Marc-Aurèle

© Agnès Vinas

XI. Post eum MARCUS ANTONINUS solus rempublicam tenuit, vir, quem mirari facilius quis, quam laudare possit. A principio vitae tranquillissimus, adeo ut in infantia quoque vultum nec ex gaudio, nec ex maerore mutaret. Philosophiae deditus stoicae ; ipse etiam non solum vitae moribus, sed etiam eruditione philosophus : tantae admirationis adhuc juvenis, ut eum successorem paraverit Hadrianus relinquere : adoptato tamen Antonino Pio, generum esse ei idcirco voluerit, ut hoc ordine ad imperium perveniret.

XI. La république fut gouvernée, après lui, par le seul MARC-ANTONIN, prince qu'il est plus facile d'admirer que de louer dignement. Il avait, dès ses premières années, une telle égalité d'âme, que, même dans son enfance, ni la tristesse ni la joie ne changeaient son visage. Voué à la philosophie stoïcienne, philosophe par ses moeurs aussi bien que par ses doctrines, il se fit, quoique jeune encore, admirer si généralement, qu'Hadrien eut le projet d'en faire son successeur; mais ce prince, ayant adopté déjà Antonin le Pieux, voulut du moins qu'il en devînt le gendre, afin de lui frayer ainsi le chemin à l'empire.

XII. Institutus est ad philosophiam per Apollonium Chalcedonium ; ad scientiam literarum Graecarum per Sextum Chaeronensem, Plutarchi nepotem ; Latinas autem literas eum Fronto, orator nobilissimus, docuit. Hic cum omnibus Romae aequo jure egit, ad nullam insolentiam elatus imperii fastigio : liberalitatis promptissimae ; provincias ingenti benignitate et moderatione tractavit. Contra Germanos eo principe res feliciter gestae sunt. Bellum ipse unum gessit Marcomannicum, sed quantum nulla memoria fuit, adeo ut Punicis conferatur. Nam eo gravius est factum, quod universi exercitus Romani perierant. Sub hoc enim tantus casus pestilentiae fuit, ut post victoriam Persicam, Romae ac per Italiam provinciasque maxima hominum pars, militum omnes fere copiae languore defecerint.

XII. Ses maîtres furent, pour la philosophie, Apollonius de Chalcédoine ; pour la littérature grecque, Sextus de Chéronée, petit-fils de Plutarque ; pour les lettres latines, Fronton, le plus fameux orateur de ce temps-là. Il vécut, à Rome, avec tous les citoyens comme leur égal : la souveraine puissance ne lui donna aucun orgueil ; sa libéralité allait au-devant des désirs. Il traita les provinces avec une douceur et une modération infinies. On obtint, sous lui, quelques succès contre les Germains ; il ne fit en personne, que la guerre des Marcomans, la plus terrible de toutes celles dont on ait gardé le souvenir, et comparable aux guerres puniques. Des armées romaines périrent en entier dans cette guerre désastreuse. La peste fit aussi de tels ravages après la défaite des Perses, qu'à Rome, dans l'Italie, dans les provinces, la plus grande partie des habitants et presque toutes les troupes succombèrent aux atteintes du mal.

XIII. Ingenti ergo labore et moderatione, cum apud Carnuntum jugi triennio perseverasset, bellum Marcomannicum confecit, quod cum his Quadi, Vandali, Sarmatae, Suevi atque omnis barbaria commoverat : multa hominum millia interfecit, ac, Pannoniis servitio liberatis, Romae rursus cum Commode Antonino, filio suo, quem jam Caesarem fecerat, triumphavit. Ad hujus belli usum, aerario exhausto, cum largitiones nullas haberet, neque indicere provincialibus aut senatui aliquid vellet, instrumentum regii cultus, facta in foro divi Trajani sectione, distraxit : vasa aurea, pocula crystallina et murrhina, uxoriam ac suam sericam et auream vestem, multa ornamenta gemmarum ; ac per duos continuos menses ea venditio habita est, multumque auri redactum. Post victoriam tamen emtoribus pretia restituit, qui reddere comparata voluerunt : molestus nulli fuit, qui maluit semel emta retinere.

XIII. Ce fut donc à force de fatigues et de patience, et après avoir persévéré trois ans devant Carnunte, qu'il termina la guerre des Marcomans, dont la révolte avait entraîné celle des Quades, des Vandales, des Sarmates, des Suèves, et de tous les pays barbares. Des milliers d'ennemis tombèrent sous ses coups, et quand il eut délivré la Pannonie de la servitude, il revint à Rome, où il triompha pour la seconde fois avec Commode Antonin, son fils, qu'il avait déjà fait César. Les frais de cette guerre avaient épuisé le trésor ; aussi, ne pouvant faire aucune largesse aux troupes, et ne voulant imposer de contribution ni aux provinces ni au sénat, il fit vendre aux enchères, dans le forum de Trajan, tous les objets du luxe royal, de la vaisselle d'or, des vases de cristal, des coupes murrhines, des robes tissues d'or et de soie, appartenant à sa femme et à lui, une infinité de pierres précieuses, ornements de leur puissance. La vente dura deux mois consécutifs, et produisit des sommes considérables. Toutefois, après la victoire, il rendit le prix de ces objets aux particuliers qui voulurent bien s'en dessaisir, et n'inquiéta aucun de ceux qui aimèrent mieux les garder.

XIV. Hic permisit viris clarioribus, ut convivia eodem cultu, quo ipse, et ministris similibus, exhiberent. In editione munerum post victoriam adeo magnificus fuit, ut centum simul leones exbibuisse tradatur. Cum igitur fortunatam rempublicam et virtute et mansuetudine reddidisset, obiit XVIII imperii anno, vitae LXI, et omnibus certatim annitentibus, inter divos relatus est.

XIV. Il permit aux plus illustres citoyens de déployer dans leurs festins le même luxe que lui, et de s'y faire servir par des officiers semblables. Dans les jeux qu'il donna pour célébrer sa victoire, il poussa si loin la magnificence, qu'il fit, dit-on, paraître cent lions à la fois. Après avoir fait par son courage et sa bonté le bonheur de la république, il mourut dans la dix-huitième année de son règne et la soixante-unième de son âge (Ap. JC. 180), et la voix unanime des peuples ratifia le décret qui le mit au rang des dieux.