Chapitre 60 |
Le roi d'Aragon fit une traversée heureuse autant qu'on
puisse le désirer ; en peu de jours il prit terre
à Trapani, le troisième du mois d'août de
l'an douze cent quatre-vingt-deux. Vous pouvez voir après
cela le temps qu'il demeura à Alcoyll, puisqu'il y
était à la fin du mois de mai et qu'il arriva
à Trapani le troisième d'août. Je ne pense
pas qu'un autre roi, quel qu'il soit, eût pu, avec ses
seules forces, séjourner à Alcoyll aussi
longtemps. Aussitôt qu'il eut pris terre à Trapani,
il se fit dans la Sicile une illumination
générale, c'était vraiment merveilleux. Les
prud'hommes de Trapani envoyèrent des courriers de tous
les côtés, et ce fut une merveille que la joie qui
éclata partout ; et ils avaient bien raison, puisque Dieu
leur avait envoyé le saint roi d'Aragon pour le
délivrer de leurs ennemis et être leur guide. Ainsi
que Dieu envoya Moïse au peuple d'Israël et lui confia
la verge miraculeuse, de même à un signal que fit
le roi d'Aragon il délivra le peuple de Sicile ; on peut
voir par là que ce fut l'oeuvre de Dieu. Quand le roi et
les troupes eurent débarqué à Trapani, il
n'est pas besoin de vous dire la joie que chacun en ressentit ;
les dames et demoiselles venaient en dansant au-devant du roi,
et s'écriant : «Bon et saint seigneur, que Dieu te
donne vie et victoire afin que tu puisses nous délivrer
de la main de ces Français maudits !» Et tout le
monde allait ainsi chantant, et nul ne faisait oeuvre de ses
mains de la joie qu'ils avaient.
Que vous dirai-je ? Dès qu'on l'apprit à Palerme
on lui envoya une grande partie des riches-hommes de la ville
avec des sommes considérables pour être
distribuées à ses troupes. Le roi ne voulut rien
accepter, disant que tant qu'il n'en aurait pas besoin il
n'accepterait rien, et qu'il avait apporté assez d'argent
avec lui, mais qu'ils pouvaient être assurés qu'il
était venu pour les recevoir comme ses vassaux et les
défendre contre tout le monde.
Il se rendit à Palerme ; tous les habitants, vinrent
bien quatre lieues au-devant de lui, et on peut dire qu'il n'y
eut jamais autant de joie et d'aussi belles fêtes ; et
là, avec de grandes processions, des jeux, et
l'allégresse des femmes et des enfants, tous
accueillirent le roi et l'escortèrent au palais
impérial. Tous les gens qui l'accompagnaient furent
dignement logés. Au moment où le roi y arrivait
par terre, la flotte s'y rendit par mer. Lorsque chacun fut
satisfait, les prud'hommes de Palerme expédièrent
des messagers à toutes les cités, villes et
châteaux, et aux syndics de tous les lieux, pour qu'on
apportât les clefs et les pleins pouvoirs de chaque
endroit, attendu qu'on devait livrer les clefs au roi comme
seigneur, lui prêter foi et hommage et le couronner roi et
seigneur ; et cela fut fait ainsi.