précision possible
ce que fut l'imperium et comment il s'exerça
aux différentes périodes de l'histoire
romaine.
PERIODE ROYALE
Pendant la période royale,
l'imperium n'est autre chose que le pouvoir
suprême du roi. D'après le jurisconsulte
Pomponius, ce pouvoir aurait été d'abord
illimité et purement arbitraire ; plus tard seulement
Romulus aurait donné au peuple romain des lois et une
constitution politique. Dès lors, l'imperium
royal, déterminé et contenu par les lois de
l'Etat, devint un imperium legitimum. A vrai dire,
c'est uniquement sous cette forme que nous le connaissons,
d'après les historiens.
L'imperium royal a une double origine, religieuse et
politique. C'est l'assemblée curiate qui
désigne le roi ; mais elle ne peut le désigner
qu'auspicato, c'est-à-dire après que les
auspices ont été pris, après que la
volonté divine s'est manifestée. Ainsi
l'autorité du roi repose à la fois sur la
religion et sur une désignation par les gentes
assemblées en curies. Ce double caractère est
encore mis en évidence par les deux premières
cérémonies que célèbre le roi,
dès qu'il est en possession de l'imperium.
D'abord il consulte les dieux ; assisté d'un augure,
il prie la divinité de faire apparaître le signe
convenu, qui confirmera en quelque sorte son imperium
; puis, sans autre délai, il réunit
l'assemblée curiate, et la convie, elle aussi,
à lui confirmer son pouvoir par une décision
formelle, la lex curiata de imperio, ou plus
simplement lex curiata. Les textes sont tous d'accord
sur ce point et il nous semble plus prudent de les suivre que
d'accepter les déductions surtout théoriques de
Rubino et de Mommsen, d'après lesquels
l'imperium royal était exclusivement de droit
divin et théocratique.
L'imperium ainsi conféré donnait
à celui qui en était revêtu la plus haute
autorité religieuse, militaire, judiciaire et
administrative dans l'Etat romain : le roi était le
grand prêtre, le général et le juge
suprême de la communauté ; c'était lui
qui convoquait le sénat et l'assemblée curiate.
L'imperium royal n'était l'objet d'aucun
partage ; il appartenait dans sa plénitude à un
seul homme. Mais, dans la pratique, il eût
été impossible au roi d'exercer personnellement
toutes les attributions et tous les pouvoirs que comportait
l'imperium ; suivant les circonstances, il
déléguait telle ou telle partie de son
autorité à un ou plusieurs personnages
nommés par lui : en matière militaire et pour
ce qui concernait le gouvernement général de
l'Etat, au tribunus celerum, commandant de la
cavalerie ; en matière de juridiction criminelle, aux
quaestores parricidii et aux duumviri
perduellionis ; en outre, lorsqu'il sortait du territoire
romain, de l'ager romanus, il désignait un
administrateur de la ville, praefectus urbi, qui
avait, tant que durait l'absence du roi, tous les pouvoirs
royaux. L'unité abstraite et théorique de
l'imperium royal n'était nullement rompue par
ce double droit de délégation et de
représentation.
L'imperium royal connaissait-il d'autres limites que
les lois mêmes de l'Etat ? Etait-il soumis à la
provocatio ? La question a été
discutée. Niebuhr a répondu par l'affirmative,
en se fondant sur un renseignement qui nous a
été transmis à la fois par
Cicéron : Provocationem etiam a regibus fuisse
declarant pontificii libri, nostri etiam augurales..., et
par Sénèque : Provocationem ad populum etiam
a regibus fuisse : id ita in pontificalibus libris aliqui
putant, et Fenestella. Rubino et Walter pensent au
contraire que l'imperium royal n'était pas
soumis à la provocatio ad populum, puisque la
provocatio fut introduite pour la première fois
à Rome par la lex Valeria de l'an 509 av. JC.
Il est vrai que le récit de l'épisode d'Horace
dans Tite-Live et dans Denys d'Halicarnasse semble nous
montrer la provocatio ad populum en vigueur dès
le règne de Tullus Hostilius. Mais dans ce cas la
provocatio n'est pas exercée contre le roi
lui-même ; elle est exercée contre les
duumviri perduellionis, qui ne sont que ses
délégués ; en second lieu, cette
provocatio se produit après que le jugement a
été rendu et la condamnation prononcée ;
elle ressemble de très près à un recours
en grâce. Enfin Tite-Live parait bien indiquer que
cette provocatio est autorisée par le roi,
désireux de sauver Horace ; elle serait donc
plutôt un effet qu'une restriction de l'imperium
royal. A notre avis, l'épisode d'Horace ne prouve
nullement que l'imperium judiciaire du roi ait
été soumis, comme devait l'être plus tard
celui des consuls, à une véritable
provocatio. C'est là un cas particulier,
exceptionnel, dont il serait dangereux de tirer une
conclusion générale. Quant à
l'indication contenue dans les libri pontificii et les
libri augurales, le texte même de
Sénèque nous apprend qu'elle était
dès l'antiquité considérée comme
douteuse. Nous admettrons donc qu'au point de vue de la
juridiction criminelle l'imperium royal, même
domi, était en droit sans restriction.
L'imperium royal était illimité quant
à la durée. Celui qui en était
revêtu le possédait à vie.
Théoriquement, hormis le cas de mort,
l'imperium royal ne pouvait prendre fin que par une
abdication volontaire, puisque seul le roi, tant qu'il
vivait, exerçait directement ou par
délégation le droit de prendre les auspices,
c'est-à-dire de consulter la divinité, et le
droit de convoquer l'assemblée curiate,
c'est-à-dire de consulter les gentes
patriciennes. Or il était impossible de
conférer l'imperium autrement que
auspicato et curiatis comitiis. En fait, le cas
ne se produisit point : aucun des rois de Rome ne nous est
représenté par la tradition comme ayant
abdiqué. Tite-Live rapporte que l'imperium de
Tarquin le Superbe fut abrogé par une assemblée
du peuple ; mais ce fut là un événement
révolutionnaire, extralégal. Il serait
téméraire de se fonder sur ce récit pour
affirmer que l'imperium royal pouvait être
régulièrement abrogé par un vote des
comices curiates.
Sauf Tarquin le Superbe, tous les rois de Rome
conservèrent l'imperium jusqu'à leur
mort. Le roi mort, personne dans la cité
n'était légalement capable de prendre les
auspices au nom de l'Etat, ni de convoquer les comices
curiates. C'est alors que fut imaginé le
mécanisme de l'interregnum. Le premier
interrex, désigné par le sort,
c'est-à-dire par les dieux, parmi les
sénateurs, entrait, par le fait de cette
désignation divine, en possession de l'imperium
; au bout de cinq jours, il s'en dépouillait
spontanément et le transmettait à un second
interrex, dont la creatio, qui avait lieu
auspicato et curiatis comitiis, était
conforme aux lois religieuses et politiques de la
cité. Le second interrex abdiquait comme le
premier, soit après avoir transmis l'imperium
au roi définitif, soit après avoir fait nommer
un autre interrex. Quel que fût le nombre des
interreges, les transmissions successives de
l'imperium se faisaient par voie d'abdications
volontaires. Lorsque le rex était nommé
par les comices curiates, sur la rogatio de
l'interrex, après que les auspices avaient
été pris et que le sénat avait
donné son agrément, l'imperium royal
s'exerçait de nouveau normalement, dans sa
plénitude, sans limitation de durée.
Il résulte de la nature même de
l'imperium royal que le roi était
irresponsable. Maître du pouvoir judiciaire
suprême, il ne pouvait être accusé par
personne, jugé par personne, tant qu'il
possédait l'imperium. Il n'aurait pu être
cité en justice qu'après son abdication :
historiquement le cas ne s'est pas présenté,
puisqu'aucun des rois de Rome n'a déposé
volontairement l'imperium.
Les signes extérieurs de l'imperium
étaient les faisceaux (fasces) et les licteurs
(lictores). D'après le témoignage
unanime des historiens, les rois avaient douze licteurs et
par conséquent douze faisceaux ; ces faisceaux
renfermaient chacun une hache, même dans
l'intérieur du pomoerium ; en effet,
d'après Cicéron, ce fut Valerius Publicola le
premier qui, après le vote de sa loi de provocation,
fit enlever domi les haches des faisceaux.
PERIODE DE LA REPUBLIQUE
I. L'imperium consulaire jusqu'en 366 avant
JC
Après la révolution de 509 et
l'expulsion des Tarquins, l'imperium appartint non
plus à un roi, mais à deux consuls. En droit,
l'imperium de ces nouveaux magistrats n'était
pas moindre que l'imperium royal ; il en conservait la
double origine, religieuse et politique. En fait,
l'organisation même du consulat y introduisit
d'importantes modifications.
Le roi était unique ; les consuls furent au nombre de
deux. Il n'y eut pas cependant partage des attributions entre
les deux personnages revêtus de l'imperium. Le
pouvoir suprême resta un et indivis ; mais il fut
exercé à tour de rôle par chacun des deux
consuls. A Rome les consuls se passaient de mois en mois les
insignes de l'autorité, c'est-à-dire les
faisceaux et les licteurs ; à l'armée le
commandement en chef alternait de jour en jour. Ce
système, en apparence très simple,
n'était pas pratique ; il devint même tout
à fait inapplicable lorsque l'Etat romain se fut
étendu et agrandi. Chacun des deux consuls
exerça alors l'imperium complet en même
temps que son collègue ; mais l'Etat fut
partagé en deux provinciae ou
départements, au sens le plus général du
mot. Ce partage s'opérait entre les consuls, soit
à l'amiable, soit par voie de tirage au sort,
quelquefois aussi par décision du sénat. Mais
ni le roulement ni plus tard le partage de l'Etat en deux
provinciae ne rendaient les conflits impossibles, et
ce seul fait, inhérent à l'organisation
nouvelle de la magistrature suprême, contribua à
affaiblir l'imperium consulaire.
Le roi possédait l'imperium à vie ; les
consuls n'en furent plus revêtus que pour un an. Cette
limitation de l'imperium quant à la
durée a été considérée par
les historiens de l'antiquité comme le
caractère distinctif de l'autorité consulaire.
Mais nous avons vu plus haut qu'un magistrat revêtu de
l'imperium ne pouvait en être dessaisi, hormis
le cas de mort, que par une abdication volontaire. Le droit
public de la république romaine fit donc aux consuls
un devoir d'abdiquer leurs pouvoirs au bout d'un an,
après avoir, en vertu de leur l'imperium, fait
désigner par les dieux et par le peuple réuni
dans les comices centuriates les deux consuls qui devaient
être, l'année suivante, revêtus à
leur tour de ce même imperium. Ce
caractère annuel de l'imperium consulaire eut
une conséquence importante au point de vue de la
responsabilisé des chefs de l'Etat romain.
Irresponsables en fait, comme l'avaient été les
rois, pendant la durée de leur charge, les anciens
consuls, rentrés dans la vie privée, devenaient
responsables, parce que, n'étant plus en possession de
l'imperium, ils pouvaient être cités
devant les magistrats qui en étaient alors
revêtus. Le sentiment de cette responsabilité
future et prochaine dut empêcher souvent les consuls en
activité de commettre, en vertu de leur
imperium, des abus de pouvoir ou des
malversations.
L'imperium royal semble bien avoir été
de même nature dans Rome et hors de Rome, domi et
militiae. Il n'en fut plus de même de
l'imperium consulaire. Si hors de Rome, à la
tête de l'armée, militiae, le consul en
exercice garda presque intact son pouvoir absolu, si en
particulier sa juridiction militaire ne subit aucune
atteinte, aucune limitation, à Rome, au contraire,
domi, l'imperium du consul fut de plus en plus
restreint.
Il le fut d'abord, dès l'origine même du
consulat, par le droit d'intercessio que chacun des
deux consuls possédait à l'égard de
l'autre, et grâce auquel il pouvait soit annuler un
acte accompli par son collègue, soit empêcher
cet acte de produire aucun effet légal.
L'intercessio de consul à consul est moins
connue que l'intercessio tribunicienne ; elle n'en
exista pas moins.
Mais bientôt ce ne fut plus seulement par l'effet de la
collégialité que l'imperium consulaire
fut restreint. Une autre limitation lui fut apportée,
moins d'un an après l'expulsion des Tarquins, par la
lex Valeria, De provocatione, de l'an 509. Cette loi
eut une portée considérable : elle stipulait
ne quis magistratus civem romanum adversus provocationem
necaret neve verberaret. Par là une limite
précise était posée à l'exercice
de l'imperium des consuls, sur le terrain de la
juridiction criminelle, dans l'intérieur de la ville
et dans un rayon d'un mille partir du pomoerium.
Désormais les consuls ne purent prononcer aucune
condamnation à mort ou aux verges, sans que le
condamné eût le droit de faire appel au peuple
réuni dans les comices centuriates (provocare ad
populum). En pareil cas l'assemblée centuriate
jugeait en dernier ressort. Un peu plus tard, le droit de
provocatio fut appliqué aux amendes qui
dépassaient un certain taux (lex Menenia
Sextia, de 452). Ce droit de provocatio fut de
bonne heure considéré comme la garantie
suprême de la liberté individuelle à Rome
: unicum praesidium libertatis.
Aussi s'empressa-t-on de l'affirmer à nouveau par une
loi formelle après l'échec de la tentative
révolutionnaire des seconds décemvirs. Par
cette série de lois, l'imperium consulaire fut
diminué, au moins dans l'intérieur de Rome,
domi, du pouvoir, jadis contenu dans l'imperium
royal, de condamner sans appel à mort, aux verges, ou
à une forte amende un citoyen romain. Le magistrat
suprême de l'Etat perdit ainsi, en tant que juge, le
droit de vie et de mort qu'il conserva, à la
tête des troupes, en tant que commandant en chef.
Un autre coup très sensible fut porté à
l'imperium consulaire par la création du
tribunat de la plèbe. Si le magistrat revêtu de
l'imperium ne possédait plus après 509
le droit de condamner domi un citoyen romain à mort ou
aux verges, il lui restait du moins le droit de
coercitio, en vertu duquel il pouvait citer
(vocare) les citoyens devant son tribunal et
même ordonner leur arrestation (jus prensionis),
et le droit de procéder à la levée des
troupes, au dilectus. Ce double droit était
primitivement exercé domi sans autre limitation
que l'intercessio consulaire. Les
plébéiens, en faveur desquels cette
intercessio n'était jamais mise en jeu, en
souffrirent très souvent, jusqu'au moment où
les arrestations arbitraires pour dettes provoquèrent
la première sécession de la plèbe sur le
Mont-Sacré (491). La plèbe ne rentra dans Rome
qu'après avoir obtenu, par la création des
tribuni plebis, de très sérieuses
garanties contre l'exercice arbitraire de l'imperium
des consuls. L'intercessio tribunicienne pouvait
entraver cet imperium en maintes circonstances : sur
l'appel d'un citoyen qui se considérait comme
lésé ou même spontanément les
tribuns s'opposaient soit à la coercitio, soit
à la perception d'une amende, soit à une saisie
; ils avaient aussi le droit d'empêcher un
dilectus, une levée d'hommes. Ils
possédaient ainsi, du moins à l'origine, une
puissance purement négative, un pouvoir d'arrêt
; mais ce pouvoir leur suffisait pour entraver sans cesse
l'exercice de l'imperium. L'intervention des tribuns
avait lieu exclusivement domi.
L'imperium domi subit donc, dès les
premières années de la République, des
limitations essentielles, que l'on s'habitua à
considérer comme les conditions nécessaires des
libertés publiques. Au contraire l'imperium
militiae demeura intact. Dans certaines circonstances
graves, il parut indispensable de restaurer domi
l'ancien imperium royal, c'est-à-dire de
suspendre pour un temps la plupart des restrictions
posées depuis la révolution de 509 à
l'exercice de l'imperium domi. Telle fut l'origine, la
raison d'être de la dictature.
Le dictateur, nommé par le consul en charge, le plus
souvent sur l'invitation du sénat, mais sans que les
comices fussent consultés, exerçait seul la
magistrature suprême, possédait seul
l'imperium dans sa plénitude : par là
disparaissait l'intercessio consulaire.
L'imperium dictatorial n'était alors en aucun
cas limité par la provocatio ; tant que durait
la dictature, le pouvoir légal des tribuns
était suspendu ; dans aucune circonstance on ne voit
se produire normalement leur intercessio ; par leur
attitude violente, par leur obstination ou par leurs menaces,
ils peuvent en fait forcer le dictateur à abdiquer ou
à céder ; en droit ils n'ont pas le pouvoir de
s'opposer à l'exercice de l'imperium
dictatorial. Suivant le mot de Tite-Live, en pareil cas,
tribunicia potestas precarium, non justum auxilium
fert. Comme les rois, les dictateurs portaient les haches
dans leurs faisceaux à Rome même, domi :
ce détail caractérise bien l'imperium
dictatorial. Une seule limitation était
apportée à l'exercice de cet imperium :
un dictateur ne devait pas rester en charge plus de six mois.
Théoriquement, d'après le droit public romain,
aucune puissance ne pouvait l'obliger à déposer
son imperium ; en fait, aucun dictateur ne garda plus
de six mois les pouvoirs extraordinaires qui lui avaient
été conférés. Exceptionnellement,
l'imperium royal fut encore restauré à
Rome sous une autre forme. Les décemvirs furent
créés sine provocatione et ne quis eo anno
alius magistratus esset. Les premiers décemvirs
n'abusèrent pas de leur imperium, et le
déposèrent au bout d'un an ; mais les seconds
décemvirs, et surtout leur chef Appius, voulurent
conserver cette puissance illimitée et absolue.
Personne ne pouvait légalement la leur enlever. La
crise, provoquée par l'ambition et les violences
d'Appius, ne pouvait se terminer que par une
révolution ou par l'abdication en apparence volontaire
des décemvirs. Menacés de toutes parts, Appius
et ses complices se résignèrent à
abdiquer leur imperium.
La dictature et le décemvirat furent des magistratures
extraordinaires. L'imperium conféré
à ceux qui revêtirent ces magistratures
rappelait sans doute l'imperium royal ; mais il
était temporaire. Quant à l'imperium
ordinaire des consuls, il subit domi, comme nous
l'avons vu, de très importantes restrictions. Ces
restrictions furent confirmées après la chute
des décemvirs par la lex Valeria Horatia et par
le plébiscite du tribun Duilius. Toutefois, pendant
les premiers siècles de la République, de 509
à 367, si l'imperium fut affaibli, il ne fut
pas divisé.
II. Les magistratures cum imperio après 366
En 366, lorsque les patriciens se virent
forcés de consentir au partage du consulat avec la
plèbe, ils résolurent de démembrer la
magistrature suprême pour l'affaiblir. Ils
créèrent alors un magistrat nouveau, le
préteur, revêtu de l'imperium et
chargé spécialement de la juridiction civile,
jurisdictio inter privatos. L'imperium du
préteur était essentiellement un
imperium judiciaire ; à l'origine, il
s'exerçait exclusivement domi. Mais, le cas
échéant, le préteur pouvait recevoir des
consuls délégation de l'imperium
militaire et aussi de la juridiction criminelle.
L'imperium du préteur était plus faible,
mais dans un certain sens plus complet que celui du consul ;
en effet, depuis 366, ce dernier perdit intégralement
la jurisdictio inter privatos ; toutefois il pouvait,
en vertu de son l'imperium majus, annuler par son
intercessio une sentence du préteur.
Bientôt l'extension territoriale de l'Etat romain
rendit nécessaire la répartition de
l'imperium sur un plus grand nombre de têtes. Un
second préteur, créé en 241 av. JC., fut
spécialement chargé de la juridiction à
exercer soit entre sujets de Rome non-citoyens, soit entre
citoyens et non-citoyens. Il prit le titre de praetor
peregrinus, tandis que l'ancien préteur,
chargé de la juridiction entre citoyens, s'appelait
désormais praetor urbanus. L'imperium du
praetor peregrinus était de même nature
et de même rang que celui du praetor urbanus. Il
ne pouvait y avoir conflit entre les deux préteurs,
puisque la compétence de chacun d'eux était
parfaitement limitée et distincte.
D'autre part, l'importance toujours croissante des guerres
soutenues par Rome et la création des premières
provinces provoquèrent la prorogatio imperii au
delà du terme annuel et l'institution de magistrats
cum imperio de plus en plus nombreux, préteurs,
propréteurs, proconsuls.
La prorogatio imperii fut un expédient
imaginé pour la première fois en 327 afin de
laisser le consul Publilius Philo à la tête de
son armée après l'expiration légale de
son consulat. Cette prorogatio était
prononcée ex senatus consulto et scito
plebis. Le consul, dont l'imperium était
ainsi prorogé, ne restait pas consul ; il
exerçait ses fonctions pro-consule. Il
conservait dans sa plénitude et en principe pour une
nouvelle durée d'un an l'imperium militiae ;
plus tard seulement il arriva que l'imperium d'un
magistrat fût prorogé pour plusieurs
années. Quant à l'imperium domi, le
promagistrat ne le possédait plus ; il était
exercé de droit par le nouveau magistrat entré
en charge. Lorsque le magistrat et le promagistrat se
trouvaient en présence hors de Rome, militiae,
l'imperium du promagistrat était à
l'origine inférieur à celui du magistrat.
La prorogatio imperii, dont l'effet maximum ne fut
d'abord que de doubler le nombre des magistrats en charge,
devint insuffisante, lorsque Rome eut besoin de magistrats
cum imperio pour gouverner les provinces et pour
commander ses multiples armées. On augmenta le nombre
des préteurs ; il fut porté à quatre en
227, à six en 197 ; à l'époque de
César, il atteignit le chiffre de seize. Les deux plus
anciens préteurs, le praetor urbanus et le
praetor peregrinus, furent considérés comme
préteurs civils, tandis que les autres
préteurs, placés à la tête des
légions ou envoyés dans les provinces,
étaient dits préteurs militaires.
En même temps, l'habitude s'introduisit à Rome
de nommer promagistrats cum imperio des particuliers
qui n'avaient pas été magistrats : tel fut le
cas du premier Africain lorsqu'il partit pour l'Espagne ; tel
fut aussi le cas de Pompée, lorsque le sénat
lui confia la mission d'aller combattre Sertorius. Il advint
aussi que l'imperium pro consule fut
conféré à des préteurs ou
à des propréteurs.
Ainsi se multiplia dans des proportions considérables
le nombre des magistrats revêtus de l'imperium.
Ce n'est pas à dire que l'ensemble des attributions et
des pouvoirs contenus dans l'imperium fût
divisé. Chacun de ces magistrats, dans son
département, dans sa provincia,
possédait et exerçait tout l'imperium.
Remarquons cependant que l'imperium des
préteurs militaires, des propréteurs et des
proconsuls prit, au moins historiquement, de plus en plus
d'importance dans l'Etat romain, tandis que l'imperium
des magistrats urbains, c'est-à-dire des consuls en
charge et des deux préteurs civils, passait chaque
jour davantage au second rang, à la fois
éclipsé par la gloire militaire des
généraux vainqueurs et battu en brèche
par les progrès incessants de la puissance
tribunicienne.
Le terme de cette évolution dans l'histoire de
l'imperium fut la réforme de Sylla. Avant
Sylla, les promagistrats exerçaient exclusivement
l'imperium militiae, mais les magistrats en charge,
consuls et préteurs, pouvaient aussi le
posséder. Sylla décida que les magistrats en
charge exerceraient exclusivement l'imperium domi,
tandis que les promagistrats, propréteurs et
proconsuls, seraient désormais chargés seuls
des commandements militaires et des gouvernements
provinciaux. En théorie, après cette
réforme, les promagistrats restaient des magistrats
prorogés, puisque la grande majorité d'entre
eux obtenaient la promagistrature à l'expiration de
leur année de charge. L'imperium militiae
devenait ainsi la continuation, la prorogatio de
l'imperium domi. Il devait bientôt en être
séparé plus complètement encore. La
lex Pompeia de provinciis, de l'année 52 av.
JC., stipula qu'il devrait toujours y avoir dorénavant
un intervalle de cinq ans entre la magistrature et la
promagistrature. L'exercice de l'imperium militiae fut
par là rendu tout à fait indépendant, et
constitué à l'état de fonction autonome.
Les différences qui avaient été
établies dès l'origine de la République
entre l'imperium domi et l'imperium militiae
s'étaient encore accentuées. L'exercice du
consulat et de la préture, fonctions annuelles,
exclusivement urbaines et civiles, n'était plus
considéré par les ambitieux que comme un stage
préliminaire et obligatoire : ce qui donnait vraiment
le pouvoir, c'était la possession de l'imperium
militiae, c'est-à-dire la propréture et le
proconsulat. Car cet imperium comportait, non
seulement le commandement suprême d'une ou de plusieurs
légions, mais encore l'administration à peu
près arbitraire de vastes territoires souvent fort
riches ; il n'était point limité à une
année ; il n'était affaibli par aucune
intercessio, puisque le possesseur de l'imperium
militiae était, dans sa provincia, le plus
haut magistrat, puisqu'il exerçait seul son
imperium, et puisque la puissance tribunicienne
n'existait que dans les limites du territoire domi ;
au point de vue judiciaire, cet imperium était
absolu, sans limite et sans appel à l'égard des
non-citoyens ; en matière militaire, il n'était
restreint que par la lex Porcia de 184, qui
interdissait de punir de la bastonnade les soldats citoyens
romains. L'imperium proconsulaire était ainsi,
à la fin de la République, sinon en droit
l'imperium le plus élevé, du moins en
fait le plus étendu et le plus complet qui pût
être conféré à un citoyen
romain.
PERIODE DE L'EMPIRE
Auguste se servit surtout de l'imperium
proconsulaire pour fonder le principat. Si la puissance
tribunicienne assura son inviolabilité personnelle, et
si le souverain pontificat fit de lui le grand prêtre
de l'Etat, ce fut l'imperium proconsulaire qui lui
donna en droit le commandement des armées et le
gouvernement des provinces. Il lui fut d'abord
décerné par le sénat pour dix ans ;
puis, grâce à des prorogations
répétées, il le garda toute sa vie
durant. Ses successeurs le possédèrent
dès leur avènement, et le conservèrent
jusqu'à leur mort. D'après les lois de la
République, l'imperium proconsulaire ne pouvait
être exercé par celui qui en était
revêtu que dans les limites de sa province ; d'autre
part, cet imperium s'évanouissait de droit
dès que le proconsul avait franchi le
pomoerium. Ces lois ne furent pas appliquées
sous l'Empire à l'imperium proconsulaire des
empereurs. L'empereur exerça cet imperium en
Italie, c'est-à-dire hors des provinces ; il garda
tous les insignes de l'imperium militaire, costume,
faisceaux, licteurs, et fut entouré de sa garde
prétorienne dans l'enceinte même de Rome. On
pourrait donc presque dire que l'imperium des
empereurs, c'est l'ancien imperium militiae
étendu au territoire urbain, domi, ou
plutôt rétabli dans ce territoire après
en avoir été longtemps exclu. D'autre part
l'empereur annula, en la revêtant lui-même, la
puissance tribunicienne, qui avait sans cesse entravé,
sous la République, l'exercice de l'imperium
domi. Quant aux magistrats urbains, consuls et
préteurs, dont en principe l'imperium
était supérieur à celui des
promagistrats, leur compétence fut
considérablement amoindrie. Les consuls furent
réduits à la présidence du sénat,
et, concurremment avec les préteurs, à une
juridiction purement civile ; les préteurs
conservèrent surtout de leurs anciennes attributions
celles qui se rattachaient à la juridiction civile. De
toutes ces modifications il résulta que
l'imperium proconsulaire de l'empereur, majus
et à peu près absolu en droit dans le
territoire dit militiae, c'est-à-dire dans les
provinces, le devint aussi en fait domi,
c'est-à-dire en Italie et jusque dans l'enceinte du
pomerium. En vertu de cet imperium majus, qui
n'était soumis à aucune provocatio,
à aucune intercessio, l'empereur posséda
au criminel et au civil la plus haute juridiction sur tous
les habitants de l'Empire, citoyens et non-citoyens.
Ainsi se reconstitua au profit des empereurs, autour de
l'imperium proconsulaire comme centre, l'ancien
imperium royal, unique, viager, sans restriction ni
limite, à la fois judiciaire et militaire.
A l'époque lointaine de la royauté, le roi
n'avait pas pu exercer seul, en personne, tous les pouvoirs
contenus dans l'imperium. A plus forte raison, Auguste
ni ses successeurs ne pouvaient le faire. De là une
double méthode de gouvernement : 1° le partage, au
moins officiel et apparent, du pouvoir avec le sénat ;
2° la délégation de l'imperium
à de nombreux personnages.
Le sénat avait invité Auguste à
revêtir l'imperium proconsulaire dans toutes les
provinces, c'est-à-dire à assumer le
gouvernement général du monde romain. Auguste
n'exerça en fait son imperium que dans une
partie des provinces ; il prit pour lui les provinces
où se trouvaient des forces militaires ; il laissa au
sénat toutes celles qui n'avaient besoin que d'une
administration purement civile. Une des conséquences
de ce partage, au point de vue spécial qui nous
occupe, fut qu'il y eut dans l'Empire d'autres proconsuls que
l'empereur : ces proconsuls étaient les gouverneurs
des provinces dites sénatoriales. L'imperium
dont ils jouissaient était différent, non pas
en principe, mais dans la pratique, de l'imperium
proconsulaire qui appartenait à l'empereur. La
promagistrature ne leur était conférée,
suivant la lex Pompeia de 52 av. J.-C., que cinq ans
au moins après qu'ils avaient exercé la
magistrature ; leur imperium était soumis
à toutes les anciennes règles
républicaines : il était annuel, ne pouvait
s'exercer que dans les limites de la province, et
disparaissait de droit dans l'enceinte du pomoerium.
En outre, l'empereur s'étant réservé le
commandement de toute l'armée, l'imperium des
autres proconsuls était purement civil, par
conséquent surtout judiciaire ; or, en cette
matière, l'empereur, en vertu de son imperium
majus, pouvait, au criminel et au civil, soit
évoquer devant lui toute cause, soit recevoir les
appels formés contre les décrets ou les
sentences des proconsuls.
Hors des provinces dites sénatoriales,
l'imperium du prince s'exerça surtout par
délégation. L'empereur déléguait
son imperium, dans les provinces dites
impériales, à des legati, choisis par
lui, et qui conservaient leur délégation tant
qu'il plaisait à l'empereur ; ils ne pouvaient pas
s'en dessaisir par une abdication spontanée. Ces
legati exerçaient l'autorité militaire
au nom de l'empereur ; c'était toujours à
l'empereur qu'était prêté par les soldats
le serment de fidélité. Ils avaient le jus
gladii, c'est-à-dire le droit de haute justice
criminelle, sauf appel à l'empereur. En Italie et
à Rome, l'empereur déléguait son
imperium judiciaire en matière criminelle au
préfet de la ville et au préfet du
prétoire ; en matière civile, soit à un
judex datus spécial, soit aux consuls, soit au
préteur urbain.
Si donc l'on excepte les consuls, les préteurs, les
proconsuls des provinces sénatoriales et leurs
legati, tous les autres magistrats cum imperio
qui exercent une fonction dans l'empire, tiennent en droit
comme en fait leur imperium de l'empereur, et ne le
possèdent que par délégation du prince.
Cet imperium délégué peut
être, d'après les jurisconsultes, merum
ou mixtum. L'imperium merum est celui qui
comprend le jus gladii ; l'imperium mixtum est
celui qui ne comprend pas le jus gladii, mais
seulement la jurisdictio.
Dès le début de l'Empire, l'imperium du
prince fut viager, comme l'avait été celui des
rois. En droit, il lui était conféré par
le sénat ; mais cette collation par le sénat ne
fut le plus souvent qu'une simple formalité ; car
l'assemblée s'empressait de ratifier tantôt le
choix des légions ou des prétoriens,
tantôt la désignation officieuse du
précédent empereur.
De même que l'imperium royal, l'imperium
de l'empereur n'était pas héréditaire.
Celui qui était en possession de l'imperium ne
pouvait pas légalement se désigner de
successeur. Mais dans la pratique cette désignation
avait lieu de diverses façons : par une indication
purement officieuse ; par l'adoption, comme firent Auguste
pour Tibère, Nerva pour Trajan, Trajan pour Hadrien ;
par l'attribution du cognomen de Caesar et aussi, dans une
certaine mesure, du titre de princeps juventutis.
Certains empereurs indiquèrent aussi d'avance leur
successeur en appelant de leur vivant un homme à
partager leur propre imperium proconsulaire : par
exemple, sous Vespasien, Titus fut particeps imperii.
Dans ce système de collégialité
inégale, que Mommsen appelle la corégence,
l'imperium du coregent était inférieur
à celui du prince ; il devait être
légalisé par un sénatus-consulte ; il
était, comme celui du prince, majus par rapport
à celui des proconsuls ordinaires.
Le système de la corégence ou de la
collégialité inégale disparut
après la mort d'Antonin le Pieux. Le système du
gouvernement en commun ou de la collégialité
égale lui fut substitués. Marc-Aurèle et
Lucius Verus, puis Marc-Aurèle et Commode, plus tard
Septime-Sévère et ses deux fils furent Augustes
eu même temps. En principe, l'imperium de chacun
des Augustes était absolument identique à
l'imperium de l'autre ou des autres. Il en
résultait que l'Auguste survivant assurait, par
là même, au moins en droit, la transmission de
l'imperium : lorsque Marc-Aurèle mourut,
Commode possédait et exerçait depuis plusieurs
années dans sa plénitude l'imperium
caractéristique du principat ; il en fut de même
pour Caracalla et Geta, à la mort de
Septime-Sévère.
PERIODE DU BAS-EMPIRE
Sous le Bas-Empire, le despotisme absolu et
sacro-saint, de Dioclétien, de Constantin, de
Justinien ne rappelle plus que de très loin et
très imparfaitement l'ancien imperium de
l'époque républicaine. A coup sûr, la
transformation ne s'est pas faite brusquement, du jour au
lendemain ; mais elle est terminée au IVe
siècle. D'autre part, on distingue bien encore des
magistrats ou des fonctionnaires cum imperio, et des
magistrats ou des fonctionnaires qui n'ont pas
l'imperium ; mais une hiérarchie nouvelle a
été organisée, et cette
hiérarchie est double : les fonctions civiles et les
commandements militaires sont désormais nettement
séparés, même dans les provinces. Or l'un
des caractères de l'ancien imperium
était de comprendre à la fois les pouvoirs
civils et les pouvoirs militaires. On ne saurait donc parler
d'imperium sous le Bas-Empire qu'à la condition
d'étudier la fortune d'un mot beaucoup plus qu'un fait
historique. En réalité, l'imperium a
disparu le jour où ont disparu toutes les fictions
mises en jeu par Auguste pour créer le
principat.
Article de J. Toutain
IMPERATOR
Le citoyen revêtu de l'imperium et
dans un sens plus restreint, plus précis, de
l'imperium militiae, était
désigné par le mot imperator. Par suite,
cette appellation devint le titre habituel du
général en chef. L'usage voulait pourtant que
les généraux le prissent, non point au
début de leur commandement, mais à la suite
d'une victoire. Il leur était décerné
soit par les soldats eux-mêmes, ce qui paraît
avoir été le cas le plus fréquent, soit
par le sénat. La collation de ce nom était
comme une promesse des honneurs du triomphe, ce qui ne veut
pas dire que ces honneurs en fussent une conséquence
obligatoire. On cite plusieurs imperatores qui ne
figurent pas sur les listes de triomphateurs, bien que
celles-ci nous soient parvenues au complet pour
l'époque où ils remportèrent des
succès militaires : par exemple Q. Laronius, consul en
721, Sex. Appuleius, Sex. f., consul en 725 et M. Nonius
Gallus, son contemporain.
Le terme d'imperator, caractéristique du chef
victorieux, tout-puissant et favori des soldats, s'offrait
naturellement à qui voulait fonder à Rome une
dynastie militaire. César donc, se conformant la fois
à l'ancienne coutume et la détournant à
son profit, se fit attribuer ce titre à la suite de
ses victoires ; mais, au lieu de le déposer le jour du
triomphe ainsi qu'il était habituel de le faire, il le
garda à perpétuité : il s'appela C.
Julius Caesar imperator. Ce mot fit dès lors
partie intégrante des dénominations
impériales et passa aux successeurs du premier
empereur. L'emploi qu'ils en firent demande quelques
développements : ce devint pour eux à la fois
un nom et un titre.
-
Imperator employé comme nom
A la fin de la République l'usage voulait que les surnoms de distinction fussent traités comme des prénoms : c'est ce qui arriva pour Imperator. Auguste, rejetant son prénom de Gaius, le remplaça par celui d'Imperator, qu'il écrivit, suivant la règle, en abrégé : Imp. Augustus. Ses successeurs immédiats n'agirent pas de même et n'usèrent du nom d'Imperator que comme surnom. Néron revint à la tradition créée par Auguste, et celle-ci fut tenue comme une règle à laquelle aucun des empereurs ne manqua depuis Vespasien : tous ont fait précéder leurs noms du prénom Imp. On verra, dans le tableau suivant, résultat du dépouillement des recueils épigraphiques et numismatiques, comment chacun des empereurs du Ier siècle a compris l'emploi de ce nom :César C. Julius Caesar Imperator Auguste Imp. Caesar Augustus Tibère Refuse le prénom d'Imp. Caligula Refuse le prénom d'Imp. Claude Refuse le prénom d'Imp. Néron Imp. Nero Claudius ou Nero Claudius Imperator Galba Imp. Ser. Sulpicius Galba ou Ser. Galba Imperator Othon Imp. M. Otho Caesar Vitellius Imp. A. Vitellius Caesar ou A. Vitellius Imperator Vespasien Imp. Caesar Vespasianus Titus T. Caesar Vespasianus Domitien Caesar Domitianus Augustus
Quand un empereur désignait un successeur, en lui faisant part, de son vivant, de la puissance suprême, celui-ci prenait aussi parfois le nom d'Imperator, signe de cette puissance, et le portait généralement comme prénom. Tel est le cas d'Antonin le Pieux, après son adoption par Hadrien, et de Commode après son adoption par Marc-Aurèle.
- Imperator employé comme titre
En outre, les empereurs faisaient figurer dans leurs titres celui d'imperator, à raison des victoires remportées par eux personnellement ou, sous leurs auspices, par quelqu'un de leurs légats. Par exemple, en l'an 16, Tibère fut proclamé imperator pour une victoire remportée ductu Germanici, auspiciis Tiberii. Par suite, le même prince pouvait être amené à le prendre plusieurs fois ; de là, sur les médailles et les inscriptions, la présence d'un chiffre à la suite du titre pour indiquer la répétition des succès impériaux. On a fait remarquer depuis longtemps que la première victoire d'un empereur donnait lieu, pour lui, à l'appellation d'imperator iterum, le fait d'arriver à l'Empire comptant comme première salutation impériale.
J'ai essayé d'indiquer ailleurs les dates auxquelles se rencontraient sur les monuments épigraphiques ou numismatiques les différentes salutations impériales des divers empereurs.
Lorsqu'un jeune prince était appelé à partager l'Empire, il pouvait prendre, lui aussi, le titre d'imperator et le renouveler à chaque victoire du règne, en même temps que le souverain auquel il était associé ; c'est ce qui se produisit pour Titus sous Vespasien, pour Commode sous Marc-Aurèle.
On comprend dès lors pourquoi le titre d'imperator, devenant chaque jour de plus en plus la propriété de l'empereur, ne fut plus attribué que par exception à des particuliers au commencement du Ier siècle de notre ère et cessa même bientôt de leur être concédé. Les derniers qui aient obtenu cet honneur sont : L. Passienus Ridas, consul en 750, Cossus Cornelius Lentulus, consul en 753 et C. Junius Blaesus, consul en 22 de notre ère.
Néanmoins, à l'époque impériale, ou tout au moins au début, le terme d'imperator n'est pas encore employé comme substantif pour désigner le chef du gouvernement. Afin d'indiquer nettement qu'en théorie il n'est que le premier des citoyens, celui-ci prit officiellement l'épithète de princeps : on sait que c'est pour éviter tout reproche de fonder une monarchie qu'Auguste constitua sa puissance non point avec des titres et des pouvoirs nouveaux, mais par la simple concentration entre ses mains de ceux qu'il trouva établis par la tradition républicaine. Mais cette apparence ne trompa pas longtemps le public, dont les historiens sont pour nous le reflet, et bientôt on cessa de considérer l'empereur comme un homme placé au même rang que ses sujets pour voir en lui ce qu'il était en réalité, un souverain élevé bien au-dessus de tous. La dénomination de princeps fit place alors dans le langage courant à celle d'imperator ou, en français, d'empereur.
Il nous paru qu'il convenait, contrairement à ce
qui a été fait dans d'autres dictionnaires
analogues, et tout en réservant pour une autre place
[Princeps,
Principatus], l'exposé de la théorie
politique sur laquelle s'établit l'Empire, qui dicta
le partage des pouvoirs entre le sénat et le prince et
créa entre ces deux grands principes d'autorité
des rapports assez délicats à étudier,
de montrer ce que fut à Rome l'empereur, quel pouvoir
il posséda en pratique, comme chef religieux,
militaire et civil.
Avènement de l'empereur
Qu'il fût appelé au pouvoir
suprême par la désignation de son
prédécesseur ou par la volonté des
soldats, ce qui devint bien vite, on le sait, le mode
habituel d'élévation à l'Empire,
l'empereur, pour obtenir le pouvoir légitime, avait
besoin de la reconnaissance expresse du sénat.
Celui-ci devait lui décerner les titres et les
pouvoirs qui constituaient l'essence du principat. A ces
titres, que nous énumérerons plus loin, il
ajoutait la collation du patriciat, si le prince
n'appartenait pas de naissance à la caste patricienne.
Puis, sur la proposition d'un magistrat, sans doute d'un des
consuls en charge, le peuple, réuni en comices, votait
deux lois, consécrations des décisions du
sénat, une lex de imperio et une lex de
potestate tribunicia. Ces lois étaient rendues
suivant la forme habituelle, en observant même la
règle du trinum nundinum entre le décret
du sénat et la réunion des comices ; et l'usage
s'en conserva jusqu'au IIIe siècle. A cette
époque le vote effectif par l'assemblée
populaire fut remplacé par un procédé
plus simple, l'acclamation.
Il n'existait aucune cérémonie
particulière pour marquer l'entrée en fonctions
du nouvel empereur. Son transport en litière ou sur un
siège dans le camp au milieu des cris de joie des
soldats n'est pas le résultat d'une règle
officielle, mais la manifestation d'un enthousiasme
particulier ; son élévation sur un bouclier est
une coutume propre aux bas temps de l'Empire. Le seul acte
par lequel le nouveau souverain marquât son
avènement consistait en un sacrifice au
Capitole.
Aussitôt reconnu par le sénat et le peuple,
l'empereur devait l'être pareillement dans toute
l'étendue de l'empire. L'armée était
donc appelée à prêter serment en son nom
; généraux, officiers et soldats étaient
tenus de prononcer successivement la formule traditionne
[Sacramentum]. Plus tard les magistrats et les
citoyens furent associés aussi à cette
cérémonie. En même temps et de tous
côtés, les collèges religieux, les
fonctionnaires et les particuliers offraient des sacrifices
pour la prospérité du nouvel élu. A une
époque assez tardive, on prit même l'habitude de
faire promener son effigie dans les villes par des porteurs
publics. De son côté, comme don de joyeux
avènement, l'empereur faisait des distributions
d'argent et de vivres au peuple et aux soldats
[Congiarium, Donativum]. Le jour où il avait
été proclamé devenait même une
fête dont les anniversaires étaient
célébrés ensuite par des
réjouissances publiques et des sacrifices à
Rome, dans les municipalités et dans les
collèges.
Titres de l'empereur
Lors de son avènement ou dans la suite,
l'empereur recevait un certain nombre de titres ou de
surnoms, les uns purement honorifiques, les autres
répondant à des pouvoirs effectifs. Les
principaux sont :
- Imperator. - Nous en avons parlé plus
haut.
- Caesar. - En souvenir du fondateur de l'empire
Caesar.
- Augustus. - Décerné à
Auguste comme titre honorifique, le surnom passa ensuite
à tous ses successeurs comme une des marques
extérieures essentielles de la puissance
impériale [Augustus].
- Tribunicia potestate.- César et
après lui Auguste avaient eu soin de se faire
attribuer la puissance tribunicienne, surtout pour
s'assurer l'inviolabilité, sacrosanctus ut
essem, a dit Auguste lui-même. Dès lors,
cette puissance devint «l'expression exacte et
intégrale du pouvoir souverain», suivant
l'expression de M. Mommsen. C'est elle qui
caractérise la puissance suprême du prince
[Principatus]. Elle
comprenait, les auteurs le disent expressément, le
droit de protection (tuitio) et celui
d'intercession, que les différents empereurs ne se
firent pas faute d'exercer contre les
sénatus-consultes. Cela ne vent pas dire qu'ils
fussent tribuns de la plèbe ou collègues des
tribuns ; mais ils en avaient les prérogatives, avec
cette seule différence que ces prérogatives
n'étaient soumises à aucune limitation ni de
temps ni de lieu et ne pouvaient être
contrariées par l'intercession d'aucun autre
magistrat. De plus, tout en acceptant ce pouvoir à
perpétuité, Auguste lui appliqua le principe
de l'annalité, de telle sorte que depuis lui les
années de règne des empereurs se
comptèrent au moyen de leurs années de
tribunat : par suite l'année impériale
courait du 10 décembre au 9 décembre de
l'année civile suivante, les tribuns de la
plèbe entrant en charge au 10 décembre.
- Grand pontife. - Voir plus bas.
- Consul. - Auguste avait d'abord songé,
nous disent les auteurs, à garder le consulat d'une
façon permanente et à faire du titre de
consul perpétuel la marque de la puissance
suprême. Mais il ne donna pas suite à ce
dessein. Au milieu de 731, il résigna le consulat
qu'il avait reçu au début, de cette
année et ne voulut pas, l'année suivante,
accepter le consulat à vie qu'on lui offrait.
Dès lors, lui et ses successeurs furent, à
l'égard de cette magistrature, sur le même
pied que les autres citoyens. Pourtant les empereurs, qui
tenaient surtout à cette dignité à
cause de l'éponymie qu'elle conférait, ne
prétendaient habituellement qu'au consulat
ordinaire. Les nouveaux élus attendaient donc le 1er
janvier qui suivait leur avènement pour prendre le
titre de consul, et puis ils résignaient leur charge
entre les mains de suffects peu de jours après
l'avoir reçue.
- Proconsul. - Ce qui a été dit plus
haut de l'imperium et de son caractère
explique comment le jus proconsulare était
une des parties essentielles du pouvoir impérial.
Mais la puissance proconsulaire ne s'exerçant, en
principe, qu'en dehors de l'Italie, on ne faisait pas
figurer parmi les titres de l'empereur celui de proconsul
au Ier siècle, même sur des documents
rédigés pendant son absence de Rome. Sous
Trajan l'usage s'introduisit de mentionner ce titre, quand
le souverain était éloigné de la
capitale, mais dans ce cas seulement ; et cet usage
persista jusqu'au temps de Gordien. Mais lorsque,
après Dioclétien, Rome cessa d'être le
siège du gouvernement, on n'observa plus cette
distinction et l'appellation de proconsul fut inscrite
couramment à la suite des autres titres
impériaux.
- Pater patriae. - César fut appelé
ainsi peu de temps avant sa mort ; naturellement ses
successeurs tinrent à être, eux aussi,
«pères de la patrie» ; Auguste le devint
en 752, les autres empereurs à une date plus ou
moins voisine du jour de leur avènement, sauf
quelques-uns qui refusèrent cet honneur. Pertinax
est le premier qui ait pris le titre en arrivant à
l'empire.
- Censor. - La censure conférait aux
empereurs certains pouvoirs qu'ils tenaient à
exercer : recensement des chevaliers, nomination des
sénateurs, droit de créer des patriciens,
entretien des édifices de Rome et des grandes routes
italiques. On comprend donc qu'ils se soient fait porter
à la censure. On rencontre le titre de censeur parmi
ceux de Claude, de Vespasien, de Titus et de Domitien. Ce
dernier revêtit même la puissance censoriale
à vie. C'était l'absorption de la censure
dans le pouvoir impérial. Aussi, à la mort de
ce prince, cette magistrature disparut-elle et on ne la
mentionna même plus dans la titutature des
empereurs.
- Titres divers. - A ces titres, qui correspondent aux différents éléments dont se composait la puissance impériale, les princes en ajoutaient d'autres purement honorifiques. C'est ainsi que, lorsqu'ils avaient remporté quelque victoire par eux-mêmes ou par l'intermédiaire d'un de leurs lieutenants, ils se donnaient un surnom tiré du nom du peuple vaincu : Germanicus, Dacicus, etc. A partir de la fin du IIe siècle, ils prirent aussi d'autres appellations : Pius, Felix, Invictus, Aeternus, qui figurent constamment sur les documents officiels ou privés.
Insignes et privilèges de l'empereur
Les magistrats, à Rome, avaient droit
à certains insignes qui les différenciaient du
reste des citoyens, à certaines escortes qui
assuraient leur sécurité et relevaient
l'éclat de leur dignité, à certains
privilèges qui en compensaient les charges et les
soucis. Il est naturel que l'empereur, dont la situation
était supérieure à toute autre,
eût, lui aussi, des insignes et des privilèges :
les uns lui appartenaient en tant qu'occupant par sa
situation même certaines magistratures ; les autres lui
avaient été accordés en surplus. Nous
allons énumérer ici les uns et les autres.
-
Siège
L'empereur, comme magistrat, faisait usage de la chaise curule, sella curulis ; on la voit représentée déjà sur des monnaies d'Octave avec la désignation de dictator et d'imperator. Comme tribun, il avait place au subsellium, ou banc des tribuns. Quand il paraissait en public avec les consuls, il occupait la place du milieu. Mais en outre, dans les solennités publiques il lui était accordé un siège spécial, élevé et doré, une sella aurea qu'on retrouve encore figurée sur les monnaies des empereurs du bas-Empire. Il s'en servait également quand il recevait les ambassadeurs des états étrangers. Au théâtre ou dans les jeux, une loge spéciale lui était réservée, à laquelle on donnait le nom de suggestus.
-
Costume
L'empereur pouvait porter partout la toge bordée de pourpre des magistrats, la vestis forensis, ainsi qu'elle est appelée sur les inscriptions. Dans la vie ordinaire il était dispensé, peut-être en tant que grand pontife, de revêtir la robe de deuil. Pour les solennités, il avait droit à la toge triomphale (pourpre brodée d'or), à la vestis triumphalis qui était tenue pour le decor imperatorius par excellence.
Sa qualité de général en chef se marquait par le port du paludamentum pourpre (vestis castrensis) ; c'est sous ce costume qu'il a été représenté le plus fréquemment surtout par la sculpture. On en trouve des exemples jusque dans les derniers temps de l'Empire, alors que revêtir la pourpre était devenu l'expression usuelle pour désigner la prise du pouvoir par l'empereur. C'est aussi l'époque où, pour augmenter l'éclat du costume impérial, on l'orne de pierreries étincelantes.
-
Coiffure.
La couronne de laurier, que la république accordait aux viri triumphales et qu'ils portaient dans les spectacles et les fêtes, fut concédée à l'empereur sans restriction de temps ni de lieu. Les exemples en sont innombrables aussi bien sur les monnaies que sur les monuments de la sculpture antique. Plus tard, elle fut remplacée par le diadème, bandeau blanc orné souvent de broderies d'or et de perles. Caligula, Elagabal et Aurélien semblent avoir eu quelques velléités de s'en parer, mais l'usage n'en devint constant qu'à partir de Constantin. On le voit sur des représentations de cette époque et de l'age suivant.
-
Armes
L'épée, le ceinturon, la cuirasse appartenaient à tous les soldats ; mais la cuirasse constamment portée par les empereurs dans les oeuvres de la statuaire est la cuirasse droite à lambrequin, thôrax stadios, empruntée aux Grecs, en métal modelé à la forme du corps, richement ornée de figures ciselées. Par-dessus passe le ceinturon souple [Cingulum] serré à la taille, ou un baudrier auquel est suspendue l'épée courte [Pugio], devenue un des insignes du pouvoir suprême. Prendre l'épée c'était l'acquérir ; la déposer, c'était le perdre. Elle figure couramment sur les statues impériales de nos musées.
-
Sceptre. - Le sceptre (scipio), marque du
pouvoir royal, ne faisait pas partie, au contraire, des
insignes dévolus aux magistrats ; il était
réservé à Rome, soit aux dieux, soit
aux triomphateurs, qui prenaient pour la circonstance le
costume de Jupiter. En tant que triomphateurs, les
empereurs pouvaient s'en parer comme les autres et c'est
à ce titre qu'on le rencontre sur un certain
nombre de monuments figurés, statues, monnaies,
etc.
- Escorte. - Il est naturel que, comme les autres
magistrats, l'empereur ait eu à sa disposition des
licteurs, des héraults et des viateurs. D'abord au
nombre de douze, ils furent portés à
vingt-quatre sous Domitien. Le prince étant toujours
imperator, les faisceaux de ses licteurs
étaient toujours couronnés de lauriers, ce
qui les distinguait des autres. En outre, il avait
auprès de lui une garde particulière. La
protection de l'empereur fut la raison d'être des
cohortes prétoriennes : parmi celles-ci, il en
était une en permanence au palais. Mais on les
regarda de bonne heure comme insuffisantes ; et certains
corps composés d'hommes particulièrement
dévoués, furent appelés successivement
à veiller sur la sécurité du souverain
. Il en est question ailleurs plus spécialement
[Germani, Equites singulares, protectores].
- Droit d'effigie. - Tandis que sous la
République les monnaies ne portaient que l'image de
la déesse Rome, César se vit accorder le
privilège de marquer les espèces
monétaires de son effigie ; ses successeurs le
gardèrent et l'on sait quel parti on peut tirer de
la collection des monnaies impériales pour
l'iconographie romaine. Bien plus, même sur les
monnaies frappées par les magistrats
monétaires sénatoriaux, la légende ne
mentionne la plupart du temps que l'empereur ou un membre
de sa famille.
- Epithète de dominus. - Cette
suzeraineté que le droit d'effigie faisait
éclater à tous les yeux se traduisait dans la
vie courante par le terme de dominus attribué
à l'empereur, et cela non seulement dans sa maison,
par ses esclaves, ce qui était tout naturel, ou ses
parents, ce qui se comprend aussi, mais par tous les autres
citoyens. A la vérité, cette application, si
contraire aux habitudes romaines et à la conception
théorique du principat, ne s'introduisit pas
dès le début de l'empire. Auguste la
repoussa, ut maledictum et opprobrium, Tibère
aussi ; Caligula se la laissa donner ; Domitien fut le
premier à l'imposer à ses procurateurs et les
auteurs commencèrent alors à l'employer ;
sous Antonin le Pieux, elle fait apparition dans les textes
épigraphiques. On s'en servit d'une façon
constante à partir de Septime Sévère
jusqu'aux derniers temps de l'Empire 26
- Droit de faire porter des torches devant
l'empereur. - C'était une prérogative qui
n'était pas inconnue à l'époque
républicaine ; certains magistrats avaient le
privilège de se faire précéder le soir
de torches (funales cerei) et d'un réchaud
à l'aide duquel on rallumait instantanément
celle qui venait à s'éteindre. A
l'époque impériale, ce privilège
appartint exclusivement à l'empereur et à
l'impératrice.
- Autres privilèges. - Nous
réunissons dans un même paragraphe divers
privilèges d'importance secondaire accordés
à l'empereur : celui de manger avec sa femme et ses
enfants dans le temple du Capitole, de se servir à
table de vaisselle d'or, de vêtir d'habillements
blancs ou brochés d'or sa domesticité, de
recevoir au jour de l'an des visites et des
étrennes, d'être appelé, dans toutes
les cités de l'empire, quelles qu'elles fussent,
à la magistrature suprême et de s'y faire
remplacer par un représentant de son choix.
- Droit de recommandation et d'allection. - Les
magistrats étant les élus du peuple d'abord,
du Sénat, depuis Tibère, le prince n'avait
point à intervenir dans leur nomination. Pourtant
Auguste et ses successeurs ne crurent pas devoir se
désintéresser entièrement des choix
à faire et se réservèrent le moyen de
les diriger. Ils y arrivèrent en s'attribuant
l'examen des conditions d'éligibilité des
candidats. En restreignant le nombre de ceux qu'ils
déclaraient tels à celui des places à
pourvoir, ils arrivèrent pratiquement à faire
les élections suivant leurs vues (nominatio).
Ils allèrent plus loin : afin d'assurer le
succès de leurs amis, ils prirent la peine de les
recommander spécialement au choix de leurs
électeurs (commendatio),
généralement par voie de message au
sénat [Candidatus Caesari]; les candidats
ainsi patronés par le souverain étaient
naturellement assurés de leur élection. Mais
il était certaines conditions
d'éligibilité que la constitution
déclarait indispensables pour prétendre aux
fonctions publiques : la situation de membre de l'ordre
sénatorial, pour le vigintivirat, la gestion d'une
des charges du vigintivirat, pour la questure et la gestion
de celle-ci, pour les suivantes. Afin de tourner les
difficultés que ces conditions créaient
à son libre choix, l'empereur s'était
arrogé le droit de placer ceux qu'il voulait faire
nommer aux magistratures dans la situation légale
où ils devaient se trouver pour y arriver, quand ils
ne la possédaient pas déjà. Il
admettait ainsi dans la classe sénatoriale des gens
qui n'y figuraient point par la concession du laticlave ;
c'est ce qui arriva, par exemple, pour Ovide, Pline le
Jeune et l'empereur Septime Sévère. Par
là, les nouveaux promus devenaient susceptibles de
gérer le vigintivirat. Voulait-on les dispenser
même de cette fonction, on leur concédait le
latusclavus cum quaestura, qui leur permettait de
parvenir d'emblée à la questure. Pour les
magistratures plus élevées, l'empereur avait
recours à l'allection, soit inter quaestorios
s'il voulait amener directement à la préture
son protégé, soit inter tribunicios,
soit inter praetorios, soit même inter
consulares. L'avantage que l'allection procurait
à l'empereur était surtout de lui permettre
de donner à sa nouvelle noblesse, les membres de
l'ordre équestre, «le séminaire de
l'ordre sénatorial», accès aux
magistratures et ensuite aux fonctions administratives,
dont ces magistratures ouvraient la voie. Cet état
de choses disparut avec les réformes de
Dioclétien et de Constantin ; sous le régime
créé par eux, les magistrats qui
étaient retombés au rang de fonctionnaires
municipaux étaient nommés par le Sénat
et le prince ne faisait que les confirmer.
- Droit de grâce. - En principe le droit de
grâce appartenait au Sénat ; en fait il
dépendait du prince, si bien qu'à une
époque postérieure, les jurisconsultes le lui
attribuèrent même théoriquement. Il
pouvait l'exercer de deux manières, soit par
arrêt des poursuites [Abolitio], soit par
remise totale ou partielle de la peine
[Restitutio].
- Voeux, prières, sacrifices et fêtes. - Le salut du prince se confondant avec celui de l'Etat, les prières et les sacrifices qu'on offrait aux dieux à l'époque républicaine pour la chose publique s'étendirent à l'empereur, après Auguste. Au commencement de chaque règne, on faisait des voeux solennels pour le bonheur de ce règne [Votum], sauf à les renouveler pendant son cours au cinquième anniversaire [Quinquennalia], ou au dixième [Decennalia] et ultérieurement quinto quoque anno, si l'empereur dépassait sur le trône une période de dix ans. Au début de l'année, le 3 janvier, à partir de 27/38, on prit également l'habitude de célébrer une fête religieuse pour le salut du souverain. L'anniversaire de sa naissance était marqué aussi par des cérémonies [Natales] ; on se livrait à des supplications ou à des actions de grâces de toutes les circonstances importantes de sa vie, s'il devenait malade, ou s'il guérissait, s'il échappait à un danger, s'il quittait Rome pour quelque voyage ou quelque expédition, ou s'il y revenait après une absence.
Habitation dans un palais
|
Pour y établir sa résidence, Auguste
choisit le Palatin, où il était né
; les montants de la porte d'entrée de sa
maison étaient ornés de lauriers
(postes laureati) que lui avait
décernés le sénat, et au-dessus
était fixée une couronne de chêne.
La colline du Palatin devint par la suite la demeure de
tous les empereurs, ses successeurs. Au palais
bâti par Auguste sur l'emplacement de la maison
d'Hortensius s'ajoutèrent successivement celui
de Tibère, au nord-ouest de la colline, celui de
Néron, au sud-ouest, celui de Domitien, entre le
palais d'Auguste et celui de Tibère, et plus
tard les immenses et somptueuses constructions de
Septime Sévère. |
Maison et cour de l'empereur
Comme tout souverain, l'empereur avait autour
de lui un personnel nombreux d'officiers, de domestiques et
de courtisans. Leur nature varia avec les différentes
époques. Au début du régime
impérial, et pendant une grande partie du Ier
siècle, alors qu'en théorie le prince
n'était encore qu'un simple particulier, le premier
d'entre les Romains, sa maison devait être
composée comme celle des autres citoyens,
c'est-à-dire d'esclaves et d'affranchis à lui
appartenant ; comptabilité, correspondance,
chancellerie, tout leur était confié ; c'est
l'époque où les affranchis impériaux
étaient tout puissants, vendaient leur crédit
auprès du maître à prix d'or et
conspiraient au besoin contre lui. Mais peu à peu
s'introduisit la conception d'un empereur élevé
bien au-dessus de tous, en même temps que cessait la
confusion établie entre les affaires du prince et
celles de l'Etat : les offices de la cour prirent alors le
caractère de hautes fonctions publiques et l'on
s'habitua à accorder les plus importants d'entre eux
à la noblesse d'Empire, aux chevaliers. Vitellius
commença la réforme et Hadrien l'acheva. Au IIe
siècle, il y a donc lieu de distinguer entre les
officiers d'ordre équestre et ceux qui appartenaient
à la classe des affranchis. Les premiers occupaient
toutes les hautes positions, celles qui avaient quelque
rapport avec l'administration générale de
l'empire : maîtrise des cérémonies
(magister admissionis), postes de chancellerie (a
libellis, ab epistulis, a cognitionibus, a studiis, a
censibus), de trésorerie (a rationibus,
dispensator), procuratèles de tout genre. Les
seconds étaient réservés pour le service
de la personne, de la maison et de la table du souverain ; on
continua à recruter parmi eux les camériers
(a cubiculo), les préposés à la
garde-robe (a veste, a fibulis), à l'argenterie
(ab argento), à la verrerie (a
crystallinis), les valets de pied (pedisequi), les
médecins, les comédiens, les précepteurs
etc. Une telle distinction persista jusqu'à
l'époque de Dioclétien et de Constantin, mais
non postérieurement ; alors tous les offices remplis
auprès du prince devinrent des fonctions d'état
confiées à des personnages d'ordre relativement
élevé et hiérarchisés : ils
furent tous réunis sous la main d'un grand chambellan
qui avait rang d'illustris, tandis que les chefs de
service, dans chaque subdivision, étaient le plus
souvent des spectabiles. En dehors de ses domestiques
et de ses officiers de cour et au-dessus d'eux, l'empereur
admettait dans sa familiarité un certain nombre de
sénateurs et de chevaliers ; on les nommait les
amis du prince ; parmi eux il choisissait les
conseillers qui l'accompagnaient dans ses voyages hors de
l'Italie (comites Augusti) ; il s'attachait même
quelques personnages du troisième ordre dont il tenait
à utiliser le talent ou la science ; une partie
d'entre eux étaient logés au palais
(contubernales). Les règles d'étiquette
qui présidaient aux cérémonies de la
cour et en particulier aux audiences impériales ont
été indiquées aux articles
Adoratio et Admissio.
Administration personnelle de l'empereur
D'après l'organisation établie
par Auguste et perfectionnée sous ses successeurs,
l'empereur devait partager avec le sénat la direction
des affaires de l'Etat. C'est le régime qui a
été désigné par les historiens
modernes sous le nom de dyarchie. Dans cette conception, la
plus grosse part de pouvoir, même en théorie,
était réservée à l'empereur.
C'est cette part qu'il faut esquisser ici en renvoyant pour
tous les détails aux articles spéciaux.
-
L'empereur chef militaire. - Comme
imperator, l'empereur était le chef
suprême et exclusif de l'armée, aussi bien
à Rome que dans les provinces : le pouvoir
militaire est l'essence même du régime
impérial.
Dans la capitale, son praetorium était établi en permanence. Si bien qu'il pouvait dire des gardes chargés de sa défense : In praetorio meo militant. Le préfet du prétoire n'était que son lieutenant, le mot d'ordre émanant de lui seul. Dans les provinces, à la tête des légionnaires, où il ne pouvait être présent en personne, il ne faisait que déléguer son autorité à des légats : pour que nul ne s'y trompât, ses statues étaient exposées en permanence au milieu des camps, dans les chapelles des corps de troupes où l'on déposait les aigles et les enseignes ; ses médaillons étaient fixés sur ces enseignes mêmes, où son nom était de plus gravé [Imago, Signa].
Tous les soldats, sans exception, prêtaient le serment militaire en son nom, comme à leur général régulier, jurant de vivre et de mourir pour son service [Sacramentum] ; il arriva même, pour mieux marquer cette subordination, que, depuis l'époque de Caracalla, les différentes troupes portèrent, pendant la durée du règne d'un prince, un surnom tiré du nom de ce prince (Antoniniana, Alexandrana, Gordiana). Il était impossible de déclarer plus nettement que les soldats étaient les soldats de l'empereur, non de l'Etat.
Cette autorité absolue du prince dans les choses militaires se marquait pour tous les détails.
- C'est lui qui faisait les levées : dans les provinces qui lui appartenaient, il chargeait son légat de l'opération ; dans les autres, il procédait après entente avec le Sénat, soit par des commissaires spéciaux (missi ad dilectum), soit par l'intermédiaire des gouverneurs [Dilectus].
- C'est lui qui dispensait la solde aux troupes. Les questeurs n'avaient plus rien à voir avec ce service ; les procurateurs impériaux de chaque province en étaient chargési et ils avaient comme auxiliaires des affranchis et des esclaves impériaux.
- C'est lui qui nommait les officiers subalternes et supérieurs, permanents et temporaires, centurions, tribuns ou préfets de cohortes, légats légionnaires ou légats commandant un corps d'armée, amiraux chefs d'escadres, chefs d'expédition avec leur chef d'état-major.
- C'est lui qui recevait les rapports des généraux, qui statuait sur la concentration des troupes en vue d'une guerre et sur leur dislocation après la fin de la campagne ; lui qui accordait les décorations militaires de tout ordre [Dona militaria], lui qui octroyait les congés aux vétérans et les faveurs attachées à l'honesta missio. Tous les diplômes militaires que nous possédons sont des lois émanées de son initiative [Diploma].
- Enfin c'était encore en tant que commandant
militaire suprême qu'il jugeait les accusations
dirigées contre les officiers et punissait les
réfractaires.
- L'empereur administrateur civil. - Maître
de l'armée, l'empereur l'était
également d'une grande partie de l'administration
civile, soit par l'effet de l'accord intervenu sous Auguste
entre le prince et le Sénat, soit par suite
d'empiètements successifs.
Il avait, non seulement sous sa dépendance, mais en sa possession, les deux tiers des provinces : on appelait celles-ci provinces impériales [Provincia]. Par suite, il était tenu de les administrer ou de les faire administrer par ses représentants [Consularis, Praefectus, Praeses, Legatus, Procurator]. Tous les rouages du gouvernement y étaient donc concentrés entre ses mains.
A Rome, la surveillance ou la direction de tous les services, laissées jusqu'alors à la municipalité, fut placée dès le début de l'empire ou dans la suite sous le contrôle absolu de l'empereur ; la police des rues, des édifices, du commerce par l'institution de la préfecture urbaine [Praefectus Urbis] et des cohortes urbaines [Urbanae cohortes], puis par celle de la préfecture des vigiles [Vigiles] ; les travaux publics par la création des curatores operum publicorum, des curatores aquarum, des curatores riparum et alvei Tiberis ; l'approvisionnement de la ville en blé, la surveillance de la vente à prix modérés, des distributions faites au peuple et des industries qui concouraient à assurer l'alimentation de la capitale, en particulier la batellerie et la boulangerie, par la réglementation de l'annone.
Pour l'Italie, qui jouissait, à l'avènement d'Auguste, d'une large autonomie communale, le régime impérial arriva à étouffer peu à peu la liberté à son profit. On commença par y organiser une occupation militaire, soit en y établissant çà et là des postes de surveillance, soit en faisant garder les côtes par des flottes permanentes, celle de Ravenne et celle de Misène ; puis on mit la main sur l'administration de la voirie [Viae] ; les curateurs des routes italiques reçurent pour mission d'abord de surveiller l'entretien des voies, ensuite, après la création des fondations alimentaires [Alimenta], la gestion des caisses alimentaires. Bientôt on s'immisça dans les affaires intérieures des villes, auxquelles on imposa des curateurs [Curator civitatis], tandis qu'on les soumettait pour la juridiction civile, non plus aux magistrats judiciaires de Rome, mais à des fonctionnaires impériaux, spécialement chargés dece soin [Juridicus]. Enfin, au IIIe siècle, l'institution temporaire de correcteurs [Corrector], exerçant au nom de l'empereur une certaine surveillance sur l'administration de tous les municipes italiens, prépara la réduction de l'Italie en une province dépendant directement du prince, ce qui eut lieu après Dioclétien [Vicarius].
- L'empereur chef des relations
extérieures. - Tandis que sous la
République le Sénat fut chargé de ce
qu'on appelle chez nous le département des affaires
étrangères, c'est le prince et le prince seul
qui s'en occupait sous l'Empire. Qu'il eût à
décider de la paix ou de la guerre, d'alliances, ou
de questions diplomatiques quelconques, il n'avait à
prendre conseil que de lui-même.
- L'empereur chef financier. - Pour faire face aux
dépenses de cette multiple administration, il
fallait de grosses ressources financières.
L'empereur se les procura en substituant au régime
financier de la république un nouveau système
; laissant au Sénat les revenus des provinces
sénatoriales [Aerarium], à l'exception
de quelques redevances qu'il s'appropria, il prit pour lui
le produit des impôts dans les provinces
impériales et dans les anciens états libres
annexés à l'empire ; il y joignit sa fortune
personnelle et de tout cela il fit une caisse unique, le
fisc : on sait que la confusion des biens de la couronne et
des biens privés impériaux dura
jusqu'à Septime Sévère
[Patrimonium, Res privata]. Auguste créa de
plus l'aerarium militare, qui, en principe,
était destinée à pensionner les
vétérans, qui, en fait, fut une succursale du
fisc.
Le pouvoir financier de l'empereur était absolu ; il établissait ou faisait établir par les autorités compétentes tous les impôts qu'il lui plaisait d'édicter, du moins dans les provinces ; il appliquait à son gré ceux qui existaient, prononçant des réductions et faisant remise, si bon lui semblait, des créances arriérées ; il réglementait par édit tout ce qui touchait à la perception des impôts afférant au fisc. Pour appuyer ses décisions sur des bases sérieuses, il ordonnait de temps à autre des recensements qu'il confiait à des mandataires nommés par lui [Acensibus]. A partir du règne d'Hadrien cette opération eut lieu régulièrement tous les quinze ans, amenant la révision de l'assiette de l'impôt. L'initiative impériale se montra également dans la façon dont il fit percevoir les impôts. Renonçant au système du fermage, seul connu à l'époque républicaine, le prince chargea du recouvrement des agents spéciaux [Procurator] ; c'était une loi générale dès l'époque d'Hadrien, sauf de très rares exceptions [Portorium]. Encore, en pareil cas, les publicains étaient-ils surveillés par des procurateurs de l'empereur. Dans la période postérieure à Dioclétien, il n'est plus question, et depuis longtemps déjà, d'un trésor appartenant au Sénat ; le fisc, c'est-à-dire l'empereur, concentre toutes les recettes et fait face à toutes les dépenses.
Il faut encore citer comme une ressource financière très importante attribuée à l'empereur, le droit de battre la monnaie d'or et d'argent, la monnaie de bronze étant seule laissée au Sénat, mais non sans contrôle. Le directeur de la monnaie impériale, qui dépend étroitement de l'empereur, dirige l'émission des pièces d'or et d'argent en même temps qu'il surveille celle des pièces de cuivre [Moneta].
- L'empereur législateur. - Le pouvoir
législatif est demeuré, sous l'Empire, propre
aux comices et au sénat ; mais l'empereur
s'était réservé la concession de
certains privilèges : La fondation de villes, avec
concession des droits de cité ou d'alliée, ou
la modification du statut, de villes existantes par la
promotion au rang de cités de citoyens ou de
cités latines, en un mot la modification de la
condition juridique des villes ; la concession du droit de
cité à des particuliers, civils ou militaires
; la concession du conubium aux citoyens
mariés avec des pérégrines, en
récompense de services militaires ; la concession de
l'ingénuité à des affranchis soif, par
celle de l'anneau d'or (jus anulorum aureorum)
à partir du règne de Commode, soit plus tard
par la restitutio natalium.
Toutes ces décisions étaient communiquées aux intéressés et au public sous forme de constitutions impériales : edicta, prescriptions nouvelles portées à la connaissance de tous ; mandata, instructions adressées aux fonctionnaires impériaux et aux gouverneurs ; decreta, jugements sur des procès portés devant l'empereur ; rescripta, réponses à des questions de droit, soit par lettres entières (epistulae), soit par annotations (suscriptiones). Nous renvoyons à tous ces mots.
-
L'empereur juge. - Il y eut dès le
début de l'Empire une justice impériale
propre et supérieure.
- Judicia publica. Tout citoyen, tout sujet pouvait, pour un délit ou un crime, être déféré au tribunal impérial. Les sénateurs eux-mêmes y furent soumis jusqu'à Septime Sévère. Ainsi appelé à prononcer, le prince pouvait ou trancher directement la question ou déléguer la décision à un juge. Dans le premier cas il se faisait aider par des assesseurs et par son conseil ; dans le second il faisait appel le plus souvent, à Rome et en Italie, au Praefectus Praetorio, au Praefectus Urbis, au Praefectus Vigilum, dans les provinces aux gouverneurs.
- Judicia privata.- L'empereur était également compétent pour toute affaire privée ; aussi bien jugeait-il en pareil cas soit au forum, soit plus tard dans l'auditorium du palais. Mais la plupart du temps, il déléguait les causes à des jurés ; on sait qu'il dressait la liste de ces jurés en même temps que celle des chevaliers, ou à certains magistrats et fonctionnaires, consuls, préteurs, gouverneurs, préfets, juridici, etc.
- L'empereur chef religieux. - A la direction des
affaires militaires et civiles de l'empire, il importait
que le prince joignît celle des affaires religieuses.
Aussi le trouve-t-on membre de tous les hauts sacerdoces de
Rome, c'est-à-dire du collège des pontifes,
de celui des augures, de celui des quindécemvirs et
de celui des épulons, de celui des augustales, de
celui des arvales, sans doute aussi de celui des titiens et
des fétiaux.
Mais il n'était pas président de droit de ces collèges ; chez les arvales, le magisterium ne lui était pas décerné plus souvent qu'à un autre ; chez les quindécemvirs, il se contentait, au moins d'abord, de donner les jeux séculaires, comme premier des cinq magistri ; depuis Domitien il fut magister unique. Exception pourtant était faite pour le pontificat. Là l'empereur occupa dès l'origine le poste de Pontifex Maximus, parce que cette dignité lui donnait la surveillance de toute la religion et en faisait le chef religieux de l'Empire. S'il n'était pas promu à cet honneur au moment de son élection, il y arrivait peu après. C'est comme tel qu'il était chargé de la nomination de tous les prêtres. Si ceux-ci étaient présentés par des comices, il avait le droit de présentation, c'est-à-dire qu'il imposait son choix aux électeurs ; s'ils se recrutaient par allection, il proposait, et ses propositions étaient le plus souvent suivies ; enfin, pour d'autres, il procédait par nomination directe : tels sont les saliens, les pontifes mineurs, les prêtres de Lavinium, Caenina et Albe, les trois grands flamines, le rex sacrorum et les vestales, qui ont été, de tout temps, au choix du pontife maxime. On conçoit l'influence que cette autorité religieuse donnait au souverain ; par là il disposait de titres enviés à l'égard de personnages de l'ordre sénatorial ; il se concilia de même l'ordre équestre en lui réservant les sacerdoces romains de second ordre et les sacerdoces latins qu'il leur assimila. L'importance qu'on attachait à cette dignité était telle que les empereurs chrétiens la conservèrent pendant quelque temps encore, jusqu'au jour où Gratien, en arrivant au pouvoir (375), y renonça.
Divinité de l'empereur
Maître du pouvoir absolu par ses
prérogatives militaires, inviolable grâce
à la puissance tribunicienne dont il était
revêtu, souverain ordonnateur de la religion par son
pontificat, il ne restait plus à l'empereur
qu'à être égal à la
divinité. C'est en effet ce qui arriva et de fort
bonne heure, dès l'époque de César. La
statue du dictateur fut placée parmi celles des dieux,
on lui éleva un temple et un flamine fut chargé
du culte qui y était rendu ; son nom, comme celui des
dieux, fut donné à un mois de l'année
précédemment appelé Quintilis. Il
eut d'un dieu tous les signes extérieurs. Les
habitudes des dynasties orientales qui parurent bonnes
à employer pour faciliter la transformation du
régime politique romain, le dévouement
intéressé des uns, l'enthousiasme des autres,
concoururent à introduire à Rome des usages si
contraires aux pratiques de l'époque
républicaine. Une fois introduits, ils s'y
maintinrent. Ceux qui prétendirent à la
succession de César prétendirent avant tout
comme lui il une origine divine : Sextus Pompée se fit
passer pour fils de Neptune ; Antoine s'appela le
«nouveau Dionysos» ; Octave, qui n'était
jusque-là que fils du Divin César, devint dieu
à son tour après la victoire d'Actium.
L'adulation privée fit d'abord les frais de ce culte.
Les poètes commencèrent, les statuaires
suivirent. Pour les uns comme pour les autres, Auguste
«était toujours un dieu», Apollon, Mercure
ou un autre. Les hommages officiels vinrent ensuite,
malgré les refus réitérés de
l'empereur, qu'effrayait l'exagération même de
ces marques de loyalisme ; on donna son nom au mois
Sextilis, on lui éleva des temples, surtout
dans les provinces orientales ; on établit en son
honneur des cultes provinciaux et municipaux ; on créa
un peu partout des collèges de prêtres
chargés d'en assurer la célébration. De
tout cela il sera question plus loin en détail. A sa
mort la croyance à la divinité impériale
était un dogme universellement adopté dans tout
le monde civilisé. Il sembla donc naturel que ses
successeurs fussent honorés de même sorte. Les
uns acceptèrent ces hommages avec discrétion
comme Tibère ; d'autres les sollicitèrent ou
les imposèrent sans mesure, comme Caligula, Domitien
ou Commode ; aucun ne tenta de s'y soustraire : le culte du
prince était devenu dès lors le signe
extérieur le plus caractéristique et la
consécration la plus éclatante de la
souveraineté impériale.
Ce culte se traduisait par différentes manifestations
extérieures.
- Serment. - On jurait par le génie de
l'empereur vivant en même temps que par ses
aïeux divinisés. Ce serment faisait foi en
justice.
- Culte du génie. - Ce génie impérial
fut l'objet d'un culte dans tout le monde romain, aussi
bien de la part des particuliers que des collèges
religieux ; pour les impératrices on adorait sa
Junon. Ce culte fut même associé
étroitement à celui des dieux Lares, à la suite
de la réorganisation de ce dernier par
Auguste.
- Noms impériaux donnés aux mois. -
Nous avons dit que César et Auguste avaient
donné leur nom au mois de Quintilis et de
Sextilis, prérogative qui n'avait
été encore reconnue qu'aux dieux, Janus,
Maia, etc. Même honneur fut décerné
à quelques-uns de ses successeurs : septembre ou
novembre faillirent être appelés
Tiberius, avril fut dit Neroneus, mai,
Claudius, juin, Germanicus ; sous Domitien,
septembre devint Germanicus et octobre
Domitianus.
- Couronne radiée, nimbe. - Symbole du
soleil, la couronne radiée passa, comme signe de la
divinité impériale, sur la tête des
empereurs consacrés, d'abord, puis des princes
vivants, à partir de Néron. Les exemples sont
innombrables sur les monnaies du Sénat et même
depuis Caracalla sur les monnaies de frappe
impériale. Plus tard l'idée
d'éternité, l'essence divine, surnaturelle,
fut indiquée par un nimbe entourant la tête du
souverain sur ses représentations. Le nimbe figure
déjà sur une monnaie d'Antonin, et
apparaêt d'une façon ferme sur celles de
Dioclétien et de Maximien ; il est très
fréquent ensuite.
- L'empereur appelé Dieu. - Cette
appellation est tout à fait inconnue aux premiers
empereurs. Domitien essaya pourtant de se faire nommer
Dominus et Deus mais cette tentative resta
isolée. Les quelques exemples de
l'épithète Deus ou Theos que
nous avons conservés sont dus à l'adulation
privée et appartiennent surtout aux pays grecs. Elle
ne passa dans l'usage courant qu'avec Aurélien. Dans
la suite Dioclétien prescrivit formellement l'emploi
de cette appellation.
Mais on prit par contre, de très bonne heure,
l'usage de représenter les empereurs et aussi
les impératrices avec les attributs de la
divinité. Nous en avons gardé de
très nombreux exemples. Il existe des statues
d'Auguste en Jupiter et en Mercure ; de Claude
en Jupiter, en Triptolème ; de Néron en
Apollon Citharède ; d'Hadrien en Mars ; d'Aelius
Verus en Bonus Eventus ; de Commode en Hercule ;
de Julie en Cérès ; d'Agrippine en Diane
; de Julia Bassiana en Vénus ; de Julia Pia en
Iole ou en Muse, etc. |
L'empereur étant dieu, il était tout naturel
que tout ce qui l'approchait fût divin. Sa famille
était la domus divina ; son palais, ses
armées, son fisc, étaient sacrés comme
ses rescrits ; ses gouverneurs étaient dits vice
sacra judicantes ; ses gardes du corps depuis Gallien se
nommaient protectores divini lateris ; à
l'époque chrétienne même, où l'on
n'osa plus l'appeler Dieu, on conserva cette habitude
: les termes de sacer, sacratissimus, aeternus sont
devenus alors des expressions banales pour désigner le
souverain ou ce qui lui appartenait. De même ses images
étaient sacrées à l'égal de
celles des dieux : on les plaçait dans les temples,
inter simulacra deorum, et dans les chapelles
privées. La profanation d'une statue de l'empereur,
d'une médaille, d'un anneau portant son effigie
était punie comme un sacrilège.
De là à adorer l'empereur lui-même, il
n'y avait plus qu'un pas à franchir. C'est en effet ce
qui arriva. De rares empereurs du Ier ou du IIe siècle
se laissèrent honorer de cet hommage, tout oriental
et, par cela même, assez méprisé des
Romains ; mais à partir des successeurs de
Sévère Alexandre, ce paraît avoir
été un usage général, qui dura
non seulement sous Dioclétien et ses successeurs mais
jusque sous les empereurs chrétiens et pendant toute
la période byzantine.
Dans les provinces, le culte de l'empereur prit une forme
particulière, qui en fit une manifestation bien plus
politique que religieuse. Auguste n'avait autorisé les
provinciaux à lui élever des temples
qu'à la condition d'y être associé
à la déesse Rome, afin d'inspirer aux sujets de
l'Empire un respect religieux égal pour l'état
romain aussi bien que pour celui qui présidait
à ses destinées. L'institution lui
survécut. Le culte de Rome et d'Auguste subsista
pendant toute la durée de l'Empire. Il en a
été question ailleurs en détail ; il
suffira de rappeler ici que chaque province possédait
un temple ou un autel, Romae et Augusti, autour duquel
se réunissait l'assemblée provinciale
composée de députés choisis par les
cités de la province ; que celle-ci était
présidée par un personnage religieux, le
flamen ou sacerdos
Romae et Augusti ; que parmi les fonctions qui lui
incombaient, la plus importante était de s'occuper de
ce qui regardait le culte impérial, sacrifices
religieux, procession solennelle, jeux sacrés,
etc.
Les cités n'étaient point restées en
arrière des provinces ; chacune avait tenu à
avoir ses prêtres, ses temples, ses
cérémonies municipales en l'honneur de
l'empereur régnant. Tantôt celui-ci y
était assimilé à un des dieux les plus
vénérés dans la ville, et les noms du
dieu et de l'empereur étaient réunis : c'est
ainsi que Caligula est appelé sur des inscriptions :
«Néos Hélios», Néron
«nouvel Apollon», Hadrien «nouveau
Dionysos» ; tantôt, et c'est le cas le plus
fréquent, le dieu recevait l'épithète
d'Augustus ; tantôt
enfin il était directement honoré, ou du moins
son genius ou son
numen. On le célébrait par des
sacrifices et des jeux lors des différents
anniversaires du prince, ou par des voeux annuels. Les
prêtres chargés de veiller à
l'exécution de ces cérémonies
étaient, dans ce cas encore, des flamines, plus
rarement des sacerdotes ou des pontifices. A côté
d'eux existaient aussi des collèges de Seviri
ou Seviri Augustales,
dont les fonctions se rapportaient également au culte
impérial dans les cités comme l'institution du
neocorat dans les parties grecques de l'Empire. C'est
également pour honorer la divinité de
l'empereur régnant que l'on donnait son nom aux
divisions municipales des cités (tribus dans le monde
grec, curies dans le monde romain) et, aux différents
mois de l'année dans les calendriers locaux, ou encore
que l'on institua tous ces jeux que nous l'ont
connaître les inscriptions : Pômaia, Italica,
Sebasta, Eusebeia à Naples, Sebasta
à Argos, Athènes, Ephèse ;
Augousteia àPergame, Thyatire, Prusias ;
Autokratoria à Pataris ;
Antôneiniana, à Laodicée,
Kommodeia à Pergame et à Smyrne,
etc.
Mais le culte impérial ne se terminait pas à la
mort du souverain ; au contraire il recevait un nouveau
développement sous la forme de l'apothéose. Jules
César et beaucoup de ses successeurs obtinrent du
sénat cette consécration solennelle ; un grand
nombre de princes de la famille impériale furent
également admis à cet honneur.
Le culte des Divi était confié à
des prêtres spéciaux, flamines, sodales,
qui, du nom de l'empereur dont ils étaient
chargés d'assurer la mémoire prenaient les
épithètes de Augustales, Claudiales,
Flaviales, Titiales, etc.
Mort de l'empereur
A la mort du prince, la cour et les habitants
de l'Empire devaient prendre le deuil, suivant l'ancienne
forme du Justitium.
Déposition de l'empereur
Mais il arriva que pour indignité, le
sénat, expression de la volonté publique, crut
devoir déposséder le souverain de la puissance
suprême, soit de son vivant, soit après sa mort.
Dans le premier cas, on engageait contre lui une
procédure de haute trahison, qui amenait sa
condamnation. Dans le second cas, on décidait
l'annulation de ses actes et la condamnation de sa
mémoire. L'annulation de ses actes entraînait
l'omission du nom de souverain dans la liste des princes dont
le magistrat, entrant en charge, devait jurer de respecter
les édits. La condamnation de la mémoire
était une peine beaucoup plus grave : le
condamné était privé de sépulture
honorable ; défense était faite de porter son
deuil ; ses statues étaient supprimées, son nom
effacé de tous les monuments publics ou privés
où il était gravé. L'étude des
inscriptions permet de dresser la liste des empereurs dont le
nom a été martelé.
Succession de l'empereur
En principe, l'empire n'était pas
héréditaire ; si l'empereur mourait ou s'il
abdiquait, ce qui n'eut lieu, malgré quelques essais
infructueux, que sous Dioclétien, le pouvoir retombait
entre les mains des consuls et du sénat qui
désignait un nouveau souverain sous la forme
indiquée au début de cet article.
Mais les empereurs, cela se comprend aisément, ne
pouvaient guère se désintéresser de leur
succession ; et ils prirent de très bonne heure
l'habitude de désigner leur successeur par un choix
ferme : celui-ci était la plupart du temps soit leur
fils, naturel ou légitime ; soit, à
défaut d'enfant, un fils adoptif. Pendant le Ier
siècle, ils indiquèrent leur volonté en
instituant ce fils héritier de leur patrimoine ; plus
tard, à partir d'Hadrien, ils lui
réservèrent le titre de Caesar ; ils
essayèrent même de très bonne heure de
forcer le choix du sénat, en faisant conférer
à celui qu'ils désiraient appeler à
l'empire, l'imperium proconsulaire et la puissance
tribunicienne secondaire.
Le jeune prince, ainsi appelé à la
régence, était par là consors
imperii, particeps imperii ; ce n'est que rarement qu'on
lui donna le titre d'imperator destinatus, ou
même d'imperii heres. Il participait à
plusieurs des insignes et des privilèges
impériaux : la pourpre, la couronne de laurier, le
titre d'imperator, le droit d'effigie sur les
monnaies, etc. Mais, à moins de mandat spécial,
il n'exerçait aucun pouvoir militaire ni
législatif.
Cette conception conduisit au partage de l'empire entre deux
empereurs, fait qui se produisit pour la première fois
à la mort d'Antonin le Pieux. Cette nouvelle
combinaison avait pour but, avant tout, d'annuler
définitivement l'influence du sénat dans le
choix des empereurs.
Auparavant, à la mort du prince, il fallait sa
reconnaissance formelle pour que le César
désigné devînt Auguste ; désormais
l'Auguste associé à l'empire continua, son
collègue disparu, à exercer le principat : et
put, en choisissant un nouvel associé, préparer
à son tour sa succession sans avoir recours au
sénat.
Le régime de la tétrarchie inauguré par
Dioclétien ne fut que la combinaison et le
perfectionnement des deux systèmes, suivis pendant les
trois premiers siècles, que nous venons
d'esquisser.
Article de R. Cagnat