La peste à Thèbes dans le film Edipo Re de Pasolini - 1967



Représentée juste après le déchaînement de la peste à Athènes en 430 av.JC, la tragédie de Sophocle, Œdipe roi, s'ouvre avec le même type de situation mythique que l'Iliade d'Homère, une peste dévastatrice qui s'abat sur la cité de Thèbes, à la différence près que le dramaturge ne nous donne pas immédiatement la clef du problème. Si Apollon, par le biais de l'oracle de Delphes, indique bien aux Thébains que le sacrilège châtié par cette peste est l'assassinat jusque là inexpliqué de l'ancien roi Laïos, il ne désigne pas nommément le responsable de la souillure dont la communauté doit se débarrasser. Or l'ironie tragique tient au fait que les spectateurs (et aujourd'hui les lecteurs) connaissent en général le mythe d'Œdipe et savent déjà que dans l'enquête qui s'ouvre, l'enquêteur est précisément le meurtrier... Tragédie de l'impuissance des hommes face à la divinité, et plus encore tragédie de la connaissance de soi, Œdipe roi renvoie l'homme à lui-même et à ses démons intérieurs, à sa responsabilité, et pose les limites de sa liberté.



LE PRETRE DE ZEUS. - O souverain de mon pays, Œdipe, tu vois l'âge de tous ces suppliants à genoux devant tes autels. Les uns n'ont pas encore la force de voler bien loin, les autres sont accablés par la vieillesse ; je suis, moi, prêtre de Zeus ; ils forment, eux, un choix de jeunes gens. Tout le reste du peuple, pieusement paré, est à genoux ou sur notre place ou devant les deux temples consacrés à Pallas ou encore près de la cendre prophétique d'lsménos. Tu le vois comme nous, Thèbes, prise dans la houle, n'est plus en état de tenir la tête au-dessus du flot meurtrier. La mort la frappe dans les germes où se forment les fruits de son sol, la mort la frappe dans ses troupeaux de bœufs, dans ses femmes, qui n'enfantent plus la vie. Une déesse porte-torche, déesse affreuse entre toutes, la Peste, s'est abattue sur nous, fouaillant notre ville et vidant peu à peu la maison de Cadmos, cependant que le noir Enfer va s'enrichissant denos plaintes, de nos sanglots. Certes ni moi ni ces enfants,à genoux devant ton foyer, nous ne t'égalons aux dieux ; non, mais nous t'estimons le premier de tous les mortels dans les incidents de notre existence et les conjonctures créées par les dieux. Il t'a suffi d'entrer jadis dans cette ville de Cadmos pour la libérer du tribut qu'elle payait alors à l'horrible chanteuse. Tu n'avais rien appris pourtant de la bouche d'aucun de nous, tu n'avais reçu aucune leçon : c'est par l'aide d'un dieu - chacun le dit, chacun le pense - que tu as su relever notre fortune. Eh bien ! Cette fois encore, puissant Œdipe aimé de tous ici, à tes pieds, nous t'implorons. Découvre pour nous un secours. […]

Œdipe a envoyé à Delphes son beau-frère Créon interroger l'oracle d'Apollon pour avoir une réponse sur l'origine du fléau qui frappe la cité. Or voici Créon de retour, avec l'explication attendue.

CRÉON. - Eh bien ! Voici quelle réponse m'a été faite au nom du dieu. Sire Phoibos nous donne l'ordre exprès de chasser la souillure que nourrit ce pays, et de ne pas l'y laisser croître jusqu'à ce qu'elle soit incurable.

ŒDIPE. - Oui. Mais comment nous en laver ? Quelle est la nature du mal ?

CRÉON. - En chassant les coupables ou bien en les faisant payer meurtre pour meurtre, puisque c'est le sang dont il parle qui remue ainsi notre ville.

ŒDIPE. - Mais quel est donc l'homme dont l'oracle dénonce la mort ?

CRÉON. - Ce pays, prince, eut pour chef Laïos, autrefois, avant l'heure où tu eus toi-même à gouverner notre cité.

ŒDIPE. - On me l'a dit jamais je ne l'ai vu moi-même.

CRÉON. - Il est mort, et le dieu aujourd'hui nous enjoint nettement de le venger et de frapper ses assassins.


Traduction de Paul Mazon, 1958