I. Apollon savait bien que Laïus n'obéirait pas à son oracle. Il ne laissa pas pour cela de prédire à Laïus les malheurs qui le menaçaient. La bonté des dieux ne lasse jamais d'avertir les hommes. Cette source de vérité coule toujours, mais les hommes sont toujours incrédules, désobéissants, rebelles.
II. Mon ami, es-tu un homme ou une femme ? Si tu es un homme, orne-toi donc comme un homme, et ne nous fais pas voir un prodige, un monstre. Que voulait dire Socrate, quand il disait à Alcibiade de se rendre plus beau ? Il lui conseillait de négliger la beauté du corps pour ne travailler qu'a celle de l'âme. - Il faut donc que je sois sale et malpropre ? - Point du tout. Mais il faut que ta propreté soit mâle et digne de l'homme.
III. Quand un corbeau te prédit quelque chose par ses croassements, tu crois que c'est un dieu qui te parle, et non le corbeau. Quand un philosophe t'avertit, crois de même que c'est un dieu qui t'avertit, et non pas le philosophe.
IV. De même qu'un marchand ne refuse pas une monnaie de bon aloi, qui est marquée au coin du prince, de même l'âme ne refuse point les véritables biens. Elle en reçoit souvent de faux, mais c'est que le coin du prince l'a trompée, et qu'elle n'a pas l'art d'en connaître la fausseté.
V. L'âme est comme un bassin plein d'eau ; ses opinions sont la lumière qui éclaire ce bassin. Lorsque l'eau du bassin est agitée, il semble que la lumière le soit aussi ; elle ne l'est pourtant point. Il en est de même de l'homme ; quand il est troublé et agité, les vertus ne sont point bouleversées et confondues, ce sont ses esprits qui sont en mouvement. Que ses esprits soient rassis, et tout sera tranquille.
VI. Tu vas à l'amphithéâtre et aussitôt tu prends parti, et tu veux que tel acteur, que tel athlète soit couronné. Les autres veulent que ce soit un autre qui remporte la victoire. Tu es fâché de cette contradiction ; car tu es préteur, et tu prétends que tout te cède. Mais les autres n'ont-ils pas aussi leur opinion ? N'ont-ils pas leur volonté ? Et n'ont-ils pas le même droit de s'offenser de ce que tu t'opposes à ce qui leur paraît juste ? Si tu veux être tranquille et ne trouver jamais d'opposition, ne souhaite la couronne qu'à celui qui sera couronné. Ou si tu veux être le maître de la donner à qui bon te semble, fais jouer des jeux chez toi en ton particulier, et alors de ta propre autorité tu publieras : «Un tel a vaincu aux jeux néméaques, pythiques, isthmiques, olympiques». Mais, en public, ne t'arroge point ce qui ne t'appartient pas, et admets la liberté des suffrages.
VII. Il faut que la mort vienne à nous tôt ou tard. Dans quelle occupation nous surprendra-t-elle ? Un laboureur sera occupé du soin de son labourage, un jardinier de celui de son jardin ; un marchand de celui de son commerce. Et toi à quoi seras-tu occupé ? Pour moi, je souhaite de tout mon coeur que dans ce dernier moment elle ne me trouve occupé qu'à régler ma volonté, afin que sans trouble, sans empêchement et sans contrainte, je fasse en homme libre cette dernière action, et que je puisse dire aux dieux : «Ai-je violé vos commandements ? Ai-je abusé des présents que vous m'avez faits ? Ne vous ai-je pas soumis mes sens, mes voeux, mes opinions ? Me suis-je jamais plaint de vous ? Ai-je accusé votre providence ? J'ai été malade, parce que vous l'avez voulu, et je l'ai voulu de même. J'ai été pauvre, parce que vous l'avez voulu, et j'ai été content de ma pauvreté. J'ai été dans l'esclavage, parce que vous l'avez voulu, et je n'ai jamais désiré en sortir. M'avez-vous jamais vu triste de mon état ? M'avez-vous surpris dans l'abattement et dans le murmure ? Je suis encore tout prêt à subir tout ce qu'il vous plaira ordonner de moi. Le moindre signal de votre part est pour moi un ordre inviolable. Vous voulez que je me retire de ce spectacle magnifique, j'en sors et je vous rende mille très humbles grâces de ce que vous avez daigné m'y admettre pour me faire voir tous vos ouvrages, et pour étaler à mes yeux l'ordre admirable avec lequel vous gouvernez cet univers».
VIII. Qu'est-ce que le sens commun ? Il y a dans tous les hommes une ouïe générale et commune, qui fait qu'ils discernent également les voix et qu'ils entendent toutes les paroles que l'on prononce ; mais il y a une autre ouïe, une ouïe artificielle, qui discerne et note les tons. II y a de même dans tous les hommes un certain sens naturel qui, lorsqu'ils n'ont pas quelque défaut marqué dans l'esprit, fait qu'ils entendent également tout ce qu'on leur propose, et cette disposition est égale dans tous les hommes ; c'est ce que l'on appelle sens commun.
IX. Les hommes mous ne se prennent pas plus aux préceptes de la philosophie, que le fromage mou à l'hameçon.
X. Comme il n'est pas au pouvoir de l'homme de donner son consentement à ce qui lui paraît faux, et de le refuser à ce qui lui paraît vrai, il n'est pas non plus en son pouvoir de rejeter ce qui lui paraît bon. L'épicurien, qui dit que le vol n'est pas un mal, mais que c'est un mal d'être surpris, volera certainement, s'il peut le faire sans qu'on le voie.
XI. Imaginez-vous une ville gouvernée selon les maximes d'Epicure. Tout y sera bouleversé ; il n'y aura aucune forme de ville ; point de mariages, point de magistrats, point de collèges, aucune police, nulle éducation. La piété, la sainteté, la justice et la pudeur en seront bannies. On n'y suivra que de mauvaises opinions, des opinions pernicieuses aux villes, et que les femmes même les plus débauchées n'oseraient soutenir. Au lieu que, dans une ville gouvernée selon les maximes que dicte la raison, on verra régner la décence et l'ordre. On y suivra les saines opinions ; toutes les vertus y seront honorées ; la justice y fleurira ; la police y sera bien réglée ; on se mariera, on aura des enfants, on les élèvera ; on servira les dieux. Là, le mari se contentera de sa femme, et ne convoitera point celle de son prochain ; il sera content de son bien, et ne désirera point celui des autres. En un mot, tous les devoirs y seront remplis, et toutes les liaisons bien entretenues.
XII. Je suis préteur en Grèce. - Toi préteur ? Et sais-tu juger ? Où as-tu donc appris cette science ? - J'ai la patente de César - Et si César t'avait envoyé une patente pour juger de la musique, à toi qui n'en as jamais appris une note, qu'en ferais-tu, et à quoi te servirait-elle ? Mais je passe là-dessus. Je te demande seulement par quelles voies tu as obtenu ta charge. Qui te l'a procurée ? A qui as-tu baisé la main ? A quelle porte as-tu couché ? A qui as-tu fait des présents ? Par quelles bassesses, par quelles indignités, par quelles faussetés l'as-tu achetée ?
XIII. Tu vas à Rome, tu entreprends ce long voyage pour avoir dans ta patrie une plus belle charge que celle dont tu es revêtu. Quel voyage as-tu jamais fait pour avoir de meilleures opinions et de meilleurs sentiments ? Qui as-tu jamais consulté pour corriger ce qu'il y a en toi de défectueux ? En quel temps, à quel âge t'es-tu avisé d'examiner tes opinions ? Parcours toutes les années de ta vie, tu trouveras que tu as toujours fait ce que tu fais aujourd'hui.
XIV. Tu passes par cette ville, et, pendant que l'on fait marché d'un vaisseau, tu dis : «Allons voir un moment Epictète, nous entendrons ce qu'il dit». Tu viens, tu me vois et voilà tout. Qu'est-ce donc que converser avec un homme ? N'est-ce pas lui demander quelles sont ses opinions, et lui expliquer les siennes ? - J'ai une fausse opinion, arrache-la moi. - Tu es dans un faux préjugé, souffre que je le guérisse... Voila ce que c'est que converser avec un philosophe. Au lieu de cela, tu me rends une visite, et, mal payé de ta peine, tu t'en retournes en disant : «Epictète n'est pas grand'chose. Qu'il parle grossièrement ! Il ne sait pas seulement sa langue». Est-ce là ce dont il s'agit ? Voilà comme sont faits les hommes, ils cherchent de beaux parleurs, et ils sont tous les jours ensemble, comme des statues, sans se connaître, sans s'examiner les uns les autres, et sans se rendre meilleurs. L'amusement ou la curiosité font tous nos empressements et tous nos commerces.
XV. Tu as acquis beaucoup de belles choses, tu as beaucoup de vases d'or et d'argent, tu es riche. Mais le meilleur bien te manque : la constance, la soumission aux ordres des dieux, la tranquillité, l'exemption de trouble et de crainte. Pour moi, tout pauvre que je suis, je suis plus riche que toi. Je ne me soucie point d'avoir un patron à la cour, je ne me soucie point de ce qu'on pourra dire de moi au prince, et je ne flatte personne. Voilà ce qui me tient lieu de tous les biens. Tu as des vases d'or et d'argent, mais toutes tes pensées, tous tes désirs, toutes tes inclinations, toutes tes actions sont de terre.
XVI. Un enfant met sa main dans un pot à ouverture étroite où il y a des noisettes et des figues ; il en emplit sa main tant qu'elle en peut tenir, et, ne pouvant la retirer si pleine, il se met à pleurer. - Mon enfant, laisses-en la moitié, et tu retireras ta main assez garnie... Tu es cet enfant. Tu désires beaucoup et tu ne peux l'obtenir ; désire moins, et tu l'auras.
XVII. Tu as la fièvre, et tu te plains, dis-tu, parce que tu ne peux étudier. Eh ! pourquoi donc étudies-tu ? N'est-ce pas pour devenir patient, constant, ferme ? Sois-le dans la fièvre, et tu sais tout. La fièvre est une partie de la vie, comme la promenade, les voyages, et elle est même plus utile, parce qu'elle éprouve le sage, et qu'elle lui montre le progrès qu'il a fait.
XVIII. Tu as la fièvre. Mais si tu l'as comme il faut, tu as tout ce que tu peux avoir de mieux dans la fièvre. Qu'est-ce qu'avoir la fièvre comme il faut ? C'est ne te plaindre ni des dieux, ni des hommes, ni t'alarmer point de tout ce qui peut arriver, car tout ira fort bien ; attendre courageusement la mort ; ne pas te réjouir excessivement quand le médecin te dit que tu es mieux, et ne pas t'affliger non plus quand il te dit que tu es plus mal. Car qu'est-ce qu'être plus mal ? C'est approcher du terme où l'âme se séparera du corps. Appelles-tu cette séparation un mal ? Et si elle ne vient pas aujourd'hui, ne viendra-t-elle pas demain ? Le monde périra-t-il quand tu seras mort ? Sois donc tranquille, dans la fièvre comme dans la santé.
XIX. Souviens-toi toujours de ce qu'Eumée dit dans Homère à Ulysse qu'il ne reconnaissait point et qui le remerciait de ses bons traitements. «Etranger, il ne m'est pas permis de mépriser, de maltraiter un étranger qui vient chez moi, quand même il serait dans un état plus vil et plus méprisable que celui où tu es, car les étrangers et les pauvres viennent des dieux». Dis la même chose à ton frère, à ton père, à ton prochain : «Il ne m'est pas permis d'en user mal avec vous, quand vous seriez encore pis que vous n'êtes, car vous venez des dieux».
XX. Que nos austérités et nos exercices corporels ne soient ni extraordinaires, ni incroyables, ni pour la montre et l'ostentation, autrement nous sommes des bateleurs et non des philosophes.
XXI. Les habitudes ne se surmontent que par les habitudes contraires. Tu es accoutumé à la volupté, dompte-la par la douleur. Tu vis dans la paresse, embrasse le travail. Tu es prompt, souffre patiemment les injures. Tu es adonné au vin, ne bois que de l'eau. Ainsi de toutes les habitudes vicieuses, et tu verras que tu n'auras pas travaillé en vain. Mais ne t'expose pas légèrement à la rechute avant que d'être bien assuré de toi. Car le combat est encore inégal. L'objet qui t'a vaincu, te vaincra encore.
XXII. Tu te plains de la solitude. Qu'appelles-tu être seul ? Est-ce être hors du commerce des hommes, ou être dénué de tout secours ? Eh ! pense que très souvent on n'est pas moins seul au milieu de Rome, au milieu de ses parents, de ses amis, de ses voisins, et d'une foule d'esclaves. Ce n'est pas la vue d'un homme qui rompt la solitude, c'est la vue d'un homme vertueux, fidèle, secourable. Si tu es seul, songe que Dieu aussi est seul ; et il est content de lui-même, et il trouve tout en lui-même. Tâche de lui ressembler, cela est en ton pouvoir. Entretiens-toi avec toi-même, tu as tant de choses à te dire et à te demander ! Qu'as-tu besoin des autres ? Tu es dénué de tout secours, tu n'as ni père, ni frère, ni enfants, ni amis, tu les as tous perdus. Mais n'as-tu pas un père immortel, qui ne manquera pas d'avoir soin de toi, et de te donner tous les secours nécessaires ?
XXIII. Le prince a donné la paix à la terre : plus de guerres, plus de combats, plus de brigandages, plus de pirateries. A toute heure, en tout temps, on peut aller librement partout, seul, sans rien craindre. Mais le prince peut-il nous donner la paix avec les maladies, avec les naufrages, avec les incendies, avec les tremblements de terre, avec la foudre ? Peut-il nous la donner avec nos passions, avec l'amour, la tristesse, l'avarice, l'envie ? Ah ! c'est une paix que les princes ne peuvent donner, ce sont les dieux seuls qui la donnent, et le héraut qui la publie, c'est la raison. Celui qui a cette paix peut être seul toute sa vie.
XXIV. Que font les enfants quand ils sont seuls ? Ils s'amusent, ils amassent des cailloux et du sable, dont ils font de petits châteaux qu'ils détruisent ensuite. Ainsi ils ne manquent jamais d'amusement. Ce qu'ils font par folie et par enfantillage, ne saurais-tu le faire par sagesse et par raison ? Nous avons partout des cailloux et du sable. D'ailleurs nous avons tant à bâtir en nous, tant à détruire ! Ne nous plaignons point d'être seuls !
XXV. Veux-tu être comme les mauvais comédiens, qui ne peuvent chanter qu'avec les autres ?
XXVI. Il n'y a que deux choses à ôter aux hommes : la présomption et la défiance.
XXVII. Les sentinelles demandent le mot du guet à tous ceux qui approchent. Fais de même, demande le mot du guet à tout ce qui se présente à ton imagination, et tu ne seras jamais surpris.
XXVIII. Ce qui nous perd, c'est que nous n'avons pas plus tôt goûté la philosophie du bout des lèvres, que nous voulons faire les sages et être tout de suite utiles aux autres ; nous voulons réformer le monde. Eh ! mon ami, réforme-toi auparavant toi-même, et ensuite fais voir aux hommes un homme que la philosophie a formé. En mangeant avec eux, en te promenant avec eux, instruis-les par ton exemple ; cède-leur à tous, préfère-les tous à toi, supporte-les tous. Ainsi, tu leur seras utile.
XXIX. La vraie noblesse de l'homme vient de la vertu, et non de la naissance. - Je vaux mieux que toi, mon père était consul, je suis tribun, et toi tu n'es rien. - Mon cher, si nous étions deux chevaux, et que tu me dises : «Mon père était le plus vif de tous les chevaux de son temps, et moi j'ai beaucoup de foin, beaucoup d'orge, et un magnifique harnais», je te dirais : «Je le veux bien, mais courons...» N'y a-t-il pas dans l'homme quelque chose qui lui est propre, comme la course au cheval, et par le moyen de quoi on peut connaître sa qualité et juger de son prix ? Et n'est-ce pas la pudeur, la fidélité, la justice ? Montre-moi donc l'avantage que tu as en cela sur moi. Fais-moi voir que tu vaux mieux que moi, en tant qu'homme. Si tu me dis : «Je puis nuire, je puis ruer», je te répondrai que tu te glorifies là d'une qualité qui est propre à l'âne et au cheval, et non à l'homme.
XXX. Galba ayant été tué, quelqu'un dit à Rufus : «Présentement, la Providence se mêle du monde. - Malheureux ! lui répondit Rufus, crois-tu donc qu'un Galba ait empêché les dieux de gouverner le monde ? Ce qui te faisait douter de la Providence, te la marquait».
XXXI. Les fréquentations ne sont pas indifférentes. Si tu hantes souvent un vicieux, à moins que tu ne sois bien fortifié, il y a plus à craindre qu'il ne te corrompe, qu'il n'y a à espérer que tu le corrigeras. Puisqu'il y a donc tant de danger dans le commerce des ignorants, il ne faut en user qu'avec beaucoup de sagesse et de prudence.
XXXII. Un joueur de luth n'a pas plus tôt pris son luth, qu'il voit quelles cordes ne sont pas d'accord, et qu'il les accorde sans peine. Pour vivre sûrement dans le commerce des hommes, le sage doit avoir l'art de faire d'eux ce que le joueur de luth fait de ses cordes : voir ceux qui sont discordants, les accorder et les ramener à l'harmonie. Socrate a eu cet art.
XXXIII. D'où vient que les ignorants sont toujours plus forts que vous dans les disputes, et qu'ils vous réduisent enfin à vous taire ? - C'est qu'ils sont fortement persuadés de leurs fausses maximes, et que vous l'êtes faiblement de la vérité des vôtres : elles ne partent point du coeur, elles ne naissent que sur les lèvres ; c'est pourquoi elles sont débiles et mortes. Elles exposent à la risée publique cette misérable vertu dont vous vous mêlez de parler, et elles fondent ainsi comme la cire au soleil. Eloignez-vous donc du soleil, pendant que vous n'avez encore que des opinions de cire.
XXXIV. Quand tu accuses la Providence, descends en toi-même, et tu la justifieras. En quoi le méchant est-il mieux traité que toi ? En ce qu'il est plus riche ? Mais examine son intérieur ; vois la vie qu'il mène : tu serais fâché d'être comme lui... C'est ce que je disais l'autre jour à un jeune homme qui s'indignait de la prospérité de Philostorgus. - Mais, lui dis-je, voudrais-tu coucher avec Sura ? - Aux dieux ne plaise ! me répondit-il, j'aimerais mieux être mort. - Pourquoi donc t'indignes-tu si Philostorgus reçoit quelque chose en échange de ce qu'il vend à Sura ? Et pourquoi le trouves-tu heureux de ce qu'il a des choses que tu détestes ? En quoi la Providence t'a-t-elle donc mal traité en te donnant ce qu'elle a de meilleur ? La sagesse n'est-elle pas plus précieuse que les richesses ? Ne te plains donc point, puisque tu possèdes ce qu'il y a de plus précieux.
XXXV. Quand on t'apporte quelque nouvelle fâcheuse, souviens-toi qu'elle ne te regarde point, puisqu'elle ne regarde aucune des choses qui sont en ton pouvoir. - Mais on me fait une affaire capitale, on m'accuse d'impiété. - Eh bien ! n'en accusa-t-on pas Socrate ? - Mais on pourra me condamner. - Socrate ne fut-il pas condamné de même ? Mets-toi bien dans la tête que la peine n'est jamais que là où est la faute. Il est impossible que ces deux choses soient séparées. Ne te regarde donc point comme malheureux. Qui fut le plus malheureux, à ton avis, de Socrate, ou de ceux qui le condamnèrent ? Le danger n'est donc point pour toi, il est tout entier pour tes juges, car tu ne peux mourir coupable, et ils peuvent faire mourir un innocent.
XXXVI. Comme la médecine ordonne de changer d'air à ceux qui ont des maladies chroniques, la philosophie l'ordonne de même à ceux qui ont des habitudes invétérées que les lieux où elles sont nées ne peuvent que fortifier.
XXXVII. Comment ne ferions-nous pas de faux jugements ? C'est ce qu'on nous enseigne dès notre enfance. Notre nourrice qui nous fait marcher, si nous venons à heurter contre une pierre et à crier, au lieu de nous gronder, se met à battre la pierre. Eh ! mon Dieu, qu'a fait cette pauvre pierre ? Etait-ce à elle à deviner que nous la heurterions, et à changer de place ? Quand nous sommes grands, si, lorsque nous venons du bain, nous ne trouvons pas notre souper prêt, nous nous emportons, nous tempêtons, et notre pédagogue, au lieu de réprimer cette fougue, se met à gronder aussi de son côté, et à battre même le cuisinier. - Mon ami, t'a-t-on pris pour être le pédagogue du cuisinier ou bien celui de l'enfant ? Modère donc les emportements, et corrige les impatiences de ton disciple... Quand nous sommes hommes faits et dans les charges, nous avons tous les jours devant les yeux les mêmes exemples. Voilà pourquoi nous vivons et nous mourons enfants. Qu'est-ce qu'être enfant ? De même que, dans la musique et dans les lettres, on appelle enfant celui qui ne les sait pas ou qui les sait mal, de même, dans la vie, on appelle enfant celui qui ne sait pas vivre et qui n'a pas de saines opinions.
XXXVIII. La santé est un bien, la maladie est un mal. - Faux langage. User bien de la santé, c'est un bien, en user mal, c'est un mal. User bien de la maladie, c'est un bien, en user mal, c'est un mal. On tire le bien de tout, et de la mort même. Ménécée, fils de Créon, n'en tira-t-il pas un grand bien, quand il se sacrifia pour sa patrie ? Il témoigna sa piété, sa magnanimité, sa fidélité, son courage. S'il avait été attaché à la vie, il aurait perdu tout cela, et il aurait montré les vices contraires : ingratitude, impiété, pusillanimité, infidélité, manque de courage. Défaites-vous donc de vos dieux de boue, et, pour être libres, ouvrez les yeux à la vérité.
XXXIX. Un maître de palestre m'exerce en pétrissant mon cou, mes épaules, mes bras, et en m'ordonnant des exercices pénibles. «Lève ce fardeau avec tes deux mains, me dit-il, et bien haut». Et plus le fardeau est pesant, plus mes nerfs se fortifient. Il en est de même d'un homme qui me maltraite et qui me dit des injures : il m'exerce à la patience, à la douceur, à la clémence, exercice bien autrement utile que les exercices corporels.
XL. J'ai un méchant voisin, un méchant père. Ils ne sont méchants que pour eux, ils sont très bons pour moi, car ils exercent et fortifient ma douceur, mon équité, ma patience. Voilà la verge de Mercure ; elle ne changera pas en or tout ce que je toucherai, ce serait peu de chose ; mais elle changera en biens tout ce qui passe pour des maux : la maladie, la pauvreté, l'ignominie et la mort même.
XLI. Tu t'es ingurgité quelques préceptes de philosophie, et tu vas tout de suite les enseigner. Que fais-tu là que vomir ce que tu n'as pas digéré, comme un mauvais estomac vomit les viandes qu'il a prises. Digère d'abord, mon ami, et fais-nous voir ensuite une transformation dans ta partie maîtresse. - Mais un tel a ouvert une école, je veux en ouvrir une aussi. - Vil esclave, est-ce par caprice ou par hasard qu'on ouvre une école ? Il faut être d'âge mûr, avoir mené une certaine vie, et y être appelé des dieux ; sans cela tu es un imposteur et un impie. Tu ouvres une boutique de médecin, et tu as des onguents, mais tu ne sais pas les appliquer, et tu en ignores l'usage.
XLII. Un de mes disciples, qui avait quelque penchant pour la philosophie cynique, me demanda un jour ce que devait être le philosophe de cette secte, et ce qu'il fallait faire pour y réussir. - Mon ami, lui répondis-je, tout ce que je puis te dire, c'est que tout homme qui entreprend une chose si grande, sans y être appelé des dieux, est aussi fou que celui qui entrerait dans une grande maison pour s'y comporter en maître, ou qu'un Thersite qui voudrait faire l'Agamemnon. - Mais je m'accommoderai fort bien d'une guenille, d'un manteau tout rapiécé ; je coucherai à terre ; je prendrai une besace et un bâton, et je dirai des injures à tout le monde. - Mon ami, si c'est en cela que tu fais consister cette philosophie, tu en juges fort mal. Le philosophe cynique est un homme pénétré de pudeur, et qui ne craint pas de s'exposer constamment à la vue des hommes, parce qu'il ne fait rien d'indécent. C'est un homme envoyé des dieux pour réformer les hommes, et pour leur apprendre par son exemple, que nu, sans bien, sans autre couvert que le ciel, et sans autre lit que la terre, on peut être heureux ; un homme qui traite les vicieux, quelque grands qu'ils soient, comme des esclaves ; un homme qui, maltraité, battu, aime et bénit ceux qui le battent et qui le maltraitent ; un homme qui regarde tous les hommes comme ses enfants, qui fait la ronde pour eux, qui l'avertit avec bonté et avec tendresse, comme un père, comme un frère, et comme le ministre des dieux mêmes ; un homme enfin que, malgré sa bassesse, les rois et les princes ne peuvent regarder sans respect. Et c'est ainsi qu'Alexandre a considéré Diogène.
XLIII. Hercule, éprouvé par Eurysthée, ne se disait point malheureux et exécutait ce que ce tyran lui ordonnait. Et toi, éprouvé par les dieux, par des dieux qui t'ont créé, tu cries, tu te plains et tu te trouves malheureux ! Quelle lâcheté ! quelle mollesse !
XLIV. On t'a condamné à l'exil. Y a-t-il un lieu au delà du monde où l'on puisse m'envoyer ? Et partout où j'irai n'y trouverai-je pas un ciel, un soleil, une lune, des étoiles ? N'y aurai-je pas des songes, des augures ? Ne pourrai-je pas y entretenir un commerce avec les dieux ?
XLV. Un insolent demanda un jour à Diogène : «Es-tu ce Diogène qui croit qu'il n'y a point de dieux ? - Je suis Diogène, lui répondit-il, et je crois si bien qu'il y a des dieux, que je suis très persuadé qu'ils te haïssent».
XLVI. Si tu considères bien les grandes vues du véritable philosophe et les lumières de son esprit, tu le trouveras bien clairvoyant. Auprès de lui, Argus lui même, avec tous ses yeux, ne te paraîtra qu'un aveugle.
XLVII. L'école du philosophe est comme la boutique du médecin. On n'y va point pour avoir du plaisir, mais pour y éprouver une douleur salutaire. L'un a une épaule démise, l'autre un abcès ; celui-là y porte une fistule, celui-ci une plaie à la tête. Le plaisir les guérirait-il ?
XLVIII. Les dieux ont créé tous les hommes afin qu'ils soient heureux ; ils ne sont malheureux que par leur faute.
XLIX. Ton ami, ton fils est parti, il t'a quitté, et tu pleures. Ne savais-tu pas que l'homme est un voyageur ? Tu portes la peine de ta folie. As-tu espéré que tu aurais toujours avec toi les objets de tes plaisirs, et que tu jouirais toujours des lieux et des commerces qui te sont agréables ? Qui est-ce qui te l'avait promis ?
L. Tu es fâché de quitter un si beau lieu ; tu gémis, tu pleures. Tu es donc plus malheureux que les corbeaux et que les corneilles, car ils changent de climat et passent les mers sans gémir et sans regretter ce qu'ils ont quitté. - Mais ce sont des animaux sans raison. - Les dieux ne t'ont-ils donc donné la raison que pour te rendre misérable ? As-tu la prétention que les hommes soient comme des arbres plantés sur leurs racines, et qu'ils ne changent jamais de lieu ? - Mais je perds mes amis. - Eh ! le monde entier est plein d'amis, car les dieux, qui sont tes amis et qui te protègent, le remplissent. Et il est plein d'hommes à qui la nature t'a uni. Ulysse, qui a tant voyagé, n'a-t-il point trouvé d'amis ? Hercule, qui a tant couru le monde, n'en a-t-il point trouvé ?
LI. Hercule ne s'affligeait point de laisser ses enfants orphelins, car il savait qu'il n'y a point d'orphelins dans le monde, et que tous les hommes ont partout un père qui a soin d'eux, et qui ne les abandonne jamais.
LII. Le bonheur et le désir ne peuvent se trouver ensemble.
LIII. Tu veux vieillir, et tu ne veux voir mourir aucun de ceux que tu aimes. C'est-à-dire que tu voudrais que tous tes amis soient immortels, et que pour toi seul les dieux changent leurs lois et l'ordre du monde. Cela est-il juste, et as-tu raison ?
LIV. Tu viens de recevoir des nouvelles de Rome, et te voilà dans la tristesse et dans le deuil. Est-il possible que ce qui se passe à deux cents lieues de toi te rende malheureux ? Eh ! dis-moi, je te prie, quel mal peut-il t'arriver là où tu n'es point ?
LV. Quelle vie mènes-tu ? Après avoir bien dormi, tu te lèves quand il te plaît, tu baîlles, tu t'amuses, tu te laves le visage. Après cela, ou tu prends quelque mauvais livre, pour tuer le temps, ou tu écris quelque bagatelle pour te faire admirer. Tu sors ensuite et tu vas faire des visites, te promener et te divertir. Tu rentres, tu te mets au bain, tu soupes, tu vas te coucher. Je ne révélerai point les mystères de ces ténèbres, il n'est que trop aisé de les deviner. Avec ces moeurs d'un épicurien et d'un débauché, tu parles comme Zénon et comme Socrate. Mon ami, change de moeurs, ou change de langage. Celui qui usurpe faussement le titre de citoyen romain est sévèrement puni. Et ceux qui usurpent le grand titre de philosophe le feraient impunément ? Cela ne se peut, car ce serait contraire à la loi immuable des dieux, qui veut que les peines soient toujours proportionnées aux crimes.
LVI. Socrate aimait ses enfants, mais il les aimait en homme libre et en homme qui se souvenait qu'il faut aimer les dieux plus que tout. Voilà pourquoi il n'a jamais rien fait ni rien dit qui ne fût digne d'un homme de bien, ni quand il se défendit devant ses juges, ni quand il se condamna lui-même à une amende, ni quand il fut sénateur, ni quand il alla à la guerre. Tandis que nous, tout nous est un prétexte de bassesse et de lâcheté, un fils, une mère, un frère. Cependant nous devrions ne nous rendre malheureux pour personne, mais, au contraire, faire servir toutes les créatures à notre bonheur, et les dieux surtout qui nous ont créés afin que nous soyons heureux.
LVII. Qu'est-ce qu'un philosophe ? C'est un homme qui, si tu veux l'écouter, te rendra libre bien plus sûrement que tous les préteurs.
LVIII. Celui qui se soumet aux hommes s'est auparavant soumis aux choses.
LIX. Tu crains de nommer la mort, comme si c'était une chose de mauvais augure. Il n'y a point de mauvais augure dans tout ce qui ne fait que marquer une action de la nature. Mais la paresse, la timidité, la lâcheté, l'impudence et tous les autres vices, voilà ce qui est de mauvais augure. Et encore, pourvu qu'on évite la chose, on ne doit pas craindre de prononcer le mot.
LX. L'homme de bien, le véritable sage, se souvenant toujours qui il est, d'où il vient, et qui l'a créé, garde toujours son poste, et ne cherche qu'à montrer son obéissance aux dieux, en leur disant : «Vous voulez que je sois encore ici, j'y demeure. Vous voulez que j'en sorte, j'en sors. Car, comme je n'y suis que pour vous, je n'en sors non plus que pour vous, et j'ai toujours devant les yeux et vos commandements et vos défenses».
LXI. Les dieux me laissent dans la pauvreté, dans la bassesse, dans la captivité. Ce n'est point par haine pour moi, car où est le maître qui haïsse un serviteur fidèle ? Ce n'est pas non plus par négligence, car ils ne négligent pas les plus petites choses. Mais ils veulent m'éprouver, ils veulent voir s'il y a en moi un bon soldat, un bon citoyen ; enfin ils veulent que je leur serve de témoin auprès des autres hommes.
LXII. A tous les plaisirs que tu avais dans ta patrie et que tu as perdus, substitue celui-ci, de penser que tu obéis aux dieux et que tu fais actuellement et réellement le devoir d'un homme de bien et d'un homme sage. Quel grand avantage n'est-ce point de pouvoir te dire à toi-même : «A l'heure qu'il est, les philosophes débitent de grandes choses dans leurs écoles, ils expliquent tous les devoirs de l'homme de bien, et moi je les pratique. Ce sont mes vertus qu'ils expliquent, ils font mon panégyrique sans le savoir, car j'accomplis ce qu'ils louent et ce qu'ils enseignent».
LXIII. Ni les victoires des jeux olympiques, ni celles que l'on remporte dans les batailles, ne rendent l'homme heureux. Les seules qui le rendent heureux, ce sont celles qu'il remporte sur lui-même. Les tentations et les épreuves sont des combats. Tu as été vaincu une fois, deux fois, plusieurs fois ; combats encore. Si tu es enfin vainqueur, tu seras heureux toute ta vie, comme celui qui a toujours vaincu.
LXIV. Mon devoir, pendant que je suis en vie, c'est de remercier les dieux de tout, de les louer de tout, soit en public, soit en particulier, et de ne cesser de les bénir qu'en cessant de vivre.
LXV. Les dieux ne m'ont pas donné beaucoup de bien ; ils n'ont pas voulu que je fusse dans l'abondance et que je vécusse dans les délices. Mais qu'ai-je à me plaindre ? Ils ont traité de même Hercule, qui était leur fils, et quel fils !
XVI. Chasse tes désirs, tes craintes, et il n'y aura plus de tyran pour toi.
LXVII. Diogène a fort bien dit que le seul moyen de conserver sa liberté, c'est d'être toujours prêt à mourir sans peine.
LXVIII. Le même Diogène écrivit au roi des Perses : «Il n'est pas plus en ton pouvoir de réduire les Athéniens en servitude, que d'y réduire des poissons. Un poisson vivra plus longtemps hors de l'eau, qu'un Athénien dans l'esclavage».
LXIX. Il y a de petits et de grands esclaves. Les petits sont ceux qui se rendent esclaves pour de petites choses, pour des dîners, pour un logement, pour de petits services. Et les grands sont ceux qui se rendent esclaves pour le consulat, pour des gouvernements de provinces. Tu en vois devant qui on porte les haches et les faisceaux, et ces derniers sont bien plus esclaves que les autres.
LXX. Pour juger si un homme est libre, ne regarde point à ses dignités ; car, au contraire, plus il est élevé, plus il est esclave. - Mais, diras-tu, j'en vois qui font tout ce qui leur plaît. - Je le veux bien. Mais je t'avertis que c'est un esclave qui jouit pendant quelques jours du privilège des saturnales, ou dont le maître est absent. Attends que la fête soit passée, ou son maître revenu, et tu verras. - Qui est son maître ? - C'est tout homme qui a le pouvoir de lui donner ou de lui ôter ce qu'il désire.
LXXI. Il faut qu'un prince ait un mérite bien extraordinaire, quand on ne s'attache à lui que pour l'amour de lui.
LXXII. Ne crains rien, ne désire rien, et nul homme n'aura pour toi rien de terrible ni de formidable, non plus, qu'un cheval pour un autre cheval, ni une abeille pour une autre abeille. Ne vois-tu pas que tes désirs et tes craintes sont la garnison que tes maîtres entretiennent dans ton coeur, comme dans une citadelle, pour t'assujettir ? Chasse cette garnison, remets-toi en possession de ton fort, et tu seras libre.
LXXIII. Que font les voyageurs prudents quand ils entendent dire que les chemins par où ils doivent passer sont pleins de voleurs ? Ils n'ont garde de continuer seuls, leur route, mais ils attendent qu'ils puissent se mettre à la suite d'un ambassadeur, d'un questeur ou d'un proconsul. Et avec cette précaution, ils achèvent heureusement leur voyage. Le sage fait de même dans ce monde. Tout y est plein de brigandage, de tyrannie, de misère et de calamité. Comment passera-t-il seul sans périr ? Mais qui attendra-t-il ? et à qui se joindra-t-il ? A un magistrat, à un consul, à un préteur ? Mais ce sont les ennemis qu'il a le plus à craindre. Il attend donc un compagnon sûr, fidèle et incapable d'être surpris, et ce compagnon, ce sont les dieux. Il se joint donc à eux, il marche avec eux, et il passe heureusement à travers tous les écueils de cette vie.
LXXIV. Tu n'as rien que tu n'aies reçu. Celui qui t'a tout donné t'ôte quelque chose ? Tu es non seulement fou, mais ingrat et injuste de lui résister.
LXXV. Tu as obtenu le consulat et tu es gouverneur de province. Par qui ? par Félicion ? Et moi je ne voudrais pas vivre, s'il me fallait vivre par le crédit de Félicion, et supporter son orgueil et son insolence d'esclave. Car je sais ce que c'est qu'un esclave qui se croit heureux et que sa fortune aveugle. - Mais toi, es-tu donc libre ? me diras-tu. - Non, j'y travaille ; je n'y suis pas encore parvenu ; je ne puis encore regarder mes maîtres d'un oeil ferme ; je suis encore attaché à mon corps, et, tout estropié qu'il est, je veux le conserver ; je t'avoue mon faible. Mais veux-tu que je te montre un homme véritablement libre ? c'est Diogène. - D'où vient qu'il était si libre ? - C'est qu'il avait coupé toutes les prises que la servitude pouvait avoir sur lui, il était dégagé de tout, isolé de tous côtés, et rien ne tenait à lui. Vous lui demandiez son bien, il le donnait ; son pied, il le donnait ; tout son corps, il le donnait ; mais il était fortement attaché aux dieux, et ne le cédait à personne en obéissance, en respect, en soumission pour ce souverain maître. Voilà d'où venait sa liberté. - Mais, dis-tu, voilà l'exemple d'un homme seul, qui n'avait rien qui l'attachât au monde. - Veux-tu donc l'exemple d'un homme qui ne fût pas seul ? Socrate avait femme et enfants, et il n'était pas moins libre que Diogène ; parce que, comme Diogène, il avait tout soumis à la loi et à l'obéissance qui est due à la loi.