C'est ainsi que mourut Néron dans la trente-deuxième année de son âge, et le jour même où il avait fait autrefois périr Octavie. Cependant, ce trépas étrange et ignoré, ces funérailles accomplies par une femme, sans que le corps, ainsi que c'était la coutume, eût été exposé, laissèrent de grands doutes au peuple romain, le plus superstitieux de tous les peuples. Beaucoup dirent que l'empereur avait gagné le port d'Ostie, d'où un vaisseau l'avait transporté en Syrie, de sorte que l'on s'attendait à le voir reparaître de jour en jour ; et, tandis qu'une main inconnue pendant quinze ans encore orna religieusement sa tombe des fleurs du printemps et de l'été, il y en eut qui, tantôt apportaient à la tribune aux harangues des images de Néron représenté en robe prétexte ; tantôt qui venaient y lire des proclamations comme s'il vivait et comme s'il devait revenir puissant et armé pour le malheur de ses ennemis. Enfin, vingt ans après sa mort, et dans la jeunesse de Suétone qui raconte ce fait, un homme d'une condition obscure, qui se vantait d'être Néron, parut chez les Parthes, et fut longtemps soutenu par ce peuple qui avait particulièrement honoré la mémoire du dernier César. Ce n'est pas tout : ces traditions passèrent des païens aux chrétiens, et, appuyé sur quelques passages de saint Paul lui-même, saint Jérôme présenta Néron comme l'Ante-Christ, ou du moins comme son précurseur. Sulpice Sévère fait dire à saint Martin dans ses dialogues, qu'avant la fin du monde Néron et l'Ante-Christ doivent paraître, le premier dans l'Occident où il rétablira le culte des idoles ; le second dans l'Orient où il relèvera le temple et la ville de Jérusalem pour y fixer le siège de son empire, jusqu'à ce qu'enfin l'Ante-Christ se fasse reconnaître pour le Messie, déclare la guerre à Néron et le fasse périr. Enfin, saint Augustin assure, dans sa Cité de Dieu, que, de son temps, c'est-à-dire au commencement du cinquième siècle, beaucoup encore ne voulaient pas croire que Néron fût mort, mais soutenaient au contraire qu'il était plein de vie et de colère, caché dans un lieu inaccessible, et conservant toute sa vigueur et sa cruauté pour reparaître de nouveau quelque jour et remonter sur le trône de l'empire.

Aujourd'hui encore, parmi toute cette longue suite d'empereurs qui tour à tour sont venus ajouter un monument aux monuments de Rome, le plus populaire est Néron. Il y a encore la maison de Néron, les bains de Néron, la tour de Néron. A Bauli, un vigneron m'a montré sans hésiter la place où était située la villa de Néron. Au milieu du golfe de Baïa, mes matelots se sont arrêtés juste à l'endroit où s'était ouverte la trirème préparée par Néron, et, de retour à Rome, un paysan m'a conduit, en suivant la même voie Nomentane qu'avait suivie Néron dans sa fuite, droit à la Serpentara ; et, dans quelques ruines éparses au milieu de cette magnifique plaine de Rome toute jonchée de ruines, m'a forcé de reconnaître la place de la villa où s'était poignardé l'empereur. Enfin, il n'y a pas jusqu'au voiturin que j'avais pris à Florence qui ne m'ait dit, dans son ignorante dévotion au souvenir du dernier César, en me montrant une ruine placée à droite de la Stora à Rome :

- Voici le tombeau de Néron.

Explique qui pourra maintenant l'oubli dans lequel sont tombés, aux mêmes lieux, les noms de Titus et de Marc-Aurèle.


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