Chapitre 22 |
Nos regards se portaient avec anxiété sur le
port pour deviner la réception qui nous y attendait.
Nous fûmes rassurés par la vue du pavillon
tricolore qui flottait sur deux ou trois bâtiments.
Mais nous nous trompions ; ces bâtiments étaient
hollandais. Dès notre entrée, un Espagnol, que
nous prîmes, à son ton d'autorité, pour
un fonctionnaire supérieur de la régence,
s'approcha de Damian et lui demanda : «Que portez-vous
? - Je porte, répondit le patron, quatre
Français. - Vous allez les remporter sur-le-champ ; je
vous défends de débarquer.»
Comme nous faisions mine de ne pas obtempérer à
son ordre, notre Espagnol, c'était l'ingénieur
constructeur des navires du dey, s'arma d'une perche, et se
mit à nous assommer de coups. Mais, incontinent, un
marin génois, monté sur un bateau voisin,
s'arma d'un aviron et frappa d'estoc et de taille notre
assaillant. Pendant ce combat animé, nous
descendîmes à terre sans que personne s'y
opposât. Nous avions conçu une singulière
idée de la manière dont la police se faisait
sur la côte d'Afrique.
Nous nous rendîmes chez le consul de France, M.
Dubois-Thainville ; il était à sa campagne.
Escortés par le janissaire du consulat, nous nous
acheminâmes vers cette campagne, l'une des anciennes
résidences du dey, située non loin de la porte
de Bab-Azoun. Le consul et sa famille nous reçurent
avec une grande aménité et nous
donnèrent l'hospitalité.
Transporté subitement sur un continent nouveau,
j'attendais avec anxiété le lever du soleil
pour jouir de tout ce que l'Afrique devait offrir de curieux
à un Européen, lorsque je me crus engagé
dans une aventure grave. A la lueur du crépuscule, je
vis un animal qui se mouvait au pied de mon lit. Je donnai un
coup de pied ; tout mouvement cessa. Après quelque
temps, je sentis le même mouvement s'exécuter
sous mes jambes ; une brusque secousse le fit cesser
aussitôt... J'entendis alors les éclats de rire
du janissaire, couché, sur un canapé, dans la
même chambre que moi, et je vis bientôt qu'il
avait simplement, pour s'amuser de mon inquiétude,
placé sur mon lit un gros hérisson.
Le consul s'occupa, le lendemain, de nous procurer le passage
sur un bâtiment de la Régence qui devait partir
pour Marseille. M. Ferrier, chancelier du consulat
français était en même temps consul
d'Autriche. Il nous procura deux faux passeports qui nous
transformaient, M. Berthemie et moi, en deux marchands
ambulants, l'un de Schwekat, en Hongrie, l'autre de
Leoben.