Andromaque, la femme d'Hector, mère d'Astyanax, tient une place importante chez nos auteurs, qui n'oublient ni Virgile ni Homère. Mais ils y ajoutent beaucoup d'amplifications dramatiques et pathétiques, peut-être inspirées des récits du Cycle et de la tragédie grecque et romaine.

1. Son portrait

Darès, et naturellement ses épigones médiévaux Benoît de Sainte-Maure et Guido delle Colonne, tracent un portrait d'Andromaque plein de fantaisie. Au contraire, Dictys l'introduit dans son récit lorsqu'elle se rend sous la tente d'Achille avec Priam et Polyxène, mais son imitateur byzantin, Malalas, ne renonce pas à nous la décrire. Il faut remarquer l'affirmation de Darès, qui en fait une soeur d'Hector... et celle de Benoît qui en fait une pieuse dame patronesse !

Daretis de excidio Troiae

4. Hoc ubi Priamo nunciatum est, patrem occisum, ciues direptos, praedam auectam, Hesionam sororem dono datam, grauiter tulit tam contumeliose Phrygiam tranctatam esse a Graiis. Ilium petit cum Hecuba uxore, et liberis Hectore, Alexandro, Deiphobo, Heleno, Troilo, Andromacha, Cassandra, Polyxena.

Lorsque Priam eut appris que son père avait été tué, ses concitoyens dépouillés, que les Grecs avaient transporté leur butin sur leurs vaisseaux, et que sa soeur avait été donnée à un de leurs chefs, il ne put supporter l'indigne traitement qu'avait éprouvé son pays. Sans délai, il se rend à Ilion avec sa femme Hécube et ses enfants Hector, Alexandre, Déiphobe, Hélénus, Troïle, Andromaque, Cassandre et Polyxène.

12. Andromacham oculis claris, candidam, longam, formosam, modestam, sapientem, pudicam, blandam.

Andromaque avait des yeux brillants, un teint blanc, une taille élevée, de la beauté, de la modestie, de la sagesse, de la pudeur et de l'affabilité.

Johannis Malalae Chronicon 106

Andromache statura erat mediocrem superante, gracilis, decora, naso eleganti, mamillis pulchris, oculis et superciliis venustis, crispa, subflava, occipite comato, facie oblonga, collo venusto, vultu ridibundo, lepida et ingenii acuti.

Benoît de Sainte-Maure - Roman de Troie en prose, 51

Andromata ot non la feme Hector, qui moût fu bêle et sage et de noble manière. Grans almoniere fu sus toutes dame[s] et grant amor et grant foi ot vers son seignour.

Guido delle Colonne - Historia destructionis Troiae, liber VIII

Andromacha uero, uxor Hectoris, nimia fuit speciositate decora, longa corpore, lacteo candore refulgens. Oculos habuit multo fulgore lucifluos, rubicunda maxillis, roseis labiis et cesarie deaurata. Inter omnes mulieres honestissima uere fuit, in omnibus suis actibus moderata.

2. Le songe d'Andromaque

Homère avait déjà chanté la rencontre entre Andromaque et Hector. Le héros avait salué sa femme et le petit Astyanax avant de repartir pour la bataille. Darès et ses imitateurs médiévaux Joseph of Exeter, Benoît de Sainte-Maure et Guido delle Colonne parlent d'un songe d'Andromaque qui lui fait prévoir la mort de son mari, et elle tente par tous les moyens de s'opposer à son départ. Comme Priam et les Troyens savent que tout espoir repose sur lui, Hector obéit à son père qui lui défend de partir. Mais personne ne pourra l'arrêter lors de de l'inévitable suprématie des Achéens qui profitent de son absence. Et cette décision lui sera fatale.

Daretis de excidio Troiae, 24

At ubi tempus pugnae superuenit ; Andromacha uxor Hectoris in somnis uidit, ne Hector in pugnam procederet : et cum ad eum uisum referret, Hector muliebria uerba abicit. Andromacha moesta ad Priamum misit, ut illi prohibeat ne ea die pugnaret. Priamus Helenum, Alexandrum, Troilum, Aeneam, et Memnonem iubet accersi, ut illi in pugnam prodirent: in pugnam misit. Hector ut ista cognouit, multum increpans Andromacham, arma ut proferret poposcit, nec retineri ullo modo potuit. Moesta Andromacha summissis capillis Astyanactem filium protendens ante pedes Hectoris eum reuocare non potuit. Tunc planctu femineo oppidum concitat, ad Priamum in regiam currit, refert quid in somnis uiderit, et Hectorem uelle in pugnam prodire, nec posse proiecto ad genua filio suo reuocari. Priamus omnes in pugnam prodire iussit, et Hectorem retinuit.

Comme le carnage allait recommencer avec les combats, Andromaque, épouse d'Hector fut avertie par un songe que ce héros devait s'abstenir de paraître sur le champ de bataille. Elle lui en rendit compte ; mais il méprisa ce lâche conseil. Toute éplorée, elle envoie prier le roi de lui défendre d'aller au combat. Priam accueillit sa demande, et ordonna à Hélénus, Alexandre, Troïle, Énée et Memnon, de prendre le commandement des troupes. A cette nouvelle, Hector adresse de vifs reproches à Andromaque, lui demande ses armes, et ne se laisse toucher ni par ses discours, ni par ses lamentations. Alors Andromaque désolée, les cheveux épars, saisit son fils Astyanax, et l'étend devant les pieds d'Hector, qui demeure inflexible. Désespérée, elle pousse des cris qui mettent toute la ville en mouvement ; elle court au palais du roi, raconte à ce prince le songe qu'elle a eu, et lui apprend qu'Hector persiste à vouloir se rendre sur le champ de bataille, sans que le spectacle de son fils, étendu à ses pieds, ait pu lui faire changer de résolution. Priam ordonne alors à tous les chefs de marcher au combat, et retient Hector auprès de sa personne.

Josephi Iscani Phrygii Daretis Ilias, V 431-476

Nox erat, et longo defessum Marte iacebat
Andromache complexa virum; cumque aspera belli
Quesisset, gens utra prior, que nomina regum,
Qui vultus, quid Dardanide, quid gesserit ipse
Egregium, passusne metus, sopita marito
Incubat; et primi nebula cessante soporis
In verri matura quies purgata figuras
Dirce movet : Stabat thalamis iunctissima laurus
Secretos amplexa lares ; inimica securis
hanc a stirpe metit, rorantes sanguine rami
435 In stratum geniale cadunt. Plura ingerit horrens
Monstra sopor : iacet interdum sine coniuge toto
Fusa thoro, nudos rursus videt oris hiatus
Sanguineos fedare sinus. Tandem egra soporem
Rumpit et horrendis iterat clamoribus : Hector,
440 Hector, ubi ?, timidaque manu scrutata cubile
Ingeminat : Heus, hicne meus ? Lenire pavores
Ille et adhuc segnes paulatim demere sornpnos
Ceperat. Illa f idem visis nunc credula donat,
Nunc negat, amissumque putans complexa maritum
445 Omnia certa timet et nil tamen ausa fateri
Armatum prohibere parat. Muliebribus ille
Nil monitis motus timidi presagia sexus
Spernit et impatiens bellantibus acer abesse
Poscit equos. Tunc vero arnens, tunc anxia vocern
Tollit et occursus omnes rogat ; exit et intrat
Incerta ac parvum matris lamenta stupentem
Astianacta trahens calcandum in limine patri
Obicit. Induerat galeam curruque sedebat
Celsior, Andromache Priamo prenuncia clamat:
Heu, morimur, succurre, pater ! Vix principe iussus
Tandem heret patiturque moras moderante catervas
Mennone. Sed nusquam Frigia sub casside viso
Hectore mens Danais maior, fiducia maior,
Maior in arma manus maiorque licentia, campi
Audaces proferre gradus iam Pergama iuxta,
Et fugiunt Friges. Exclamant matresque senesque,
Quis pulcrum vel triste fuit de menibus arma
Conspicere, et rniseris quatiunt ululatibus urbem.
Hector in Andromachen oculorurn fulmina torquens ,
Ergo iterum prohibebis ? ait stimulisque iugales
Precipitat. Non sic Ossea per ardua Mavors
Armigero Terrore ruit mucrone Gelonos
Fracturus vel falce Getas vel cuspide Traces.
lllum ubi fraxineum rapientem in prelia telum
970 Agnovere duces, dant ilico terga retroque
Suadet iter custos anime timor. At ferus Hector
Anticipat celeri fugientia pectora cursu
In terga irasci spernens teloque trabali
Idomenea petit. Cui strage Leontius equa
475 Concidit, at Stelenus fugiens atque Yphidus instans
Spiranti certam referunt in vulnere mortem.

Benoît de Sainte-Maure - Roman de Troie en prose, 155 sqq.

Le songe d'Andromaque (v.5254-854)

155. Coment Adromata fait grant doulor por Hector qui s'en voloit issir.
La dame comença adonc a plorer et a faire grant deul, que a poi qu'elle ne pert le sens. Si mande tantost au roi Priant que il le doie retenir si que il ne voise en bataille, quar, se il vait, morir le covient outreement. Li rois Priant fu en moût grant doute, quar moût redoute le grant péril, por ce que il n'a entente s'en lui non : ce est son trésor et son refui, et, se il muert, que la perte en iert leur. Et non porquant il le retient, quar il seit la dame de grant savoir, si n'en veut mie eschiver ce que por bien li enseigne. Si comande le Roi a Troïlus et a Paris que il s'en issent hors de la ville et a tous les autres barons et princes ausi.

156. Coment Hector s'en voloit issir.
Quant Hector entendi que son père li desfent que il ne deùst issir as chans, si fu durement courouciés que a poi que il laidist celle qui celui plait li a basti. Si demande isnellement ses armes qu'ele avoit muciees. Et quant elle le vit armer son cors, si comence a faire trop grant duel et li crie merci durement; mais tout ce ne vaut riens. Si fist la dame venir sa mère et sa seror, que grant proieres li font tut en lermôiant que il ne s'en issist, et tout ce n 'i vaut riens : « Fils, fait la mère, or voi je bien que tu n'as cure de moi ne des autres, quant tu contredis nostre volenté. Por Deu ! aies de nos merci et ne nos laissier, quar nos ne saverïens que devenir, se nos te perdons, que chascune de nous voudrait miaus estre morte que vive ». Et tout autel faisoit dame Elaine et Polixena, qui en grant poine estoit de lui retenir. Mais tout ce ne vaut riens, quar il estoit si durement courouciés qu'il n'entendoit a chose que elles deïssent, si heit moût et manace sa feme. Et elles voient qu'elles ne le puent retenir, si pleurent et braient corne feme forsenees et ensi criant toutes deschevelees corent por son petit fils, si le prent sa feme entre ses bras et vint en mi le palais la ou il chaçoit ses genoillieres, et li met l'enfant a ses pies et li dit : « Sire, par ceste petite créature que tu engendras de ton cors, ne tenir mie a eschar ce que je te dis. Aies pitié de lui, que seùr soies que jamais ne le verras, se tu assembles hui a ciaus de la, quar hui est le jor que il remaindra orphenin de toi. Ne soies si cruel de cuer qu'il ne te preigne pitié et ne nos laisses morïr. Membre toi de ton père et de ta mère que tu vois ici, quar il ne poront durer après ta mort. Hallas ! quel pesans aventure ! » Et adont cheï pasmee sur le pavement.

157. Coment Adromata ala prier le Roi que il retenist Hector.
De chose que Hector voit ne entent ne se soplie de riens, ne ne regarde vers lui n'envers l'enfant, come celui qui plait ne tient, si voloit monter, quant sa feme sailli hors de la porte criant si haut que tous ceaus dou palais faisoit plorer. Si s'en vait bâtant ses mains droit vers le Roi Priant, et ne pooit parler quant elle vint devant lui. A chief de pièce parla et dist : « Di, fait elle au Roi, as tu ton sens perdu que n'as cure de toi ne de tes amis ? Sachiés que se Hector a la bataille vait hui, que il i morra certainement. Or gardes que tu en feras, que tu l'as perdu, se il i vait. Mais va, sire, et le retien, se tu de rien l'aimes ; quar il a esté prié de sa mère et de toutes les autres dames, et lor proiere ne volt il riens escouter, quar il ne nos deignoit regarder ».

158. Coment le roi Priant retint Hector.
Li rois Priant, tout fust il fier et cruel encontre ses henemis, quant il vit la dame faire si grant duel, si li prist au cuer une froidor dont il fu durement esmaiés. Et comença a souspirer si que les larmes li vindrent as eauz, quar moût redouta son domage. Si monte et vient en mi la rue, ou il trova son fil moût irriez por la noise que les dames avoient démenée. Si estoit sous son heaume moût félons et courouciés, les eauz roges corne feue, si sembloit plus fier que lion ne lupart et estoit tous armés sus Gallatee. Priant le prist par le règne et dist : « Biauz fis, vos remaindrés a ceste fois, quar il le te covient faire, et le te cornant sor quant que il y a de moi a toi. Et tu dois avoir en toi bien tant de sens et de raison que tu ne dois faire a tort ne a droit contre ma volenté. Et por ce avroi je tel seignorie sus toi que tu n'istras hui hors de la ville, quar bien pues oïr quel doulor démènent ces dames. Va, si descent, biauz fis, que a moi ne plaist que tu en faces plus ». Quant Hector oï ce, si fut tous entrepris, quar encontre la volenté ne la défense son père ne voudroit il riens faire, coment que il soit encontre sa volenté et encontre droit ; et d'autre part si crient trop la honte, si respont : « Sire, trop me merveil de vos, que vos vos entremetés de tel chose que vos créés a une folle feme, qui son songe vos a retrait ; ne ce ne vos deùst mie plaire, que je par si faite achoison demorasse, quar bien savés que je i avrai grant honte et vostre gent i poront avoir domage ». De chose que Hector die ne tient li Rois plait, ainçois li dist tant que il le fist retorner arieres. Mais qui adonc le veïst come il estoit fier en mi le vis, toute paor en eùst, si n'i avoit nul qui l'osast regarder. Ne onques desarmer ne se volt, fors soulement de son heaume. Et li rois Prians envoia a la bataille tout ceaus que il peut.

Hector sur le champ de bataille - Sa mort (v.15855-16316) I 3 3

162. Coment Hector issi hors de la ville mal gre tous.
Hector escoute et entent ceste merveille et le domage et le martyre de sa gent, et voit toute la ville commeùe et que les siens sont mis par mi les portes ; si li engroissa li cuers et le sanc li monta a vis, si fu tant corouciés que nul plus. Et sachiés que nus n'osoit aprochier de lui : « Haï ! las, fait il, bien me devroit le cuer partier ». Si laischa maintenant son heaume, et adonc comencierent a plorer par la salle dame et pucelles, et disoient: « Haï ! las, quel domages que jamais ne le verrons se a grant dolor non ! ». Et si monte et prent son escu. Mais Adromata sa feme demora toute pasmee en mi la salle. Et de tout ce ne sot son père li Rois rienz, quar ja n'i fust aies. Et cil qui ne crient de nulle chose s'en vait aval les rues. Et quant la menue gent l'aperçoivent, si orent merveillouse joie, et il vont tuit a son encontre et l'aorent et plourent devant lui et li dïent : « Sire, sire, bien nos ont nos henemis moustré semblant que vos n'i estiés en l'estor, que si grant domage nous ont fait ».

Guido delle Colonne - Historia destructionis Troiae, XXI

Verum ea nocte qua erat primus dies belli futurus post predictas decursas inducias Andromacha, uxor Hectoris, de qua Hector iam sustulerat duos filios, vnum nomine Laumedontam et alium nomine Astionacam, qui minor primo adhuc a matris ubere dependebat, de predicto Hectore uidit in sompnis satis terribilem uisionem - quia si Hector eo die egrederetur ad bellum, euadere non poterat quin interficeretur in ipso bello. Andromacha igitur, ex tali uisione perterrita, fluuiales prorupit in lacrimas, et ausa est eadem nocte in lecto ubi iacebat cum Hectore sibi illam pandere uisionem. Piis itaque precibus ipsum deprecatur in lacrimis ut sensum uisionis attendat et quod ire non presumat ad prelium eo die. Hector uero, ad uxoris uerba nimium indignatus, uxorem increpat et eam in multa acerbitate uerborum castigat, asserens sapientis non esse vanitatibus credere sompniorum que sompniantibus semper illudunt. Mane autem, facto diluculo,Andromacha regi Priamo et Heccube, eius uxori, mandat et pandit sue oraculum visionis, humiliter rogans eos ut Hectorem eo die ad bellum exire aliquatenus non permittant.

Rex autem Priamus omnibus predictis regibus et aciebus eorum licenciam tribuit ad bellum exeundi, cum iam Greci exiuissent ab eorum castris ad bellum. Et Hectori mandauit expresse ut eo die se non deberet preliis immiscere. Hector nero totus propterea exarsit ad iram. Propter quod multas iniurias et exprobraciones uxori sue dixit, per quam, ad suggestionem eius, presensit esse tractatum ne ad bellum exiret. Tamen, mandato patris omisso, arma petit a famulis. Et ea famuli sibi tradunt ; armatur ex eis. Sed dum hoc uidit Andromacha, eius uxor, multo dolore commota, cum paruulo filio suo, quem gerebat in brachio, cum multitudine lacrimarum se eius prosternit ad pedes et multiplicatis singultibus humiliter supplicauit ut arma ipsa deponat. Et dum Hector acquiescere denegat, Andromacha sepius intermoritur ante pedes ipsius, dicens : « Si mei denegas misereri, miserearis saltem huius paruuli nati tui ne mater ipsius et filii tui ipsi amara morte depereant aut per mundum exules paupertate nimia in maxima uerecundia deprimantur ». Regina autem Heccuba, mater ipsius, Cassandra, et Pollixena, sorores eiusdem, et Helena, prostrate ante pedes eius, in lacrimis ipsum rogant ut, depositis ipsis armis, tutus in sua regia conquiescat. At ille earum nec mouetur ad lacrimas nec ad preces.

Armatus ergo a pallacio suo descendit, equum ascendit, dum ire ad bellum omnino festinus intendit. Sed Andromacha, facta ueluti ex multo dolore mente capta, ad regem Priamum, scissis uestibus, laceratis genis, et sparsis sine lege capillis, exclamans accessit. Sic enim faciem suam unguibus lacerauerat, sanguine vndique defluente, quod uix agnosci poterat a notis suis. Et se ante regis pedes in multo dolore prosternens ipsum monet et lacrimose precatur ut ad Hectorem festinus acceleret et ut ipsum ad pallacium reuocet et reducat antequam inmisceri se bello contingat. Rex ergo Priamus, nulla mora protracta, equum ascendit, Hectorem festinus insequitur, qui, antequam plurimum elongasset, peruenit ad eum, et eius equi habena uelut irato animo intercepta, Hectorem monet et rogat in lacrimis et per numina deorum ipsum adiurat ut redeat et ulterius non procedat. Qui demum in multa contradiccione iussui patris obtemperans redit inuitus et in pallacium suum ascendit nec tamen arma quibus erat indutus deponere procurauit.

3. La mort d'Hector

Le héros troyen, voyant avancer les Grecs, désobéit alors à son père et rejoint le champ de bataille. Il lutte avec vigueur et blesse Achille, mais il est finalement tué par lui. Il faut remarquer que Darès, et donc ses imitateurs Benoît et Guido, racontent que les Troyens récupèrent son cadavre, tandis que Dictys et son imitateur Johannes Malalas se tiennent plus près du récit d'Homère et relient le duel fatal au moment de l'arrivée à Troie de Penthésilée : son corps sera racheté par Priam. Cependant Hector est tué dans un guet-apens, bien autrement que chez Homère, et Achille lui-même est gravement blessé. Benoît et Guido, comme à leur habitude, accordent de longs développements aux épisodes dramatiques et pathétiques : les dames le pleurent avec des mots qui rappellent la mort du Christ rédempteur.

Daretis de excidio Troiae, 24

Agamemnon, Diomedes, Achilles, Aiax Locrus, ut uidere Hectorem non prodisse, acriter pugnauerunt multosque duces Troianorum occiderunt. Hector, ut audiuit tumultum in bello et sine se Troianos laborare, prosiliit in bellum. Statimque Eioneum obtruncat, Iphinoum sauciat, Leonteum occidit, Stheneli femur iaculo figit: quem ut Achilles respexit et tot acerrimos duces ab eo interfectos, animum in illum dirigebat ut illi obuius fieret. Considerabat enim Achilles, nisi Hectorem occideret, plures de Graecorum numero eius dextera perituros. Multa millia hominum interea trucidantur. Acre praelium colliditur. Hector Polypoetem ducem fortissimum occidit et cum spoliare coepisset Achilles superuenit. Fit pugna maior, et clamor ab oppido et a toto surgit exercitu. Hector Achillis femur sauciat. Ille dolore accepto magis eum persequi coepit, nec destitit nisi occideret. Quo interemto Troianos in fugam uertit, et maxima caede eos usque ad portam fugauit. Cui tamen Memnon fortissime restitit, et acriter inter se certauerunt : laesi utrique discesserunt. Nox praelium dirimit. Achilles de bello saucius redit. Noctu Troiani Hectorem lamentantur.

Agamemnon, Diomède, Achille, Ajax le Locrien, ne voyant pas Hector à la tête des Troyens, en combattirent avec plus d'ardeur, et plusieurs généraux ennemis tombèrent sous leurs coups. Hector informé que le désordre s'est mis parmi les Troyens et que, sans lui, ils vont être repoussés, s'échappe du palais de Priam, et s'élance sur le champ de bataille. Aussitôt il coupe la tête à Eionée, blesse Iphinoüs, tue Léontéus, et perce la cuisse à Sthénélus d'un coup de javelot. Achille le voyant ainsi donner la mort aux plus vaillants capitaines, accourt dans l'intention de le tuer, et de délivrer par son trépas plusieurs milliers de Grecs qui auraient encore péri de sa main. Cependant un grand nombre de guerriers tombent de tous côtés sur le champ de bataille, et la mêlée devient de plus en plus meurtrière. Hector immole Polypète ; mais comme il se dispose à dépouiller sa victime, il est attaqué par Achille. Alors, un terrible combat se livre entre ces deux rivaux. Des grands cris s'élèvent et de la ville et des deux armées. Hector blesse Achille à la cuisse ; mais celui-ci, comme s'il était insensible à la douleur, redouble ses attaques, et la mort de son ennemi est le prix de ses efforts. Après cet exploit, il se jette sur les Troyens, en fait un grand carnage, les met en déroute, et les poursuit jusqu'au pied de leurs remparts. Toutefois Memnon ose lui résister : tous deux ils se combattent avec un courage égal et des succès égaux, et ne se quittent enfin qu'après s'être blessés l'un l'autre. La bataille finit avec le jour. Achille rentra dans le camp, et pendant toute la nuit, les Troyens pleurèrent le trépas d'Hector.

Dictis Ephemerides belli Troiani, III

15. Nec multi transacti dies, quum repente nunciatur, Hectorem obviam Penthesileae cum paucis profectum : quae regina Amazonum, incertum pretio an bellandi cupidine auxiliatum Priamo adventaverat. Gens bellatrix, et ob id ad finitimos indomita, specie armorum inclyta per mortales. Igitur Achilles paucis fidis adjunctis secum insidiatum propere pergit atque hostem securum sui praevortit : tum ingredi flumen occipientem circumvenit : ita eumque et omnes qui comites regulo dolum hujusmodi ignoraverant ex improviso interficit : at quendam filiorum Priami comprehensum mox excisis manibus ad civitatem remittit, nunciatum quae gesta erant. Ipse cum caede inimicissimi, tum memoria doloris ferox, spoliatum armis hostem, mox constrictis in unum pedibus, vinculo currui postremo adnectit. Dein ubi ascendit ipse Automedonti imperat, daret lora equis. Ita curru concito per campum, qua maxime visi poterat, praevolat, hostem mirandum in modum circumtrahens : genus poenae novum miserandumque.

Peu de jours après nous apprenons qu'Hector, avec une faible escorte, était sorti à la rencontre de Penthésilée, reine des Amazones, qui arrivait au secours de Priam. Était-elle guidée par l'appât du gain, ou par le désir d'acquérir de la gloire dans les combats ? c'est ce qu'on ne sait pas. La nation des Amazones était toute guerrière ; invincible jusqu'alors pour ses voisins, la gloire de son nom s'était répandue par toute la terre. Alors Achille se fait suivre d'un petit nombre de soldats sur lesquels il pouvait compter, s'avance à grands pas pour surprendre l'ennemi. Hector allait traverser le fleuve, Achille l'enveloppe, l'attaque à l'improviste, sans lui donner le temps de se reconnaître, et le tue avec toute son escorte. Cependant il fait couper les mains à un des fils de Priam, qu'il avait pris, et le renvoie en cet état à la ville pour porter la nouvelle du combat. La vue de son plus cruel ennemi, abattu à ses pieds, et le souvenir de sa douleur encore récente, le rendent furieux. Il dépouille Hector de ses armes, lui lie fortement les pieds, et l'attache avec une courroie derrière son char. Bientôt il y monte lui-même, et ordonne à Automédon de lâcher les rênes de ses chevaux. Il fait voler son char à travers la plaine, et, choisissant les endroits d'où l'on pouvait le découvrir plus aisément, il traîne après lui le corps du malheureux prince ; supplice aussi nouveau que capable d'exciter la pitié.

16. At apud Trojam, ubi spolia Hectoris desuper e muris animadvertere, quae Graeci praecepto regis ante ora hostium praetulerant, et ille, qui excisis manibus acerbissimae rei indicium in se ipse pertulerat, rem ut gesta erat disseruit; tantus undique versus per totam civitatem luctus atque clamor editur, ut aves etiam consternatae vocibus alto decidisse crederentur, nostris cum insultatione reclamantibus : ac mox portis ex omni parte urbs clauditur, foedatur regni habitus atque in modum lugubrem funestumque obducta facies civitatis; quum, sicut in tali nuntio assolet, repente concursus trepidantium fleret in eundem locum, ac statim sine ulla certa ratione per diversum fuga, nunc planctus crebri, modo urbe tota silentium ex incerto. Inter quae et spes extremas, multi credidere cum nocte simul Graecos moenia invasuros excisurosque urbem securos interitu tanti ducis : nonnulli etiam pro confirmato habere, Achillem exercitum, qui duce Penthesilea Priami rebus auxilio venerat, partibus suorum adjunxisse : postremo omnia adversa, hostilia, fractas ablatasque opes, nullam salutis spem interempto Hectore haberi : quippe is solus omnium in ea civitate adversum tot milites imperatoresque hostium varia semper victoria certaverat ; fortior quam felicior, cui fama bellandi inclyta per gentes, numquam tamen vires consilio superfuerant.

Dès que les Troyens, du haut de leurs murs, aperçurent les dépouilles d'Hector qu'on présentait à leur vue par l'ordre d'Achille, et que le fils de Priam leur eût fait le récit du triste événement dont il portait sur lui-même des marques si cruelles, des cris de douleur n'élevèrent de toutes parts, en si grand nombre et si perçants, que les oiseaux eux-mêmes, étourdis, semblaient tomber du ciel : les Grecs, de leur côté, répondaient aux Troyens par les transports d'une joie insolente. Bientôt toutes les portes sont fermées; la face de l'empire est changée; un voile funèbre s'étend sur toute la ville ; et, comme il arrive en pareille occasion, tous les citoyens éperdus se portent dans un même endroit, et bientôt après se dispersent ; chacun s'écarte à droite et à gauche sans tenir de route certaine; tantôt l'air retentit de cris plaintifs, tantôt il règne partout un morne silence, effet de l'incertitude. Au milieu de leur désespoir, les Troyens croient voir les Grecs, enhardis par la mort d'un si grand général, fondre la nuit sur la ville, et renverser les murailles. D'autres se persuadent qu'Achille a entraîné dans son parti Penthésilée, avec l'armée qu'elle amenait au secours de Priam. Enfin, tout semble tourner contre eux, tout devient leur ennemi ; leurs forces sont abattues, leurs ressources épuisées, et la mort d'Hector les laisse sans aucun espoir de salut. Opposé presque seul à une armée formidable commandée par de vaillants généraux, Hector avait su balancer la fortune ; il avait été plus brave qu'heureux ; mais jamais la prudence en lui n'avait abandonné la valeur : aussi son nom était-il célèbre par toute la terre.

Johannes Malalas - Chronicon, V, 123

et voilà la traduction latine de ce passage :

Inter cenandum vero eum rogavit Pyrrhus (cui genere etiam conjunctus erat), uti altius ab origine rem repetens, quae patri suo acciderant enarraret omnia, nihil adhuc certi de his accepisse se maerens. His itaque Teucrus exorsus est : Victoriam illam quam de Hectore Achilles reportavit nulla aetas oblivioni datura est : qui ubi audisset Hectorem de nocte Penthesileae reginae obviam iturum, praeoccupato ejus itinere se suosque in insidiis collocavit Hectoremque cum suis omnibus flumen traicientibus internecioni dedit ; unico dempto quem stragi superesse voluit manibus abscisis Priamo remittendum cui Hectoris mortem annunciaret. Pater autem tuus ante lucem , Graecis interim quae acciderant omnia nescientibus, Hectoris intermortuum corpus currui alligatum et ab equis quos ipse cum Automedonte agitavit circumtractum quam potuit maxime ad terram allisit. Priamus autem audito Hectoris fato ejulare cum suis omnibus tantusque est in Trojano populo clamor editus Graecis interim triumphum suum clamoribus reciprocis celebrantibus, ut volucres etiam coeli consternarentur. Tum vero statim sunt obseratae Ilii portae.

Josephi Iscani Phrygii Daretis Ilias, v.477-532

Interfectio Hectoris
Ultimus Hectoreum Polibetes senserat ensem
Altius impressum iugulo ; nec defuit augens
Supremam Fortuna manum, transegerat armos
480 Armaque, et in geminos discreto corpore truncos
Solus inoffensus clipeus restabat. Et illum
Dum victor mutare parat levamque superbus
Argolica Iunone onerat, fremit acrius illa
Marte suo facibusque Iovis, sic pronus in iram
485 Sexus, sic priscus suadet dolor. Excitat ergo
Eaciden; non ille quidem certamina tanto
Temptasset conferre viro, sed Iuno negantem
Sollicitat, stimulat Pallas pariterque precantes
prebent hec animos, hec iras, utraque vires.
490 Postquam perventum propius fisusque dearum
Robore fulmineum preceps nudaverat ensem
Eacides, trepidi cedunt hinc inde manipli,
Ipsaque sponte herent retro data prelia regum
In campi maioris opus. Mox sevus utrimque
495 Clamor, utrimque metus ; cupiunt vidisse furentes
Et vidisse timent. Facibus confligere iactis
Fulmina bina putes. Prior occupat Hector Achillem
Fraxineamque trabem vibrat; volat illa ferrumque
heu, humili nimis acta manu, nimis invida ceptis
500 Letiferis !- hostile ferit. Pudor aggerat iram
Frustrateque manus ac stricto dedecus haste
Purgasset gladio, cum vulneris acrior ira
Eacides ensem librat divumque suaque
Proturbat virtute virum. Vix Martia tandem
505 Indignante anima gelidos mens deserit artus.
Extemplo turbata Frigum laxatur inerti
Turba fuga. Trepidis violentior instat Achilles
Ac dextra maiore furit, mactantur in ipsis
Milia bellantum portis. Titonius heros
510 Obliquum pectus et respectantia terga
Obicit Eacide leditque ac leditur ipse.
Seraque vix tenebris dirimit nox bella secutis.
Heu heu, quam tenui nutant rnortalia filo !
Nil homini fixum. Fortune munera blande
515 Insidias, non dona reor, semperque timebis
Sirenum turbe similis sub sole sereno
Nubem, sub risu lacrimas, sub mele venenum.
Si tibi. res, fallit casus ; si forma, senectus ;
Si vires, morbus ; si nomen grande, litura
520 Postera ; et in nullis fati constantia donis.
Ipse etiam has inter tenui virtute procellas
Fretus homo aut languet moriens aut mortuus aret;
Horum si neutrum, certe mortalis et imos
Fraudatura dies medios metit Atropos annos.
525 Occidit, heu, spes una Frigum, Mavortius Hector
Occidit; eternos cui si natura, dedisset
Artus, ipse suos iaculandos Iupiter ignes
Ocia tracturus ultro mandasset. At illum
Imperiis sensere suis obsistere Parce,
530 Sensere et viridis crescentia fila iuvente
Collata rupere manu tutore perempto
Facture Frigiam licito maiore ruinam.

Benoît de Sainte-Maure - Roman de Troie en prose, 163-167

163. Coment Hector assembla a ceaus de l'ost de Grèce.
Hector s'en va en la bataille, mais la preisse estoit si grant de ceaus qui fuoient que a poine pooit il issir hors. Mais il de première venue lor ocist Erupilus qui dus d'Ariende estoit. Après encontra un autre duc de grant afaire, Exidus avoit non, si li copa li bras o toute l'espee. Adonc comença la crie moût grant, si que tout le murail de la ville en retentissoit, que bien est Hector reconeüs. Et tant fu redoutés que maintenant se resortirent arieres tous les plus hardis. Si avoient pris Polidomas et l'en menoient par mi la presse si grant joie faisant, et li donoient de grans cos et pesans ; mais quant il conurent Hector, qui s'ala mesler entre eauz o le bran d'acier en la main, dont il lor cope lor testes et costés et bras, et n'i a si hardi qui atendre l'osast, si les mistrent hors dou fossé tous desconfis, ou il reçuirent merveillous domage por l'esfort que Hector lor fist, et tant les menèrent que il les mistrent au plain.

164. Coment Hector nafra Achillès en la cuisse.
Quant Achillès vit les grans merveilles que Hector faisoit et que il lor tolloit trestous lor princes, si pensa que se il vivoit longuement, que tous seroient livrez a doulor ; et por ce laissa toutes autres choses et dit que il n'entendra fors a lui et que jamais n'avroit joie se il de lui n'est délivres. Mais Hector a tant fait par son esfort que il a toute la bataille remuée et a si revigorez les siens que tous sont issu hors de la ville. Si ne vit onques nus hons si fiere mortalité, si crient par la cité et as tentes en tel manière que il semble que li siècles doive finer, si est tous li chans jonchiez de mors. Un riche duc i avoit, Polibetès ot non, qui de moût grant pooir estoit et bons chevaliers a devise, ne onques nus hons ne vit si bel armes corne il avoit, quar son garnement estoit de fin or tout covert et de pieres preciouses. Si l'amoit moût Achillès, por ce que sa seror li devoit doner a feme, si avoit fait le jor grant domage as Troïens, corne celui qui merveillous chevaliers estoit de sa main. Mais Hector le consuit et le feri de son branc, si que jusques es dens le fendi. Et quant il vit son garniment si bel, si le desirra a avoir et li voloit oster. Mais Achillès i vint, qui moût asprement le defendi, si i ot sus le cors merveillouse bataille, quar Hector et Achillès ne se feignoient mie d'ocirre l'un l'autre. Si prist Hector une espee trenchant et en feri Achillès en mi la cuisse et li fist une grant plaie. Lors se retraistrent les plesours arieres. Achillès fu a merveilles courouciés et bien le demoustra. Mais toutes voies fist il ses plaies bender d'une enseigne et retorna arieres en la bataille ensi nafrés, moût durement fellon. Si ageite Hector et dit que miaus aime morir que vivre se il ne l'ocist. La bataille estoit moût dure et perillouse, si avoit Hector abatu un roi et le tenoit par la ventaille por traire le hors de la preisse, et si estoit descovert de son escu. Et quant le cuivert l'aparçoit, qui n'entendoit a autre chose, si vait droit celle part et broiche le cheval et le fiert si que li haubers ne le pot garantir que il ne li espandist le fege et le polmon, et le tresbucha mort a la terre tout envers.

165. Coment Achillés ocist Hector par agait.
Hay ! las, come estrange et pesans aventure et come doulourous jors est avenu a ceauz qui ses amis sont! Que puis ne firent Troïen autre chose ne autre demoure, mais tous s'en fuirent sans nul conroi prendre, que bel lor est que l'en les ocie. Tout ensi getent escus et lances a terre et s'en vont por la mort Hector, qui desconfi les a. Et moût en sont de doulor pasmés en mi les chans, et les chacierent Grizois jusques as portes de la cité ociant et prenant a lor voloir sans nul contredit. Et cil qui eschaperent se mistrent par mi les portes. Mais le roi Menon s'en torna contre Achillès et l'abati moût felenessement. Mais cil ressaut sus maintenant et le fiert son escu si que il l'abati a terre. Et le roi Menon le requiert et le feri desous son escu en mi le visage et li fist voler le heaume iï de la teste et li ensainglanta tout le visage. Et se rendirent si fier estor que la terre ert vermeille de lor sanc. Si s'atornerent en tel manière que l'un et l'autre en furent por mort porté de la place sus son escu. Si fu Achillès portés dedens son paveillon, et après li regarderent ses plaies, qui moût estoient perillouses ; mais toutes voies virent il que il en poroit bien garir, dont il orent moût grant joie.

Funérailles d'Hector (v.16317-874)

166. Come tous ceaus de la vile demenerent grant deul.
Quant cil de Troies virent porter lor seignor mort, si commença la dolor si grant de tout le pueple, grans et petis, femes et enfans, come il veïssent tout destruire. Li Rois et lis haus barons et tous les chevaliers de la ville faisoient ce meïsmes. Les dames et les puceles le plorent toutes eschevelees et crïent : « Haï ! sire Hector, noble guerrier, qui de chevalerie avoies tous le monde pascé, et que vos nos amiez tant que vostre cors meïstes a mort por nos rescourre! Laisses! coment somes desconseilliées, quar tout lor voloir feront de nos li mauvais henemis ! Car la défense des autres sera des or mais si petite que jamais porte n'en sera overte. Et nos meïsmes serons menées en servage : por coi chascune doit haïr sa is vie après vostre mort ». Si dura cest plor et cist cris si grant jusques a la salle. Et la fu la doulor si grant et si angoissouse que nus ne la poroit raconter. Si i vint le roi Priant et se pasma sus lui. Si le portèrent ses barons en une chambre si corne por mort. Paris faisoit si grant duel que il sembloit que il se vossist ou ses deus mains ocire, et moût maudisoit l'oure que ceste bataille fu comencie et disoit : « Biauz sire amis et vaillant sur tous autres chevaliers, qui nos sera hui mais estendiors et forteresce et qui vengera nostre perte ? Haï ! las, cornent nos devenons tuit morir après la vostre mort, qui si fiere nos est ! Quar nus ne le poroit penser, la grant perte et le doulourous domage que hui recuit nostre parenté, qui par vos estoit défendus. Et ores veons nos voie de nostre destruiement. Mais se Dieuz pleist, cil en morra. par qui vos estes mors, quar moi n'en chaut se il m'avoit ocis, mais que je soie de lui vengiés ».

167. Come tous les princes estoient sus le cors.
Troylus, Deïphebus et tous ses frères, Eneas, Polidomas et tous les autres rois et princes et tous les chevaliers estoient sus le cors venus, si estoit la dolor si grant et le plour, et la preisse si merveillouse que nus ne le poroit retraire, ne si faite ne si angoissouse dolour. Alors i vint Ecuba sa mère, Adromata sa feme, toutes ses serors et dame Elaine, si angoissouse que ja ne s'en queïssent partir, et ne se pooient soustenir, se ne fussent que les chevaliers les portoient entre lor bras. Haï ! Dieuz, qui adonc les veïst plorer, et braire et arachier lor biauz cheviaus, et engratiner lor tendre visage, et cheoir pasmees de grant destrece menu et sovant, grant dolor en peûst avoir : « Biauz fils, disoit la roïne sa mère, quele atente porai je avoir des or mais ? Quar vos estïés tous mes delis, et or vos ai je perdu, quar je ne croi pas que vos soies mors. Haï ! las, quel dolor que d'ovrir vos iauz n'avés vos nul pooir.Et ore voi ge bien, que la grant dolor et les sospirs que je avoie jor et nuit senefioient ceste cruel mescheance. Haï ! las, come je voi la terre vermeille desous vos, par coi je croi que vos estes mors. Biaus fis, quoment puent les dieus soufrir que je ne fuce devant vos quant vostre esprit parti et que vos ne trepassastes entre mes bras ? Laisse, que ferai des or mais au roi Priant? Qui li pora jamais faire chose dont il ait joie ? Drois est que nos morons trestuit après vos, et que nos ne nos veons çaenspenre as mauvais henemis par qui vos avés la vie perdue. Et ja Dieu ne plaise que je vive plus ! ». Et adont cheï pasmee sur lui. Que vos diroie je de Adromata sa feme ? Tant a ploré qu'ele ne puet mot dire,etestoit si palle que miaux sembloit morte que vive. Si en fu toute por morte portée en une chambre, sa chiere toute despecee et ses cheviaus detrais. Dame Elaine ne se feignoit pas, quar de doulor estoit palle et perse devenue ; si en fist tant que moût en fu prisie, et grant gré li sorent tous ceaus de lignage. De Polixenain ne vos poroie je dire la merveille qu'eles faisoient chascune de soi meïsmes, quar il n'i avoit roi ne prince qu'eles ne feïssent plorer. Et se je voloie raconter la vérité de la doulor que chascun avoit et lous comunalement, trop i avroit a faire. Mais assi grant doulor come vos entendes l'en portèrent en une chambre et désarmèrent le cors, et l'atornerent si richement de baume et de toutes choses olans que le cors deüst garder sans maumetre que nus hons n'en poroit la moitié descrire. Et après le covrirent d'un riche drap d'or et de pierres preciouses. Si dura celle grant doulor toute nuit, mais si estoient espoënté qui n'i ot arme que celle nuit dormist, ainçois furent sus les murs assi grant doulors et a si grant cri que cil de l'ost l'ooient bien, dont il estoient moût liez et avoient grant joie.

Guido delle Colonne - Historia destructionis Troiae, XXI

Tunc Paris bellum intrauit et ex parte Grecorum Achilles, qui cum suis sic potenter irruit in Troyanos quod Greci in uirtute Achillis Troyanos uertunt in fugam et Troyani sunt dare terga coacti. In ciuitatem se recipere festinabant. Interim dum Margariton, vnum ex filiis regis Priami, intercipere conatur Achilles, dum ille sibi uiriliter restitisset, Achilles interfecit eundem. Tunc clamor fit maximus de morte Margariton crudeliter interfecti. Thelamonius autem Troianos potenter insequitur sed Paris viriliter eosdem de­fendit necnon et alii filii regis Priami naturales. Non tamen in tantum in uiribus preualuerunt eorum quin Troiani coacti precipiti fuga ciuitatem non intrassent eorum et corpus Margariton ad ciuitatem mortuum detulerunt. Quem ut mortuum Hector audiuit, multo dolore torquetur, diligenter querit quis eum interfecerit. Quem Achillem fuisse relatum est ei. Tunc Hector quasi furibundus, in ira ligata casside, rege patre inscio, bellum ingreditur et statim in furore suo duos magnos duces interfecit, Euripolum scilicet et ducem Astidum. Grecos deinde uiriliter impetit, diruit, uulnerat et occidit, quem Greci illico cognouerunt in letalibus ictibus ensis sui. A facie eius aufugiunt et Troyani Grecos inuadunt et potenter ipsos expugnant. Greci uero Pollidamam capiunt et captum educere conabantur a bello. Sed Hector ipsum liberat, qui ducentes eum in suis uiribus interfecit. Quod dum inspexisset, quidam Grecorum maximus amiratus, nomine Leochides, in Hectorem irruit, morti tradere putans eum. Sed Hector totus exardens in iram in ip­sum irruit et in furore ire sue interfecit eundem.

Achilles uero, ut uidit Hectorem tot nobiles Grecorum et infinitos alios morti sic uelociter tradidisse, suo concepit in animo quod, nisi uelociter Hector morti traderetur, nunquam Greci aduersus Troyanos poterunt preualere. Diligenter igitur sciscitatus est in sue mentis archano qualiter incontinenti illud valeat perficere et complere. Et dum meditaretur Achilles diligenter in hiis et Policenes dux, qui ob amorem Achillis in Grecorum subsidium se con­tulerat, sperans eciam quandam Achillis sororem ducere in uxorem, qui a superiori India ualde diues aduenerat, dum inter turmas Hec­tori obuiasset, Hector in ipsum irruens interfecit eundem, Achille uidente. Achilles autem furibundus irruit in Hectorem, uindicare Policenes necem intendens. Sed Hector quoddam iaculum cuius ferrum erat in eius acumine ualde secans uibrauit uiriliter in Achillem, et dum ipsum percussisset in inguine, graue sibi uulnus inflixit. Achilles autem a bello uulneratus egreditur, sed uulnere ipso ligato redit ad bellum, eo proposito quod Hectorem morti tradat eciam si eum exinde morti tradi contingat. Hector uero interim in quendam Grecorum regem irruerat, ipsum ceperat, et captum conabatur ipsum a turmis extrahere, scuto sibi suo post terga reiecto, ut habilius regem ipsum a turmis eripere potuisset. Quare pectus suum discoopertum tunc gerebat in bello, scuti sui defensione destitutus. Achilles persensit Hectorem ante pectus scuti ­sui subsidium non habere, accepta quadam lancea ualde forti, non aduertente Hectore, in ipsum irruit et letaliter uulnerauit in ventre sic quod eum mortuum deiecit ab equo. Rex vero Menon statim, ut uidit Hectorem mortuum, Achillem aggreditur, ipsum ab equo deiecit et letaliter uulnerat, sic quod sui Mirmidones eum quasi mortuum ad sua deducunt in quodam scuto tentoria. Troyani uero quasi deuicti campum deserunt, ciuitatem intrant, in quam corpus Hectoris mortuum, Grecis non resistentibus, detulerunt.

[Incipit liber xxiius de sepulcro Hectoris et de Palamide in imperatorem Grecorum assumpto.]
Mortuo igitur Hectore et in ciuitate Troye eius corpore introducto, planctus fit maximus vniuersaliter inter ciues. Non enim est aliquis ciuium qui non maluisset filium suum morti tradere pro uita Hectoris, si hoc fata uel dii pro eorum uotis salubriter statuissent. Mulieres eciam Troyane, tam uirgines quam matrone, in earum domibus satis lugubres dies ducunt, et in querulis earum clamoribus produnt flebiles uoces suas, dicentes se ammodo cum earum filiis et maritis indubitanter respirare non posse, cum eis, Hectore deficiente, defecerit earum firma securitas, que ab insidiis hostium eas faciebat respirare securas, cum et earum hostes sollicite in earum et maritorum ipsarum uenerint insidiis, uel ut eas et eos intercipiant et occidant uel ut eas et earum liberos perpetue adiciant seruituti. Et sic in tanti fletus et doloris angustiis longis diebus continue uacauerunt. Corpus autem Hectoris uniuersi reges et nobiles qui erant in Troya ad regis Priami regiam, scissis uestibus et nudatis capitibus, in maximo ullulatu deferunt et deponunt. Quod postquam uidit rex Priamus ineffabili dolore concutitur. Super corpus Hectoris sepius intermoritur. Et id sibi per breuia momenta sepius accidisset, nisi fuisset sepius a corpore Hectoris uiolenter extractus, et proinde sine dubio sue mortis exitum incurrisset. Sic et dolentes fratres eiusdem doloris casu vniuersaliter torquebantur, cum mori magis quam uiuere protinus affectarent. Quid dicetur ergo de regina Heccuba, matre sua, de eius sororibus, Polixena uidelicet et Cassandra, quid de Andromacha, eius uxore, quarum sexus fragilitas ad doloris angustias et lacrimas fluuiales facit ad longam querelarum seriem proniores ? Sane lamentaciones earum particularibus explicare sermonibus cum minime necessarium uideretur in hoc loco, utpote inutiles sunt obmisse, cum certum sit apud omnes quod quanto he affectuosius diligebant, maiorum dolorum aculeis uexabantur. Et mulieribus sit insitum a natura quod dolores earum non nisi in multarum uocum clamore propalent et impiis et dolorosis sermonibus eos diuulgent.

Nos auteurs ne parlent plus d'Andromaque qu'au début de leurs histoires troyennes : elle connaîtra la servitude chez Néoptolème, comme le raconte aussi Virgile au IIIème livre de l'Énéide. Astyanax lui aussi connaîtra une destinée différente de celle de la vulgate homéro-virgilienne : nous vous renvoyons aux prochaines contributions...


Merci au professeur Francesco Chiappinelli, auteur de l'Impius Aeneas, de nous avoir fourni ces textes.
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Si vous voulez lui écrire, vous pourrez le faire à cette adresse :