«Saint-Père, j'ai appris que vous aviez
ordonné à tout roi et à tout fils de roi
chrétien de s'emparer du pays du roi Mainfroi, et que
tous vous ont dit non ; mais moi, pour votre honneur et celui de
la sainte Eglise romaine et de la sainte foi catholique,
j'accepte l'offre de cette conquête telle que vous l'avez
faite à tous les rois : et voilà pourquoi je me
suis rendu ici. Je n'ai pris conseil ni de mon frère, le
roi de France, ni de qui que ce soit ; tout le monde ignore le
but de mon voyage. Pourvu que vous consentiez à payer les
frais avec les trésors de la sainte Eglise, je suis
prêt à entreprendre sans retard cette
conquête ; car si vous ne pouviez, Saint-Père, me
fournir les fonds nécessaires, je ne pourrais rien
entreprendre ; mes forces et mes biens ne sont pas tels qu'ils
puissent y suffire ; car vous n'ignorez pas que le roi Mainfroi
est un des plus puissants seigneurs du monde, qui vit le plus
somptueusement et possède une bonne et nombreuse
cavalerie. Il sera donc indispensable de commencer cette
entreprise avec de grandes forces.»
Le pape se leva et alla le baiser sur la bouche en lui disant :
«O fils de la sainte Eglise, sois le bienvenu ! Moi, de la
part de Dieu, et par le pouvoir que je tiens de saint Pierre et
de saint Paul, je te rends grâces de l'offre que tu viens
de me faire. Dès ce moment je te mets sur la tête
la couronne de Sicile, je te fais maître et seigneur, toi
et tes descendants, de tout ce que possède le roi
Mainfroi, et je te déclare que, des fonds de saint
Pierre, je fournirai à tout ce qui te sera
nécessaire jusqu'à ce que cette conquête
soit terminée.»
Cela lui fut octroyé dès le jour même, jour
funeste pour les chrétiens ! Car cette donation fut cause
que toutes les terres d'outre-mer furent perdues pour eux, et
que le royaume d'Anatole tomba au pouvoir des Turcs, qui ont
enlevé même bien d'autres terres à
l'empereur de Constantinople ; elle a causé et causera la
mort de bien des chrétiens ; aussi peut-on bien appeler
ce jour, un jour de pleurs et de douleurs.
Le comte sortit du consistoire la couronne sur la
tête et une autre couronne en sa main, laquelle lui
avait été donnée par le pape, afin
qu'en arrivant dans ses terres il pût la mettre sur
la tête de la comtesse. C'est ce qu'il fit en
arrivant à Marseille ; et il la couronna reine, et
pris dès ce jour pour lui-même le nom de roi
Charles. Le pape avait envoyé avec lui un cardinal
qui, de la part du Saint-Père et dudit roi Charles,
devait placer la couronne de Sicile sur la tête de
la comtesse, et cela fut ainsi fait. |
Couronnement de Charles Ier de Naples |