© Agnès Vinas

Le forum d'Auguste, dont la construction a été décidée en 42 avant JC à la suite d'un voeu émis par Octave lors de la bataille de Philippes, n'a été dédié que quarante ans plus tard, en 2 avant JC. Il se situe dans la continuité du Forum de Jules César, sur des terrains achetés par Auguste lui-même : le projet lui étant totalement personnel, il permet de prendre assez facilement la mesure des manipulations de sa propagande.


L'ensemble se compose d'un temple dédié à Mars Ultor, adossé à un très haut mur séparant le Forum des quartiers populaires de Suburre. Le temple était entouré de portiques et d'exèdres, et mis en valeur par une place assez profonde, au centre de laquelle se trouvait le quadrige d'Auguste. La répartition des masses architecturales ressemble donc assez à celle du Forum de Jules César, mais le programme iconographique témoigne d'une intention bien différente.

En effet, alors que le Forum de son prédécesseur mettait en scène une relation privilégiée, duelle, entre le dictateur et Venus Genetrix, l'ensemble des statues réparties dans le complexe d'Auguste propose une nouvelle lecture de l'Histoire.

En premier lieu, le rapport entre la statue de la place et celle qui se trouve au fond du temple a été rendu plus complexe : il ne s'agit plus du couple d'une déesse et d'un héros, mais d'une sorte de famille, puisqu'au quadrige d'Auguste Père de la Patrie répond au fond du temple une triade de divinités : Vénus, Mars et Jules César divinisé. Auguste, fils par adoption du divin Jules, apparaît donc comme le descendant de Vénus et de Mars. Quelle manipulation mythologique a permis une telle mise en scène ?




La mise en relation de différents mythes s'effectue dans les portiques et les deux exèdres qui encadrent le temple lui-même.

© Agnès Vinas

A gauche, se situe l'exèdre d'Enée, dont la légende a été réinventée par Virgile dans l'Enéide et déjà évoquée sur l'un des panneaux de l'Ara Pacis. Enée, fils de Vénus et père d'Iule, est l'ancêtre de toute la lignée des Iulii, qui d'ailleurs l'entourent dans cet exèdre. Une statue représentait probablement Enée, sauvant des flammes de Troie les Pénates de la ville et son vieux père Anchise en le portant sur les épaules, ce qui manifestait une pietas dont Auguste suggérait à son tour, dans les représentations iconographiques de type «Labicana», qu'il en était l'actuelle incarnation.
En face, dans l'exèdre de droite, Romulus, fils de Mars et de Rhea Silvia, portait un trophée de victoire, et était donc représenté comme le fondateur triomphal de Rome. Cette thématique guerrière répondait à la représentation martiale d'Auguste, dans le type «de Prima Porta», incarnant cette fois la virtus.

© Agnès Vinas

Les deux scènes, dramatisées, suggéraient donc un rapprochement entre l'histoire d'une famille, la gens Julia, et l'histoire d'une cité, Rome : grâce à la personnalité d'Auguste, qui tenait d'Enée sa pietas et de Romulus sa virtus, les deux histoires se fondaient enfin en une seule. Cette Histoire romaine était par ailleurs résumée dans les portiques par toute une série de statues de Romains soigneusement choisis pour leur exemplarité selon les canons de l'idéologie augustéenne, et qui constituaient autant de portraits symboliques des ancêtres. Il était donc évident que l'existence d'Auguste et la mise en place de son nouveau régime étaient la conclusion logique et providentielle de toute une chaîne mythique et historique, voulue par au moins deux divinités tutélaires, Mars et Vénus, réunies dans le même sanctuaire.

Que la réunion de ces deux divinités dans un même couple ne corresponde pas aux «canons» de la mythologie traditionnelle n'avait pas échappé à Ovide, dont l'esprit, toujours acide dans l'exil de Tomi, rappellerait l'adultère, en s'amusant de ce que l'époux légitime de Vénus, Vulcain, reste à la porte («Stat Venus Ultori juncta, viro ante fores», Fastes, II, 295). Mais le régime augustéen n'en était pas à une manipulation mythologique près...

© Agnès Vinas

Le Forum d'Auguste devint un lieu important de la vie civile à Rome : on y prenait la toge virile, les gouverneurs de provinces y étaient officiellement investis de leur commandement et y revenaient, de retour de mission, apporter les trophées de leurs victoires.

De nos jours, si le mur auquel est adossé le temple est toujours aussi impressionnant, de même que la hauteur du podium sur lequel le temple est installé, l'ensemble paraît tout de même écrasé dans la mesure où la moitié de la place d'Auguste, qui donnait du recul à tout le complexe, est occupée par la Via dei Fori Imperiali de Mussolini.


Reconstitution virtuelle sur le site www.unicaen.fr