Livre VII, chapitre 5 - De la peinture à l'intérieur des appartements

Les anciens avaient coutume de décorer les pièces qu'ils habitaient pendant le printemps, l'automne et l'été, avec des peintures de diverses couleurs et des dessins variés et appropriés à la destination de chaque pièce.

La peinture est la représentation des choses qui sont ou qui peuvent être, comme d'un homme, d'un édifice, d'un navire ou de de tout autre objet que ce soit dont on imite la forme et la figure. Les premières choses que les anciens ont représentées sur les enduits sont les différentes bigarrures du marbre ; ensuite ils ont fait des compartiments de ronds et de triangles jaunes et rouges. Ils essayèrent après cela de représenter la vue de leurs édifices par l'imitation des colonnes et de leurs amortissements élevés ; et lorsqu'ils ont voulu peindre en des lieux spacieux, ils y ont dessiné des perspectives, comme sont celles des faces des théâtres, pour les tragédies, pour les comédies et pour les pastorales ; dans les longues galeries ils peignaient des paysages, représentant différents sites : les uns représentaient des ports, des promontoires, des rivages, des fleuves, des fontaines, des ruisseaux ; les autres, des temples, des bocages, des troupeaux, des bergers ; et en quelques endroits ils ont peint l'Histoire. Ce genre de peinture représente les dieux ainsi qu'ils sont décrits dans les fables, ou de certains événements, comme les guerres de Troie et les voyages d'Ulysse, dans les diverses parties du monde, de manière à ce que le paysage entre toujours dans leurs dessins ; mais dans toutes leurs compositions ils ont constamment imité la nature, et rendaient les objets tels qu'ils étaient naturellement.

Cependant, par je ne sais quel caprice, on ne suit plus cette règle que les anciens s'étaient prescrite, de prendre toujours pour modèles de leurs peintures les choses comme elles sont dans la vérité : car on ne peint à présent sur les murailles que des monstres extravagants, au lieu de choses véritables et régulières. On remplace les colonnes par des roseaux qui soutiennent des entortillements de tiges, des plantes cannelées avec leurs feuillages refendus et tournés en manière de volutes ; on fait des chandeliers qui portent de petits châteaux, desquels, comme si c'étaient des racines, il s'élève quantité de branches délicates, sur lesquelles des figures sont assises ; en d'autres endroits ces branches aboutissent à des fleurs dont on fait sortir des demi-figures, les unes avec des visages d'hommes, les autres avec des têtes d'animaux ; toutes choses qui ne sont point, qui ne peuvent pas être, et qui n'ont jamais existé. Cependant ces nouvelles fantaisies prévalent tellement aujourd'hui, qu'il ne se trouve presque personne qui soit capable de découvrir ce qu'il y a de bon dans les arts, et qui en puisse juger sainement ; car quelle apparence y a-t-il que des roseaux soutiennent un toit, qu'un chandelier porte des châteaux ; et que les faibles branches qui sortent du faîte de ces châteaux portent des figures qui y sont comme à cheval ; enfin que de leurs racines, de leurs tiges et de leurs fleurs il puisse naître des moitiés de figures ? Eh bien ! malgré l'évidente fausseté de ces compositions, personne ne reprend ces impertinences, mais on s'y plaît, sans prendre garde si ce sont des choses qui soient possibles ou non ; tant les esprits sont peu capables de connaître ce qui mérite de l'approbation dans les ouvrages.

Pour moi, je crois que l'on ne doit point estimer la peinture si elle ne représente la vérité, et que ce n'est pas assez que les choses soient bien peintes, mais qu'il faut aussi que le dessin soit raisonnable et qu'il ne s'y trouve rien qui choque le bon sens.

Autrefois, en la ville de Tralles, dans un petit théâtre appelé Ecclesiasterium, Apaturius Alabandin peignit une scène dans laquelle, au lieu de colonnes, il représenta des statues de centaures qui soutenaient les architraves des toits en rond, des dômes, des frontons avec de grandes saillies, des corniches avec des têtes de lion, toutes choses enfin qui appartiennent à un toit. Cependant sur tout cela il peignit encore un second ordre, au-dessus duquel il y avait d'autres dômes, des porches, des faites que l'on ne voyait qu'à demi, et autres objets qui forment les toits des édifices.

Tout l'aspect de cette scène paraissait fort beau, à cause de l'art avec lequel le peintre avait ménagé les différentes teintes pour faire valoir les saillies ; de façon qu'il semblait que cette architecture eût en effet toutes ses saillies en relief. On était près de lui donner une grande approbation, quand le mathématicien Licinius se présenta et dit qu'à la vérité les Alabandins étaient réputés fort grands politiques, mais qu'une petite inconvenance avait fait grand tort à l'opinion qu'on avait de leur jugement, en ce que les statues qui sont dans le lieu de leurs exercices représentent des avocats qui plaident des causes, et que celles qui sont dans l'auditoire représentent des personnes qui s'exercent à la course et qui jouent au disque ou à la paume ; et que cette faute d'avoir mis ainsi les choses hors de leur place avait fait grand tort à la réputation de toute la ville. Prenons donc garde, dit-il, que la peinture d'Apaturius ne nous fasse passer pour des Alabandins ou des Abdéritains : car, en effet, qui est-ce qui a jamais vu que des maisons et des colonnes soient posées sur les toits et sur les tuiles d'autres maisons ? Ne sait-on pas que ces choses se mettent sur les planchers et non pas sur les toits ? Et ne voyez-vous pas que, si nous approuvons une peinture qui représente une chose qui ne peut être, notre ville est en danger d'être mise au nombre de celles dont les habitants, pour avoir commis de semblables fautes, ont été réputés manquer tout-à-fait d'esprit et de jugement ? Apaturius n'ayant rien à répondre à cela, fit ôter son tableau, et y changea et corrigea ce qui était contre la vérité et contre la raison ; et, lorsqu'il eut fait ces changements, son ouvrage eut l'approbation générale.

Nous aurions grand besoin que Licinius pût ressusciter pour nous reprendre d'un pareil abus et abolir les erreurs qui se sont introduites dans la peinture ; mais il ne sera pas hors de propos de dire ici d'où vient que cette fausse manière de peindre l'a emporté sur la bonne. En voilà, suivant moi, la raison.

Les anciens ne recherchaient et n'appréciaient que le talent et la perfection du travail, tandis qu'aujourd'hui on n'estime qu'une chose, c'est l'éclat des couleurs. Aujourd'hui le talent de l'artiste n'est plus compté pour rien ; on n'apprécie qu'une chose, c'est la dépense faite par celui qui fait travailler. On sait, par exemple, que les anciens épargnaient le minium, à cause de sa rareté ; on ne l'employait que comme remède : à présent on en peint des murailles tout entières ; l'on emploie de même la chrysocolle, la couleur de pourpre et celle d'azur. Et les peintures qui sont faites avec ces couleurs, quoique sans art, ne laissent pas de produire beaucoup d'effet ; mais, à cause de la chèreté de ces couleurs, les lois ont ordonné qu'elles ne seront point fournies par les peintres, mais par ceux qui les font travailler.

J'ai cherché, par les instructions que je viens de donner, à prévenir autant que possible les fautes que l'on peut commettre en faisant les enduits et la peinture. Je vais présentement m'occuper des matériaux qui entrent dans la composition du stuc et de la manière de les préparer ; comme j'ai déjà traité de la chaux, je vais parler du marbre dans le chapitre suivant.

Traduction de E. Tardieu et A. Coussin (1859)