Chapitre 24 |
Nous étions déjà entrés dans
le golfe de Lyon, et nous approchions de Marseille, lorsque,
le 18 août 1808, nous rencontrâmes un corsaire
espagnol de Palamos, armé à la proue de deux
canons de 24. Nous fîmes force de voiles ; nous
espérions lui échapper ; mais un coup de canon,
dont le boulet traversa nos voiles, nous apprit qu'il
marchait beaucoup mieux que nous.
Nous obéîmes à une injonction ainsi
formulée, et attendîmes la chaloupe du corsaire.
Le capitaine déclara qu'il nous faisait prisonniers,
quoique l'Espagne fût en paix avec les Barbaresques,
sous le prétexte que nous violions le blocus qu'on
venait de mettre sur toutes les côtes de France ; il
ajouta qu'il allait nous mener à Rosas, et que
là les autorités décideraient de notre
sort.
J'étais dans la chambre du bâtiment ; j'eus la
curiosité de regarder furtivement l'équipage de
la chaloupe, et j'y aperçus, avec un déplaisir
que tout le monde concevra, un des matelots du mistic
commandé par don Manuel de Vacaro, le nommé
Pablo Blanco, de Palamos, qui m'avait souvent servi de
domestique pendant mes opérations
géodésiques. Mon faux passeport devenait
dès ce moment inutile, si Pablo me reconnaissait. Je
me couchai aussitôt, j'enveloppai ma tête dans ma
couverture, et je ne bougeai pas plus qu'une statue.
Dans les deux jours qui s'écoulèrent entre
notre capture et notre entrée dans la rade de Rosas,
Pablo, que la curiosité conduisait souvent dans la
chambre, s'écriait : «Voilà un passager
dont je n'ai pas encore réussi à voir la
figure.»
Lorsque nous fûmes arrivés à Rosas, on
décida que nous serions mis en quarantaine dans un
moulin à vent démantelé, situé
sur la route qui conduit à Figueras. J'eus le soin de
m'embarquer sur une chaloupe à laquelle Pablo
n'appartenait pas. Le corsaire partit pour une nouvelle
croisière, et je fus un moment
débarrassé des préoccupations que me
donnait mon ancien domestique.