II - Romulus (an de Rome 1 à 37)

Chapitre 1SommaireChapitre 3

Romulus offrit un asile (1) à tous les étrangers qui voudraient se rendre auprès de lui. Il en eut bientôt formé une armée considérable (2) ; mais, voyant que ses soldats manquaient de femmes, il en fit demander aux peuples voisins par ses ambassadeurs. Sur leur refus, il dissimula, et fit publier des jeux solennels en l'honneur du dieu Consus (3). Une multitude de personnes des deux sexes y accoururent de tous les environs. Pendant qu'on les célébrait, Romulus donna un signal aux soldats, et dans l'instant même ils enlevèrent toutes les jeunes filles venues pour y assister. Parmi elles, il s'en trouva une d'une beauté admirable. On demanda aux soldats qui s'en étaient emparés auquel d'entre eux ils la destinaient ; ils la conduisaient à Thalassius (4). L'union de ce Romain avec la belle étrangère ayant été fort heureuse, la coutume s'introduisit à Rome de prononcer dans toutes les noces, à plusieurs reprises, le nom de Thalassius. Les Céciniens furent les premiers à prendre les armes pour tirer vengeance de l'attentat des soldats de Romulus. Ce prince marcha contre eux, les vainquit, tua dans un combat singulier. Acron, leur chef, et en consacra dans le Capitole les dépouilles opimes (5) à Jupiter Férétrien (6). Pour la même cause, les Antemnates, les Crustuméniens, les Fidénates, les Véiens et les Sabins déclarèrent la guerre aux Romains. Comme ils approchaient de Rome, ils rencontrèrent une jeune fille, nommée Tarpéia, qui venait de descendre du Capitole, pour puiser l'eau nécessaire aux sacrifices. T. Tatius, général de l'armée, lui promit la récompense qu'elle demanderait, si elle introduisait ses troupes dans la citadelle. Elle lui demanda ce que ses soldats portaient à leur bras gauche, voulant parler de leurs anneaux et de leurs bracelets (7). Tatius le lui ayant promis avec le dessein de la tromper, elle ouvrit aux Sabins l'entrée du Capitole. Alors leur général ordonna qu'ils jettassent sur elle leurs boucliers, qu'ils soutenaient du bras gauche, pensant ainsi exécuter sa promesse. Romulus, informé que Tatius venait de s'emparer du mont Tarpéien, s'avança contre lui, et lui livra bataille, dans l'endroit même où est situé aujourd'hui le forum (8). Là périt Hostus Hostilius, en combattant avec la plus grande valeur. Consternés de cette mort, les Romains prirent la fuite. Dans ce moment critique, Romulus fait voeu de bâtir un temple à Jupiter Stator (9). Ses troupes s'arrêtent tout court, soit par hasard, soit par inspiration divine. Ce fut alors que les femmes enlevées par les Romains, s'avançant sur le champ de bataille, conjurèrent d'un côté leurs pères, de l'autre leurs époux de faire la paix. Leurs prières eurent un heureux succès. Romulus lit un traité d'alliance avec les Sabins, les reçut dans la ville, et donna à ce mélange des deux peuples le nom de quirites, de celui de Cures, ville des Sabins. Ce prince composa ensuite un sénat de cent vieillards, auxquels il donna le nom de pères, voulant leur faire comprendre, par cette dénomination, qu'ils devaient être animés envers leurs concitoyens des mêmes sentimens que les pères ont pour leurs enfants. Il institua de plus trois centuries de chevaliers. La première fut appelée Ramnienne de son nom ; la seconde Tatienne de celui de Tatius, et la troisième Lucérienne du mot Lucumon (1O). Enfin, il partagea le peuple en trente curies, à chacune desquelles il donna le nom d'une des Sabines, les plus distinguées parmi celles qui avaient été enlevées. Un jour que Romulus passait son armée en revue, auprès du marais de la Chèvre, il disparut et ne put être retrouvé. Cet événement ayant soulevé le peuple contre les sénateurs, Julius Proculus, illustre personnage, s'avança au milieu des Romains assemblés, et leur assura avec serment que le roi lui était apparu sur le mont Quirinal ; que son aspect était plus auguste (11), et qu'en allant prendre place parmi les dieux immortels, il lui avait ordonné d'avertir les Romains de s'abstenir de tout mouvement séditieux, de pratiquer la vertu, et de leur annoncer qu'ils seraient un jour les maîtres de toutes les nations. L'autorité de Proculus imposa au peuple. D'après son témoignage, on bâtit sur le mont Quirinal un temple à Romulus, et on l'adora comme un dieu sous le nom de Quirinus (12).


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(1)  L'asile était un lieu sacré, situé entre deux petits bois, entourés d'un mur de pierre. Ce mot est grec, et le latin confugium en est l'équivalent. C'était un crime de tirer d'un asile quiconque s'y était réfugié.

(2)  Il faut entendre, par cette armée considérable, une troupe d'hommes armés de toute manière, et dont le nombre était grand en proportion et de l'étendue de la nouvelle ville, et des forces que les peuples voisins pouvaient mettre sur pied. Dans quelques manuscrits on lit : Mox exercitu facto, au lieu de exercitu magno, etc.

(3)  Ce dieu Consus est, selon Tite-Live, le même que Neptune Equestre. Son nom lui vient de consilium, parce qu'il passait pour donner de bons conseils. Les jeux qu'on célébrait en son honneur étaient magnifiques, et avaient lieu dans le grand cirque ; pendant toute leur durée, les chevaux et les mulets se reposaient, et on les couronnait de fleurs.

(4)  Ce Thalassius était sans doute le chef d'un certain nombre de soldats, comme on en peut juger par ces paroles de Tite-Live : «Unam longe ante alias specie ac pulchritudine insignem a globo Thalassii cujusdam captant ferunt, multisque sciscitantibus cuinam eam ferrent, identidem, nequis violaret Thalassio ferri clamitatum». On rapporte qu'une de ces filles, qui surpassait toutes les autres par sa beauté, fut enlevée par la troupe d'un certain Thalassius ; et que, comme on demandait aux soldats qui ils la destinaient, ils répondirent, de peur que quelqu'un ne la violait, qu'ils la portaient à Tbalassius. Depuis ce temps-là, les Romains invoquèrent ce nom dans les noces, comme les Grecs ceux d'hymen et d'hyménée.

(5)  On nommait ainsi les dépouilles qu'un général romain enlevait au chef des ennemis, après l'avoir tué. Opima veut dire grasse, riche.

(6)  On interprète ce mot de plusieurs manières. Les uns, comme Plutarque et Tite-Live, le font dériver de ferendo, parce que Romulus, d'après un voeu qu'il avait fait, porta à Jupiter les dépouilles d'Acron sur un brancard fabriqué à cet effet ; d'autres de feriendo, parce que Jupiter montre sa puissance, en frappant de la foudre, ou parce qu'on ne peut tuer son ennemi saos le frapper. La première interprétation qui tire férétrien de feretrum nous semble la meilleure.

(7)  Ces anneaux et ces bracelets étaient des ornements d'or, que les soldats recevaient de leurs généraux en récompense de leur bravoure. Ils les portaient au bras gauche comme leurs boucliers.

(8)  Il faut entendre ici le forum romain, le grand forum, qui était situé entre le mont Palatin et le Capitole. On y voyait la tribune d'où les tribuns haranguaient le peuple ; et c'était dans son enceinte que se décidaient souvent les plus importantes affaires de la république. Il était entouré de portiques, et plusieurs temples s'élevaient dans son voisinage.

(9)  On pense assez communément que ce surnom de Stator fut alors donné à Jupiter, parce que, par sa volonté, l'armée de Romulus s'arrêta tout à coup comme elle fuyait ; mais Sénèque est d'un autre sentiment. Voici ses paroles, 1.4, de benef., c. 7 : Stator, non ut historici tradiderunt, ex eo quod post votunt susceptum acies Romanorum fugientium stetit ; sec quod stant beneficio ejus omnia, stator stabilitor que est. «Jupiter n'est point Stator, parce que, ainsi que plusieurs historiens l'ont prétendu, l'armée fugitive des Romains s'arrêta tout court, après le voeu de Romulus ; mais parce que tout subsiste par lui, que tout s'établit et se consolide par sa puissance». n

(10)  Trois manuscrits portent a luce communione luceres, etc. Tite-Live convient que la diversité des opinions l'empêche de décider si le nom de cette centurie lient de Lucumon, ou de Lucus, ou de Lucerus, roi d'Ardée. Servius, dans son commentaire sur Virgile, En. 1.10, v. 202, nous apprend qu'en Etrurie chaque curie était présidée par un Lucumon. Il ne serait donc pas surprenant qu'un Lucumon eût rempli une charge semblable chez les Romains, et qu'on eût donné son nom à une centurie de chevaliers. S'il nous est permis de former une conjecture à ce sujet, les copistes auront pris lucumone pour une abréviation des deux mots luci communione, à cause de la manière dont ils auront trouvé ce nom écrit.

(11)  Le mot augustus est un adjectif qui présente à l'esprit l'idée d'une qualité divine. Les uns le font dériver des mots ab avium gestu, gustatu, d'après ce vers d'Ennius :
Augusto augurio postquam inclyta condita Roma est.
Les autres du participe auctus, ou du gérondif augendo, parce que l'antiquité s'imaginait que les dieux étaient d'une taille bien plus élevée que celle des hommes, et que les mortels qui étaient reçus parmi eux devenaient plus grands qu'ils ne l'avaient été pendant leur vie. Nous donnons souvent le nom d'auguste à un temple, à un monarque, et aux objets qui tiennent au culte religieux.

(12)  C'est le nom de Quirinus qui donna lieu à l'institution des fêtes quirinales, autrement fêtes des Fous. Elles se célébraient le 13 des kalendes de mars, avant la réformation du calendrier par Jules César.