NB - Cette contribution se borne aux amours du héros qui ne font pas l’objet d’autres recherches particulières. Pour ces dernières, cf Iphigénie, Briséis et Polyxène.

On pense toujours à Achille comme à un guerrier entièrement dédié aux armes et à la guerre, mais Homère déjà parlait de ses amours : Briséis n’est ni la seule ni la première ; Iphigénie était venue à Aulis pour devenir son épouse, et même s'il n'avait pas été prévenu de ce faux projet de mariage, il en avait été bien content ; quant à son amour pour Polyxène, il en resta au stade d'un désir à l'issue tragique.

Déidamie

Ses histoires d'amour avaient d'ailleurs commencé bien plus tôt, puisqu'à peine sorti de l'enfance, il s'était lié, dans l’île de Scyros, à Déidamie qui en avait conçu Néoptolème. Cependant la notice de Proclus (Chrestomathie I 130) évoque un Achille bien plus âgé :

Ἀχιλλεὺς δὲ Σκύρῳ προσσχὼν γαμεῖ τὴν Λυκομήδους θυγατέρα Δηϊδάμειαν.
Et Achille aborde à Scyros et épouse Déidamie, la fille de Lycomède.

Aucune trace ne subsiste du mythe traditionnel.

Hélène

Le Cycle contient une autre notice, qui nous rappelle qu’Achille lui aussi avait pris part à la compétition pour Hélène :

καὶ μετὰ ταῦτα Ἀχιλλεὺς Ἑλένην ἐπιθυμεῖ θεάσασθαι, καὶ συνήγαγεν αὐτοὺς εἰς τὸ αὐτὸ Ἀφροδίτη καὶ Θέτις.

Après quoi (on est au début de la guerre) Achille désire voir Hélène : Aphrodite et Thétis les amènent au même endroit.

Amours homosexuelles

Mais enfin, ces amours paraissent régulières et ne mériteraient pas d'attention spéciale (nonobstant les moralistes chrétiens, qui reprochaient à un Achille de neuf ans de s’être habillé en femme au cours de l'épisode de son amour pour Déidamie…).

Quant à son affection pour Patrocle, elle n’étonne point ceux qui connaissent Platon et les habitudes grecques. Voyons donc le témoignage d’Apollodore à ce sujet (Bibliothèque. III, 13, 8, passim)

…συνείπετο δὲ καὶ Πάτροκλος ὁ Μενοιτίου … καὶ Ἀχιλλέως ἐρώμενος γίνεται.

Quand Achille était aussi accompagné de Patrocle, le fils de Ménoetios … et il devint l'amant d'Achille.


Les choses deviennent bien plus compliquées à propos d'un autre amour homosexuel, dont nous parle Lycophron de manière tout à fait obscure, comme à son habitude. Son scholiaste et, beaucoup plus tard, Servius seront au contraire tout à fait clairs :

Lycophron, Alexandra, 307-8 :

Αἰαῖ, στενάζω καὶ σὸν εὔγλαγον θάλος,
ὦ σκύμνε, τερπνὸν ἀγκάλισμα συγγόνων


"Hélas, je pleure aussi ta candide fleur,
ô petit lion, belle joie de tes proches !"

Scholium ad locum

Achille enleva Troïlus et puis il le posséda dans le temple d'Apollon. Ou peut-être l'attira-t-il par un cadeau et puis il le tua.

Virgile, dans l'Enéide ( I 477), semblait parler d’une action de guerre normale :

Parte alia fugiens amissis Troilus armis,
infelix puer atque impar congressus Achilli,
fertur equis,curruque haeret resupinus inani,
lora tenens tamen ; huic cervixque comaeque trahuntur
per terram, et versa pulvis inscribitur hasta.

D'un autre côté, c'est Troïlus qui fuit, sans ses armes,
malheureux enfant engagé dans un combat inégal avec Achille :
emporté par ses chevaux, il reste accroché, tête en arrière, à  son char vide,
mais tient encore les rênes ; sa tête, sa chevelure traînent sur le sol,
et sa lance retournée trace des marques dans la poussière.

Mais voici la note de Servius, ad locum :

et veritas quidem hoc habet : Troili amore Achillem ductum palumbes ei quibus ille delectabatur obiecisse : quas cum vellet tenere, captus ab Achille in eius amplexibus periit. sed hoc quasi indignum heroo carmine mutavit poeta.

Mais voici la vérité : Achille, poussé par son désir pour Troilus, lui proposa des palombes, dont raffolait le jeune garçon ; quand il voulut les prendre, il fut attrapé par Achille, possédé et tué dans cette étreinte. Mais dans ses vers le poète a modifié cette histoire, comme indigne du héros.


Penthésilée

La conduite amoureuse (il faudrait plutôt dire érotique, ou pervertie) d’Achille ne s’arrête pas là. Il aurait aimé de façon absolument particulière la reine des Amazones, Penthésilée, après l’avoir blessée à mort. Cette histoire remonte au cycle homérique, comme Proclus le raconte et le confirment plus tard Apollodore et Servius.

Proclus, Chrestomathie, livre I,175-180

Ἀμαζὼν Πενθεσίλεια παραγίνεται Τρωσὶ συμμαχήσουσα, Ἄρεως μὲν θυγάτηρ, Θρᾷσσα δὲ τὸ γένος· καὶ κτείνει αὐτὴν ἀριστεύουσαν Ἀχιλλεύς, οἱ δὲ Τρῶες αὐτὴν θάπτουσι. καὶ Ἀχιλλεὺς Θερσίτην ἀναιρεῖ λοιδορηθεὶς πρὸς αὐτοῦ καὶ ὀνειδισθεὶς τὸν ἐπὶ τῇ Πενθεσιλείᾳ λεγόμενον ἔρωτα· καὶ ἐκ τούτου στάσις γίνεται τοῖς Ἀχαιοῖς περὶ τοῦ Θερσίτου φόνου.

L’Amazone Penthésilée, fille d’Arès et thrace d’origine, vient combattre avec les Troyens. Elle est tuée par Achille malgré (ou à cause de) sa valeur, et les Troyens l’ensevelissent. Achille tue Thersite qui l’avait insulté et blâmé pour son amour envers Penthésilée dont on parlait ; il s'ensuit une révolte des Achéens à cause du meurtre de Thersite.

Apollodore, Épitome, V, 19 1

ὅτι Πενθεσίλεια, Ὀτρηρῆς καὶ Ἄρεος, ἀκουσίως Ἱππολύτην κτείνασα καὶ ὑπὸ Πριάμου καθαρθεῖσα, μάχης γενομένης πολλοὺς κτείνει, ἐν οἷς καὶ Μαχάονα: εἶθ' ὕστερον θνήσκει ὑπὸ Ἀχιλλέως, ὅστις μετὰ θάνατον ἐρασθεὶς τῆς Ἀμαζόνος κτείνει Θερσίτην λοιδοροῦντα αὐτόν.

Penthésilée, fille d’Otrère et d'Arès, avait tué involontairement Hippolyte et avait été purifiée par Priam. Au cours d'une bataille, elle tue beaucoup de Grecs, parmi lesquels Machaon. Plus tard, elle meurt de la main d’Achille, qui après sa mort en reste épris et tue Thersite qui l’insultait.


Virgile mentionne deux fois le nom de Penthésilée (Enéide I 489 sqq )

(un tableau du temple de Junon à Carthage)

Ducit Amazonidum lunatis agmina peltis
Penthesilea furens, mediisque in milibus ardet,
aurea subnectens exsertae cingula mammae,
bellatrix, audetque viris concurrere virgo.

Penthésilée, ardente et pleine de fougue, parmi ses mille compagnes, conduit les bataillons des Amazones, à l'écu en forme de lune ; sous son sein nu, elle a attaché un baudrier d'or, la guerrière, la vierge qui ose se mesurer aux hommes.

Note de Servius :

Penthesilea fvrens furentem ideo dixit, quia sororem suam in venatione confixit simulans se cervam ferire. sed hoc per transitum tangit, nam furor bellicus intellegitur. an 'furens', quia maiora viribus audebat. haec tamen Martis et Otreres filia fuit, quam Achilles cum adversum se pugnantem peremisset post mortem eius adamavit eamque honorifice sepelivit.

Et , de manière indirecte en parlant de Camille (Enéide XI 653 sqq) :

illa etiam, si quando in tergum pulsa recessit,
spicula conuerso fugientia derigit arcu.
at circum lectae comites, Larinaque uirgo
Tullaque et aeratam quatiens Tarpeia securim,
Italides, quas ipsa decus sibi dia Camilla
delegit pacisque bonas bellique ministras:
quales Threiciae cum flumina Thermodontis
pulsant et pictis bellantur Amazones armis,
seu circum Hippolyten seu cum se Martia curru
Penthesilea refert, magnoque ululante tumultu
feminea exsultant lunatis agmina peltis.

Et quand, poussée dans le dos, elle se replie,
tout en fuyant elle retourne encore son arc et lance ses traits.
Autour d'elle, ses compagnes de prédilection, la vierge Larina,
et Tulla, et Tarpéia qui agite une hache de bronze;
ce sont des filles d'Italie que la divine Camille s'est choisies
pour l'honorer et la servir, dans la paix comme dans la guerre :
telles ces femmes de Thrace lorsqu'elles frappent les flots du Thermodon,
ces Amazones qui guerroient avec des armes peintes,
autour d'Hippolyté, ou lorsque la fille de Mars, Penthésilée,
se retire sur son char, et que dans un grand tumulte et des hurlements,
des troupes de femmes bondissent avec des boucliers en forme de lune.

Servius, ad locum

Hippolyten haec Amazonum fuit regina, cui victae Hercules balteum sustulit. huius filia fuit Antiopa, quam Theseus rapuit, unde Hippolytus. Martia aut bellicosa, aut Martis filia. quae ab Achille occisa ac mortua adamata est : ut non nulli vero adserunt, cum Achille concubuit, et ex eo Caystrum filium edidit, ex quo flumen Lydiae ita appellatur.

Cette Hipolyte était la reine des Amazones à qui, quand il la vainquit, Hercule ôta son baudrier. Sa fille fut Antiope, qui fut violée par Thésée et en eut Hippolyte. Martia signifie soit bellliqueuse, soit fille de Mars. Elle fut tuée par Achille, qui s'en éprit après sa mort. Mais certains affirment qu'elle coucha avec Achille et qu'elle en eut son fils Caystros, qui a donné son nom au fleuve de Lydie.

Properce (III 11,14) aussi avait parlé de cette passion subite d’Achille, avec un bel oxymore :

ausa ferox ab equo quondam oppugnare sagittis
Maeotis Danaum Penthesilea rates;
aurea cui postquam nudavit cassida frontem,
vicit victorem candida forma virum.

La fière Penthésilée, montée sur un coursier fougueux, osa jadis
arrêter les vaisseaux des Grecs de ses flèches rapides ;
mais quand elle eut dépouillé son front du casque d'or,
elle triompha, par sa beauté, de son vainqueur lui-même.

Dans la ligne du Cycle et d’Apollodore, on trouve aussi Quintus de Smyrne, Posthomerica I 663-810, passim.

Οἳ δ’, ὡς ἴδον, ἀμφιέποντες
Ἀργεῖοι θάμβησαν, ἐπεὶ μακάρεσσιν ἐῴκει.
Κεῖτο γὰρ ἐν τεύχεσσι κατὰ χθονὸς ἠύτ’ ἀτειρὴς
Ἄρτεμις ὑπνώουσα Διὸς τέκος, εὖτε κάμῃσι
γυῖα κατ’ οὔρεα μακρὰ θοοὺς βάλλουσα λέοντας·
αὐτὴ γάρ μιν ἔτευξε καὶ ἐν φθιμένοισιν ἀγητὴν
Κύπρις ἐυστέφανος κρατεροῦ παράκοιτις Ἄρηος,
ὄφρά τι καὶ Πηλῆος ἀμύμονος υἷ’ ἀκαχήσῃ.
Πολλοὶ δ’ εὐχετόωντο κατ’ οἰκία νοστήσαντες
τοίης <τῆσδ’> ἀλόχοιο παρὰ λεχέεσσιν ἰαῦσαι.
Καὶ δ’ Ἀχιλεὺς ἀλίαστον ἑῷ ἐνετείρετο θυμῷ,
οὕνεκά μιν κατέπεφνε καὶ οὐκ ἄγε δῖαν ἄκοιτιν
Φθίην εἰς εὔπωλον, ἐπεὶ μέγεθός τε καὶ εἶδος
ἔπλετ’ ἀμώμητός τε καὶ ἀθανάτῃσιν ὁμοίη. [...]
Καὶ τότ’ ἀρήιοι υἷες ἐυσθενέων Ἀργείων
σύλεον ἐσσυμένως βεβροτωμένα τεύχεα νεκρῶν
πάντῃ ἐπεσσύμενοι. Μέγα δ’ ἄχνυτο Πηλέος υἱὸς
κούρης εἰσορόων ἐρατὸν σθένος ἐν κονίῃσι·
τοὔνεκά οἱ κραδίην ὀλοαὶ κατέδαπτον ἀνῖαι,
ὁππόσον ἀμφ’ ἑτάροιο πάρος Πατρόκλοιο δαμέντος.
Θερσίτης δέ μιν ἄντα κακῷ [μέγα] νείκεσε μύθῳ·
«Ὦ Ἀχιλεῦ φρένας αἰνέ, τί [ἤ] νύ σε<υ> ἤπαφε δαίμων
θυμὸν ἐνὶ στέρνοισιν Ἀμαζόνος εἵνεκα λυγρῆς
ἣ νῶιν κακὰ πολλὰ λιλαίετο μητίσασθαι;
Καί τοι ἐνὶ φρεσὶ σῇσι γυναιμανὲς ἦτορ ἔχοντι
μέμβλεται ὡς ἀλόχοιο πολύφρονος ἥν τ’ ἐπὶ ἕδνοις
κουριδίην μνήστευσας ἐελδόμενος γαμέεσθαι.
Ὥς [σ’] ὄφελον κατὰ δῆριν ὑποφθαμένη βάλε δουρί,
οὕνεκα θηλυτέρῃσιν ἄδην ἐπιτέρπεαι ἦτορ,
οὐδέ νυ σοί τι μέμηλεν ἐνὶ φρεσὶν οὐλομένῃσιν
ἀμφ’ ἀρετῆς κλυτὸν ἔργον, ἐπὴν ἐσίδῃσθα γυναῖκα.
Σχέτλιε, ποῦ νύ τοί ἐστι † περὶ † σθένος ἠδὲ νόημα;
Πῇ δὲ βίη βασιλῆος ἀμύμονος; Οὐδέ τι οἶσθα
ὅσσον ἄχος Τρώεσσι γυναιμανέουσι τέτυκται;
Οὐ γὰρ τερπωλῆς ὀλοώτερον ἄλλο βροτοῖσιν
ἐς λέχος ἱεμένης, ἥ τ’ ἄφρονα φῶτα τίθησι
καὶ πινυτόν περ ἐόντα. Πόνῳ δ’ ἄρα κῦδος ὀπηδεῖ·
ἀνδρὶ γὰρ αἰχμητῇ νίκη<ς> κλέος ἔργα τ’ Ἄρηος
τερπνά, φυγοπτολέμῳ [δὲ] γυναικῶν εὔαδεν εὐνή.»
Φῆ μέγα νεικείων· ὃ δέ οἱ περιχώσατο θυμῷ
Πηλείδης ἐρίθυμος. Ἄφαρ δέ ἑ χειρὶ κραταιῇ
τύψε κατὰ γναθμοῖο καὶ οὔατος· οἳ δ’ ἅμα πάντες
ἐξεχύθησαν ὀδόντες ἐπὶ χθόνα, κάππεσε δ’ αὐτὸς
πρηνής· ἐκ δέ οἱ αἷμα διὰ στόματος πεφόρητο
ἀθρόον· αἶψα δ’ ἄναλκις ἀπὸ μελέων φύγε θυμὸς
ἀνέρος οὐτιδανοῖο. Χάρη δ’ ἄρα λαὸς Ἀχαιῶν·
τοὺς γὰρ νείκεε πάμπαν ἐπεσβολίῃσι κακῇσιν
αὐτὸς ἐὼν λωβητός· ὃ γὰρ Δαναῶν πέλεν αἰδώς.
Καί ῥά τις ὧδ’ εἴπεσκεν ἀρηιθόων Ἀργείων·
«Οὐκ ἀγαθὸν βασιλῆας ὑβριζέμεν ἀνδρὶ χέρηι
ἀμφαδὸν οὔτε κρυφηδόν, ἐπεὶ χόλος αἰνὸς ὀπηδεῖ·
ἔστι θέμις, καὶ γλῶσσαν ἀναιδέα τίνυται Ἄτη
ἥ τ’ αἰεὶ μερόπεσσιν ἐπ’ ἄλγεσιν ἄλγος ἀέξει.»
Ὣς ἄρ’ ἔφη Δαναῶν τις· ὃ δ’ ἀσχαλόων ἐνὶ θυμῷ
Πηλείδης ἐρίθυμος ἔπος ποτὶ τοῖον ἔειπε·
«Κεῖσό νυν ἐν κονίῃσι λελασμένος ἀφροσυνάων·
οὐ γὰρ ἀμείνονι φωτὶ χρεὼ κακὸν ἀντιφερίζειν·
ὃς καί που προπάροιθεν Ὀδυσσῆος ταλαὸν κῆρ
ἀργαλέως ὤρινας ἐλέγχεα μυρία βάζων.
Ἀλλ’ οὐ Πηλείδης τοι ὁμοίιος ἐξεφαάνθη<ν>,
ὅς σευ θυμὸν ἔλυσα καὶ οὐκ ἐπὶ χειρὶ βαρείῃ
πληξάμενος· σὲ δὲ πότμος ἀμείλιχος ἀμφεκάλυψε,
σῇ δ’ ὀλιγοδρανίῃ θυμὸν λίπες. Ἀλλ’ ἀπ’ Ἀχαιῶν
ἔρρε καὶ ἐν φθιμένοισιν ἐπεσβολίας ἀγόρευε.»
Ὣς ἔφατ’ Αἰακίδαο θρασύφρονος ἄτρομος υἱός.
Τυδείδης δ’ ἄρα μοῦνος ἐν Ἀργείοις Ἀχιλῆι
χώετο Θερσίταο δεδουπότος, οὕνεκ’ ἄρ’ αὐτοῦ
εὔχετ’ ἀφ’ αἵματος εἶναι, ἐπεὶ πέλεν ὃς μὲν ἀγαυοῦ
Τυδέος ὄβριμος υἱός, ὃ δ’ Ἀγρίου ἰσοθέοιο,
Ἀγρίου ὅς τ’ Οἰνῆος ἀδελφ<ε>ὸς ἔπλετο δίου·
Οἰνεὺς δ’ υἱ<έ>α γείνατ’ ἀρήιον ἐν Δαναοῖσι
Τυδέα· τοῦ δ’ ἐτέ<τυ>κτο πάις σθεναρὸς Διομήδης.
Τοὔνεκα Θερσίταο περὶ κταμένοιο χαλέφθη.
Καί νύ κε Πηλείωνος ἐναντίον ἤρατο χεῖρας,
εἰ μή μιν κατέρυξαν Ἀχαιῶν φέρτατοι υἷες
πολλὰ παρηγορέοντες ὁμιλαδόν· ὣς δὲ καὶ αὐτὸν
Πηλείδην ἑτέρωθεν ἐρήτυον. Ἦ γὰρ ἔμελλον
ἤδη καὶ ξιφέεσσιν ἐριδμαίνειν οἱ ἄριστοι
Ἀργείων· τοὺς γάρ ῥα κακὸς χόλος ὀτρύνεσκεν.
Ἀλλ’ οἳ μὲν πεπίθοντο παραιφασίῃσιν ἑταίρων.

Et les Argiens qui étaient là étaient frappés d'admiration, car elle était semblable aux déesses. Elle était étendue sur la terre avec ses armes, comme Artémis l'invincible quand elle dort, Artémis la fille de Zeus, lorsqu'elle est fatiguée de poursuivre sur la cime des montagnes les lions rapides. Cypris à la couronne d'or, l'amie du vaillant Arès, laissait à la guerrière sa beauté dans la mort, afin d'affliger le coeur même du vaillant fils de Pélée. Et tous souhaitaient à leur retour dans la patrie les caresses d'une femme aussi belle. Et Achille lui-même jusqu'au fond du coeur avait peine de l'avoir immolée ; il pensait qu'il aurait pu l'emmener, chaste épouse, dans la Phthie féconde en chevaux ; car, pour sa taille et sa beauté, elle était semblable aux déesses…

Pendant ce temps, çà et là, les fils belliqueux d'Argos dépouillaient les morts de leurs armes brillantes. Mais le fils de Pélée s'affligeait en contemplant dans la poussière la chaste beauté de son ennemie ; de cruels chagrins rongeaient son coeur, aussi cruels que le jour où il perdit Patrocle. Thersite alors, se plaçant devant lui, le gourmande en ces termes : «Insensé, quel dieu t'égare ? pourquoi déplores-tu la mort de l'Amazone qui voulait notre perte ? Homme au coeur de femme, tu regrettes cette jeune fille à qui tu aurais désiré offrir les dons joyaux de l'hyménée ! Plût aux dieux que, dans le combat, elle t'eût transpercé de son javelot, puisque, dans l'excès de ta douleur, tu livres ton coeur à la femme et oublies le devoir à la vue de la beauté. Lâche ! qu'as-tu fait de ton courage et de ta raison ? Je ne vois plus en toi la force d'un roi vaillant ; ignores-tu les misères que les Troyens ont méritées par leur mollesse ? Rien n'est plus funeste aux hommes que les voluptés et l'amour des femmes ; voilà ce qui pousse au délire les héros les plus courageux ; la gloire accompagne la vertu. Un guerrier n'aime que l'honneur de la victoire et les travaux d'Arès ; le lâche préfère les caresses des femmes». Tels étaient ses reproches ; le magnanime Achille fut transporté de colère ; et aussitôt, de sa main puissante, il le frappa du poing entre la mâchoire et l'oreille ; ses dents tombèrent à terre ; lui-même il roula dans la poussière ; le sang coula à flots de sa bouche, et la vie du misérable s'enfuit de ses membres débiles. A cette vue, le peuple des Argiens se réjouit car Thersite poursuivait tous les guerriers de reproches acerbes qu'il méritait mieux que les autres ; et il humiliait tout le monde. Aussi plus d'un s'écriait parmi les Argiens courageux :«Il ne convient pas à un misérable d'insulter les rois soit ouvertement, soit en cachette, car leur colère est terrible. La justice a son jour, et Até punit une langue imprudente, Até qui sans cesse inflige aux mortels les châtiments qu'ils ont mérités». Ils parlaient ainsi : et le fils de Pélée, indigné jusqu'au fond du coeur, adressait à Thersite ces paroles :«Demeure étendu sur la poussière, et oublie là ta démence. Il ne convient pas qu'un lâche insulte un brave ; tu as jadis irrité la patience d'Odysse, en l'accablant de reproches. Mais le fils de Pélée n'est pas si doux ; il t'a tué, sans se donner de peine, et ta vie est finie par ta lâcheté. Va, fuis dans les Enfers pour insulter les morts». Ainsi parla le descendant courageux d'Eacos. Seul parmi les Argiens, Diomède s'irritait de la mort de Thersite, son parent, car Thersite était fils du divin Agrios, frère du généreux Oenée ; et celui-ci avait eu pour fils le redoutable Tydée, père du vaillant Diomède. Il s'irritait donc de la mort de Thersite. Et il aurait levé la main contre le fils de Pélée, si les fils de l'Achaïe ne l'avaient retenu en foule, le calmant par maintes paroles ; et de même ils retenaient de l'autre côté le fils de Pélée. Car les deux héros brûlaient de se combattre l'épée à la main. La colère les enflammait. Cependant ils cédèrent aux exhortations de leurs amis.

Naturellement ces actions d’Achille sont l’objet de la condamnation sans appel des rhéteurs païens et chrétiens, tandis que Nonnos, qui en parle en passant, paraît moins sévère. Lisons donc ses vers voluptueux après les avis de Libanios (Progymnasmata, 9.1.22)...

Εἶτ’ ἐπὶ τούτοις ἀνέξομαι τῶν λεγόντων ὡς ἄριστος Ἀχιλλεὺς τῶν ἐπὶ Τροίαν ἐλθόντων; τίνος ἕνεκα; τῆς ἀσελγείας; τῆς παροινίας; τῆς ἀσπονδίας; τῆς ἀπληστίας; τῆς ἀσεβείας; τῆς ἀκρασίας; ἣν οὐχ ἡ Βρισηὶς ἐλέγχει μόνον ζῶσα κόρη, ἀλλὰ καὶ νεκρά. οὗτος γάρ ἐστιν ὁ τῆς Ἀμαζόνος μετὰ τὸν φόνον ἐρῶν καὶ τῇ Πενθεσιλείᾳ κειμένῃ ἐπιχυθείς. καί, νὴ Δία γε, εἰκότως. τῆς γὰρ αὐτῆς ψυχῆς καὶ πολεμεῖν νεκροῖς καὶ νεκρῶν ἐρᾶν.

Et après cela je supporterai ceux qui prétendent qu’Achille est le meilleur de ceux qui allèrent à Troie ? pourquoi ? à cause de sa luxure ? de son ivresse ? de sa déloyauté ? de son avidité ? de son impiété ? de son intempérance ? on en veut pour preuve non seulement Briséis, une vivante, mais aussi une morte. C’est lui en effet qui aima l’Amazone après l’avoir tuée, et qui se jeta sur Penthésilée lorsqu'elle gisait à terre. Et par Zeus, pourquoi non ? c'est le fait de la même âme, de combattre les morts et d'aimer les morts !

... et du Pseudo-Justin, Oratio ad gentiles, 37.E.6 –38.A.6

Αὐτὸς δὲ Πηληϊάδης, ὁ ποταμὸν πεδήσας, Τροίαν καταστρέψας, Ἕκτορα χειρωσάμενος, Πολυξένης ὁ ἥρως ὑμῶν δοῦλος ἦν, ὑπὸ Ἀμαζόνος νεκρᾶς νενίκητο·

Le fils de Pélée aussi, qui traversa le fleuve, abattit Troie, tua Hector, votre héros était l'esclave de Polyxène, avait été vaincu par l’Amazone morte.

Nonnus, Dionysiaca 35.27-30

καί νύ κε νεκρὸν ἔχων πόθον ἄπνοον, ὥς περ Ἀχιλλεύς,
ἄλλην Πενθεσίλειαν ὑπὲρ δαπέδοιο δοκεύων
ψυχρὰ κονιομένης προσπτύξατο χείλεα νύμφης,
εἰ μὴ Δηριαδῆος ἐδείδιεν ὄγκον ἀπειλῆς.


(Oronte ?) Et, tout comme Achille, plein du désir d’un cadavre sans vie, en voyant à terre une autre Penthésilée, il aurait baisé les lèvres froides de la nymphe couverte de poudre, s’il n’avait pas craint l’ire de Dériade.

L'amour d'Achille pour la belle reine prend un tour très particulier chez Ptolémée Chennus, un rhéteur du Ier siècle après JC, mais probablement s'agit-il de l'une de ses nombreuses inventions :

Photius, Bibliothèque 190.151

Τὸ δὲ ς' βιβλίον κεφάλαια περιέχει τάδε, ὡς Ἀχιλλεὺς ὑπὸ Πενθεσιλείας ἀναιρεθείς, δεηθείσης αὐτοῦ τῆς μητρὸς Θέτιδος, ἀναβιοῖ καὶ ἀνελὼν Πενθεσίλειαν εἰς Ἅιδου πάλιν ὑποστρέφει.

Le sixième livre [de la Nouvelle Histoire de Ptolémée Chennus] contient l'argument suivant : Achille, tué par Penthésilée, fut ressuscité à la demande de sa mère Thétis, puis retourna dans l'Hadès, une fois qu'il eut tué Penthésilée.

La tradition médiévale

Les auteurs médiévaux, comme d’ailleurs leur sources Darès et Dictys, ne mentionnent pas ces histoires, mais peut-être se taisent-ils pour des raisons éthiques. Seul Dante paraît se souvenir d’un Achille en proie à l'Amour et le damne parmi les luxurieux, comme Didon, Paolo et Francesca, Pâris, Tristan, Hélène. On pense généralement à sa passion pour Polyxène, qui lui fut fatale et qui le mena à deux doigts de la trahison. Voilà ces vers :

Enfer, V, v.65-66 (c’est Virgile qui parle)

Elena vedi, per cui tanto reo
tempo si volse, e vedi 'l grande Achille,
che con amore al fine combatteo.


Je vis Hélène, cause de tant de maux,
et je vis le grand Achille
qui par l'amour enfin périt.

Bien entendu, il est fort probable que Dante pensait aussi à Polyxène, qui était bien connue au Moyen Age. L’invincible fils de Pélée serait mort pendant le guet-apens organisé par Hécube et Pâris au temple d’Apollon et n’aurait pas hésité à passer dans le camp des Troyens pour obtenir l’amour de la belle princesse. Mais pour une telle faute, sa place aurait dû être l’Anténore, qui tire son nom du traître de Troie et où l’on se serait attendu à voir aussi l’impius Aeneas

Je crois au contraire que Dante condamne Achille pour sa luxure, non pas à cause de son amour au fond légitime pour la fille de Priam, mais à cause des sombres passions que nous venons de rappeler, et qu'il lisait dans Servius.


© Francesco Chiappinelli
Mis en ligne le 14/6/2009


Merci au professeur Francesco Chiappinelli, auteur de l'Impius Aeneas, de nous avoir fourni ces textes.
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