Préambule I- Empire et papauté II- Diex el vol III- Une irruption aragonaise en Languedoc (1286) IV- Abyssus abyssum invocat |
Nous aurions voulu pouvoir, à la suite du récit de
l'irruption aragonaise en Languedoc, mettre le mot FIN, mais
hélas ! la Croisade de 1285 devait faire verser d'autre
sang et amener de nouvelles désolations ; de même
que l'inutile expédition de Philippe-le-Hardy avait
poussé les Aragonais en Languedoc, les cruautés
commises par les troupes de Roger de Loria devaient
également susciter des représailles qui, elles
aussi, devaient encore attirer de nouvelles cruautés :
c'est une vérité malheureusement trop
évidente que la guerre appelle la guerre.
A la nouvelle des excès commis par les Aragonais, le roi
de France Philippe IV, dit le Bel, fils et successeur de
Philippe-le-Hardy, réunit une année en Languedoc
et l'envoya, ainsi que des secours en argent, au roi Jacques de
Majorque ; celui-ci envahit l'Ampourdan (partie de la Catalogne
limitrophe du sud du Roussillon) et s'empara du château de
Rocaberti, de Cantallops, de la Junquéra, de Requesens,
de Capmagn, de Massanet, de Caprère, etc., du
monastère de San Quirico qu'il saccagea et dont il emmena
captifs l'abbé et les religieux et alla ensuite mettre le
siège devant Castelnou qui se rendit ; mais à
l'approche du roi d'Aragon, qui avait réuni ses troupes
à Peralada et qui, suivant l'expression de l'Anonyme
de Ripoll, «avait soif d'atteindre les ennemis»,
Jacques de Majorque se retira. Le roi Alphonse
pénétra en Roussillon, s'avança jusqu'au
Boulou et ne trouvant pas de quoi éteindre sa soif revint
en Catalogne. Peu après fut conclue entre l'Aragon, la
France et Majorque une trève qui, commençant le 8
septembre 1286, devait durer jusqu'au 29 du même mois de
l'année suivante ; elle n'amena malheureusement pas la
paix, et, après son expiration, le roi de Majorque
envahit de nouveau l'Ampourdan en 1288 et mit le siège
devant le château de Cort-Avigno ; mais sur la nouvelle
que le roi Alphonse s'avançait contre lui, il regagna le
Roussillon. Le monarque aragonais pénétra en
Cerdagne et mit ce pays, excepté Puigcerda, Belver,
Llivia et Dalo, à feu et à sang, ainsi que le
Capcir et le Conflent jusqu'à Villefranche ; ce fut un
vaste incendie : «Jamais dans nos pays, dit l'Anonyme
de Ripoll, on n'avait ouï parler d'un si grand
saccagement des blés et autres choses». Cet
incendie et cette destruction terminés, le roi d'Aragon
s'avança sur Ribas (Cerdagne espagnole) dont il s'empara
et rentra ensuite en Catalogne. Peu de jours après, le
roi de Majorque accompagné de bandes françaises se
présenta devant Ribas qu'il assiéga pendant deux
jours, mais sur le bruit de l'approche d'Alphonse il se
retira.
Sur le trône de saint Pierre, Honorius IV avait
succédé à Martin IV et ce pape pressait le
roi de France d'entreprendre une nouvelle expédition
contre le roi d'Aragon qui occupait toujours la Sicile, mais
Philippe-le-Bel, à la mémoire duquel
étaient présents les sanglants épisodes de
la Croisade de 1285, ne se souciait guère pour complaire
à Rome, d'attirer sur les Francais les mêmes revers
qui les avaient assaillis alors. La papauté, en la
personne de Nicolas IV, qui avait, en 1288,
succédé à Honorius IV, dut s'incliner ; des
plénipotentiaires se réunirent d'abord à
Perpignan en février 1290 et en mars suivant à
Tarascon en Provence, où la paix fut conclue entre la
France et l'Aragon.
La papauté n'ayant pu enlever à Alphonse son
royaume d'Aragon, se donna par ce traité le vain
mérite de le lui laisser. et la Sicile, cause
première (par suite du mariage d'Henri VI de Souabe avec
Constance de Sicile) de tous les événements que
nous venons de dérouler, la Sicile qui avait
provoqué l'antagonisme de la Papauté et de
l'Empire, la Sicile qui devait être le
théâtre d'une si sanglante scène et de si
émouvants événements entre lesquels on
pourrait presque compter l'exécution à Naples du
sympathique Conradin, la Sicile dont la possession avait
provoqué la désastreuse Croisade de 1285 et ses
sanglantes conséquences, la Sicile, disons-nous, resta au
pouvoir du roi d'Aragon dont les descendants et les successeurs
devaient la posséder jusqu'en 1860, alors que l'Empire
avait déjà croulé depuis un
demi-siècle, et que ne devait pas tarder à sombrer
et à disparaître au milieu d'une des plus
effroyables tourmentes que puisse mentionner notre histoire, le
pouvoir temporel de la Papauté (1).
© S.A.S.L. des P-O.
Cet article a été publié dans le volume
XXI du Bulletin de la SASL, pp.394-454, Perpignan, 1874.
1- DESCLOT, p. 376. - Anonyme de Ripoll, p.575-576. -
ZURITA, t. I, liv. IV, cap. 82. - VAISSETTE, t.IV, p.
66-67. |