Notice historique sur le Museum d'Histoire Naturelle à Perpignan

Par Robert Bourgat et F.G. Belledent


Les origines du Muséum d'histoire naturelle de Perpignan sont succinctement évoquées dans les travaux antérieurs (Combes, 1910) qui lient étroitement la fondation du Muséum à l'activité de personnalités effectivement compétentes et toutes dévouées à son développement. Cependant, l'influence de l'environnement culturel ainsi que le rôle des institutions et des associations, pourtant déterminant à plusieurs reprises, demeure relativement méconnu. Loin d'être exhaustive, cette étude essaie d'éclairer les origines du Muséum en relation avec la vie culturelle de Perpignan aux diverses époques, en mettant en évidence l'influence décisive de l'Université, des Sociétés savantes et de la Municipalité.

Très logiquement au milieu du XVIIIe siècle dans l'atmosphère des Lumières où l'Encyclopédie accordait aux sciences une importance qu'elles n'avaient jamais connue jusque là, la restauration de l'Université, sous l'impulsion du Maréchal de Mailly, déterminait un regain important de l'activité intellectuelle perpignanaise. Le cabinet d'histoire naturelle était en gestation dans l'article XI de la déclaration du Roi du 31 mars 1759 portant règlement pour l'Université, avec la décision que soit établi un jardin des plantes à Perpignan, et de faire assurer par un professeur de médecine un cours de botanique.

Déjà en 1753, par une décision du roi prise à Fontainebleau le 31 octobre, une gratification de 1.200 livres est octroyée au sieur Barrère, docteur en médecine à Perpignan (1) «pour l'encourager à continuer ses recherches botaniques sous la condition expresse qu'il travaillera à faire un état en deux colonnes des différents végétaux qui sont produits dans cette province et sur la partie des Pyrénées qui en dépendent. Il faudra que l'une de ces colonnes contienne le nom de la plante ou du végétal et l'autre, le nom sous lequel il est connu dans le pays et que vous m'envoyez cet état». Dès le 15 décembre 1753, M. Amat, subdélégué de l'Intendant du Roussillon, transmettait le tableau que le sieur Barrère avait composé des divers végétaux de la province. On peut penser que ces recherches botaniques furent à l'origne de certaines collections du cabinet d'histoire naturelle.

Le développement des disciplines scientifiques amenait en 1770 la création du cabinet. Voici à ce propos ce qu'écrivait J.B. Carrère lui-même (2) dans son tableau du Roussillon. «Le second établissement est un cabinet d'histoire naturelle, borné aux seules productions de la province ; il a été formé d'après un décret de l'Université du 8 octobre 1770, par M. Carrère, alors professeur d'Anatomie et de Chirurgie dans cette Université. Ce cabinet présentait déjà trois ans après, un spectacle intéressant ; la collection d'environ 2 000 plantes formoit le règne végétal ; le règne minéral contenoit une grande quantité de métaux, de pétrifications, de congélations, de cristallisations, de sels, de terres, de pierres, de marbres ; le règne animal ne se faisait pas moins distinguer par la variété et la multiplicité des êtres qu'il renfermoit ; cette partie se trouvoit enrichie des productions de la mer, lithophytes, éponges, coralines, coquillages, madrépores, millepores, coraux, outre une grande quantité de poissons de toutes les espèces. Cet établissement, qui paroit être aujourd'hui un peu négligé, auroit pu devenir très utile, surtout dans une province très riche dans toutes les parties de l'histoire naturelle ; il seroit à désirer qu'on veillât avec plus de soin à son entretien, et qu'on en formât de pareils dans toutes les provinces ; ce seroit le moyen de connoître aisément et dans un instant les productions de chacune d'elles, et de former ensuite un tableau général de l'histoire naturelle de tout le Royaume». Ce texte constitue le premier document disponible qui permette d'évaluer le contenu des collections d'histoire naturelle et de se faire une idée de leur état à la publication de l'ouvrage en 1787.

Joseph, Barthélemy, François Carrère, agrégé de Médecine en 1760 occupa à compter de 1762 la chaire d'anatomie et de chirurgie de la Faculté de Médecine de Perpignan. Louis XV lui accorda en propriété les eaux des Escaldes en Cerdagne ; il fut Inspecteur Général des eaux minérales du Roussillon et du Comté de Foix. Nommé le 8 octobre 1770 directeur du cabinet d'histoire naturelle qu'il organisa, il peut, en quelque sorte, en être considéré comme le premier conservateur.

Mais Carrère se heurta à des difficultés auprès de ses collègues. Dès mars 1773, des plaintes furent portées contre lui qui parvinrent jusqu'à Versailles (3). Le chancelier de Maupeou fut informé et pensa que seule sa destitution pouvait ramener le bon ordre dans l'Université de Perpignan. C'est ce qu'il écrivit le 12 avril 1772 à M. de Bon, premier président du Conseil souverain du Roussillon en proposant de remplacer Carrère qu'il tenait pour un «mauvais sujet» par M. Beringo. Un arrêté du conseil du roi du 3 juillet 1773 releva Carrère de ses fonctions. En 1774, il quitta l'Université de Perpignan, s'installa à Paris où il devint bientôt censeur royal en 1775, médecin du garde meuble et médecin ordinaire de Louis XVI. Il était associé à la Société Royale de Médecine.

Après le départ de Carrère, le sieur Costa, doyen de médecine, occupera de multiples charges dont celle de professeur de botanique, ce qui n'ira pas sans indisposer ses collègues. Protégé du duc de Noailles, il avait travaillé à Paris auprès de M. de Jussieu et avait été nommé à la chaire de botanique à la demande expresse du duc. Son activité fut grande et l'on peut penser, à la lecture de ses nombreuses lettres et mémoires qu'il n'était pas sans mérite et qu'il prit réellement soin du jardin botanique et s'intéressa particulièrement à la flore de la région.

La Révolution arriva qui supprima l'Université en 1793. De ce fait le cabinet d'histoire naturelle fut laissé à l'abandon. Néanmoins, un jeune médecin de l'Université de Montpellier, Emmanuel Bonafos, s'occupa des collections lorsqu'il fut nommé professeur à l'Ecole Centrale qui occupa alors les locaux de l'ancienne Université.

A son retour de Paris en 1794, il trouva le jardin des plantes et les collections dans un état lamentable «de dignes émules des Visigoths et des Vandales avaient exercé leur fureur sur une infinité de plantes et d'arbres précieux, sur les orangers et sur les serres». Après avoir collectionné il a fallu défendre les collections.

Un jour, sous prétexte qu'on avait besoin d'outils de serrurerie pour le moulin à poudre, des ouvriers étaient venus dilapider le cabinet de physique. «A ce jeu tout s'en serait allé, d'abord une chose, puis une autre». Bonafos protesta, rappelant un décret du 28 frimaire an II qui prohibait «tout autre déplacement que celui nécessité par la conservation même des objets». La tourmente révolutionnaire avait tout désorganisé.

Selon le Chanoine Torreilles (4) : «de l'ancienne Université il restait le local, les instruments de physique, les collections d'histoire naturelle, les appareils d'anatomie et de chimie». En tant que biens nationaux, les biens de l'Université devinrent plus tard, propriété municipale. E. Bonafos fut chargé par le Département de dresser l'inventaire de tous les objets relatifs à l'enseignement et en particulier ceux du cabinet d'histoire naturelle. Il rendit son inventaire le 9 pluviose an III de la République. Ce document conservé aux Archives départementales présente un réel intérêt, et ceci à plusieurs titres (5). En premier lieu, il précise l'ameublement du cabinet qui apparaît largement suffisant et confortable : «13 belles armoires grillées ou vitrées à panneaux dorés contenant les objets inventoriés, une grande table peinte et dorée comme les armoires, plus un lustre en cristal». La numérotation des objets est édifiante ; chacun, en effet, porte le n° 65, code désignant les Pyrénées-Orientales, ce qui situe ces collections au plan national et démontre leur traitement comme bien de 1'Etat. La précision est tout à fait remarquable, elle illustre parfaitement l'extrême minutie de l'auteur. Ainsi, lorsque plusieurs pièces, identiques, portent le même numéro, leur nombre est signalé, l'emplacement des objets est noté, non seulement le n° de l'armoire mais aussi celui du rayonnage.

Les collections sont réparties en trois sections : la section Al, et le supplément qui l'accompagne, correspondent à la minéralogie quelques fossiles inclus ; la section A2 est réservée à la zoologie, elle comprend des Coelentérés, des Spongiaires, des Annélidés, des Oursins, des Mollusques Lamellibranches, Gastéropodes, Céphalopodes, des Poissons, des Oiseaux en mauvais état et trois Mammifères ; la section A3 de loin la plus importante représente l'herbier riche de 1.400 échantillons environ mais dans un état relatif car il n'a pas été entretenu.

On a ainsi la chance de disposer d'un des rares inventaires détaillés d'un cabinet d'histoire naturelle du XVIIIe siècle, établi par un professionnel. Ce document historique apporte la preuve que les collections par leur abondance, leur variété, leur classement, leur ordre ne se limitent pas à une série d'objets à seule vocation pédagogique, mais doivent être considérées comme de véritables collections muséologiques.

Ensuite les collections du cabinet d'histoire naturelle furent dévolues à l'Ecole Centrale, où l'on peut penser qu'elle ne servirent guère. Le Ministre de l'Intérieur, par circulaire du 1er prairial an IX, demanda au préfet du département de faire une note précise des dépôts d'objets de sciences et d'art dans son ressort administratif et d'être instruit, entre autres choses, de l'état où se trouvait le cabinet d'histoire naturelle de l'Ecole Centrale (6). Un inventaire succinct du cabinet qui donne une idée de ce qu'il contenait alors, fut dressé par Emmanuel Bonafos toujours conservateur du cabinet le 8 Messidor An IX. Le général Martin, préfet des Pyrénées-Orientales transmit le 13 Messidor un rapport à ce sujet au ministre de l'Intérieur. Malgré les difficultés de l'époque, il faut noter le soin constant que porta Emmanuel Bonafos à la conservation des collections du cabinet et à leur accroissement. N'écrivait-il pas au préfet le 27 Thermidor an IX. «Plusieurs préfets désireux de procurer à l'Ecole Centrale de leur département une collection d'objets d'histoire naturelle, ont envoyé à Paris le professeur de cette science. La plupart pour ne pas dire tous ont obtenu par ce moyen, du ministre de l'Intérieur et du Muséum national des collections précieuses» (7). Il proposait alors de faire le voyage et de séjourner à Paris à ses frais et précisait qu'il lui paraissait juste de prendre sur les sommes affectées au jardin botanique et aux menues dépenses de l'Ecole pour l'an X, les frais occasionnés par la réunion et le transport des objets. Il y a tout lieu de penser que cette proposition n'eut pas de suite puisque bientôt les Ecoles Centrales furent supprimées. Après la fermeture de l'Ecole Centrale, les scellés furent apposés le 6 thermidor an XI, en vertu d'un arrêté du préfet et en application d'une décision du gouvernement en date du 16 floréal de la même année, sur la porte du cabinet d'histoire naturelle. Une décision du gouvernement du 8 pluviose an XI devait mettre à la disposition et sous la surveillance de la ville de Perpignan, entre autres dépôts, le cabinet d'histoire naturelle. Les objets composant ledit cabinet furent alors remis au citoyen Lasserre, adjoint au maire, après avoir été à nouveau inventoriés.

Après cette date ce n'est que épisodiquement que l'on s'occupera du cabinet d'histoire naturelle bien que Emmanuel Bonafos en soit considéré toujours comme responsable. Sous la Restauration le 20 novembre 1816 le bureau des Sciences et des Beaux-Arts du Ministère de l'Intérieur écrivait à M. Villiers du Terrage, alors préfet des Pyrénées-Orientales, et lui demandait des renseignements sur l'état des collections d'histoire naturelle qui avaient servi à l'enseignement dans l'ancienne Ecole Centrale. Le ministère s'inquiétait de la conservation de ces objets et désirait savoir s'ils pouvaient être utilisés pour l'enseignement. Le préfet, dans sa réponse du 27 février 1817, notait que les collections étaient alors peu importantes et que «pour leur donner plus d'intérêt, il conviendrait de prendre des mesures pour y réunir les substances naturelles répandues sur les divers points des Pyrénées-Orientales». Le Ministre de l'intérieur retenait cette dernière proposition et engageait le préfet à la soumettre au conseil municipal de Perpignan. Emmanuel Bonafos était à nouveau consulté et il lui était demandé de faire des propositions. Nous ne connaissons pas la suite qui fut donnée à ce projet.

Nul doute que le cabinet d'histoire naturelle resta alors en sommeil pour ne réapparaître que dans les années 1830. Sa reconstitution fut alors étroitement liée à l'activité et au développement d'une Société savante, aux champs d'intérêts variés qui regroupa l'élite du Roussillon à cette époque : la Société Philomatique, qui devint plus tard la Société Agricole Scientifique et Littéraire des Pyrénées-Orientales (8). Dès 1833, année de sa fondation officielle, la Société Philomatique accorda une place privilégiée aux matières scientifiques : bon nombre de ses correspondants étaient médecins, phar-maciens, professeurs ou ingénieurs. Animés d'une véritable passion pour leur pays, rien de ce qui concernait le Roussillon ne laissait ses membres indifférents et leurs préoccupations étaient multiples. Jaubert de Réart traduisait cette attitude en proclamant : «Faisons tous nos efforts pour qu'on puisse dire un jour : il y eut à Perpignan une Société d'hommes à intentions généreuses dont les travaux furent utiles à leur pays». Citation toujours en exergue dans la revue.

Très tôt des objets destinés aux collections furent déposés à la Société où les interventions scientifiques étaient fréquentes lors des réunions bimensuelles.

Pour la renaissance du cabinet d'histoire naturelle, la séance du 4 septembre 1835 fut déterminante. Sur proposition du Président Jaubert de Réart, il était convenu d'ouvrir un recueil qui porterait in extenso les articles proposés par les membres. Au cours de cette même séance, M. Bouis regrettait que le Conseil Général n'ait pas alloué de crédit pour la publication d'un bulletin et insistait sur la nécessité, comme la Société «se trouve dans l'impossibilité de donner encore une publicité convenable aux mémoires qui lui sont présentés, pour qu'elle puisse poursuivre néanmoins ses projets d'amélioration, de créer un cabinet où seraient réunis seulement nos objets d'art, d'histoire naturelle, de production territoriale anciens ou modernes». M. Bouis exprimait ainsi publiquement, le premier projet de reconstitution d'un muséum régional. Notons que cette fois, cela ne résulte pas de l'évolution naturelle d'une institution, telle l'Université, mais de l'initiative collective d'une élite intellectuelle passionnée par tous les aspects du développement de son pays. La proposition de M. Bouis était suivie d'effet, et la Société le 18 septembre 1835 nommait une commission pour la formation du Musée. Cette commission comprenait MM. Bouis, Jaubert de Réart, Farines et Companyo dont le nom apparaît pour la première fois dans les registres de la Société, le 16 septembre 1835 lorsqu'il fut chargé de faire un rapport sur la tête monstrueuse d'un jeune veau.

L'année 1836 fut féconde pour l'accroissement des collections. Le 6 avril, en effet, M. Aleron, ébéniste à Perpignan connu pour ses recherches en histoire naturelle, faisait don à la Société d'un tableau réunissant la collection complète des Mollusques fluviatiles et terrestres du département. La Société remercia le donateur, le nomma membre correspondant et décida qu'en tête du tableau il serait inscrit «fait et offert à la Société Philomatique de Perpignan le 6 avril 1836». Le tableau fut placé dans la salle des séances (9). M. Aleron proposa de rassembler, à l'intention de la Société, une collection de tous les coléoptères du département. D'autres dons, souvent des échantillons minéralogiques localisés et identifiés avec précision, sont venus enrichir les collections ; ils étaient le fait des membres de la Société comme MM. Grosset, Bouis, Dalbiès, Parès et leurs amis. La Société alors constitua une commission pour l'histoire naturelle avec MM. Delocre et Companyo comme rapporteurs, le 15 juin 1836, MM. Companyo, Delocre et Sirven étaient désignés pour dresser l'inventaire des collections ; le 20 juillet M. Companyo lut le rapport de la commission et la liste qu'il venait d'établir des Oiseaux trouvés dans le département. Cette même année 1836 plusieurs Entomologistes éminents furent nommés membres de la Société, tels A. Chevrolat, membre de la Société entomologique de France et M. Muzant, professeur d'entomologie à Lyon.

Dès lors, l'histoire naturelle occupa une place prépondérante parmi les activités de la Société, et sur cet élan, l'année 1837 fut exceptionnellement fructueuse. En effet, au mois d'août, la Société reçut une lettre de M. Boluix, enseigne de vaisseau, dans laquelle il annonçait qu'il offrait «plus de 300 Oiseaux d'Afrique, des tableaux de Papillons et autres Insectes, quelques quadrupèdes du Brésil et de la bande orientale». Cette collection était destinée à la ville de Perpignan pourvu que son conseil municipal réserve un local convenable pour un cabinet d'histoire naturelle et alloue un crédit suffisant à son installation. La Société exprima ses remerciements à M. Boluix et l'admit comme membre correspondant. Le Président chargea alors une commission composée de MM. Fraisse, Rouffia, et Bouis de solliciter du Conseil Municipal un local et les crédits nécessaires à son installations. Le bulletin de la Société daté de 1837 publia le catalogue des Oiseaux trouvés dans le département des Pyrénées-Orientales, préparés et mis en collection par Companyo et le catalogue des Mammifères. Les collections avaient atteint une telle importance, qu'elles suscitèrent à la fois chez les membres de la Société et les donateurs, le désir de leur donner un cadre institutionnel et matériel qui les rendrait plus accessibles au public. Le développement de l'Histoire naturelle dans les activités de la Société était marqué par l'élection de deux scientifiques à des postes clefs, M. Bouis à la présidence, M. Companyo au secrétariat et la nomination de V. Audouin entomologiste, membre de l'Institut, comme membre correspondant.

Aucun aspect de l'histoire naturelle n'était oublié et le 26 octobre 1938, M. Bouis faisait part aux membres de l'envoi d'un champignon bizarre, qu'il déposait sur le bureau. La Société inaugurait ainsi une activité mycologique dans les Pyrénées-Orientales !

La diversification des activités de la Société accompagnait son développement et le 6 février 1839 cette évolution était illustrée par un changement d'appellation, la Société Philomatique devenait Société des Pyrénées-Orientales, Sciences, Belles Lettres, Arts industriels et agricoles.

Le Président, M. Fraisse, soulignait que la ville ne paraissait pas décidée à faire les frais de l'exposition des objets d'histoire naturelle, Mammifères, Oiseaux, Papillons, Insectes, etc... offerts par M. Boluix, et proposait de les réclamer pour les ranger dans les armoires appropriées que la Société placerait dans la salle des séances. Cette proposition fut adoptée à l'unanimité comme étant la seule qui offrit des garanties pour la conservation de ces objets et leur présentation. Il fut décidé d'adresser une lettre en ce sens au Maire, suggérant par la même, la mise en place du Muséum d'histoire naturelle. A partir de là, l'entretien et l'exposition des collections furent une préoccupation constante pour la Société qui cherchait à régler ces questions en collaboration avec la ville. Le 6 mars 1839, M. Companyo donna un catalogue complet des objets d'histoire naturelle classés méthodiquement, qui avait été légués par M. Boluix. Une lettre fut alors adressée au Maire de Perpignan pour obtenir, d'une part la cession de cette collection que la Société se proposait d'accueillir et de faire visiter les jours d'ouverture du Musée, et d'autre part les fonds nécessaires à la confection des armoires vitrées.

Le 15 mars 1839, le Maire répondait : «Je m'empresse de vous informer que le conseil municipal a adopté la proposition que vous avez faite par lettre du 7 de ce mois de transférer dans la salle de votre Société la collection donnée par M. Boluix, ainsi que les objets d'histoire naturelle de l'ancien cabinet. Vous pouvez en conséquence faire retirer soit de la mairie, soit de la maison de M. Companyo qui a bien voulu jusqu'à ce jour en conserver le dépôt, tous les objets se rattachant au cabinet d'histoire naturelle».

On peut considérer dès lors que le cabinet d'histoire naturelle était constitué ; des crédits allaient être affectés par la Société à l'accroissement des collections. Sur proposition de plusieurs membres une somme de 100 F. fut attribuée à M. Companyo afin qu'il puisse parer aux achats des objets de sciences naturelles qu'il trouverait à acquérir pour le compte de la Société. Le Conseil Municipal avait d'ailleurs déjà attribué un crédit à M. Companyo qui avait acheté une grande quantité de matériel pour la préparation des Oiseaux.

Le 8 mai 1839, M. Companyo annonça qu'il avait retiré le reste de la collection d'histoire naturelle de l'ancien cabinet déposée à la mairie. Il en donnait une liste succincte.

1 - 200 échantillons de minéralogie,
2 - 44 échantillons de stalactites et stalagmites,
3 - 26 échantillons d'arbres de mer,
4 - 5 pierres marines,
5 - 5 poissons et quelques coquilles indéterminées et en mauvais état,
6 - 1 carton d'éponges et de plantes marines,
7 - 27 cartons de plantes,
8 - 1 arbre en fer blanc peint en vert.

Le maire de la ville de Perpignan envisageait alors de régler conjointement les questions relatives au Musée et au cabinet d'histoire naturelle. Par lettre du 19 août 1839 il invitait la Société à charger une commission de tout ce qui pouvait concerner le Musée et le Cabinet ; ces deux institutions rentraient donc officiellement dans les attributions et sous la surveillance de la Société. La commission fut nommée immédiatement, composée par MM. Companyo, Guiraud, Bassal, Basterot, Caffe, E. Durand, Fraisse et Aleron.

En cette année 1839, le prestige des collections perpignanaises débordait le cadre local et attirait l'attention de l'administration centrale. Le ministre de l'Intérieur informait M. Fraisse de son intention d'envoyer divers objets d'histoire naturelle du Muséum national de Paris, ainsi que quelques tableaux pour le Musée. Dans ce même temps le cabinet d'histoire naturelle s'enrichissait constamment d'échantillons très diversifiés mais toujours pleins d'intérêt.

Comme on pouvait le prévoir, ce développement spectaculaire n'allait pas sans poser des problèmes financiers et matériels de plus en plus aigus à la Société, qui fut amenée à solliciter une aide de la mairie. En 1840, le 22 janvier, M. Fraisse, président sortant, dressa, dans son discours de fin de mandat le bilan de l'action de la Société en faveur du cabinet :

«La ville nous doit, Messieurs, le cabinet d'histoire naturelle qui décore le local de nos séances. M. Boluix, lieutenant de vaisseau, en envoyant une riche collection d'Oiseaux, d'Insectes, nous a permis d'arriver tout d'un coup à former un des plus jolis cabinets de province. Je ne puis m'empêcher de reconnaître ni le zèle et le désintéressement de M. Companyo ; plus de 500 animaux ont été préparés par ce naturaliste ; vous pouvez, en jetant vos regards autour de cette salle, apprécier le long et minutieux travail auquel il s'est livré par amour pour la science et afin de conserver la collection donnée par notre généreux compatriote. Je vais, avant de quitter le bureau, devoir comme témoin de sa peine et des soins que M. Companyo s'est imposés, proposer de lui voter des remerciements, ainsi qu'à M. Boluix».

En réponse, M. Boluix fit observer que pendant son dernier voyage il avait recueilli une collection de Reptiles dont il se disposait à faire hommage à notre ville, mais ayant appris qu'aucune disposition sérieuse n'était prise pour l'établissement d'un cabinet d'histoire naturelle il se décida de la donner à celui de Montpellier. Toutefois, apprenant les sacrifices que la Société s'était imposés, il promettait de lui envoyer de nouvelles collections.

A partir de ce moment-là, les choses évoluèrent rapidement, la ville ayant pris réellement conscience de l'importance du cabinet d'histoire naturelle et de minéralogie. Le maire et la Société échangèrent une correspondance assidue pour régler au mieux les questions relatives au cabinet d'histoire naturelle et au musée qui avaient été alors couplés.

Le 28 mars 1840 la Société rappelait que le cabinet d'histoire naturelle et de minéralogie ont toujours été considérés comme propriété de la ville, la Société n'ayant en vue, en les formant, que l'intérêt général. Il était décidé de dresser l'inventaire des objets qu'il renfermait et de préciser les dépenses que leur installation avait occasionnées. Il était demandé en outre, pour couvrir l'ensemble des frais, une allocation de 2.000 F. au Conseil municipal et bien que la Société fit cession des objets qu'elle avait recueillis, elle se réservait expressément la direction des deux cabinets sous le patronage de l'autorité municipale.

Le maire fut immédiatement informé de ces demandes. Comme une commission du conseil municipal avait déjà étudié les problèmes relatifs au cabinet d'histoire naturelle, et en particulier la situation financière de la Société, le Conseil municipal pouvait, dans sa séance du 6 avril 1840 autoriser le maire à acheter à la Société du mobilier de rangement jusqu'à concurrence de 2.000 F.

Les conseillers municipaux accordèrent à cette question toute leur attention. Ils reconnurent l'utilité de l'intervention de la Société et son rôle prépondérant mais revendiquèrent pour la ville la direction de l'entreprise. Le souci de protéger la propriété de la ville fut marqué par l'intervention d'un conseiller qui rappela que le premier exercice du droit de propriété est l'administration de la chose possédée.

La nécessité d'une gestion rationnelle du cabinet se manifestait impérativement et la Société en vint à proposer une solution définitive exprimée dans le rapport de la commission présentée par M. Durand le 4 juin 1840 et adopté. Le voici (10) :

Article l - La Société des Pyrénées-Orientales déclare que le cabinet d'histoire naturelle est la propriété de la ville.
Article 2. - Elle accepte l'allocation de 2 000 F votée par le Conseil Municipal dans sa séance du 6 avril dernier pour concourir aux frais d'installation du cabinet.
Article 3. - La Société, en renonçant à son titre de propriété et à son droit d'usufruit se réservera néanmoins par exprès la faculté de présentation des trois candidats afin que le maire choisisse l'un deux pour être conservateur du cabinet. Ces fonctions exigeant un emploi du temps, un travail assidu et long, la Société demande qu'elles soient rétribuées. Le Conseil Municipal fixera le chiffre en raison de l'importance de ces fonctions.
- La Société qui a reconnu l'indispensable nécessité d'un conservateur du cabinet, n'en apportera pas moins son tribut de zèle de tous ses membres pour aider le Conseil Municipal dans le développement qu'il est appelé à donner à cet établissement urbain.»

Dans sa séance du 4 août 1840, le Conseil Municipal entérinait les propositions de la Société bien que quel-ques réticences se fissent jour au sujet du mode de nomination du Conservateur. Il fut précisé qu'une fois la nomination faite, le Conservateur serait assimilé aux divers employés rétribués par la commune. Le 16 décembre 1840 la Société désignait les trois personnes à présenter au maire pour le choix d'un Conservateur du cabinet d'histoire naturelle ; il s'agissait de MM. Companyo, Fraisse et Méric. Une précision fut donnée au Maire : seul M. Companyo avait obtenu l'unanimité des suffrages. Le 21 décembre 1840, ce dernier est nommé conservateur du cabinet d'histoire naturelle et de minéralogie. La Société en était informée par une lettre du maire datée du 6 janvier 1841.

Dès lors la gestion du Muséum d'histoire naturelle fut assurée par la ville de Perpignan.

© Robert Bourgat
© F.G. Belledent
© S.A.S.L. des Pyrénées-Orientales



(1)   Archives Départementales des Pyrénées-Orientales C 1307 : Université littéraire de Perpignan.

(2)  Carrère (Joseph, Barthélémy, François). - Voyage pittoresque de la France avec la description de toutes ses provinces. Province du Roussillon par I.B.F. Carrère. Paris, impr. de Monsieur, 1787. - pp. 85-86.

(3)  Archives Départementales des Pyrénées-Orientales 1 C 1306 : Tout laisse à penser, bien que son prénom ne figure pas dans les divers documents du dossier de cette affaire, en particulier dans l'arrêté du Conseil du roi du 3 juillet 1773 le destituant, qu'il s'agit bien de Joseph, Barthélémy, François Carrère. En effet, ses homonymes qui avaient exercé la médecine comme Jean Carrère ou les fonctions de professeur de médecine comme Thomas Carrère, étaient morts le premier en 1767, le second en 1764. Ce dernier ne pouvait donc pas, comme cela a été affirmé parfois par erreur, être à l'origine du Cabinet.

(4)  Voir bibliographie.

(5)   Archives départementales des Pyrénées-Orientales L 1122. Inventaire du cabinet d'histoire naturelle de l'ancienne Université. La publication de cet inventaire n'a pas été possible dans le présent bulletin à cause de son coût. Il est néanmoins également consultable sous forme dactylographiée à la bibliothèque universitaire de Perpignan.

(6)  Archives départementales des Pyrénées-Orientales. 4 T 79 : Rapport le Cabinet d'Histoire naturelle An IX et inventaire des objets d'Histoire naturelle de l'Ecole Centrale. Voir la reproduction partielle de l'inventaire.

(7)  Archives départementales des Pyrénées-Orientales 1 T 337 : Ecole Centrale, etc...

(8)  Cf. Guiter (Henri) et Rosset (Philippe) dans la bibliographie.

(9)  Ce tableau est toujours visible au Muséum dans la salle consacrée aux coquillages et poissons. Consultez à ce sujet le Rapport de MM. Delocre et Companyo sur un tableau contenant une collection de mollusques terrestres et fluviatiles du département des Pyrénées-Orientales offert à la Société Philomatique par M. Aleron. In : vol. III du bulletin de la Société Philomatique. pp. 85 à 104.

(10)  Document déjà publié par la Société Agricole Scientifique et Littéraire. Vol. L 1909, pp. 191-232.


Sources

Archives départementales des Pyrénées-Orientales
Série C : Intendance du Roussillon
1 C 1306 - 1 C 1307 Université littéraire de Perpignan.
Série L : L 1122 Inventaire du Cabinet d'Histoire naturelle de l'ancienne Université.
Série T : 4 T79 Rapport sur le Cabinet d'Histoire naturelle.
1T 337: Dossier Ecole Centrale, etc.

Premier registre des procès-verbaux de séance de la Société Philomatique de Perpignan 1833-1854 (devenue en 1839 Société des Pyrénées-Orientales). Conservé à la Bibliothèque de la Société Agricole Scientifique et Lit-téraire, Hôtel Pams.

Bibliographie

BASSOULS (Georges). 1963. - Le Muséum d'Histoire naturelle. In : Reflets du Roussillon, 43: 23-32.

BOUIS (Dominique). - Compte rendu des travaux de la Société pendant l'année 1836. Sciences naturelles. In : vol. 3 du bulletin de la Société des Pyrénées-Orientales, pp. 16 à 20.

COMBES (Edouard) et LOUTREL (Gaston). - Muséum d'Histoire naturelle de la ville de Perpignan. Guide du visiteur. (Bulletin de la Société agricole scientifique et littéraire des Pyrénées-Orientales, 50, 1909, pp. 191-232).

COMPANYO (Baudile, Jean, Louis). - Compte rendu des travaux de la Société pendant l'année 1838. pp. 21 à 36. In : Vol. 5 de la Société des Pyrénées-Orientales.

COMPANYO (Baudile, Jean, Louis). - Musée d'Histoire naturelle (nouvelles collections) (Journal des Pyrénées-Orientales, 15, 1843).

COMPANYO (Baudile, Jean, Louis). - Muséum d'Histoire naturelle de Perpignan. (Journal des Pyrénées-Orientales, 14, 1866).

GUITER (Henri). - La Société agricole, scientifique et littéraire des Pyrénées-Orientales. In : Actes du 100e Congrès National des Sociétés Savantes, Paris, 1975. Section d'Histoire moderne et contemporaine, p. 351 à 358.
Musée et Cabinet d'histoire naturelle de la ville de Perpignan. (Journal des Pyrénées-Orientales, 24, 1843).

PAUL (DM.). - Compte rendu des travaux de la Société pendant l'année 1839. In : Vol. 5 du bulletin de la Société des Pyrénées-Orientales.

ROSSET (Philippe). - Culture et élite sociale sous la Monarchie de Juillet. L'exemple de la Société agricole, scientifique et littéraire des Pyrénées-Orientales. Communication au 106e Congrès des Sociétés Savantes. Perpignan, avril 1981. Communication à paraître.

SIRVEN (Emmanuel). - Compte rendu des travaux de la Société pendant l'année 1837. pp. 1-8. In : Vol. 4 du bulletin de la Société des Pyrénées-Orientales.

SIRVEN (Emmanuel). - Compte rendu des travaux de la Société pendant l'année 1840. In : Vol. 5 du bulletin de la Société des Pyrénées-Orientales. p. 5 à 18.
Une visite au Muséum d'histoire naturelle de Perpignan. (Le Roussillon 1875, No 219-220, 222-225, 228, 237, 238, 240).

TORREILLES (Abbé Ph.). - L'Ecole Centrale de Perpignan (1796-1804). In : Bulletin de la Société Agricole Scientifique et Littéraire des Pyrénées-Orientales. 1894, pp. 187-252.

TORREILLES (Abbé Ph.). - L'Université de Perpignan avant et pendant la Révolution Française. In : Bulletin de la Société Agricole Scientifique et Littéraire des Pyrénées-Orientales. 1892, pp. 273-386.