Si je voulais faire ici ce que j'ai fait en mes deux derniers ouvrages, et te donner le texte ou l'abrégé des auteurs dont cette histoire est tirée, afin que tu pusses remarquer en quoi je m'en serais écarté pour l'accommoder au théâtre, je ferais un avant-propos dix fois plus long que mon poème, et j'aurais à rapporter des livres entiers de presque tous ceux qui ont écrit l'histoire romaine. Je me contenterai de t'avertir que celui jdont je me suis le plus servi a été le poète Lucain, dont la lecture m'a rendu si amoureux de la force de ses pensées et de la majesté de son raisonnement, qu'afin d'en enrichir notre langue, j'ai fait cet effort pour réduire en poème dramatique ce qu'il a traité en épique. Tu trouveras ici cent ou deux cents vers traduits ou imités de lui. J'ai tâché de le suivré dans le reste, et de prendre son caractère quand son exemple m'a manqué : si je suis demeuré bien loin derrière, tu en jugeras. Cependant j'ai cru ne te déplaire pas de te donner ici trois passages qui ne viennent pas mal à mon sujet. Le premier est un épitaphe de Pompée, prononcé par Caton dans Lucain. Les deux autres sont deux peintures de Pompée et de César, tirées de Velleius Paterculus. Je les laisse en latin, de peur que ma traduction n'ôte trop de leur grâce et de leur force ; les dames se les feront expliquer.
EPITAPHIUM POMPEII MAGNI.
Cato, apud Lucanum, lib. IX (vers 190-214)
Civis obit, inquit, multo majoribus impar | Enfin les cieux, dit-il, nous ravissent un homme |
ICON POMPEII MAGNI
Velleius Paterculus, lib.II, cap. XXIX
Fuit hic genitus matre Lucilia, stirpis senatoriae, forma excellens, non ea qua flos commendatur aetatis, sed dignitate et constantia, quae in illam conveniens amplitudinem, fortunam quoque ejus ad ultimum vitae comitata est diem : innocentia eximius, sanctitate praecipuus, eloquentia medius ; potentiae, quae honoris causa ad eum deferretur, non ut ab eo occuparetur, cupidissimus ; dux bello peritissimus ; civis in toga (nisi ubi vereretur ne quem haberet parem) modestissimus, amicitiarum tenax, in offensis exorabilis, in reconcilianda gratia fidelissimus, in accipienda satisfactione facillimus, potentia sua nunquam aut raro ad impotentiam usus ; paene omnium votorum expers, nisi numeraretur inter maxima, in civitate libera dominaque gentium, indignari, quam omnes cives jure haberet pares, quemquam aequalem dignitate conspicere.
Il (Pompée) eut pour mère Lucilia : il était de l'ordre des sénateurs, beau par excellence, non pour cette fleur de l'âge de laquelle on fait tant d'état, mais pour sa dignité et généreuse grandeur, qui lui était fort convenable et qui accompagna sa fortune jusques au dernier période de sa vie ; il était parfait en bonté, des premiers en bonne vie, médiocre en éloquence, très désireux du pouvoir qu'on lui déférait par honneur, mais non pas pour en abuser ; capitaine fort expérimenté à la guerre, vrai citoyen en temps de paix, et qui n'avait point son semblable ; fort modeste, constant en ses amitiés, facile à pardonner étant offensé, prêt à recevoir la satisfaction de chacun ; qui n'abusait jamais ou bien rarement de son pouvoir ; et, ce qui mérite d'être mis au rang des choses plus grandes, il était fâché de se voir le premier en dignité en une ville libre et maîtresse du monde, quoiqu'il eût à bon droit tous les citoyens pour ses pareils. (Pages 33 et 34.)
[Nous tirons la traduction de cet extrait et du suivant, de l'Histoire romaine de Velleius Paterculus publiée à Paris, chez Jean Gesselin, en 1610, in-4°. L'auteur de cette version française anonyme est J. Baudoin ; elle forme l'appendice de sa traduction de Tacite. Les deux ouvrages font deux volumes.]
ICON C. J. CAESARIS
Velleius Paterculus, lib. II, cap. XLI
Hic, nobilissima Juliorum genitus familia, et, quod inter omnes antiquissimos constabat, ab Anchise ac Venere deducens genus, forma omnium civium excellentissimus, vigore animi acerrimus, munificentia effusissimus, animo super humanam et naturam et fidem evectus, magnitudine cogitationum, celeritate bellandi, patientia periculorum. Magno illi Alexandro, sed sobrio, neque iracundo, simillimus ; qui denique semper et somno et cibo in vitam, non in voluptatem uteretur.
Il était issu de la noble race des Jules et tirait son extraction (selon que les anciens nous ont laissé par écrit) d'Anchise et de Vénus. C'était le plus beau de tous les citoyens, fort subtil en vigueur et force d'esprit, très libéral, l'âme duquel était relevée par-dessus toute créance humaine ; pareil en tout point à ce grand Alexandre, mais sobre et qui ne se laissait point vaincre par la colère ; en grandeur de desseins, habileté de combattre et patience dans les dangers ; qui ménageait sa nourriture et son repos, plus pour l'usage de sa vie que pour l'entretien des voluptés.