Personnages

  • Hérode Antipas, Tétrarque de Judée
  • Iokanaan, le prophète
  • Le jeune Syrien, capitaine de la garde
  • Tigellin, un jeune Romain
  • Naaman, le bourreau
  • Hérodias, femme du Tétrarque
  • Salomé, fille d'Hérodias
  • Un Cappadocien
  • Un Nubien
  • Premier soldat
  • Second soldat
  • Les esclaves de Salomé
  • Le page d'Hérodias
  • Des Juifs, des Nazaréens, etc
  • Un esclave

Une grande terrasse dans le palais d'Hérode donnant sur la salle de festin. Des soldats sont accoudés sur le balcon. A droite il y a un énorme escalier. A gauche, au fond, une ancienne citerne entourée d'un mur de bronze vert. Clair de lune.

NB : La pièce d'Oscar Wilde n'est constituée que d'un seul acte. Mais pour éviter des temps de chargement trop longs, nous l'avons découpée en cinq unités ou « tableaux ».


A mon ami Pierre Louÿs

LE JEUNE SYRIEN
Comme la princesse Salomé est belle ce soir !

LE PAGE D'HÉRODIAS
Regardez la lune. La lune a l'air très étrange. On dirait une femme qui sort d'un tombeau. Elle ressemble à une femme morte. On dirait qu'elle cherche des morts.

LE JEUNE SYRIEN
Elle a l'air très étrange. Elle ressemble à une petite princesse qui porte un voile jaune, et a des pieds d'argent. Elle ressemble à une princesse qui a des pieds comme des petites colombes blanches... On dirait qu'elle danse.

LE PAGE D'HÉRODIAS
Elle est comme une femme morte. Elle va très lentement.

Bruit dans la salle de festin.

PREMIER SOLDAT
Quel vacarme ! Qui sont ces bêtes fauves qui hurlent ?

SECOND SOLDAT
Les Juifs. Ils sont toujours ainsi. C'est sur leur religion qu'ils discutent.

PREMIER SOLDAT
Pourquoi discutent-ils sur leur religion ?

SECOND SOLDAT
Je ne sais pas. Ils le font toujours. Ainsi les Pharisiens affirment qu'il y a des anges, et les Sadducéens disent que les anges n'existent pas.

LE JEUNE SYRIEN
Comme la princesse Salomé est belle ce soir !

LE PAGE D'HÉRODIAS
Vous la regardez toujours. Vous la regardez trop. Il ne faut pas regarder les gens de cette façon... Il peut arriver un malheur.

LE JEUNE SYRIEN
Elle est très belle ce soir.

PREMIER SOLDAT
Le tétrarque a l'air sombre.

SECOND SOLDAT
Oui, il a l'air sombre.

PREMIER SOLDAT
Il regarde quelque chose.

PREMIER SOLDAT
Je trouve que c'est ridicule de discuter sur de telles choses.

SECOND SOLDAT
Il regarde quelqu'un.

PREMIER SOLDAT
Qui regarde-t-il ?

SECOND SOLDAT
Je ne sais pas.

LE JEUNE SYRIEN
Comme la princesse est pâle ! Jamais je ne l'ai vue si pâle. Elle ressemble au reflet d'une rose blanche dans un miroir d'argent.

LE PAGE D'HÉRODIAS
Il ne faut pas la regarder. Vous la regardez trop !

PREMIER SOLDAT
Hérodias a versé à boire au tétrarque.

LE CAPPADOCIEN
C'est la reine Hérodias, celle-là qui porte la mitre noire semée de perles et qui a les cheveux poudrés de bleu ?

PREMIER SOLDAT
Oui, c'est Hérodias. C'est la femme du tétrarque.

SECOND SOLDAT
Le tétrarque aime beaucoup le vin. Il possède des vins de trois espèces. Un qui vient de l'île de Samothrace, qui est pourpre comme le manteau de César.

LE CAPPADOCIEN
Je n'ai jamais vu César.

SECOND SOLDAT
Un autre qui vient de la ville de Chypre, qui est jaune comme de l'or.

LE CAPPADOCIEN
J'aime beaucoup l'or.

SECOND SOLDAT
Et le troisième qui est un vin sicilien. Ce vin-là est rouge comme le sang.

LE NUBIEN
Les dieux de mon pays aiment beaucoup le sang. Deux fois par an nous leur sacrifions des jeunes hommes et des vierges : cinquante jeunes hommes et cent vierges. Mais il semble que nous ne leur donnons jamais assez, car ils sont très durs envers nous.

LE CAPPADOCIEN
Dans mon pays il n'y a pas de dieux à présent, les Romains les ont chassés. Il y en a qui disent qu'ils se sont réfugiés dans les montagnes, mais je ne le crois pas. Moi, j'ai passé trois nuits sur les montagnes les cherchant partout. Je ne les ai pas trouvés. Enfin je les ai appelés par leurs noms et ils n'ont pas paru. Je pense qu'ils sont morts.

PREMIER SOLDAT
Les Juifs adorent un Dieu qu'on ne peut pas voir.

LE CAPPADOCIEN
Je ne peux pas comprendre cela.

PREMIER SOLDAT
Enfin, ils ne croient qu'aux choses qu'on ne peut pas voir.

LE CAPPADOCIEN
Cela me semble absolument ridicule.

LA VOIX D'IOKANAAN
Après moi viendra un autre encore plus puissant que moi. Je ne suis pas digne même de délier la courroie de ses sandales. Quand il viendra la terre déserte se réjouira. Elle fleurira comme le lis. Les yeux des aveugles verront le jour, et les oreilles des sourds seront ouvertes... Le nouveau-né mettra sa main sur le nid des dragons, et mènera les lions par leurs crinières.

SECOND SOLDAT
Faites-le taire. Il dit toujours des choses absurdes.

PREMIER SOLDAT
Mais non ; c'est un saint homme. Il est très doux aussi. Chaque jour je lui donne à manger. Il me remercie toujours.

LE CAPPADOCIEN
Qui est-ce ?

PREMIER SOLDAT
C'est un prophète.

LE CAPPADOCIEN
Quel est son nom ?

PREMIER SOLDAT
Iokanaan.

LE CAPPADOCIEN
D'où vient-il ?

PREMIER SOLDAT
Du désert, où il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage. Il était vêtu de poil de chameau, et autour de ses reins il portait une ceinture de cuir. Son aspect était très farouche. Une grande foule le suivait. Il avait même des disciples.

LE CAPPADOCIEN
De quoi parle-t-il ?

PREMIER SOLDAT
Nous ne savons jamais. Quelquefois il dit des choses épouvantables, mais il est impossible de le comprendre.

LE CAPPADOCIEN
Peut-on le voir ?

PREMIER SOLDAT
Non. Le tétrarque ne le permet pas.

LE JEUNE SYRIEN
La princesse a caché son visage derrière son éventail ! Ses petites mains blanches s'agitent comme des colombes qui s'envolent vers leurs colombiers. Elles ressemblent à des papillons blancs. Elles sont tout à fait comme des papillons blancs.

LE PAGE D'HÉRODIAS
Mais qu'est-ce que cela vous fait ? Pourquoi la regarder ? Il ne faut pas la regarder... Il peut arriver un malheur.

LE CAPPADOCIEN, montrant la citerne.
Quelle étrange prison !

SECOND SOLDAT
C'est une ancienne citerne.

LE CAPPADOCIEN
Une ancienne citerne ! cela doit être très malsain.

SECOND SOLDAT
Mais non. Par exemple, le frère du tétrarque, son frère aîné, le premier mari de la reine Hérodias, a été enfermé là-dedans pendant douze années. Il n'en est pas mort. A la fin il a fallu l'étrangler.

LE CAPPADOCIEN
L'étrangler ? Qui a osé faire cela ?

SECOND SOLDAT, montrant le bourreau, un grand nègre.
Celui-là, Naaman.

LE CAPPADOCIEN
Il n'a pas eu peur ?

SECOND SOLDAT
Mais non. Le tétrarque lui a envoyé la bague.

LE CAPPADOCIEN
Quelle bague ?

SECOND SOLDAT
La bague de la mort. Ainsi, il n'a pas eu peur.

LE CAPPADOCIEN
Cependant, c'est terrible d'étrangler un roi.

PREMIER SOLDAT
Pourquoi ? Les rois n'ont qu'un cou, comme les autres hommes.

LE CAPPADOCIEN
Il me semble que c'est terrible.

LE JEUNE SYRIEN
Mais la princesse se lève ! Elle quitte la table ! Elle a l'air très ennuyée. Ah ! elle vient par ici. Oui, elle vient vers nous. Comme elle est pâle. Jamais je ne l'ai vue si pâle...

LE PAGE D'HÉRODIAS
Ne la regardez pas. Je vous prie de ne pas la regarder.

LE JEUNE SYRIEN
Elle est comme une colombe qui s'est égarée... Elle est comme un narcisse agité du vent... Elle ressemble à une fleur d'argent.


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