Chapitre 41 - Visite au musée de Naples

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J'en demande bien pardon à mes lecteurs, mais je suis placé, comme narrateur, entre l'omission et l'ennui. Si j'omets, ce sera justement de la chose omise qu'on me demandera compte ; si je passe tous les objets en revue, je risque de tomber dans la monotonie. Au surplus, nous en avons fini ou à peu près avec Naples antique et Naples moderne, et nous touchons à la catastrophe. Un peu de patience donc pour le musée. Que dirait-on, je vous le demande, si je ne parlais pas un peu du musée de Naples ?

Le palais des Studi, dont le duc d'Ossuna, vice-roi de Naples, avait jeté les fondements dans le but d'en faire une vaste école de cavalerie, vit sa destination changée par Ruis de Castro, comte de Lemos, qui décida qu'il servirait de logement à l'Université, laquelle y fut effectivement instituée sous son fils, en 1616. Mais, en 1770, les palais de Portici, de Caserte, de Naples et de Capodimonte s'étant successivement encombrés des précieux résultats que produisaient les fouilles de Pompéi, le roi Ferdinand résolut de réunir toutes les antiquités provenant de la découverte de ces deux villes dans un seul local, où elles seraient exposées à la curiosité du public et aux investigations des savants. A cet effet, il choisit le palais de l'Université, laquelle Université fut transportée au palais de San-Salvador.

Le roi Ferdinand fut si content de la résolution qu'il venait de prendre, et la trouva si docte et si sage, qu'il résolut d'en perpétuer le souvenir en se faisant représenter en Minerve à l'entrée du nouveau musée.

Ce fut Canova qu'on chargea de l'exécution de ce chef-d'oeuvre.

C'est quelque chose de bien grotesque, je vous jure, que la statue du roi Ferdinand en Minerve ; et quand il n'y aurait que cela à voir au musée, on n'aurait, sur ma parole, aucunement perdu son temps à y faire une promenade.

Mais heureusement il y a encore autre chose, de sorte que l'on peut faire d'une pierre deux coups. Notre première visite, après notre retour à Naples, fut pour les objets provenant d'Herculanum et de Pompéi ; c'était continuer tout bonnement notre course de la veille : après avoir vu l'écrin, c'était regarder les bijoux ; bijoux merveilleux, d'art souvent, de forme toujours.

Nous commençâmes par les statues ; elles se présentent d'elles-mêmes sur le passage des visiteurs. D'abord ce sont les neuf effigies de la famille Balbus ; puis celles de Nonius père et fils, les plus fines, les plus légères, les plus aristocratiques, si on peut le dire, de toute l'antiquité. Ces dernières étaient à Portici. En 1799, un boulet emporta la tête de Nonius fils, mais on en retrouva les débris et on la restaura. Il y a encore là d'autres statues splendides : un Faune ivre, par exemple ; la Vénus Callipyge, que je trouve, pour mon compte, moins belle que celle de Syracuse ; l'Hercule au repos, colosse du statuaire Glycon, retrouvé sans jambes dans les Thermes de Caracalla, et que Michel-Ange entreprit de compléter ; mais, les jambes achevées, et lorsque l'auteur de Moïse eut pu comparer son oeuvre à celle de l'antiquité, il les brisa, en disant que ce n'était pas à un homme d'achever l'oeuvre des dieux. Guillaume de la Porta fut moins sévère pour lui-même : il refit les jambes mais, les jambes faites, on apprit que le prince Borghèse venait de retrouver les véritables dans un puits, à trois lieues de l'endroit où l'on avait retrouvé le corps. Comment étaient-elles allées là ? Personne ne le sut jamais. Or, il était encore plus difficile de faire un corps aux jambes du prince Borghèse que de faire des jambes au corps du roi de Naples. Le prince, qui était généreux comme un Borghèse, fit cadeau de ces jambes au roi. Tant il y a qu'aujourd'hui l'Hercule est au grand complet, chose rare parmi les statues antiques.

Il y a encore le taureau Farnèse, magnifique groupe de cinq à six personnages taillés dans un bloc de marbre de seize pieds sur quatorze ; l'Agrippine au moment où elle vient d'apprendre que Néron menace sa vie ; et enfin l'Aristide, que Canova regardait comme le chef-d'oeuvre de la statuaire antique.

Ustensiles divers
in Chevalier (1888) p.209

De là on passa dans la salle des petits bronzes. Malgré cette dénomination infime, la salle des petits bronzes n'est pas la moins curieuse. En effet, dans cette salle sont rassemblés tous les ustensiles familiers retrouvés à Pompéi. La vie antique, la vie positive est là ; pour la première fois, on y voit boire et manger les anciens qui, dans notre théâtre, ne boivent et ne mangent que pour s'empoisonner.

Ce sont des vases pour porter l'eau chaude, des marabouts, des bouilloires, des poêles à frire, des moules à petits pâtés, des passoires si fines que le fond en semble un voile brodé à jour, des candélabres, des lanternes, des lampes de toute forme et de toute façon : un escargot qui éclaire avec ses deux cornes ; un petit Bacchus qui fuit emporté par une panthère ; une souris qui ronge un lumignon ; des lampes consacrées à Isis et au Silence, d'autres consacrées à l'Amour, et que le dieu éteignait en abaissant la main ; des lampes à plusieurs lumières accrochées à un petit pilastre orné de têtes de taureaux et de festons de fleurs, ou accrochées par des chaînes aux branches d'un arbre effeuillé.

A côté de la salle des petits bronzes est le cabinet des comestibles : ce sont des oeufs, des petits pâtés, des pains, des dattes, des raisins secs, des amandes, des figues, des noix, des pommes de pin, du millet, des noyaux de pêches, de l'huile d'Aix, des burettes, du vin dans des bouteilles, une serviette avec un morceau de levain, un oeuf d'autruche, des coquilles de limaçons. On y voit aussi des draps, du linge qui était dans un cuvier à lessive, des filets, du fil, enfin toutes ces choses qu'on rencontre à chaque pas dans la vie réelle, et dont il n'est jamais question dans les livres, ce qui fait que les anciens, toujours vus au sénat, au forum ou sur le champ de bataille, ne sont pas pour nous des hommes mais des demi-dieux. Fausse éducation qu'il faut refaire, fausses idées qu'il faut redresser une fois qu'on est sorti du collège, et qui prolongent les études bien au-delà du temps qui devrait leur être consacré.

Bijoux et objets de toilette in Lagrèze (1888) p.121

Puis, de là, on passe dans la chambre des bijoux. Voulez-vous des formes pures, suaves, sans reproche, voyez ces anneaux, ces colliers, ces bracelets. C'est comme cela qu'en portaient Aspasie, Cléopâtre, Messaline. Voilà des mains qui se serrent en signe de bonne foi ; voilà un serpent qui se mort la queue, symbole de l'infini ; voici des mosaïques, des antiques, des bas-reliefs. Voulez-vous écrire, voici un encrier avec son encre coagulée au fond. Voulez-vous peindre, voici une palette avec sa couleur toute préparée. Voulez-vous faire votre toilette, voici des peignes, des épingles d'or, des miroirs, du fard, tout ce monde de la femme, mundus muliebris, comme l'appelaient les anciens.

Passons à la peinture : c'est la grande question artistique de l'antiquité ; c'était la mystérieuse Isis dont on n'avait pas encore, avant la découverte de Pompéi, pu soulever le voile. On avait trouvé des statues, on connaissait des chefs-d'oeuvre de la sculpture, on possédait l'Apollon, la Vénus de Médicis, le Laocoon, le Torse ; on avait des frises du Parthénon et les métopes de Sélinonte ; mais ces merveilles du pinceau tant vantées par Pline, ces portraits que les princes couvraient d'or, ces tableaux pour lesquels les rois donnaient leurs maîtresses, ces peintures que les artistes offraient aux dieux, jugeant eux-mêmes que les hommes n'étaient pas assez riches pour les payer : tout cela était inconnu. Il y avait un piédestal pour les statuaires, il n'y en avait pas pour les peintres.

Il est vrai que les fouilles de Pompéi et d'Herculanum n'ont éclairé la question qu'à demi. Jusqu'à présent, on n'a retrouvé aucun original que l'on puisse attribuer à quelqu'un de ces grands maîtres qui avaient nom Timanthe, Zeuxis ou Apelles. Il y a plus : la majeure partie des peintures d'Herculanum et de Pompéi ne sont rien autre chose que des fresques pareilles à celles de nos théâtres et de nos cafés. Mais n'importe ! par cette oeuvre des ouvriers on peut apprécier l'oeuvre des artistes, et parmi ces peintures secondaires, il y a même deux ou trois tableaux tout à fait dignes d'être remarqués.

Mais il ne faut pas courir à ces deux ou trois tableaux, il faut les voir tous, les examiner tous, les étudier tous, car même dans les plus médiocres il y a quelque chose à apprendre.

Les peintures de Pompéi sont à la détrempe, c'est-à-dire exécutées par le même procédé dont se servaient Giotto, Giovanni da Fiesole et Masuccio. Le style, à part deux ou trois oeuvres de la décadence exécutées par les Boucher de l'époque, est purement grec. Le dessin en est fin, correct, étudié ; le clair-obscur, quoique compris autrement que par nos artistes, est tout à fait à la manière de nos graveurs, c'est-à-dire à l'aide de hachures, et bien senti. La composition est en général douce et harmonieuse. L'expression en est toujours juste et très souvent remarquable. Enfin les vêtements et les plis sont touchés avec cette supériorité qu'on avait déjà reconnue dans la statuaire antique, et qui fait le désespoir des artistes modernes.

Nous ne pouvons pas passer en revue les dix-sept cents peintures qui composent la collection du musée antique ; nous pouvons seulement indiquer les plus originales ou les meilleures.

D'abord, dans les arabesques et dans les natures mortes, on trouvera des choses charmantes : des animaux auxquels il ne manque que la vie ; des fruits auxquels il ne manque que le goût ; un perroquet traînant un char conduit par une cigale, tableau que l'on croit une caricature de Néron et de son pédagogue Sénèque ; une charge représentant Enée sauvant son père et son fils, tous trois avec des têtes de chiens ; les trois parties du monde, l'Afrique avec son visage noir, l'Asie avec un bonnet représentant une tête d'éléphant, et au milieu d'elles l'Europe, leur maîtresse et leur reine ; puis au fond la mer, et sur cette mer un vaisseau cinglant à pleines voiles à la recherche de cette quatrième partie du monde promise par Sénèque. Il n'y a pas à s'y tromper, car au-dessous on lit ces vers de Médée :

Venient annis
Secula seris quibus Oceanus
Vincula rerum laxet, et ingens
Pateat tellus, Typhisque novos
Deteget orbes : nec sit terris ultima Thule.


Médée, acte II.

Maintenant, voici un tableau d'histoire ; il est précieux, car c'est le seul qu'on ait retrouvé à Pompéi : c'est Sophonisbe buvant le poison. Devant elle est Scipion l'Africain, qu'on peut reconnaître en le comparant à son buste, auquel il ressemble ; puis, derrière Sophonisbe, Massinissa qui la soutient dans ses bras. Le tableau est sans signature. Est-ce une copie ? est-ce l'original ? Nul ne le sait.

Mais en voici un autre sur lequel le même doute n'existe point. Il représente Phoebé essayant de raccommoder Niobé avec Latone. Aux pieds de leur mère, Aglaé et Héléna, pauvres enfants qui seront enveloppées dans la vengeance divine, jouent aux osselets avec toute l'insouciance de leur âge. C'est un original : il est signé Alexandre l'Athénien.

Puis viennent les fameuses danseuses tant de fois reproduites par la peinture moderne ; des funambules vêtus comme nos arlequins ; les sept grands dieux qui présidaient aux sept jours de la semaine : Diane pour le lundi, Mars pour le mardi, et ainsi de suite Mercure, Jupiter, Vénus, Apollon et Saturne.

Au milieu de tout cela, le morceau de cendre coagulée qui conserve la forme du sein de cette femme retrouvée dans le souterrain d'Arrius Diomède, comme nous l'avons raconté.

Puis les trois Grâces, que l'on croit copiées de Phidias, et qui furent recopiées par Canova.

Puis le Sacrifice d'Iphigénie, que l'on croit une copie de ce fameux tableau de Timanthe dont parle Pline. On se fonde sur ce que, dans l'un comme dans l'autre, Agamemnon a la tête voilée, et que, selon toute probabilité, un artiste n'aurait pas osé faire, à un maître aussi connu que Timanthe, un pareil vol.

Puis Thésée tuant le minotaure. A ses pieds est le monstre abattu ; autour de lui sont les jeunes garçons et les jeunes filles qu'il a sauvés et qui lui baisent la main.

Puis Médée méditant la mort de ses fils, composition magnifique d'une simplicité terrible. Les enfants jouent, la mère rêve. C'est beau et grand pour tout le monde. Un homme de nos jours qui aurait fait ce tableau serait le rival de nos plus grands peintres. Ne commencez pas par ce tableau, vous ne verriez plus rien. Quant à moi, il y a maintenant sept ans que je l'ai vu, et en fermant les yeux je le revois comme s'il était là.

L'éducation d'Achille in Roux, tome II, planche 3

Puis une foule d'autres peintures : - l'Education d'Achille par le centaure Chiron, tableau imité par un de nos peintres, et que la gravure a popularisé ; - Ariane s'éveillant sur le rivage d'une île déserte, et tendant les bras au vaisseau de Thésée qui s'éloigne ; - Phryxus traversant l'Hellespont, monté sur son bélier, et tendant la main à Hellé qui est tombée dans la mer ; - la Vénus qui sourit, étendue dans une conque ; - Achille rendant Briséis à Agamemnon ; - enfin, Thétis allant demander vengeance à Jupiter.

Ces deux derniers sont deux pages de l'Iliade.

Puis, allez, cherchez encore, regardez dans tous les coins : vous croirez en avoir pour une heure, vous y resterez tout le jour ; puis, vous y reviendrez le lendemain et le surlendemain ; et, au moment de votre départ, vous ferez arrêter votre voiture pour rendre encore une dernière visite à cette salle, unique dans le monde.

Il ne faut pas s'en aller sans visiter le cabinet des papyrus ; ce serait une grande injustice. Dans mon voyage de Sicile, après avoir visité Syracuse, j'ai conduit mes lecteurs aux sources de la Cyanée, à travers les îles charmantes dont les longs roseaux courbaient au-dessus de nous leurs têtes empanachées : ces roseaux, c'étaient des papyrus. On en faisait une espèce de parchemin étroit et long qu'on déroulait à mesure qu'on écrivait, et qu'on roulait à mesure qu'on avait écrit. Eh bien, on trouva cinq ou six mille de ces rouleaux, noircis, brûlés, friables ; on les prit d'abord pour des morceaux de bois carbonisés et on n'y fit aucune attention ; on les jeta ou plutôt on les laissa rouler où il leur plaisait d'aller ; puis on reconnut que c'était le trésor le plus précieux de l'antiquité que l'on méprisait ainsi. On recueillit tout ce qu'on put en trouver, et, par un miracle de patience inouï, incroyable, fabuleux, on en a déroulé et lu à cette heure trois mille ou trois mille cinq cents, je crois. Le reste est dans ce cabinet, rangé sur les rayons de vastes armoires ; ce sont deux mille cinq cents petits cylindres noirs que vous prendriez pour des échantillons de charbon de bois. Ce fut en 1753 seulement qu'on revint de l'erreur que nous avons dite : on trouva d'un seul coup, au-dessous du jardin du couvent de Saint-Augustin, à Portici, dix-huit cents de ces petits rouleaux, rangés avec tant de symétrie que l'on commença à y voir quelque chose de mieux que du bois brûlé. D'ailleurs, en même temps et dans la même pièce, on retrouva trois bustes, sept encriers, et des stylets à écrire. On reconnut alors qu'on était dans une bibliothèque, et l'on eut pour la première fois l'idée que les petits rouleaux noirs pouvaient être des papyrus ; on les examina avec soin et on y reconnut, comme on la voit sur du papier brûlé, la trace des caractères qui y avaient été écrits. A partir de ce moment, la recommandation fut faite à tous les ouvriers travaillant aux fouilles de mettre précieusement de côté tout ce qui pourrait ressembler à du charbon.

Et, comme je vous le dis, il y a là trois mille manuscrits dans lesquels on retrouvera peut-être ces quatre volumes de Trogue Pompée qui font une lacune dans l'histoire, et ces trois ou quatre livres de Tacite qui font une lacune dans ses Annales.

J'avoue que j'avais grande envie de mettre dans ma poche un de ces petits rouleaux de charbon.

Comme nous allions descendre le grand escalier des Studi, le gardien, qui était sans doute satisfait de la rétribution que nous lui avions donnée, nous demanda à voix basse si nous ne voulions pas visiter la galerie de Murat. Nous acceptâmes, en lui demandant comment la galerie de Murat se trouvait au Studi. Il nous répondit alors que, lorsque le roi Ferdinand avait repris son royaume, on avait partagé en famille tous les objets abandonnés par le roi déchu. Cette galerie était devenue la propriété du prince de Salerne qui, ayant eu besoin de quelque chose comme cent mille piastres, les emprunta sur gage à son auguste neveu actuellement régnant. Or, le gage fut cette galerie, laquelle, pour plus grande sûreté de la créance, fut transportée au musée Bourbon.

Il y a là, entre autres chefs-d'oeuvre, treize Salvator Rosa, deux ou trois Van Dick, un Pérugin, un Annibal Carrache, deux Gérard des Nuits, un Guerchin, les Trois Ages de Gérard, puis, dans un petit coin, derrière un rideau de fenêtre, un tableau de quatorze pouces de haut et de huit pouces de large, une de ces miniatures grandioses comme en fait Ingres quand le peintre d'histoire descend au genre, une petite merveille enfin, comme l'Arétin, comme le Tintoret ! C'est Francesca de Rimini et Paolo, au moment où les deux amants s'interrompent, et «ce jour-là ne lisent pas plus avant».

Demandez, je vous le répète, à visiter cette galerie, ne fût-ce que pour voir ce charmant petit tableau.

Nous sortîmes enfin, ou plutôt on nous mit à la porte. Il était quatre heures et demie, et nous avions outrepassé d'une demi-heure le temps fixé pour la visite du musée. Il est vrai qu'à Naples il n'y a rien de fixe, et qu'avec une colonate, c'est-à-dire avec cinq francs cinq sous, on fait et l'on fait faire bien des choses.


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