NB : Cette contribution étant liée à la Télégonie, l'auteur conseille de les lire ensemble.

Les aventures d'Ulysse étaient racontées dans l'Odyssée d'Homère, et ce poème est si beau et si moderne qu'il semble impossible d'y rien ajouter. Aux yeux des philologues, c'est un Νόστος, un Retour ; mais les quelques fragments des Nostoi et la Chrestomathie de Proclus ne disent rien du retour du héros. Au contraire, on l'a vu avec la Télégonie, les auteurs tardo-latins, byzantins et médiévaux racontent en particulier sa mort en se référant au Cycle. Mais ce qui avait fourni matière aux Récits d'Alkinoos était si connu, partout, qu'il aurait été presque impossible de les modifier. On reconnaît donc dans les récits plus tardifs les traces de l'Odyssée, mais avec des variations significatives : la plus intéressante est le fait qu'Ulysse raconte ses aventures au roi de Crète, Idoménée, et non plus au roi des Phéaciens : sans doute, cette modification remonte-t-elle au « Crétois » Dictys.

Les personnages monstrueux et divins de l'Odyssée ont maintenant une nature tout à fait humaine ; ils sont liés l'un à l'autre par des liens de parenté, selon une conception évhémériste, et ils sont en proie à des passions, amour et haine. Il faut penser à la comédie moyenne et à son rapport avec la mythologie : ainsi Polyphème est-il un roi moins mauvais que chez Homère, et Circé et Calypse deviennent deux soeurs terriblement jalouses. Au delà d'une grande confusion, ou plutôt contamination de noms et de lieux, on comprend bien pourquoi et comment Ulysse est depuis toujours le personnage le plus fascinant de la littérature universelle.

Mais avant les extraits de « nos » auteurs, je voudrais proposer, comme un préambule, les amusantes histoires de Lucien : Ulysse, Pénélope et Calypso y sont des hommes et des femmes comme nous, et pourtant éternels.

Lucien, Véritable histoire, II, passim

[2, 29] μείνας δὲ κἀκείνην τὴν ἡμέραν, τῇ ἐπιούσῃ ἀνηγόμην τῶν ἡρώων παραπεμπόντων. ἔνθα μοι καὶ Ὀδυσσεὺς προσελθὼν λάθρᾳ τῆς Πηνελόπης δίδωσιν ἐπιστολὴν εἰς Ὠγυγίαν τὴν νῆσον Καλυψοῖ κομίζειν. συνέπεμψε δέ μοι ὁ Ῥαδάμανθυς τὸν πορθμέα Ναύπλιον, ἵν΄ ἐὰν καταχθείημεν ἐς τὰς νήσους, μηδεὶς ἡμᾶς συλλάβῃ ἅτε κατ΄ ἄλλην ἐμπορίαν καταπλέοντας. Ἐπεὶ δὲ τὸν εὐώδη ἀέρα προϊόντες παρεληλύθειμεν, αὐτίκα ἡμᾶς ὀσμή τε δεινὴ διεδέχετο οἷον ἀσφάλτου καὶ θείου καὶ πίττης ἅμα καιομένων, καὶ κνῖσα δὲ πονηρὰ καὶ ἀφόρητος ὥσπερ ἀνθρώπων ὀπτωμένων, καὶ ὁ ἀὴρ ζοφερὸς καὶ ὁμιχλώδης, καὶ κατέσταζεν ἐξ αὐτοῦ δρόσος πιττίνη? ἠκούομεν δὲ καὶ μαστίγων ψόφον καὶ οἰμωγὴν ἀνθρώπων πολλῶν.

[2,29] Ce fut notre dernière journée : le lendemain nous mettons à la voile ; les héros nous font la conduite ; et Ulysse, s'approchant de moi, me remet, à l'insu de Pénélope, une lettre adressée à Calypso, dans l'île d'Ogygie. Rhadamanthe nous donne pour nous conduire le pilote Nauplius, afin que, si nous étions portés sur les îles voisines, personne ne nous arrête sous prétexte de navigation suspecte. A peine sortions-nous de l'atmosphère embaumée, que nous sommes saisis d'une odeur insupportable d'asphalte, de soufre et de poix brûlés ensemble : en même temps, il nous arrive comme un fumet atroce, dégoûtant, d'hommes que l'on fait rôtir : une vapeur obscure, ténébreuse, fond sur nous sous forma d'une rosée de goudron ; puis nous entendons un grand bruit de fouets et un immense concert de voix gémissantes.

[2,35] ἡμέρας μὲν οὖν τριάκοντα καὶ ἴσας νύκτας παρ΄ αὐτοῖς ἐμείναμεν καθεύδοντες εὐωχούμενοι. ἔπειτα δὲ ἄφνω βροντῆς μεγάλης καταρραγείσης ἀνεγρόμενοι καὶ ἀναθορόντες ἀνήχθημεν ἐπισιτισάμενοι. Τριταῖοι δ΄ ἐκεῖθεν τῇ Ὠγυγίᾳ νήσῳ προσσχόντες ἀπεβαίνομεν. πρότερον δ΄ ἐγὼ λύσας τὴν ἐπιστολὴν ἀνεγίνωσκον τὰ γεγραμμένα. ἦν δὲ τοιάδε? Ὀδυσσεὺς Καλυψοῖ χαίρειν. Ἴσθι με, ὡς τὰ πρῶτα ἐξέπλευσα παρὰ σοῦ τὴν σχεδίαν κατασκευασάμενος, ναυαγίᾳ χρησάμενον μόλις ὑπὸ Λευκοθέας διασωθῆναι εἰς τὴν τῶν Φαιάκων χώραν, ὑφ΄ ὧν ἐς τὴν οἰκείαν ἀποπεμφθεὶς κατέλαβον πολλοὺς τῆς γυναικὸς μνηστῆρας ἐν τοῖς ἡμετέροις τρυφῶντας? ἀποκτείνας δὲ ἅπαντας ὑπὸ Τηλεγόνου ὕστερον τοῦ ἐκ Κίρκης μοι γενομένου ἀνῃρέθην, καὶ νῦν εἰμι ἐν τῇ Μακάρων νήσῳ πάνυ μετανοῶν ἐπὶ τῷ καταλιπεῖν τὴν παρὰ σοὶ δίαιταν καὶ τὴν ὑπὸ σοῦ προτεινομένην ἀθανασίαν. ἢν οὖν καιροῦ λάβωμαι, ἀποδρὰς ἀφίξομαι πρὸς σέ. ταῦτα μὲν ἐδήλου ἡ ἐπιστολή, καὶ περὶ ἡμῶν, ὅπως ξενισθῶμεν.

[2,35] Il y avait trente jours et autant de nuits que nous demeurions dans cette île, nous livrant aux douceurs du sommeil et des festins, lorsque soudain un violent coup de tonnerre nous réveille : nous nous levons avec précipitation, nous prenons des vivres et nous voilà partis. En moins de trois jours nous arrivons à l'île d'Ogygie, et nous débarquons. La première chose que je fis fut d'ouvrir la lettre d'Ulysse, et j'y lus ces mots : « Ulysse à Calypso, salut ! « Sachez qu'aussitôt après vous avoir quittée, sur le radeau que je m'étais construit, j'ai fait naufrage, et que, sauvé à grand'peine par Leucothée, je suis arrivé chez les Phéaciens qui m'ont reconduit dans ma patrie, où j'ai trouvé ma femme entourée d'une foule de prétendants qui mangeaient mon bien. Je les ai tués tous, et j'ai fini par périr moi-même de la main de Télégone, ce fils que j'ai eu de Circé. Je suis à présent dans l'île des Bienheureux, me repentant fort d'avoir quitté la vie que je menais près de vous ; et l'immortalité que vous m'aviez offerte. A la première occasion, je m'échapperai et j'irai vous retrouver ». Tel était le contenu de cette lettre, avec quelques recommandations pour nous.

[2,36] ἐγὼ δὲ προελθὼν ὀλίγον ἀπὸ τῆς θαλάττης εὗρον τὸ σπήλαιον τοιοῦτον οἷον Ὅμηρος εἶπεν, καὶ αὐτὴν ταλασιουργοῦσαν. ὡς δὲ τὴν ἐπιστολὴν ἔλαβεν καὶ ἐπελέξατο, πρῶτα μὲν ἐπὶ πολὺ ἐδάκρυεν, ἔπειτα δὲ παρεκάλει ἡμᾶς ἐπὶ ξένια καὶ εἱστία λαμπρῶς καὶ περὶ τοῦ Ὀδυσσέως ἐπυνθάνετο καὶ περὶ τῆς Πηνελόπης, ὁποία τε εἴη τὴν ὄψιν καὶ εἰ σωφρονοίη, καθάπερ Ὀδυσσεὺς πάλαι περὶ αὐτῆς ἐκόμπαζεν? καὶ ἡμεῖς τοιαῦτα ἀπεκρινάμεθα, ἐξ ὧν εἰκάζομεν εὐφρανεῖσθαι αὐτήν.

[2,36] En m'avançant à peu de distance de la mer, je trouvai cette grotte, dont parle Homère, et Calypso elle-même occupée à filer de la laine. Elle prend la lettre, se met à la lire et fond en larmes : après quoi, elle nous offre l'hospitalité et nous traite avec magnificence. En même temps elle nous accable de questions sur Ulysse et sur Pénélope, si cette femme était aussi belle et aussi sage qu'Ulysse l'avait vantée auprès d'elle. A toutes ces demandes nous répondons du mieux qu'il nous est possible pour lui être agréables ; puis, le soir venu, nous allons dormir près du rivage.

Darès ne parle pas des retours, et sa place comme modèle littéraire est prise naturellement par Dictys.

Dictys, Ephemerides belli Troiani

[V, 15] Igitur Ulisses ueritus uim offensi exercitus, clam Ismarum aufugit : atque ita Palladium apud Diomedem manet.

Ulysse, pour se soustraire au ressentiment de l'armée irritée, s'enfuit secrètement au pied du mont Ismare. Ainsi, le Palladium resta entre les mains de Diomède.

[VI, 5-6] Per idem tempus Ulisses Cretam appulsus est, duabus Phoenicum nauibus mercedis pacto acceptis : namque suas cum sociis atque omnibus quae ex Troia habuerat, per uim Telamonis amiserat scilicet infesti ob illatam per eum filio necem, uix ipse liberatus industria sua. Percontantique Idomeneo quibus ex causis in tantas miserias deuenisset, erroris initium narrare occipit: quo pacto appulsus Ismarum multa inde per bellum quaesita praeda nauigauerit: appulsusque ad Lotophagos, atque aduersa usus fortuna, deuenerit in Siciliam, ubi per Cyclopa et Lestrygona fratres multa indigna expertus ad postremum ab eorum filiis Antiphate et Polyphemo, plurimos sociorum amiserit : dein per misericordiam Polyphemi in amicitiam receptus, filiam regis Arenen, postquam Elpenoris socii eius amore deperibat, rapere conatus : ubi res cognita est, interuentu parentis puella ablata per uim, exactus per Aeoli insulas deuenerit ad Circen, atque inde ad Calypso, utramque reginam insularum, in queis morabantur, ex quibusdam illecebris animos hospitum ad amorem sui illicientes : inde liberatus peruenerit ad eum locum, in quo exhibitis quibusdam sacris, futura defunctorum animis dignoscerentur : post quae appulsus Sirenarum scopulis, ibi per industriam liberatus sit: ad postremum inter Scyllam et Charybdim, mare saeuissimum et illata sorbere solitum, plurimas nauium cum sociis amiserit. Ita se cum residuis in manus Phoenicum per maria praedantium incurrisse, atque ab his per misericordiam reseruatum. Igitur, uti uoluerat, acceptis ab rege nostro duabus nauibus, donatusque multa praeda ad Alcinoum regem Phaeacum remittitur.

Dans ce même temps, Ulysse aborda en Crète avec deux vaisseaux phéniciens qu'il avait loués. Ce prince, poursuivi vivement par Télamon, avait perdu sa flotte, toutes ses richesses avec ses compagnons. Télamon était son ennemi, et voulait venger sur lui la mort de son fils : aussi Ulysse n'échappa-t-il qu'avec peine et par son adresse à la fureur de ce prince. Idoménée le pria de lui apprendre comment il était tombé dans cet état d'abaissement. Ulysse lui répondit : « Aussitôt après la prise de Troie, je fis voile vers le promontoire d'Ismare ; je partis de ce lieu avec tout le butin qui m'était tombé en partage ; je fus poussé sur les côtes des Lotophages, et, pour mon malheur, je relâchai en Sicile où je courus les plus grands dangers chez Cyclope et son frère Lestrigon, et même Antiphate et Polyphème, leurs fils, firent périr une grande partie de mes compagnons. Enfin Polyphème touché de mes malheurs, s'unit d'amitié avec moi. Je tentai ensuite d'enlever Aréné, fille du roi, qui s'était prise d'amour pour Elpénor, un de mes compagnons. A cette nouvelle, les Lestrigons, à l'instigation du père, me ravissent ma proie et me chassent de leur île. Me voyant forcé de fuir, je pris terre aux îles Eoniennes ; je passai de là dans celle de Circé, et ensuite chez Calypso : ces deux reines mirent en usage leurs charmes et leurs attraits pour nous fixer auprès d'elles. Je parvins enfin à m'échapper, et j'arrivai au bord de l'Averne, où, après certains sacrifices expiatoires, les hommes apprenaient des morts mêmes les événements futurs. Au sortir de ce lieu, je touchai les rochers des Sirènes, dont il me fallut éviter par adresse les artifices ; je passai entre les deux fameux écueils de Scylla et de Charybde, dans cette mer orageuse, qui ordinairement engloutit tout dans son sein ; en cet endroit je perdis plusieurs de mes vaisseaux et de mes compagnons. Enfin, je tombai avec ceux qui me restaient entre les mains des pirates phéniciens, qui, touchés de mon état, me conservèrent la vie ». A sa demande, Idoménée lui accorda deux vaisseaux, le combla de riches présents, et l'envoya ensuite chez Alcinoüs, roi des Phéaciens.

Ibi ob celebritatem nominis per multos dies benigne acceptus, cognoscit Penelopam ab triginta illustribus uiris diuersis ex locis in matrimonium postulari. Hique erant ab Zacyntho, Echinadibus, Leucatha, Ithaca. Ob quae multis precibus persuadet regi, uti secum ad uindicandam matrimonii iniuriam nauigaret. Sed postquam deuenere ad eum locum paulisper occultato Ulyxe, ubi Telemachum rem, quae parabatur edocuere, domum ad Ulixem clam ueniunt; ubi multo uino atque epulis repletos iam procos, ingressi interficiunt. Dein per ciuitatem Ulixem aduentasse, popularibus cognitum est : a queis benigne et cum fauore exceptus, cuncta quae domi gesta erant cognoscit; meritos donis aut suppliciis afficit. De Penelopa eiusque pudicitia, praeclara fama. Neque multo post precibus atque hortatu Ulissis, Alcinoi filia Nausica Telemacho denubit. Per idem tempus Idomeneus, dux noster, apud Cretam interiit, tradito per successionem Merioni regno : et Laerta triennio postquam filius domum redit, finem uitae fecit. Telemacho ex Nausica natum filium Ulisses Ptoliporthum appellat.

Il fut traité pendant plusieurs jours chez ce prince avec tous les honneurs dus à sa grande réputation. On lui apprit que trente princes illustres de différents états se disputaient la main de Pénélope : ils étaient de Zacynthe, des îles Echinades, de Leucathe et d'Ithaque. A cette nouvelle, Ulysse prie instamment le roi de l'accompagner et de venger avec lui l'injure qu'ils faisaient au lien sacré de l'hyménée. Dès qu'ils furent arrivés à Ithaque, Ulysse se tint caché quelque temps, jusqu'à ce que l'on eût instruit Télémaque du coup que l'on préparait ; ensuite ils s'introduisirent secrètement dans le palais, où ils donnèrent sans peine la mort aux amants de Pénélope, qui étaient pris de vin et dormaient d'un profond sommeil. Les habitants de l'île, instruits de l'arrivée d'Ulysse dans la ville, le reçurent au milieu des transports de la joie la plus vive. Il apprit alors ce qui s'était passé chez lui pendant son absence ; il infligea des peines ou donna des récompenses à ceux qui les méritaient. La renommée se chargea de publier partout la chasteté de Pénélope. Peu de temps après, à la prière d'Ulysse, Nausicaa, fille d'Alcinoüs, fut accordée en mariage à Télémaque. Ce fut alors qu'Idoménée, roi de Crète, mourut, laissant Mérion pour son successeur, et Laërte finit sa carrière trois ans après le retour de son fils à Ithaque. Ulysse donna le nom de Ptoliporthe au fils de Télémaque et de Nausicaa.

Le fidèle continuateur byzantin de Dictys, Johannes Malalas, dont nous citons ici la traduction latine, amplifie et enrichit son récit. Par exemple, Circé et Calypso deviennent deux filles d'Eole... Par lui on a en outre la confirmation que Dictys aurait appris ces événements de la bouche même d'Ulysse.

Johannes Malalas, Chronographia, V, passim

Ajacis itaque Pyrrhique exercitus adversus Ulissem insurgebant eum interfecturi. Verum is, diductis navibus suis fugaque sibi consulens, in mare Ponticum cursum dirigit : ubi per aliquod tempus commoratus in patriam deinde suam urbemque Ithacam cum classe et exercitu redire in animo habuit. Per Maronidem vero regionem iter facienti restiterunt incolae, quos vicissim impetens Ulisses devicit atque opum multarum dominus evasit ; spemque concipiens, quamcumque regionem appulerit, obvios quosque se debellaturum divitiasque ipsorum deportaturum, cum Lotophagis quoque in quorum regionem incidit proelia commisit. Sed ab iis devictus, cum non multum aberat quin copiae eius ad unum omnes exciderentur, fugam capessit et longa demum navigatione fractus Sicilam insulam, quae nunc Sicilia vocatur, appulit. Amplissima erat haec insula, quam inter se divisam tres fratres occuparunt, Cyclops, Antiphantes (sic, ndr) et Polyphemus, qui Sicani, insulae istius regis, filii potentes fuerunt et magni nominis viri quique res suas curarunt mutuo. Erant autem tres hi moribus efferis nec peregrinis excipiendis, quin ipsis potius occidendis deditissimi. Ulisses autem cum classe et exercitu appropinquans in eam insulae partem incidit quae Antiphanti paruit ; quocum et Lestrigonibus eius proelio commisso, cum complures ex suis excisos videret Ulisses navibus conscensis inde fugam capessit, aliam insulae partem adorturus, eam scilicet quae Cyclopi subiecta montes habet Cyclopios dictos. Hoc ubi audisset Cyclops copiis collectis in illum profectus est : (erat autem corporis mole praegrandi et vultu deformi). Ulissem vero ditionibus suis incubantem ex improviso aggressus, exercitum eius late prosternit Ulissemque ipsum et alios ex exercitu eius nonnullos manu cepit. Inter quos Miccalion erat quidam, generosi vir animi, quique strenuum sese ducem ad Trojam praestiterat. Hunc Cyclops, capillitio arreptum, Ulissis omniumque sociorum in conspectu gladio suo exenteravit, ut qui ausus est in Cyclopem arma movere. Reliquos autem custodiae mandavit quos singillatim conficere in animo habuit. Ulisses vero procidens ei ad pedes rogavit supplex uti se residuumque sibi exercitum pretio magno muneribusque interpositis missos faceret. Sed vix eo ita adductus Cyclops dimissionem promittebat ubi advesperasceret fidemque suam liberavit, animo tamen egrediendi per noctem intempestam, ut Ulisse sociisque occisis opum quodcumque attulerat cum navibus diriperet.Ulisses autem, quamprimum liberatus est a tam truculento homine, sibi misere metuens exinde solvens ab oris eius statim discessit. Cyclops vero per noctem adorturus eos, ubi evasisse naves percepisset, in furorem adactus saxa in mare praecipitari jussit ne forte interim alicubi stationem alteram occupassent. Nox autem erat intempesta terraque tenebris involuta erat, cum Ulisses sociique locorum imperiti in alteram illam insulae partem quae Polyphemi erat, Cyclopis et Antiphantis fratris, inciderunt. Polyphemus, audito ad terram suam nonnullos per noctem appulisse, collectis viribus suis Ulissem aggressus est proelioque inter eos per totam noctem commisso ex Ulisseis ceciderunt quamplurimi. Mane autem facto Ulisses etiam Polyphemo dona obtulit, procidensque ei ad pedes « Ego, inquit, Trojanis ab oris ultima maris discrimina expertus huc in partes vestras errabundus adveni », simulque enumeratis quae sustinuerat periculis, Polyphemum ita delenibat ut misertus ejus Ulissem sociosque hospitio exceperit usque dum navigandi tempestas idonea instaret. At vero Polyphemi filia, Elpe dicta, Lionem quendam ex Ulissis sociis virum formosum adamavit. Secundos itaque nacti ventos, abrepta ea, inde ex Sicilia solverunt, uti haec sapientissimus Sisyphus Cous scripta reliquit. Sapiens enim Eurypides in dramate suo de Cyclope fabulatur tres eum oculos habuisse, nempe sic innuens nobis tres fratres illos qui, sui curam invicem habentes, singuli quae omnium esset in insula prospexerint, singulorum omnes vel in suppetias vel in vindictam paratissimi. Fabulatur idem Ulissem inebriato Cyclope sic e manibus ejus evasisse : nempe inebriavit eum Ulisses ingenti pecuniarum pondere donisque, ne se sociosque abnueret. Idem autor (sic, ndr) est Ulissem stipite praeusto oculum unicum Cyclopi eruisse : nempe quod fratris Polyphemi filiam virginem quam unicam habuit Cupidineis accensam flammis, abripuerit : ob hanc causam unum Cyclopi (Polyphemo scilicet) ex oculis extinxisse dicitur, uti haec enarravit sapientissimus Phidias Corinthius, qui semper etiam addit Euripidem haec omnia poetice tradidisse, nec eadem de Ulissis erroribus ac sapientissimus Homerus perhibuisse. Ulisses vero a Sicilia solvens ad Aeolias pervenit insulas, quarum re x Aeolus hospitio eum excepit. Hic vero moriturus insulas illas duas filiabus suis distribuit, quae reginae illis imperitabant. Erat autem Circe Solis sacerdos, quam pater Aeolus a teneris annis deo sacraverat in templo ejus, ad Eeam quod erat insulam, nutriendam ; ubi adolescentior facta mysticam hierophantam profecit, egregiae formae virgo. Huic vero soror Calypso infensissima erat odioque summo eam prosecuta est : « Quare, inquiens, Atlantem patrem suum abnuens Titanis solis scilicet filiam se venditat ? ». Metuebat igitur Circe a Calypsone sorore ne quando ab ea, ad iram commota, (ingens enim ei praesto erat in insula sua virorum strenuorum multitudo), impetita, pessime haberetur. Itaque cavens sibi Circe, cum non aliter auxiliarios sibi custodesque adsciscere potuisset, extractis herbarum quarundam viribus, philtrum sibi potentissimum vi venefica paravit, cujus magisterium esset ut haustu sumentibus patriae suae oblivionem et commorandi illic desiderium una incuteret. Pharmacum istud ubi eo convenientibus, quos plurimos hospitio accepit, advenis propinandum dedisset patriae suae quisque oblitus in insula hac exinde commorati sunt. Hoc igitur usa artificio mulier quam multos ad se pellexit. Ubi vero inaudisset Ulissis naves ad insulam suam appulisse, in mandata suis dedit uti ipsum exercitumque eius honorifice tractarent. Ulissem enim sociosque, ut qui viri essent bellicosi, in societatem suam adsciscere cupiebat. Ulisses vero, ubi primum ad Circes insulam appulit, multos ibi vidit diversarum gentium homines peregrinos, quorum nonnullos qui ex Graecorum exercitu fuerunt recognoscens sibi appropinquantes « Quid, inquit, vobis in causa est ut pedes vestros in hac insula poneretis ? » tum illi « Nos, inquiunt, ex Graecorum sumus exercitu, verum tumultuosis undarum procellis jactati hanc insulam appulimus, ubi ex haustu quodam magico quem regina Circe nobis propinandum dedit, incredibili ejus amore correpti insulam hanc nunc habemus patriam ».

Haec atque alia rettulerunt, quibus auditis Ulisses, convocatis ad se suis omnibus, in mandata illis dedit ut de eo quod supererat annonae quam rex Aeolus illis suppeditaverat , commeatuque quem navigiis olim reposuerant, quisque sibi ubi opus fuerit, sumeret in victum; de iis autem quae veneficiis incantata comedenda illis vel bibenda Circe traderet, omnino nihil desumerent. Circe vero ubi haec intellexisset, rata Ulissem, artis magicae non ignarum, consilia sua praesensisse, ad fanum eum accersendum curavit. Accersitus ille, exercitu suo stipatus, Graecaque sua fretus confidentia accedit, munera Troiana reginae adferens. Circe vero, ubi Ulissem sociosque conspexit, rogavit eum uti insulam hospes teneret, usque dum tempus liberum praestiterit: interposito etiam ibidem juramento, inviolatum se illum sociosque praestituram.

Dictis eius audiens Ulisses commorabatur illic per tempus aliquod Circesque consuetudine (ipsa sic volente)usus est : uti haec de Circe sapientissimi Sisyphus Ceus et Dictys Cretensis memoriae prodiderunt. Verum sapientissimus Homerus poetarum more fabulatur Circem, poculi magici haustu, concurrentes illuc advenas transformasse, leonum aliis, aliis canum, eis vero suum, illis ursorum, nonnullis etiam porcorum formas vel capita induentibus.

Supradictus autem Phidalius Corinthius, fabulam hanc enarrans, « Nequaquam,inquit, illud Circi in libidinem suam cessisset, si concursitantes hominum turbas in belluas mutasset : sed amoris insania correptos homines poeta indigitabat, quos belluarum more frendentes pro libitu suo Circe furiis agitavit, ob desiderium ipsius in rabiem efferatos. Ejusmodi enim amor habet impetum naturalem, ut in rem desideratam morte etiam spreta praeceps involet. Quippe cupidinis ex vi quasi in bruta migrant homines nihil rationi consentaneum agitantes, sed humanam exuti speciem, corpora, formas et mores etiam belluinos prae se ferunt dum proci mulieribus inhiant. Illud etiam a natura est ut rivales belluino impetu in se invicem ferantur, ad exitium usque se invicem impetentes. Verum cupiditatibus hisce non uno modo se habent lascivientes: alii enim canum more frequentius coeunt, alii, leones quod solent, ipsum praesentis pruritus impetum solummodo explere sibi quaerunt ; alii denique sicut ursi » : uti haec pluribus enarravit juxta veritatem auctor iste in scriptis suis.

Ulisses vero a Circes insula solvens adverso mari iactatus in insulam illam alteram delatus est ubi a Calypsone, Circis sorore, honorifice exceptus consuetudinem etiam cum ea habuit. Delatus inde ad stagnum ingens Necyopompum vocatum, prope mare situm, pervenit. Huius incolae qui vaticiniis praecellebant omnia quae ei acciderant quaeque eventura erant aperuerunt. Inde solvens, saeviori maris impetu agitatus ad Sirenidas quas vocant rupes ferebatur, quae fluctuum ex allisione sonitum quendam peculiarem efficiunt. Has cum evasisset ad Charybdin quem vocant sinum delatus incidit ibi in loca praerupta et scopulis aspera, ubi residuis navibus exercituque in mari demersis solus ipse navis tabulae insidens pelago fluctuabat, mortem miseram numquam non exspectans. Verum praeternavigantes illac Phoenices, videntes illum marinis vadis fluctuantem , misericordia moti fluctibus eripuerunt; et in Cretam insulam adductum Idomeneo, Graecorum ex ducibus, tradiderunt. Idomeneus, ubi Ulissem conspexit nudum atque indigum, summopere misertus ejus, muneribus abunde donatum, duce etiam exercituque et navibus duabus et satellitibus quibusdam instructum Ithacam demisit,uti haec sapiens Dictys, ab Ulisse ipso edoctus, memoriae mandavit.

Consimiliter etiam Diomedes accepto secum Palladio Trojam reliquit in patriam suam reversurus. Agamemnon vero Cassandra, quam amabat, potitus trajecto Rhodiorum pelago Mycenas suas repetivit.

Chez Benoît de Sainte-Maure, on a parfois du mal à reconnaître les noms, mais enfin on y parvient : ce sont les noms de la tradition d'Homère, mais modifiés par la tradition manuscrite.

Benoît de Sainte-Maure - Roman de Troie en prose, 64

En ce tans meismes arriva Ulixés en Crete a tout .II. nés qu'il ot loees .II. besanz et si n'estoient mie de grant bonté; car il fu a ce mené que il avoit toutes ses nés et son avoir perdu, et tout li tollirent li parent Thelamon Ajaux, et encore l'eussent il pendu et ses genz qui li estoient remés avec, se il ne se feussent eschapez. Aprés ce, quant li peres Palamidés l'ot pris, il li refu encor aussi mal ou plus avenu, car si autre fill, li frere Palamidés, l'eussent tout decoppé, se il ne se feust bien guestiez, dont il eschapa, mes trop i avroit a dire comment ce fu. Si parut bien a lui et a son bernois qu'il avoit eu assez a faire et n'avoit mie toz jorz eu ses aaeses. Et quant li roys Ydominius le vit si povre, si en ot grant merveille et li demanda comment ce li pooit estre avenu que il estoit si povres des granz richeces que il avoit eues. Et Ulixés li commença a conter tout de chief en chief comment il li estoit ainsi mescheoit, et dist :

« Quant ge me mis en mer, lors que ge me parti dou port de Troie a tout grant foison de bones genz et de granz richeces d'avoir, tant que il n'avoit prince en tout l'ost de mon afaire qui plus en eust et non mie autant d'assez, et que mes nés et mes vessiax estoient si chargiez que a poines poions errer ne cherniner, lors nos avint que nos arrivames la premiere jornee droit a un bon port en la terre de Mine, et la ne nos mesfist l'en de riens. Et puis nous partismes d'ilec et costoiemes la mer, tant que nos venimes en une terre qui est apelee Lostofrigos ; si ne nos i mesfist l'en riens. Puis entrames en haute mer et nagiemes par II. jorz et .II. nuiz; si nos seurprist merveilleux granz orages et male tampeste si crieuse que nus n'i poïst mestre conseil ne ayde, se ne feust dou ciel. Et nos gita li tormenz, si comme Fortune volt, a mauvés port et arrivames en Cilice (sic, ndr) ou il avoit .II. roys qui freres estoient germeins, dont li uns avoit non Lestrigionam et li autres Clipeyn. Icil m'assaillirent et pristrent de mon avoir a lor volenté, et me firent assez et honte et villenie, car il avoient et la force et le pooir de tout le pais. Aprés ce, recheïmes es mains de leur .II. freres dont li uns estoit apelez Amphimacus et li autres Polifemus. Icil dui enfant nos tollirent le remenant de nostre avoir et malement nos batirent et navrerent, et ocistrent maint de ma gent, et me mistrent en leur prison molt a malese ; et tuit cil qui furent en ma compaignie aussi furent en prison mis, et i feumes un mois et plus. Et puis ot merci de nous Polifemus, si nos gita hors de prison et nos festoia molt et honora en son païs, et nos retinst avec lui puis grant tans. Si avint que Amphimacus ama molt durment par amors Lestrigona * la sereur Polifemus, tant que ce estoit merveilles et ne pooit, pour l'amour de lui, durer ne reposer; mes ele estoit si gardé et tant court tenue de son pere et de sa mere que il ne pooit en nule maniere parler a lui ».

Si prinst molt a acointier Ulixés car il veoit et pensoit que il avroit en lui bon compaignon. Si s'entr'amerent molt, et tant avint que Amphimacus se descouvri a lui et li dist toute sa conscience de ses amors. Et quant Ulixés ot oÿ de lui que il amoit tant Lestrigona que il n'en savoit que dire ne que faire, et que il ne pooit a lui parler pour son pere et por sa mere qui si la gardoient, si dist Ulixés que il ne s'emaiast, que ill i mettoit bien bon conseil. Lors fist tant Ulixés que il l'embla et que dans Amphimacus en fist ses volentez et fu despucelee et enceinte. Et quant Polifemus et ses peres sot que il avoit sa fille perdue par Ulixés, « si monta Polifemus a tout .V. chevaliers et vint a nous pour nos ocirre ; si eschapames a molt grant poine et fu la damoisele resquosse et rendue a son pere qui estoit molt corrociez qu'ele n'en venoit avec nos ».

Puis raconte Ulixés comment il arriva es illes de Cilli ou il avoit .II. reynes, dont l'une avoit non Cirtés et l'autre Calissa, les queles n'avoient nul seignors et semonoient a herbergier avecques eles ceuls qui la arrivoient, et puis les enchantoient en tel maniere que se il eussent tout l'avoir dou monde, si leur donassent il, ne n'estoit nus qui de eles se poïst departir. Et sachiez que trespassanz n'apeloient mie peril de mer si grant comme le leur. « Et ilec fu ge, dist Ulixés, grant pièce ». Or vos vueil dire comment Ulixés cheï es mains a la reyne Cirtés qui tant fort le tinst par ses sorceries que il li estoit avis que molt bele et molt bone estoit, et que si en estoit ja atornez que ja mes ne pensoit a partir de lui. Et tant jut et coucha avec lui que ele fu grosse et enceinte, et onques mes n'avoie conceu enfant, et encore fu ce trop tost a tel jot *, car se il fu engendrez de male hore, encore fu il nez de poieur, si comme il est bien dit ci aprés. Or vos diré comment il eschapa de Sirté la reyne : voirs est que ele savoit molt des ars, mes se ele en savoit, encore en sot il plus, que.dés que il se volt departir, il s'en ala, par ce que il savoit plus que ele ne fesoit. Mes quant il fu eschapez de la reyne Syrté, il retrouva la reyne Calisse qui trop plus estoit bele que cele, et trop plus savoit des ars que Sirté. Icele le tint a sa volenté, car par ses ars il fu avec lui lonc tans maugré sien, ne ne s'en parti pas quant il volt; si ot molt grant poine a eschaper de lui, greigneur que onques mes n'ot eu toute sa vie. Et quant il fu eschapez de lui, si ala sacrefier en un temple, et la, li fu il * * par les devins respons ou les ames estoient de cels qui morz avoient esté. Aprés recheÿ entre les serenes de mer (et ce sont tuit li greignor peril qui soient en la mer, car il n'est nus qui les voie que il ne covieigne morir). Si chantoient si doucement et tant bel que ce n'estoit que droite melodie a oÿr les, et sembloit de lor chant que ce feussent droitement ange dou ciel. Et li chans devoit bien estre plesanz a oÿr, car eles estoient encore .V. et plus, ne il n'est nul qui les oÿst qui pas se poïst bien tenir dou regarder ; mes Ulixés fist ilec son san apparoir et montra de sa mestrize, car atourna si et lui et ses compaignons que nus ne les pot oyr ne n'i regarda. Et plus fesoient eles, car eles se venoient aerdoir au nés pour faire les perir, dont il en ocistrent molt grant nombre, et tres bien grant piece demorerent en ce peril qui si criex estoit; si en eschaperent totevoies, mes ce fu par le san Ulixés, dont ce fu grant merveille que onques mes genz n'eschaperent de tel. Mes encore entrerent il aprés assez tost en plus cruel assez, car a petit tint que il ne cheïrent ou gouffre de Sathanie, car c'est force que de XV. liues prés a tout san convient les nés venir au pertuis. Si i perirent molt de ses genz et bien les .II. part de ses nés, mes quant il vit ses nés et ses genz ainsi bezillier et perir, si se resorti, mes trop i souffri grant poine avant, ne ja, ne s'en poïst estre destornez se ne feust sa force et son san. Et au derrenier a tout tant poi comme ill ot de gent, cheï il es mains des ullages de mer: c'est un pueple que touz cels que il pueent il robent et mestent a povreté, et est uns pueples qui de riens Dex ne servent ne ne croient, et n'est nus qui la s'embate ne soit perduz ne li lessierent de quancqu'il avoit vaillant un sengle denier, et le mistrent en lor prison; et puis par pitié que il en orent quant ill i ot esté grant tans si le remistrent hors. Et ainsi perdi Ulixés quancque il avoit et sa gent, ne ne li demora ne que vos avez oy. D'ilec s'en ala touz essilliez et fist tant, a quelque meschief que ce feust, qu'il vint la ou li roys Dominius de Crete estoit. Et quant li roys le vit, si fu molt esbahiz de ce que il estoit en si povre point, mes toutevoies le reçut volentiers li roys, et molt le conjoy et li demanda comment ce li estoit avenus que il estoit ainsi gastez et essilliez. Et Ulixés li conta toutes ses aventures mot a mot c'onques de riens ne l' en menti ; et quant li roys ot tout oy, si en ot grant merveilles, puis le festoia et le fist servir et honorer, et molt li dona de biaux dons et de riches, et li fist tantost faire et aprester .II. molt beles nés, bones et riches, pour aler en son pais toute foiz que il li plera. Et quant Ulixés s'en volt aler, si l'envoia au roy Alceon de Ytalie et li bailla bon conduit et seur, et les .II. et de l'avoir ce que il volt. Lors prist Ulixés congié dou roy de Crete, ci s'en ala au roy Alceon qui volentiers le reçut ci a grant joie, quar il avoit de pieça molt grant volenté de lui veoir; si li fist feste et joie de quancqu'il pot. 66.En ce pais oÿ parler Ulixés et li fu dit que XXX. chevaliers estoient qui tuit et chascun par soi requeroient Penelope sa fame d'espouser, mes ele n'en voloit neis un panre, ne en nule maniere ne s'i voloit acorder, ainz s'en desfendoit de tout son pooir, et cil ne se voloient movoir de l'ostel, ainçois i estoient adés et demoroient maugré sien avec lui. Et quant Ulixés oÿ ces noveles, si ne li plurent pas, ainz en fu molt corrociez en son corage. Si requist au roy AIceon que par amors il aille avec lui, et il li respondi que si feroit il molt volentiers. Si se mistrent en mer et ont tant nagié et siglé que il sont venuz au port. Et quant il furent arrivez, si sot bien Ulixés a la noize que il ooit de la ville que l'en li avoit voir dit, car tout retentissoit des herpes, des timbres, des tabors et des autres rnanieres d'estrumenz qui estoient en la ville, tant en i avoit. Main-tenant que Thelemacus sot que ses peres Ulixés estoit venuz, si li ala a l'encontre, et quant il le vit, si en fu molt liez et il de lui. Lors li a dit et conté Thelemacus tote la verité de ceste besoigne, et lors li dist Ulixés qu'il se teust, et ne deist a nului que il feust venuz ne que il l'eust veu, et que dedenz le matin verroit en bien comment il seroit; et il anfes dist que il n'en parleroit ja puis que il le voloit. Quant vint a mie nuit, Ulixés entra en sa meson, qui sot bien touz les estres et Les destours, et ala par tout et en ocist quancque il en trouva, ne onques un n'en eschapa, et ainsi s'est d'aux vengiez. Et quant les genz dou païs sorent que lor seignor estoit venuz, si en furent molt liez et li firent de grant presenz. Si fu molt liee sa fame de sa venue que merveilles le desirroit por ce que grant pieça ne l'avoit veu, et meesmement por ces chevaliers qui em pés ne la lessoient. Et il l'ama molt et honora por la bone renomee que tuit li portoient et por la grant leauté que il a trouvee en lui. Puis fist tant Ulixés que li roys Alceon dona sa fille Nanfica a Thelamacum son fil : si en fu fez li mariages et furent molt bons amis ensemble et plus s'en-tr'amerent d'ilec en avant que il n'avoient onques fet ; et fu en son pais puis lonc tans en pés. Un petit de tans aprés fu morz li roys Ydominius de Crete, et lessa a .II. enfanz qu'il avoit son royaume, dont li uns estoit apelez Merion et li autres Laerca, mes tantost aprés le pere morut li ainnez des enfanz, et fu li royaumes a l'autre. Et en ce tans meismes conçut Nanfica la fame Thelemacum un fill qui ot non Polifebus, par cui sa ligniee fu puis molt essauciee, si com vos orroiz ci aprés.

Le récit de Guido delle Colonne est calqué sur celui de Benoît, mais la contamination avec Dictys, que quelques philologues s'obstinent à nier, me paraît pourtant tout à fait évidente.

Guido delle Colonne, Historia destructionis Troiae, L. XXXIII, passim

Non post multos uero dies Vlixes cum duabus nauibus negociatorum quas precio conduxerat Cretam uenit. Suas enim naues amiserat, et quicquid habuerat ablatum sibi extitit ab incursibus piratorum, et eo pocius quod in manus gentis Thelamonii Aiacis incidit, que ipsum cepit et quecunque penes ipsum inuenit abstulit et ipsum furca suspendere intendebat. Sed Vlixes industria sensus sui euasit a laqueo gentis ipsius, pauper tamen et egenus et penes se nichil habens. Licet enim sic euasisset a manibus gentis Aiacis et dum securus eripi ab infortuniis credidisset, incidit subsequenter in manibus regis Nauli, qui propter Palamidis filii sui mortem capitali odio persequebatur Ulixem. Vlixis igitur sagacitas magna fuit, per quam a manibus regis Nauli de persona saluus euasit. Quo uero ingenio uel quo sagacitatis tenui argumento a captura gentis Aiacis et manibus regis Nauli Vlixes euaserit presens hystoria non declarat, nisi quod Ulixes ex predictis causis ad Ydumeneum regem pauper et inops accessit. Rex autem Ydumeneus de tanta Vlixis paupertate miratus nichilominus hylariter eum suscepit et casus suos et sue infelicitatis accidencia explorat ab ipso et petit ea sibi seriatim et particulariter enarrari. Quod Ulixes gratanter admittens, ut regis peticionem impleret, suorum casuum fata reuoluens in sui narracione sermonis ea per ordinem explicavit. De quibus sic dixit :

« Uerum est, domine rex, quod post capcionem Troie, cuius capcionis ego pars infallibiliter magna fui, cum nauibus meis multis onustis diuiciis de opibus Troyanorum in multa auri et argenti copia et multorum meorum michi famulantium comitiua pelago me commisi, et me per plures dies prospere nauigante, in quendam portum, qui Mirna communiter nuncupatur, primo saluus applicui, ubi cum meis pro terre recreacione descendi et ibi tutus per dies aliquos moram traxi, cum ibi nullus michi et meis molestiam intulisset. Deinde a predicto portu discessi, et aura michi blandiente secunda, in portum qui dicitur Calastofagos salue perueni, vbi similiter cum meis per dies aliquos sum moratus. Cumque fallaces uenti michi tempus prosperum suaderent, a predicto portu discessi et fere per tres dies proxime subsequentes feliciter nauigaui. Tunc subito uentorum tempestas inualuit et aer de sereno factus est repente obscurus incerta nauigacione nunc huc nunc illuc me sub nimia tempestatis clade uexauit. Demum tem-pestas ipsa me compulit in Siciliam diuertere nimis inuitum, ubi uexaciones sum passus plurimas et labores. Erant enim in Sicilia duo reges fratres, quorum vnus uocabatur Strigona et alius Ciclopa. Hii autem duo reges irruerunt in me et meos. Uidentes naues meas diuiciis tantis plenas exposuerunt per uiolenciam eas prede, et quicquid inuenerunt in eis exportauerunt ex eis in multitudine eorum militum armatorum. Et eo deterius quod superuenerunt duo eorum filii, milites ualde strennui et nimium bellicosi, quorum vnus uocabatur Allifan et alius Pollifemus. Hii irruerunt in milites meos, qui centum interfecerunt ex eis, ceperunt me et Alfenorem vnum ex sociis meis, et me et eum in quodam castro in carcerem detruserunt. Hic Pollifemus habebat quandam sororem, uirginem speciosam, quam postquam uidit Alfenor, in concupiscentia eius exarsit, et eius illaqueatus amore factus est ualde amens. Per sex igitur menses me captiuum in Sicilia detinuit Pollifemus. Sed demum misertus est mei et me cum Alfenore liberauit. Qui Pollifemus postea multum michi contulit commodi et honoris. Sed Alfenor circa sui amoris uehemenciam in tantum operam suam dedit quod sororem Pollifemi quam diligebat noctis tempore a secretario patris eripuit et ipsam secum aduxit. Quod ut peruenit ad suorum notitiam, sui contristati sunt ualde. Propter quod idem Pollifemus iterum in me et meos eadem nocte ad arma prorupit cum maxima militum comitiua, et facto impetu contra meos, sui recuperauerunt Pollifemi sororem. Qui Pollifemus in me demum irruit, et dum ab eo insisterem me tueri, vnum sibi ex oculis eius euulsi, et cum sociis meis qui viui supererant in naues proprias me recepi, et cum eis a Sicilia eadem nocte discessi. Deinde recta nauigacione potitus in Aulidem insulam me uentus appulit quamuis inuitum. In hac igitur insula erant due puelle sorores nimium speciose, ipsius insule domine, que in arte nigromancie et exorcizacionibus docte nimium habebantur. Quoscumque igitur nauigantes in hanc insulam fortuna trahebat predicte sorores non tam earum pulchritudine quam earum magicis incantationibus sic tenaciter capiebant quod nulla spes erat intrantibus ab insula posse recedere, omnium aliarum curarum oblitis, adeo quod si quos inueniebant ad earum mandata rebelles, statim eos in bestias transformabant. Harum igitur vna, illa uidelicet que magis docta in hac sciencia erat, Circes suo nomine uocabatur, et alia suo nomine Calipsa. In potestatem igitur harum duarum me fortuna deduxit, quarum vna, videlicet Circes, meo quasi amore bachata, suas inmiscuit arte pociones, et suarum incantacionum insidiis sic fatue me allexit quod per annum integrum non fuit michi ab ea recedendi facultas. Infra quem annum Circes grauida est facta et concepit ex me filium, qui postea natus ex ea creuit et factus est uir nimium bellicosus. Ego autem circa propositum mei recessus curam adhibui. Sed Circes irata persensit, et suis magicis artibus me credidit detinere. Sed ego, qui de arte eram similiter ualde instructus, contrariis operacionibus omnia sua figmenta destruxi et penitus annullaui. Et quia sic ars deluditur arte, contrariis commentis Circes in tantum preualuerunt efficacius artes mee quod cum omnibus sociis meis qui tunc erant mecum a Circe nimium anxiosa recessi. Sed quid michi profuit ille recessus ? Nam committente me mari, ventus me appulit in terram regine Calipse, que suis artibus sic me illaqueauit et meos quod maiori tempore quam uoluerim me detinuit penes se. Mora tamen ipsa michi non fuit nimium tediosa proper ipsius regine pulchritudinem, in qua miro modo uigebat, et propter affectus placidos quos penes ipsam inueni, que placere michi et meis nimium est conata. Tandem per mei sensus industriam factum est quod ab ipsa salue recessi, in maxima tamen mei pena laboris, cum artes mee artes suas uix repellere potuissent. Deinde nauigando cum meis perueni ad quandam aliam insulam, in qua quoddam oraculum sacrum habebatur, quod diuine concessione potencie certa et uera responsa petentibus exhibebat. Ab hoc oraculo multa petii curiosus, inter que affectuose ab eo quesiui quidnam de nostris contingeret animabus postquam a nostris corporibus sunt egresse. De omnibus igitur per me tunc quesitis ab eo certum responsum obtinui preterquam de animarum articulo,de quo ab eo nullum certum responsum potui obtinere. Cum igitur ab ipso oraculo discessissem, aura, ut credidi, perflante secunda, uentus me conpulit pertransire per quendam locum periculis multis plenum. Perueni enim in illud mare in quo Syrenes, que sunt maxima monstra marina, pelago spaciantur. Sunt enim ab umbilico superius forme feminee, uirgineum uultum habentes, ab umbilico uero citra omnem formam piscis obseruant. Hec autem mirabiles voces mirabili sonoritate resoluunt in cantus in tam dulci modulamine cantilene quod celestem putares excedere in sonis musicis armoniam, adeo quod miseri nauigantes, cum ad eas perueniunt, tanta earum cantus dulcedine capiuntur quod eorum nauium uela deponunt, ramos reponunt in altum, nauigacione penitus abstinentes. Sic enim animosa miserorum ille cantus inebriat quod miseri audientes omnium aliarum curarum grauaminibus exuuntur, et in tantum earum dulcedo ipsorum demulcet auditus quod quasi sui ipsius prorsus obliti nec esum appetunt neque cibum, dum eorum quidam animis sopor illabitur, per quem efficiuntur penitus dormientes. Quos dum Syrenes dormire persenciunt, naues eorum gubernatorum regimine destitutas statim euertunt et naufragio subruunt, sic quod nauigantes in eis dormiendo infelici naufragio submerguntur. In has igitur Syrenes incidi, et ne socii mei mecum inuoluerentur simili soporis errore, meis artibus et mei et eorum auditum sic tenaciter obturaui quod de earum cantu ego et socii mei nichil penitus audientes ipsas debellauimus, et plus quam mille ex eis interfecimus, sic quod salui earum loca transiuimus, ab earum periculis liberati. Deinde nauigando infelix casus inter Sillam nos appulit et Caribdim, et cum xv stadia eorum ingluuiosa pericula protendantur, ibi ab ipsa maris ingluuie plus quam medietas mearum nauium fuit absorta. Propter quod socii mei nauigantes in eis ingluuie ipsius maris naufragio perierunt. Ego autem cum alia medietate nauium mearum ab ipsius ingluuie maris auulsus Pheniciam nauigando perueni, ubi inueni mirabilis gentis tyranidem, qui in me et meos irruens maiorem partem meorum gladio interemit, paucis relictis ex eis. Bona omnia que tunc mecum habebam in nauibus abstulerunt a me homines gentis ipsius, ceperunt me, et qui superfuerunt ex meis mecum duris carceribus incluserunt. Tandem, uolentibus diis, liberauerunt me et illos quos mecum incluserant, nichil michi restituto ab eis de rebus meis. Quare in summa paupertate deductus circuiui meridiem et demum in terram istam applicui, factus pauper et egenus, ut uides. Ecce narraui tibi omnes casus meos postquam a Troya recessi et in paupertatem quare sum deductus ».

Et sic Vlixes narrationibus suis finem fecit. Rex uero Ydumeneus, auditis uerbis Ulixis, racione sue nobilitatis et eius industrie ualde compassus est sibi, et ideo quantum placuit Vlixi in Creta morari in multa rerum habundancia rex honorauit eundem. Demum cum Vlixi placuit a Creta recedere, rex donauit Ulixi duas naues, necessariis omnibus bene munitas, cum quibus posset in regnum suum commode nauigare. Donauit etiam sibi dona plurima, argentum et aurum, que sibi possent habunde sufficere dum ad propria perueniret. In recessu tamen suo rogauit eundem ut ad regem Anthenorem se conferret, qui eum uidere plurimum affectabat. Vlixes igitur, a rege Ydumeneo obtenta recedendi licencia, naues ascendit et ad regem Anthenorem se contulit, qui eum in uultu ylari cum multa iocunditate recepit. Cui multum grata fuit Vlixis multa facundia et nimia industria sensus eius. Ibi autem Vlixes certos rumores didicit de uxore sua Penelope, tot infestata proceribus, et eius pudicicia ab ea illesa seruata, necnon et de quibusdam aliis qui inuaserant terram suam et eam temere detinebant contra eius uoluntatem uxoris. Ibi Thelamacus filius eius, cognito patris aduentu, accessit ad eum, qui omnes rumores quos pater didicerat certa sibi assercione firmauit. Quare Vlixes regem rogauit Anthenorem ut eum in regnum suum associare deberet in suorum militum comitiua. Quod Anthenor libenter annuens cum suis militibus associauit eundem. exulare coegit et pro interficiendo Pirro suas posuerat insidias ne euaderet manus eius. Et eis felici nauigacione potitis, in tantum procurauit Vlixes quod de nocte in suam applicuit ciuitatem, et depositis in terram militibus, de nocte suorum proditorum domos inuadit, ubi ipsos inueniens dormientes omnes interficit ita quod nullus euasit ex eis. Adueniente uero die in sui fulgoris lucida claritate, in suum pallacium cum rege Anthenore se recepit. Et ibi rege ipso cum multa iocunditate recepto, O quam facta est ylaris Penelope in aspectu sui domini, quem tanto uidere tempore anxia peroptauit ! Concurrunt igitur ciues, regem eorum tantis temporibus expectatum cum multo gaudio uidere festinant, multa dona sibi offerunt et exenia magna nimis, et exaltatus est Vlixes multum in regno suo. Et in tantum cum rege tractauit Anthenore quod Thelamacus Nausicam, filiam regis Anthenoris, duxit in uxorem. Celebrantur igitur nupcie Thelamachi in multorum sollempnitatibus gaudiorum. Et rex Anthenor suum feliciter remeauit in regnum. Et Vlixes in inclito statu regni sui demum sub nimia pacis tranquillitate quieuit.


Merci au professeur Francesco Chiappinelli, auteur de l'Impius Aeneas, de nous avoir fourni ces textes.