Nuno Sanç est non seulement le personnage clef de l’histoire des comtés du Roussillon et de Cerdagne dans la première moitié du XIIIe siècle, mais aussi un homme complexe dont l’action a largement débordé les limites des territoires qu’il a eus sous son autorité.

Cependant, la documentation dont nous disposons (les actes signés par lui-même, son testament et le témoignage du Livre des faits) ne nous permet d’en esquisser qu’un portrait incomplet, dans lequel les zones d’ombre restent nombreuses, faute de sources suffisamment précises pour certaines périodes de sa vie.

D'or à deux pals de gueules,
la bordure cousue d'argent
chargée de huit chaudrons de sable

Fils du comte Sanç et de la dame castillane Sancha Nuñez de Lara, il est cousin germain du roi Pere II le Catholique.

Son lieu de naissance n’est pas connu avec certitude : peut-être en Cerdagne ? Durant sa jeunesse, il suit son père en Roussillon, en Provence et sur le front de la Reconquête à la bataille de Las Navas de Tolosa (1212), peu avant laquelle il aurait été armé chevalier. Mais en 1213, à Muret, père et fils arrivent trop tard pour empêcher le désastre de la mort du roi.

Un an auparavant, le roi Pere lui a confié, à la suite de son père, le Roussillon, le Vallespir, le Conflent et la Cerdagne à titre viager. Il devient alors, pendant la minorité du roi Jaume Ier, le continuateur de la politique de la maison de Barcelone en direction du nord, et soutient militairement le comte de Toulouse contre Simon de Montfort et les croisés français. C’est alors qu’il tisse des liens privilégiés avec les seigneurs des Fenouillèdes, du Pays de Sault et des Corbières dont beaucoup (Chabert de Barbaira et Olivier de Termes, mais aussi son propre viguier et beau-frère Guillem de Niort, entre autres) sont des protecteurs avérés des cathares, que lui-même se contente d’ignorer. Cela lui vaut d’être excommunié un temps par le pape Honorius III, en 1218. Seule l’expédition de Louis VIII, à qui il prête hommage pour le Fenouillèdes en 1226, tempère ses prises de position en faveur des Occitans. Pourtant, en 1235 encore, il réclame au roi Jaume les droits des Trencavel en Languedoc. C’est de ses terres que part en 1240 l’équipée qui conduit un groupe de seigneurs occitans faïdits vers Carcassonne, et c’est chez lui, en Roussillon, qu’ils trouveront refuge après l’échec de leur attaque.

Sceau de Nuno Sanç

Mais Nuno, prince de la maison de Barcelone et oncle du roi Jaume, ne peut ignorer ce qui se passe au sud. Pendant l’adolescence du roi, il est pris avec son père dans les luttes des factions nobiliaires catalano-aragonaises que le Livre des Faits développe à l’envi. Il se retrouve souvent dans le camp de Jaume contre le clan Montcada, mais quelquefois aussi avec l’ensemble des nobles contre le roi.

C’est durant la conquête de Majorque, où il part entouré de seigneurs occitans faïdits mais aussi de Roussillonnais et même de quelques Castillans venus de ses domaines maternels, qu’il apparaît au premier plan du Livre des Faits. Son interventionpendant le siège lui vaut l’attribution de biens importants dans la cité de Majorque et à la campagne (874 cavalleries, soit 16500 hectares)). Il y effectue plusieurs longs séjours pendant lesquels il répartit ses biens entre ses vassaux, fonde l’Hôpital de Sant Andreu et favorise l’installation des cisterciens à Santa Maria de la Real.

Mais c’est alors surtout que se développe sa dimension méditerranéenne, encore accentuée avec la conquête d’Eivissa en 1235. Le Livre des Faits évoque son départ pour la guerre de course en Berbérie mais le testament de Nuno montre que ses activités de corsaire sont également dirigées contre des navires pisans, pourtant alliés des Catalans. C’est sans doute pour améliorer sa base arrière (car il s’intéresse aussi au commerce maritime et aux affaires), qu’il effectue des travaux importants à Collioure, son port.

En effet, ce sont les comtés du nord, qu’il administre directement, qui ont le plus bénéficié de son attention. En Cerdagne, il fonde Bellver et veille constamment à la sécurité de la région où d’inextricables problèmes féodaux l’opposent aux comtes de Foix. En Roussillon et Conflent, ce sont les villes du domaine royal, Collioure, Thuir, Claira et Villefranche qui reçoivent privilèges et exemptions.

Mais Nuno, comme beaucoup de grands seigneurs de son temps, est toujours à court d’argent et peu regardant sur les moyens de s’en procurer : piraterie, abus de pouvoir, confiscations, ventes forcées, constituent dans son testament un véritable litanie. C’est qu’il a le talent de dépenser avec faste, en particulier lorsqu’il accueille à Perpignan en septembre 1235, Yolande de Hongrie, de passage dans sa ville avant son mariage avec le roi Jaume. Il y contracte pour l’ocasion des dettes qu’il n’envisage de rembourser qu’à l’heure de sa mort, survenue le 17 décembre 1241.

Fidèle, comme ceux de son lignage (le roi Pere II, le comte Sanç) aux Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, c’est dans l’église de la commanderie de Saint-Vincent de Bajoles, près de Perpignan qu’il choisit de se faire enterrer. Son tombeau a aujourd’hui disparu. Le troubadour bordelais Aimeric de Belenoi lui a rendu, dans une complainte émouvante, un fervent hommage funèbre.