Livre V, chapitre 4

Chapitre 3 Sommaire Chapitre 5

Encore l'amphithéâtre

Glaucus et Olynthus avaient été placés ensemble dans cette étroite et obscure cellule où les criminels de l'arène attendaient leur dernière et terrible lutte. Leurs yeux, accoutumés déjà à l'obscurité, pouvaient distinguer leurs traits dans cette heure terrible et à cette faible lueur : car la pâleur, qui avait remplacé les couleurs naturelles de leurs joues, prenait de plus en plus une teinte livide et sépulcrale. Leurs têtes étaient hautes et fières, leurs membres ne tremblaient pas. Leurs lèvres étaient serrées et insensibles. La religion de l'un, l'orgueil de l'autre, le sentiment de leur commune innocence, enfin la consolation provenant de cette association de leur destinée, transfor-maient ces victimes en héros.

«Ecoutez, entendez-vous leurs applaudissements ? Ils hurlent en voyant couler le sang humain, dit Olynthus.

- Je les entends, mon cœur en souffre ; mais les dieux me soutiennent.

- Les dieux ! O jeune homme insensé ! à cette heure, ne reconnais qu'un seul Dieu ! Ne t'ai-je pas donné mes enseignements dans le cachot ? N'ai-je pas pleuré pour toi, prié pour toi ? Dans mon zèle et dans mon agonie, ne me suis-je pas plus occupé de ton salut que du mien ?

- Brave ami, répondit Glaucus solennellement, je t'ai écouté avec respect, avec surprise, avec une secrète sympathie pour tes convictions. Si nos existences avaient été épargnées, j'aurais peut-être, par degrés, renoncé à mes anciennes croyances pour me rapprocher des tiennes ; mais, à cette dernière heure, ce serait de ma part une sorte de bassesse et de lâcheté, d'accorder à la terreur ce qui doit être le résultat de longues méditations. Si j'embrassais ta foi, et si je renversais les dieux de mes pères, n'aurais-je pas été séduit par les promesses du ciel ou effrayé par les menaces de l'enfer ? Non, Olynthus, ayons l'un pour l'autre une égale charité ! J'honore ta franchise, aie pitié de mon aveuglement et de mon courage endurci ! Telles qu'ont été mes actions, telle sera ma récompense ; et l'Etre des êtres ne saurait juger sévèrement les erreurs de l'âme humaine, lorsqu'elles ont été unies à l'humilité des intentions, à la sincérité du cœur. Ne parlons plus de cela. Paix ! Ne les entends-tu pas traîner quelque corps pesant dans le passage ? Nos corps aussi tout à l'heure ne seront que des cadavres.

- O ciel ! ô Christ ! déjà je vous vois, s'écria le fervent Olynthus en levant les mains. Je ne tremble pas. Je me réjouis de ce que la porte de ma prison sera bientôt ouverte.»

Glaucus baissa la tête en silence. Il comprenait la différence qui existait entre son courage et celui de son compagnon d'infortune. Le païen ne tremblait pas ; le chrétien se réjouissait.

La porte grinça et s'ouvrit. Les lances brillaient le long des murs.

«Glaucus l'Athénien, c'est à toi, dit une voix claire. Le lion t'attend.

- Je suis prêt, dit l'Athénien. Mon frère, mon compagnon, un dernier embrassement... Bénis-moi et adieu ! »

Le Chrétien ouvrit ses bras. Il serra le jeune païen sur son cœur ; il lui baisa le front et les joues... Il sanglota... Ses larmes coulèrent à flots brûlants sur le visage de son nouvel ami.

«Oh ! si j'avais eu le bonheur de te convertir, je ne pleurerais pas. Oh ! que ne puis-je te dire : Nous souperons cette nuit dans le paradis !

- Cela peut encore être ainsi, dit Glaucus, ceux que la mort ne sépare pas se rencontreront sans doute au-delà de la tombe. Mais, sur cette terre, sur cette terre si belle et si aimée, adieu pour toujours. Digne geôlier, je vous suis.»

Glaucus s'éloigna avec peine d'Olynthus. Lorsqu'il se retrouva au grand air, le souffle des cieux, aride et chaud, quoiqu'il n'y eût pas de soleil, lui parut avoir quelque chose de desséchant. Son corps, à peine rétabli encore des effets du fatal breuvage, frissonna et chancela. Les gardes de l'arène le soutinrent.

«Courage, dit l'un d'eux : tu es jeune, adroit, bien proportionné. On te donnera une arme ; ne désespère pas, et tu peux triompher.»

Glaucus ne répondit pas ; mais, honteux de cette faiblesse, il fit un violent et convulsif effort sur lui-même et retrouva la fermeté de ses nerfs. On oignit son corps complètement nu, sauf une ceinture des reins, on lui mit un style (vaine arme) dans la main, et on le conduisit dans l'arène.

Alors, lorsque le Grec vit les yeux de mille et mille personnes fixés sur lui, il ne sentit plus qu'il était mortel. Toute apparence de crainte, toute crainte elle-même, avait disparu. Une vive et fière rougeur couvrit la pâleur de ses traits. Il se redressa de toute la hauteur de sa noble taille. L'élasticité de ses membres, la grâce de sa personne, la sérénité de son front attentif, son air dédaigneux, l'âme indomptable qui respirait dans son attitude et dans le mouvement de ses lèvres, et les éclairs de ses yeux, attestaient la puissance de son courage ; tout se réunissait pour offrir en lui une incarnation vivante et corporelle de la valeur et du culte de ses aïeux : c'était à la fois un héros et un dieu !

Le murmure de haine et d'horreur pour son crime, qui s'était élevé à son entrée, expira dans un silence d'admiration involontaire et de compassion respectueuse ; avec un soupir prompt et convulsif, qui sortit comme d'un seul corps de cette masse animée, les spectateurs détournèrent leurs regards de l'Athénien pour les diriger sur un objet sombre et informe apporté dans le centre de l'arène. C'était la cage du lion.

«Par Vénus, qu'il fait chaud ! dit Fulvie : cependant il n'y a pas de soleil. Pourquoi ces imbéciles de matelots n'ont-ils pas pu fermer la tenture (1) ?

Le lion avait été privé de nourriture pendant vingt-deux heures, et l'animal avait toute la matinée témoigné un singulier malaise, une vague inquiétude, que son gardien attribuait aux angoisses de la faim. Mais son air annonçait plutôt la crainte que la rage. Ses rugissements étaient sinistres et plaintifs. Il penchait la tête, respirait à travers les barreaux, puis se couchait, se relevait, et poussait de nouveau des gémissements sauvages qui s'entendaient au loin. En ce moment, il demeurait au fond de sa cage, immobile et silencieux, les naseaux ouverts appuyés contre la grille, et, par sa pesante respiration, faisait voler çà et là le sable de l'arène.

Les lèvres de l'editor frissonnèrent et ses joues pâlirent. Il jetait les yeux autour de lui avec anxiété. Il hésitait : il attendait. Enfin, la foule se montra impatiente. Il se décida à donner le signal. Le gardien qui était devant la cage en ouvrit la porte avec précaution, et le lion sortit en poussant un rugissement qui indiquait sa joie de reconquérir sa liberté ! Le gardien se retira promptement à travers le passage grillé qui formait une des issues de l'arène, et laissa le roi des forêts avec sa proie. Glaucus avait ployé ses membres de manière à s'affermir de son mieux afin de soutenir le premier choc de l'animal, en tenant levée son arme, petite et brillante, dans la faible espérance qu'un coup bien appliqué (car il savait qu'il n'avait le temps que d'en donner un seul), pourrait pénétrer par l'oeil dans le cerveau de son redoutable ennemi.

Mais, à la surprise inexprimable de tous, l'animal ne parut même pas se douter de la présence de son adversaire.

Joseph M. Gleeson, 1891

Au premier moment de sa délivrance, il s'arrêta brusquement dans l'arène, se souleva sur les pattes de derrière, aspira l'air avec des marques d'impatience, puis s'élança en avant, mais non pas sur l'Athénien. Il fit plusieurs fois en courant le tour de l'arène, secouant sa large tête de côté et d'autre, avec un regard inquiet et troublé, comme s'il eût cherché quelque issue pour s'échapper ; une ou deux fois il essaya de franchir le parapet qui le séparait de l'assemblée, et fit entendre en retombant, plutôt un hurlement de mauvaise humeur que son rugissement profond et royal. Il ne donnait aucun signe de faim ni de colère : sa queue balayait le sable, au lieu de s'ébattre le long de ses flancs, et son oeil, quoiqu'il roulât quelquefois du côté de Glaucus, se détournait de lui aussitôt. Enfin, comme s'il était ennuyé de chercher vainement à s'échapper, il rentra avec un grognement plaintif dans sa cage et se recoucha.

La première surprise de l'assemblée avide, en voyant l'apathie du lion, se changea bientôt en ressentiment contre sa lâcheté ; et la pitié qui s'était déclarée un moment pour Glaucus devint un véritable dépit. Quel désappointement !

L'editor appela le gardien.

«Que veut dire ceci ? Prenez l'aiguillon, forcez-le de sortir, et puis fermez la porte de la cage.»

Alors que le gardien, avec quelque frayeur et plus d'étonnement encore, se disposait à obéir, on entendit un cri à l'une des entrées de l'arène ; il y eut une confusion, un trouble... quelques remontrances semblèrent éclater, mais la réplique les fit taire. Tous les yeux se tournèrent du côté d'où venait cette interruption : la foule en cet endroit s'ouvrait, et Salluste apparut soudain sur le banc sénatorial, les cheveux en désordre, haletant, suant, à moitié épuisé ! Il regarda autour de lui. «Faites sortir l'Athénien de l'arène, s'écria-t-il ; dépêchez-vous, il est innocent ! Arrêtez Arbacès l'Egyptien ; c'est lui qui est le meurtrier d'Apaecidès !

- Etes-vous fou, Salluste ? dit le préteur en se levant de son siège. D'où vient ce délire ?

- Eloignez l'Athénien, éloignez-le vite, ou son sang retombera sur vos têtes. Préteur, suspends l'exécution, ou ta vie en répondra à l'empereur. J'amène avec moi un témoin de l'assassinat du prêtre Apaecidès... Faites place ! ... Reculez-vous ! ... Livrez passage ! Peuple de Pompéi ! ... lève tes yeux sur Arbacès... Il est assis en ce lieu... Faites place au prêtre Calénus.»

Pâle, hagard, comme un homme qui vient de sortir des dents de la famine et de la mort, la face abattue, les yeux ternes comme ceux d'un vautour, son corps puissant passé à l'état de squelette, Calénus se vit porté sur le banc même où Arbacès était assis. Ses libérateurs lui avaient ménagé les aliments ; mais ce qui le soutenait le mieux, c'était le désir de se venger.

«Le prêtre Calénus ! ... Calénus ! cria la foule... Est-ce bien lui ? non, c'est son spectre.

- C'est bien le prêtre Calénus ! dit le préteur gravement. Qu'as-tu à dire ?

- Arbacès l'Egyptien est le meurtrier d'Apaecidès, le prêtre d'Isis. Mes yeux l'ont vu porter le coup. C'est du cachot où il m'a plongé, c'est de l'obscurité et de l'horreur de la mort, de la mort par la famine, que les dieux m'ont retiré pour dénoncer son crime. Eloignez l'Athénien de l'arène... Il est innocent.

- C'est donc pour cela que le lion l'a épargné lui-même... Un miracle ! un miracle ! s'écria Pansa.

- Un miracle ! un miracle ! répéta le peuple... Délivrez l'Athénien. Arbacès au lion ! »

Et ce cri retentit de la colline à la vallée, du rivage à la mer... Arbacès au lion !

«Gardes, ramenez l'accusé Glaucus ; ramenez-le moi, mais veillez sur lui, dit le préteur. Les dieux prodiguent aujourd'hui leurs merveilles.»

Quand le préteur donna cet ordre de délivrance, il y eut un cri de joie, un cri de femme, un cri d'enfant qui remua les cœurs avec une force électrique, tant était touchante et pure la voix de la jeune fille qui l'avait proféré ! La populace entière y répondit par un puissant écho, avec une vive et flatteuse sympathie.

«Silence, dit le préteur. Qui est là ?

- La jeune fille aveugle, Nydia, répliqua Salluste ; c'est sa main qui a ravi Calénus à la tombe et délivré Glaucus du lion.

- Nous nous occuperons d'elle après, dit le préteur. Calénus, prêtre d'Isis, tu accuses Arbacès du meurtre d'Apaecidès ?

- Je l'accuse.

- Tu as vu le fait ?

- Préteur, de mes propres yeux.

- C'est assez pour le moment. Les détails doivent être réservés pour un autre lieu et pour un autre temps. Arbacès d'Egypte, tu entends l'accusation qu'on porte contre toi. Qu'as-tu à dire ? »

Les regards de la foule avaient été longtemps attachés sur Arbacès ; il avait montré quelque embarras à l'entrée de Salluste et à celle de Calénus ; aux cris d'Arbacès au lion ! il avait tremblé, et le bronze de ses joues avait pris une couleur plus pâle ; mais il avait bientôt recouvré sa hardiesse et son sang-froid ; il rendit un regard plein d'arrogance aux mille regards de la foule ; en répondant à la question du préteur il dit, avec cet accent de tranquillité et le ton imposant qui lui étaient naturels :

«Préteur, cette accusation est si insensée, qu'elle mérite à peine une réponse. Mon premier accusateur est le noble Salluste... un intime ami de Glaucus... Le second est un prêtre. Je révère sa robe et sa profession... mais, habitants de Pompéi... vous connaissez un peu le caractère de Calénus... il est avide... son amour pour l'argent est proverbial... le témoignage de pareils hommes peut s'acheter... Préteur, je suis innocent.

- Salluste, dit le magistrat, où avez-vous trouvé Calénus ?

- Dans le cachot d'Arbacès.

- Egyptien, dit le préteur en fronçant le sourcil, tu as osé emprisonner un prêtre des dieux ! et pourquoi ?

- Ecoute-moi, répondit Arbacès en se levant avec calme, mais avec une agitation visible sur ses traits. Cet homme est venu me menacer de porter contre moi l'accusation qu'il vient de faire, si je n'achetais pas son silence de la moitié de ma fortune. Je lui ai fait des reproches inutiles... Paix donc... que le prêtre ne m'interrompe pas... Noble préteur, et toi, peuple... je suis étranger dans votre pays... Je sais que je suis innocent du crime... mais le témoignage d'un prêtre contre moi aurait pu me perdre. Dans ma perplexité, j'ai enfermé Calénus en cette cellule où il a été trouvé, sous prétexte que c'était le lieu où je cachais mes trésors. J'avais l'intention de le délivrer aussitôt que le destin du vrai criminel serait accompli, et que ses menaces n'auraient plus été capables de me nuire. J'ai eu tort, sans doute ; mais quel est celui parmi vous qui ne reconnaîtra pas le droit qu'on a de se défendre ? Si j'étais coupable, pourquoi le témoignage du prêtre ne s'est-il pas produit au tribunal ? Alors je ne l'avais pas emprisonné, recelé. Pourquoi n'a-t-il pas proclamé mon crime, lorsque je proclamais celui de Glaucus ? Préteur... que répondre à cela ? Pour le reste, je m'abandonne à vos lois : je demande leur protection. Eloignez d'ici l'accusé et l'accusateur. Je consens volontiers à me soumettre au jugement du tribunal légitime. Cette place n'est pas faite pour la discussion.

- Il a raison, dit le préteur. Holà, gardes ! qu'on éloigne Arbacès, qu'on mette Calénus en lieu sûr. Salluste, vous répondrez de votre accusation. Que les jeux continuent.

- Quoi ! s'écria Calénus en se retournant vers le peuple, Isis sera-t-elle ainsi méprisée ? Le sang d'Apaecidès criera-t-il en vain vengeance ? Retardera-t-on la justice pour qu'elle soit frustrée plus tard ? Le lion sera-t-il privé de sa proie légitime ? Un dieu ! un dieu ! je sens qu'un dieu vous parle par ma bouche... Au lion ! ... Arbacès, au lion ! »

Le corps du prêtre, que la faim avait ruiné, ne put supporter l'excès de ses sentiments rancuneux ; Calénus tomba à terre dans d'étranges convulsions... l'écume inondait ses lèvres... il ressemblait à un homme agité par un pouvoir surnaturel... Le peuple le vit tomber et frissonna.

«C'est un dieu qui inspire ce saint homme ! ... Au lion l'Egyptien ! »

Mille et mille personnes se levèrent et s'émurent en poussant ce cri... descendirent des hauteurs de l'amphithéâtre... et se précipitèrent dans la direction de l'Egyptien. En vain l'édile commandait, en vain le préteur élevait la voix et proclamait la loi, le peuple avait été rendu féroce par la vue du sang ; il en voulait davantage ; la superstition se mêlait à cette soif ardente. Excités, enflammés par le spectacle de leur victime, les habitants de Pompéi oubliaient l'autorité de leurs magistrats. C'était une de ces terribles émotions populaires fréquentes parmi les multitudes ignorantes, moitié libres, moitié serviles, et que la constitution particulière des provinces romaines produisait fréquemment. Le pouvoir du préteur était un roseau au milieu du tourbillon. Cependant, à son ordre, les gardes s'étaient rangés le long des bancs inférieurs, sur lesquels les spectateurs des classes distinguées étaient assis, séparés du vulgaire : ce ne fut qu'une faible barrière ; les vagues de cette humaine s'arrêtèrent tout au plus pour laisser à Arbacès le temps de calculer l'instant précis de sa mort.

Joseph M. Gleeson, 1891

Désespéré, et plein d'une terreur qui abaissait même son orgueil, il fixa ses yeux sur la foule qui s'avançait grossissant toujours, lorsque, au-dessus d'elle, il aperçut, par l'ouverture des velaria, un étrange et terrible phénomène, et soudain son adresse vint en aide à son courage.

Il étendit la main vers le ciel, et son front majestueux, ses traits empreints d'une autorité royale, prirent une expression des plus solennelles et des plus imposantes.

«Regardez, s'écria-t-il d'une voix de tonnerre qui domina les clameurs de la foule, regardez comme les dieux protègent l'innocent ! ... Les feux vengeurs d'Orcus protestent contre le faux témoignage de mon accusateur.»

Les yeux de la foule suivirent le geste de l'Egyptien, et chacun vit avec un indicible effroi une immense vapeur qui s'élevait des sommets du Vésuve sous la forme d'un pin gigantesque (2) au tronc noir, aux branches en feu, et la teinte de ce feu variant à tout moment ; tantôt lumineux à l'excès, tantôt d'un rouge sombre et mourant, qui se ravivait un instant après avec un éclat que l'oeil ne pouvait supporter.

Il se fit un silence de mort, un silence effrayant, interrompu tout à coup par le rugissement du lion, auquel répondit derrière l'amphithéâtre le rugissement plus aigu et plus féroce de son compagnon de captivité ! C'étaient deux sinistres interprètes de la pesanteur de l'atmosphère ; le tigre et le lion semblaient les prophètes de la colère du ciel.

Alors on entendit sur le haut des gradins les cris des femmes : les hommes se regardaient les uns les autres, muets. En ce moment ils sentirent trembler la terre sous leurs pieds. Les murs du théâtre vacillèrent ; et à quelque distance, les toits des maisons se heurtèrent et s'écroulèrent avec fracas ; le nuage de la montagne, sombre et rapide comme un torrent, parut rouler vers eux, et lança de son sein une pluie de cendres mêlée de fragments de pierres brûlantes. Sur les vignes abattues, sur les rues désolées, sur l'amphithéâtre lui-même, au loin et au large, et jusque dans les flots de la mer qu'elle agita, s'étendit cette pluie terrible ! ...

L'assemblée ne s'occupa pas davantage de la justice ni d'Arbacès... la seule pensée de chacun était sa propre sûreté... ils voulurent fuir, se pressant, se poussant, s'écrasant les uns les autres, marchant sans pitié sur celui qui était tombé ; au milieu des plaintes, des jurements, des prières, des cris soudains, cette foule énorme se précipita dans les nombreux vomitoires de l'amphithéâtre : mais où fuir ? Quelques-une, prévoyant un second tremblement de terre, se hâtaient de reprendre le chemin de leurs maisons, afin de se charger de leurs objets les plus précieux, et de chercher leur salut dans la fuite, pendant qu'il en était encore temps ; d'autres, craignant cette pluie de cendres qui tombait par torrents dans les rues, cherchaient un abri sous le toit des maisons prochaines, dans les temples, dans tous les lieux qui pouvaient les protéger contre les airs, mais les nuages succédaient aux nuages, et l'obscurité devenait de plus en plus sombre. C'était une nuit soudaine, une nuit effrayante qui s'emparait du milieu du jour.


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(1)  C'étaient ordinairement les matelots qui tendaient les velaria.

(2)  Pline.