Lorsqu'on apprit à Messine que les almogavares
étaient entrés dans la ville pendant la nuit, Dieu
sait la joie et le réconfort qui furent par toute la
cité. Le lendemain matin, les almogavares se
disposèrent au combat. Les gens de Messine, les voyant si
mal vêtus, les espardilles aux pieds, les antipares (1) aux jambes, les
rézilles sur la tête, se mirent à dire :
«De quelle haute joie sommes-nous descendus, grand Dieu ?
Quels sont ces gens qui vont nus et dépouillés,
vêtus d'une seule casaque, sans bouclier et sans
écu ? Si toutes les troupes du roi d'Aragon sont
pareilles à celles-ci, nous n'avons pas grand compte
à faire sur nos défenseurs.»
Les almogavares qui entendirent murmurer ces paroles, dirent
:
«Aujourd'hui on verra qui nous sommes.» Ils se
firent ouvrir une porte, et fondirent sur l'armée ennemie
avec une telle impétuosité, qu'avant même
d'être reconnus ils y firent un carnage si horrible que ce
fut merveille. Le roi Charles et ses gens crurent que le roi
d'Aragon était là en personne. Enfin, avant qu'on
sût avec qui on avait affaire, ceux de l'armée
eurent perdu plus de deux mille des leurs, qui tombèrent
sous les coups des almogavares. Ceux-ci prirent et
emportèrent dans la ville tout ce qui tomba entre leurs
mains, et rentrèrent sains et saufs.
Quand les gens de Messine eurent vu les prodiges qu'avaient
faits ces gens-là, chacun emmena chez lui plus de deux
cavaliers ; ils les honorèrent et les traitèrent
bien ; hommes et femmes furent rassurés ; et cette
nuit-là il se fit de si belles illuminations et de si
grandes fêtes que toute l'armée ennemie en fut
ébahie, affligée et effrayée.
(1) Pièce qui couvrait de devant de leurs jambes. |