Reconstitution (totalement imaginaire) du tombeau de Battos à Cyrène - Jeu video Assassin's Creed Origins par Ubisoft - 2017
A ARCESILAS DE CYRENE, VAINQUEUR A LA COURSE DES CHARS
Cette ode est sans contredit la plus longue, et cependant, ajoutent les critiques, une des plus belles que nous ait laissées Pindare. J'en donne la traduction très littérale, et par conséquent je laisse au lecteur à juger de son mérite intrinsèque, sous le rapport de la conception poétique et des moyens d'exécution qu'il a plu au poète de choisir pour arriver à son but. Je remarque seulement que l'ode en général a une couleur particulière qui n'appartient point à celle des autres odes, où le style emphatique semble prédominer. Mais ici, le poète se rapproche davantage d'un récit dialogué avec beau-coup d'art. Du reste, l'ensemble des idées est assez facile à saisir. Le plan est simple ; on y distingue très bien l'éloge du héros vainqueur, de sa patrie, de ses aïeux et de ses qualités personnelles. Cependant on est forcé d'y voir aussi que le poète entassa à dessein les fictions et les allégories, moins pour flatter le prince que pour l'amener à rappeler à sa cour un certain Démophile qui avait eu quelque part à une sédition tramée contre les jours du roi, et qui, exilé à Thèbes, avait trouvé dans Pindare un ami zélé, en sorte que l'ode entière a été conçue à cette occasion, et moins pour célébrer la victoire d'Arcésilas que pour implorer sa clémence en faveur de l'illustre exilé. Aussi l'ode suivante parait-elle servir de supplément à celle-ci, dont le poète lui-même donne la clef lorsqu'il fait entendre qu'il avait accueilli dans sa propre maison à Thèbes, le courtisan fugitif ; lequel pourrait même un jour présenter an prince, s'il rentrait en grâce avec lui, des vers dignes de l'immortalité et tels que le poète thébain peut seul en composer.
Voici l'enchaînement des idées qu'on trouve dans cette ode. Pindare invite d'abord sa muse à chanter les louanges d'Arcésilas, roi de Cyrène, celles des ancêtres du prince, et surtout de Battus, qui, averti par Apollon dans un songe que lui confirma l'oracle de Delphes, partit de son île de Théra pour aller fonder en Libye, avec de nombreux colons, la ville de Cyrène, d'après la prophétie de Médée, fille d'Aétas, roi de Colchos. Cette princesse, qui seconda Jason et les Argonautes dans la conquête de la toison d'or, avait en effet prédit que le dix-septième descendant d'Euphémus, l'un des Argonautes, serait un jour roi de Cyrène. Elle désignait Battus, dont Arcésilas était le huitième descendant. Ce Battus, ignorant sa destinée, était venu consulter l'oracle d'Apollon pour remédier à une infirmité probablement naturelle, qui gênait chez lui l'articulation de la parole. Il en reçut l'ordre de transporter une colonie en Afrique ; ce qu'en effet il exécuta avec la plus grande docilité.
Battus était le dix-septième descendant du roi Euphemus, l'un des Argonautes. Ceux-ci, au retour de leur expédition, ayant passé quelque temps dans l'île de Lemnos, vécurent avec les femmes lemniennes, homicides de leurs maris. Les enfants qui naquirent d'elles, s'étant, dans la suite, rendus en grand nombre près de leurs pères, à Lacédémone, y excitèrent des troubles et en furent chassés. Théra se mettant à leur tête les conduisit dans l'île de Calliste, l'une des Sporades, qui prit alors le nom du chef de la colonie. Le poète l'appelle l'île sacrée, parce qu'elle avait un temple consacré à Neptune ou à quelqu'autre divinité. Cette île avait été formée par un gazon de terre que le roi Euphémus avait reçu en signe d'hospitalité, des mains d'Eurypyle, fils de Neptune, et qu'il devait emporter près du cap Ténare, d'où ses descendans à la quatrième géaération seraient dès lors passés en Libye, avec les peuples d'Argos et de Lacédémone. Mais ce gazon ayant disparu sous les eaux près des Sporades, l'île qui s'en forma ne fut peuplée que longtemps après, et la fondation de la ville de Cyrène par Battus n'eut lieu qu'à une époque beaucoup plus éloignée.
Tel est le récit que Pindare met dans la bouche de Médée ; mais comme toutes ces circonstances appartiennent à l'expédition des Argonautes, il en trace l'histoire à partir du moment où Jason, fils d'Eson, élevé par le centaure Chiron dans les rochers caverneux, vient se montrer dans Colchos, en Magnésie, pour remonter sur le trône de ses pères occupé par l'injuste Pélias, contre l'ordre établi pour la succession des pères aux enfants. Pélias consent à remettre l'autorité entre les mains de son légitime souverain, mais seulement après que celui-ci aura rapporté la toison d'or du bélier sur lequel Phrixus avait traversé l'Hellespont pour se réfugier en Colchide. Telle était, disait-il, la volonté des dieux manifestée par l'oracle d'Apollon. L'entreprise est agréée par Jason. Il fait ses préparatifs, rassemble ses guerriers et les encourage par les signes favorables que leur découvre le devin Mopsus. Les navigateurs traversent les mers, et après avoir franchi les écueils entre les îles Cyanées, ils arrivent enfin à Colchos par l'embouchure du Phase.
Jason s'y lie d'amitié avec l'enchanteresse Médée, fille du roi Aétas ; il tire de l'art magique de cette princesse les secours nécessaires pour dompter les boeufs dont la bouche vomissait les flammes, et pour tuer le dragon monstrueux préposé à la garde de la toison d'or.
Quelque long que soit ce récit mythologique, le poète ne veut pas qu'il paraisse un écart ni un hors-d'oeuvre. Il sait, dit-il, prendre les voies les plus abrégées quand elles conviennent à son sujet. Il justifie ses épisodes par deux autres allégories qui l'amènent à mettre sous les yeux d'Arcésilas la demande de Démophile. Il compare celui-ci à un chêne, qui, quoiqu'abattu sous la cognée, ne laisse pas d'être utile ; il compare le roi Arcésilas à un médecin des maux physiques : enfin, il sollicite ouvertement la grâce de cet illustre exilé dont il fait un portrait avantageux. Il croit même sa muse intéressée au succès de sa demande, il s'en promet d'avance la plus grande gloire ; il se dispose à en témoigner au prince toute sa reconnaissance, et celle de l'infortuné dont il plaide la cause.
Muse ! accompagne en ce jour un mortel chéri, Arcésilas, roi de la belliqueuse Cyrène. Viens rehausser l'éclat de son triomphe par des hymnes solennels, dûs aux descendants (1) de Latone et à la ville de Python, où jadis la prêtresse qui veille à la garde des aigles d'or (2) de Jupiter, instruite par Apollon, répondit à Battus inquiet de l'avenir (3) : «Tu peupleras la fertile Lybie». Aussitôt il abandonne son île sacrée (4) pour aller fonder sur le plus riche mammelon de cette terre nouvelle une cité fameuse dans l'art d'atteler les chars. Chef de la dix-septième génération, il accomplit enfin, de sa personne, l'oracle anciennement émané, dans Théra même et de l'immortelle bouche de Médée, lorsque cette reine de Colchos, cette entreprenante fille du roi Aétas, dit à Jason et à ses intrépides Argonautes :
«Ecoutez-moi, nobles enfants des dieux et des héros ! Je dis que, de cette terre baignée par l'Océan, la fille d'Epaphus (5) transplantée sur le sol de Jupiter Ammon, y croîtra, pour être la tige-mère des villes et des peuples de cette heureuse contrée. Pour elle, les dauphins aux nageoires épineuses se transformeront en coursiers agiles, la rame et le timon des navires en rènes ou en chars non moins rapides que les Autans. Je vois Théra enfanter la grande métropole des cités. Vous en avez pour infaillible présage le gazon de terre que reçut en votre présence, comme un gage d'hospitalité sur le bord des eaux du lac Tritonien, Euphémus en s'élançant de la pointe du vaisseau vers le dieu du rivage caché sous une forme humaine. Aussi le fils de Saturne fit-il entendre du côté favorable, le bruit de son tonnerre, au moment où l'étranger s'approcha des navigateurs, occupés à lever l'ancre aux dents de fer, qui servait de frein à la course précipitée de l'Argos.
Nous avions à dessein (6) retiré des flots notre navire, et depuis que nous le portions péniblement à travers une plage aride et déserte, douze jours s'étaient écoulés lorsqu'un dieu solitaire s'offrit à nous sous les traits d'un mortel vénérable.
Ses paroles affectueuses sont celles d'un hôte généreux à des étrangers qu'il presse d'abord d'accepter le bienfait d'un simple repas. Il s'aperçoit que le désir d'un prompt retour occupait fortement notre pensée.
Mais il se dit Eurypyle, le fils de Neptune, du dieu qui embrasse et agite la terre. Voyant à regret notre départ, de la droite il se hâte d'arracher un gazon de terre qu'il nous présente comme gage fortuit d'hospitalité. A l'instant notre héros s'élance sur le rivage et pressant la main de l'inconnu, il recueille cette portion de la glèbe divine. J'apprends maintenant qu'échappée de notre nacelle et disparaissant dans l'onde amère, elle a suivi les flots vers le coucher de l'astre du jour (7) ; certes, je m'étais reposée du soin de la bien conserver, sur la vigilance de serviteurs qui ont oublié mes ordres. Ainsi avant le terme voulu et dans cette île même de Théra, s'est dispersée la semence incorruptible de la spacieuse Libye. C'était au roi Euphémus, à ce fils de Neptune qui le premier sut donner un frein aux coursiers, à ce fils d'Europe, fille de Tityus, qui le mit au monde sur les rives du Céphise, c'était à lui d'emporter dans la ville sacrée du Ténare et d'y épandre cette terre, près du soupirail de Pluton (8). L'eût-il fait ! alors les enfants de son sang à la quatrième génération (9) eussent, de concert avec les Danaens, pris possesion du vaste continent, en même temps que les peuples partis de Lacédémone, du golfe d'Argos et de Mycènes.
Cependant la Libye plus tard accueillera dans son sein une race choisie de femmes étrangères, dont les descendants fixés dans l'île de Théra, sous la protection des immortels, donneront naissance au héros souverain des domaines fécondés par le ciel et les tempêtes. C'est lui qu'Apollon rendant ses oracles au temple de Python, dans un palais enrichi d'or, nommera pour transporter, de Théra sur ses navires les nombreux colons destinés à peupler les champs sacrés, où le Nil reçoit les honneurs du fils de Saturne (10)».
Tel fut le récit de Médée. Immobiles d'étonnement, les héros comparables aux dieux écoutèrent en silence le mystérieux langage. Heureux fils de Polymneste ! en toi se vérifia ce pronostic de la fille d'Aétas, lorsque, de son propre mouvement, la Mélisse (11), prêtresse de Delphes, te salua trois fois, et te reconnut pour le prince que la destinée réservait à Cyrène, au moment où tu demandais aux dieux pour toute faveur, qu'ils déliassent l'organe de ta voix embarrassée. Mais déjà le huitième rejeton de ta race royale, Arcésilas, est sorti, comme le printemps qui dans sa plus grande force se couronne du pourpre de ses fleurs : déjà aussi Phébus et Python lui assurent à la course des chars le prix et les couronnes décernés par les Amphictyons.
Et moi, je vais confier aux muses le soin de sa renommée, ainsi que la mémoire de la toison d'or du bélier de Colchos, en ce royaume où les ordres du ciel conduisirent les Argonautes, enfants des Minyens (12), pour y jeter les fondements de la gloire des peuples de Cyrène.
Mais quel fut le mobile secret de cette hasardeuse navigation, et comment l'impérieuse Nécessité, avec ses clous de diamant, en fixa-telle le projet dans l'âme de tant d'illustres guerriers ?
Le Destin avait prononcé que Pélias mourrait un jour, soit de la main, soit par les inévitables embûches des vaillants Eolides (13). Un oracle, sorti du temple qu'entourent de beaux arbres au milieu de la terre nourricière des hommes (14), avait en outre averti ce prince qu'il eût à se garder soigneusement du mortel chaussé d'un seul pied, qui, descendu des flancs caverneux de la montagne, se porterait à la fois comme citoyen et comme étranger, vers le territoire qu'occupe à l'Occident la célèbre Yolcos. Au temps prescrit y parut en effet ce mortel inconnu, sous les dehors d'un guerrier formidable, armé de ses deux lances. Un double vêtement le couvrait : l'habit ordinaire aux Magnésiens s'ajustait parfaitement à ses membres fortement dessinés, et par dessus, une peau de léopard le défendait contre la froidure des pluies. Ses cheveux ondoyants que jamais le fer n'avait touchés retombaient sur ses larges épaules.
On ne le voit point hésiter ; mais avec cette mâle attitude que donne le courage, il s'avance directement vers la place, au milieu d'une foule inquiète dont il est méconnu et que sa présence frappe d'admiration. Certes, disent quelques-uns, cet étranger n'est point Apollon, ni le dieu favori de Vénus (15), qui s'assied sur un char d'airain. Serait-ce donc un de ces géants, enfants d'Iphimédée (16), serait-ce Otus lui-même, ou toi Ephialte, roi intrépide ? Mais tous deux périrent, dit-on, dans les plaines fertiles de Naxos. Ce serait encore moins Tityus (17), lui que la déesse de la chasse perça d'une invincible flèche. Elle l'avait tirée de son carquois, pour apprendre à tout mortel qu'il doit borner son amour à des objets qu'il lui est permis d'atteindre.
Pendant que chacun s'entretient de la sorte, arrive empressé Pélias, sur un char brillant traîné par des mules. Ses regards étonnés se portent sur la chaussure d'avance signalée, au pied droit seulement. Mais dissimulant sa frayeur : «Quelle terre, dit-il, ô étranger, reconnais-tu pour patrie, et de quels flancs humains as-tu reçu le jour ? Parle sans me déguiser par d'odieux mensonges ta véritable origine». Alors, d'un ton ferme et noble le héros fit cette réponse :
«Instruit à l'école de Chiron, nourri par les chastes filles du Centaure, j'arrive de l'antre qu'habitent avec lui Philyre et Chariclo ; j'ai, parmi elles, atteint ma vingtième année, sans que mes actions ni mes paroles m'aient attiré de leur part le plus léger reproche. Aujourd'hui rentrant dans mes foyers, je viens réclamer la principauté de mon père, envahie contre l'absolue volonté du souverain des dieux, qui en avait investi le roi Eole et ses descendants. J'ai su que l'injuste Pélias, masquant ses folles passions sous un voile hypocrite, arracha par violence des mains de nos aïeux le sceptre qu'ils portaient au nom des lois. A peine j'avais une première fois ouvert les yeux à la lumière que, s'empressant de me soustraire à la cruauté du tyran, mes tendres parents simulèrent mes funérailles accompagnées des pleurs de femmes mercenaires : puis n'ayant que la nuit pour témoin de leur secret, ils me transportèrent caché sous des langes de pourpre et remirent le soin de mon enfance à Chiron, l'un des fils de Saturne. Maintenant, c'est à vous à me juger : telle est la vérité des faits. Et d'abord, généreux concitoyens, guidez franchement mes pas vers le palais habité par mes pères jaloux de leurs superbes coursiers. Né dans ces lieux, fils d'Eson, je ne me crois pas ici sur une terre étrangère ; le Centaure, dieu sauvage, m'a nommé Jason».
Il achevait de parler : dès qu'il entre, les yeux du père s'ouvrant sur son fils laissent échapper de leurs paupières, affaiblies par la vieillesse, des globes de larmes brûlantes ; tant son émotion est extrême, à la vue de ce fils, le plus accompli des mortels.
Au bruit de son arrivée, s'étaient rendus ses deux oncles, frères d'Eson ; Phérès, voisin de la fontaine Hypéréïde, et Amythas venant de Messène, tous deux suivis de leurs enfants Admète et Mélampe qui félicitent leur commun parent. Celui-ci, fêtant ses nouveaux convives, les flattait par la douceur de ses paroles accompagnées de présents choisis. Bientôt la joie qu'il sut leur inspirer gagna tous les coeurs. Cinq jours entiers et autant de nuits furent consacrés à leur prodiguer ces plaisirs divins qui sont la fleur de la vie. Mais au sixième, Jason rappelle ses desseins aux membres réunis de sa famille, tous décidés à le suivre. Avec eux il sort des tentes ; ils marchent ensemble au palais de Pélias, où ils pénètrent et s'établissent. A leur rencontre vient soudain le prince né des flancs de la nymphe Tyro, à la chevelure élégante. Alors Jason, s'armant contre son rival de tous les charmes du discours, commence en ces termes :
«Noble rejeton de Neptune Pétréen (18) ! Tu le sais, trop souvent de cruels revers poursuivent les mortels enclins à préférer à la justice des richesses acquises par la fraude. Marche, il en est temps, d'accord avec moi ; tous deux, sous les auspices de Thémis, préparons-nous un tranquille avenir. Une même mère allaita Créthée (19), mon aïeul, et le courageux Salmonée qui fut le tien ; par eux, en troisième lignée, le flambeau du jour darde aujourd'hui sur nous ses rayons dorés ; mais tout bonheur fuira de nos familles où nous aurons introduit la discorde. Quelle honte de diviser par le tranchant du glaive l'honorable héritage de nos pères ! Je t'abandonne et les agneaux et les blonds troupeaux de boeufs. Garde ces vastes champs que tu ravis à mes ancêtres pour agrandir ta fortune. Que m'importent ces richesses accumulées dans ta maison ! Rends-moi seulement le sceptre royal et le trône, d'où le fils de Créthée dicta des lois à ses peuples belliqueux. Bannis enfin toute résistance, si tu ne veux provoquer de nouveaux malheurs».
A ces mots Pélias de sang froid, répondit : «Je serai l'homme que tu désires ; mais tandis que la triste vieillesse m'assiège, que ton âme au contraire brille de tous les feux d'une ardente jeunesse, mieux que moi tu pourras apaiser les divinités souterraines. Phrixus demande qu'on aille recueillir ses mânes, abandonnés dans les demeures du roi Aétas, et qu'on en rapporte la riche toison du bélier sur lequel il traversa l'Hellespont, pour échapper aux perfides desseins d'une marâtre. J'en reçus l'avertissement par un songe divin : résolu d'obéir, je consultai l'oracle qui m'ordonna d'équiper un navire. Acquitte pour moi ces nobles devoirs. A ton retour, je le jure, tu commanderas seul et tu règneras à ma place. Prenons à témoin de nos mutuels serments le puissant Jupiter de qui nous sommes l'un et l'autre sortis».
Des deux côtés les conditions sont applaudies, on se sépare : à l'heure même, Jason envoie des héraults publier partout en son nom l'expédition qu'il médite. Aussitôt accourent les trois infatigables guerriers, fils de Jupiter Saturnien, et celui qui naquit d'Alcmène aux noirs sourcils, et les jumeaux enfantés par Léda. Issus de Neptune qui ébranle la terre, deux autres héros non moins redoutés par leur bravoure dans les combats que distingués par une haute chevelure, arrivaient, l'un de Pylos, l'autre, du promontoire de Ténare. La gloire les appelait à la fois ; c'était Euphémus, et toi aussi, vaillant Périclimène. Avec eux, docile à la voix d'Apollon, se rendit le père de la lyre, Orphée, éternel objet de nos éloges. Le dieu qui porte un caducée d'or, Mercure, voulut associer aux périls de la même entreprise, ses propres fils, Echion et Eurytus, tous deux bouillant de jeunesse. D'autres enfin, pour se joindre aux premiers, avaient quitté leurs demeures au pied du mont Pangée : ils étaient fils de Borée, de ce roi des vents, qui, souriant aux projets des hardis navigateurs, pressait le départ de ses enfants, Zetès et Calais, sur le dos desquels s'étendaient des ailes d'un sombre azur (20). Junon inspira aux demi-dieux un tel désir d'entrer avec leurs armes sur le navire Argos, que chacun d'eux craignit d'être seul à finir sans gloire d'inutiles jours, au sein d'une mère et de ses paisibles foyers. Dès lors, ils ne connurent d'autre remède à la mort que les héroïques vertus, par lesquelles ils arriveraient ensemble à l'immortalité.
Bientôt l'élite des guerriers navigateurs descend en foule au port d'Iolcos. Jason fait le dénombrement de tous, en les comblant de louanges. En même temps, sur la foi des sorts jetés (21) et des augures, le confident des secrets célestes, Mopsus, s'écrie : «Qu'on embarque l'armée entière». On suspend les ancres à l'éperon du navire. Du haut de la proue, le chef, tenant en main une coupe d'or, invoque et le père des immortels, Jupiter, armé de ses carreaux vengeurs, et les flots rapides et les vents impétueux, et les jours favorables et les nuits où l'on traverse les plaines liquides, et le Destin qui préside à l'heureux retour. Au moment même du sein des nues sillonnées par le feu de la foudre étincelante, le tonnerre gronde en éclats propices. Les héros attentifs croyent aux présages divins et n'attendent plus que le souffle des vents. Alors l'interprète du ciel faisant luire à leurs yeux les plus brillantes espérances, leur commande de se tenir près des avirons.
Tous, d'un bras vigoureux, à l'envi, forcèrent de rames, et secondés par un vent du midi, ils parvinrent à l'entrée du détroit de la mer inhospitalière (22), où ils assirent un temple en l'honneur de Neptune souverain de l'onde, et sur un autel de pierre construit à la hâte, lui immolèrent des taureaux d'un poil de pourpre et choisis parmi les plus beaux de la Thrace. A quelque distance de ces lieux, se trouvant en vue de profonds abîmes, ils conjurèrent la divinité protectrice des navires de les préserver de la pointe menaçante de deux roches animées (23) qui s'entrechoquaient avec la même violence que se déchaînent l'un contre l'autre des vents orageux. Les demi-dieux passant entre ces masses furieuses leur ôtèrent pour toujours le mouvement et la vie.
Arrivés enfin aux bouches du Phase, ils communiquèrent avec les noires peuplades de Colchos, sur lesquelles régnait Aétas. Ce fut en Colchide que Cypris, dont la main commande aux traits les plus prompts et les plus acérés, fit descendre de l'Olympe et montra pour la première fois aux humains la pétulante bergeronette (24), au plumage nuancé de diverses couleurs, oiseau ménade fixé par la déesse aux quatre rayons d'une roue qu'aucun effort ne saurait briser. Par ce moyen, le sage fils d'Eson apprit de Vénus l'art des prestiges enchanteurs qui devaient écarter de l'esprit de Médée la crainte de ses nobles pareils, et faire céder son coeur brûlant d'amour aux atteintes répétées que lui porterait le plus séduisant des jeunes héros de la Grèce. Cette princesse tarda peu de lui révéler le secret des épreuves que préparait son père. Elle composa d'huile et d'herbes un liniment dont la vertu rendit le corps de Jason inaccessible aux âpres douleurs. Tous deux, l'un de l'autre épris, convinrent d'unir leur sort par les doux liens de l'hymen.
Au milieu des plaines, Aétas avait dressé sa charrue de diamant. Seul, maîtrisant ses boeufs dont les narines enflammées exhalaient des torrents de feu et dont les pieds d'airain, levés tour-à-tour, battaient en la déchirant la surface de la terre, il les met aisément sous le joug. Puis soulevant le soc en le dirigeant vers le sillon qu'il doit tracer, il fend la terre et en retourne la glèbe profonde de quatre coudées (25). Alors, en présence de tous, il dit : «Que le roi, quel qu'il soit, qui commande ce navire, s'il achève l'oeuvre que je viens de commencer, emporte pour prix de son courage la dépouille incorruptible d'où la laine pend en filets d'or».
A peine le prince eut achevé ces mots que Jason quitte son manteau de pourpre (26) et recommence le travail. Instruit dans les arts secrets par l'étrangère son amie, il brave les flammes et saisissant la charrue, il soumet au joug et au harnais le col des boeufs, tandis qu'il presse de l'aiguillon leurs énormes flancs. Peu d'instants suffirent pour qu'il fournît la carrière mesurée. Un mortel dépit tourmente Aetas, surpris de la force du héros ; mais vers ce dernier se précipitent ses compagnons d'armes, tous à la fois lui tendent les bras, le comblent de félicitations et couronnent son front de verts feuillages.
Cependant le superbe fils du soleil ne balance plus, il veut découvrir à son rival la brillante toison, que le glaive tranchant de Phrixus avait détachée du bélier par lui sacrifié. Il se flattait que Jason ne l'arracherait jamais du réduit profond de la forêt où depuis si longtemps elle demeurait suspendue. Un dragon furieux, armé de dents voraces, la gardait nuit et jour, monstre comparable pour la grosseur et la longueur de son corps, à une galère à laquelle le fer du constructeur habile donnerait cinquante rangs de rames (27).
Ici je m'arrête, et jusques dans mes écarts, je sais, lorsqu'il en est temps, reprendre ma route. Les voies abrégées me sont assez familières, et lorsque la sagesse commande de les suivre, on m'y voit marcher le premier. Je dis donc, ô Arcésilas : Sous les coups redoublés de l'audacieux Jason succomba cet effroyable serpent aux yeux pers (28), au dos tavelé, à la forme hideuse ; je dis qu'en s'emparant de la riche toison, notre héros ravit aussi Médée, l'instrument perfide de la mort de Pélias ; qu'avec lui les Argonautes traversant les flots de l'Océan et ceux de la mer Erythrée (29), abordèrent dans l'île de Lemnos où ils furent accueillis par les femmes homicides de leurs maris, après qu'ils eurent emporté pour prix de leur force et de leur agilité dans les jeux, les vêtements qu'on y distribuait aux vainqueurs. Je dis que près d'elles, en ces contrées lointaines, un destin reproducteur fit jaillir nuit et jour les premiers jours de ta gloire, ô Cyrène, qu'ainsi Euphémus vit naître et s'accroître une nombreuse famille. Ses descendants vécurent ensuite parmi les guerriers de Lacédémone, d'où ils allèrent peupler l'île sacrée, connue alors sous le nom de Calliste : de là enfin, le fils de Latone, au nom et sous la protection des dieux, daigna confier à ton aïeul (30), ô Arcésilas, les fertiles campagnes de la Libye, et soumettre à l'équité de tes lois la ville de Cyrène assise sur un trône d'or.
Je te parlerai maintenant comme à l'homme initié dans la sagesse d'Oedipe. Un chêne orgueilleux a vu le fer de la cognée dépouiller ses branches, et déshonorer ses plus belles formes. Hors d'état de produire des fruits, l'arbre en sera-til moins utile, soit qu'il serve d'aliment au feu contre la rigueur des hivers, soit que prêtant son appui aux maîtresses colonnes d'un palais, il empêche, en les réjoignant, la ruine entière de l'édifice ? J'oserai te nommer encore le médecin de nos maux présents. A ce titre, Péan (31), fils d'Apollon, veille sur les jours de ton règne glorieux. Puisse ta main exercée fermer une plaie trop longtemps ouverte ! Dans un moment quelques hommes méprisables peuvent ébranler un Etat ; mais pour le rasseoir sur ses bases, il faut que la Divinité même seconde les longs efforts d'un chef intelligent. Les Grâces te placèrent à dessein au rang des monarques ; daigne en exercer les droits pour la prospérité de Cyrène.
Combien je serais fier si par ta clémence, je pouvais m'appliquer ce vers homérique (32)! «Attendez tout succès d'un orateur habile» : si par ta clémence encore, ma Muse agrandie devait chanter un nouveau bienfait !
Je dis donc que Cyrène et le magnifique palais de Battus attesteront les rares vertus de Démophile, ami de la justice. Mûr au sortir de l'enfance, vieillard de cent années pour le conseil, dans la maturité de son âge, il sut préserver sa langue des plus légères souillures. Ennemi constant de la calomnie et des hommes pervers, il ne le fut jamais des âmes vertueuses. En aucune affaire (33), on ne le vit temporiser ; et personne mieux que lui ne sut poursuivre et saisir l'occasion toujours prête à s'échapper : mais il n'eut jamais le tourment d'en dépendre. Doué de ces heureux talents, combien lui serait-il pénible de vivre loin du lieu où il les fit briller avec éclat ! Nouvel Atlas fatigué de porter le ciel, comment endurerait-il plus longtemps la privation de sa patrie et de ses biens à regret abandonnés ! Un jour, l'invincible Jupiter se décide à livrer les Titans coupables (34). Un temps arrive où le vent contraint à changer les voiles.
Epuisé de ses longues souffrances, Démophile pourrait donc revoir ses foyers, y reprendre une vie nouvelle, près de la fontaine d'Apollon et au milieu des festins ! Sa lyre retrouverait les sons les plus harmonieux au sein du repos et en présence de ses doctes amis. Sans aigreur envers ses concitoyens, il ne saurait être en butte à leurs traits. Toi même, ô Arcésilas, tu aimerais à entendre de sa bouche reconnaissante quelle source de chants immortels s'ouvrit pour lui dans la maison de Thèbes où il reçut l'hospitalité ?
(1) Aux descendants de Latone. Les interprètes croyent que c'est par emphase que le poète parle ici au pluriel d'Apollon, descendant de Latone. Mais on peut dire que l'expression est littérale, puisque Latone eut deux enfants, Apollon et Diane. Peut-être, ajoute un scoliaste, Pindare entend-il désigner aussi les habitants de Delphes. | |
(2) Des aigles d'or. Ici le poète prend la partie pour le tout. Il nomme les aigles d'or, au lieu du temple sur lequel étaient placés ces aigles. | |
(3) Inquiet de l'avenir. Battus fut le premier roi de Cyrène, dont Arcésilas était le huitième descendant. Ce Battus descendait lui-même en dix-septième génération d'Euphémus, l'un des Argonautes. (Voyez la 5e note de l'ode Ve suivante). | |
(4) Son île sacrée. Il s'agit de Théra, que le poète nomme plus bas, et où Neptune, dit-on, avait un temple. Le 14e vers signifie mammelon gras, fertile. Cette expression nous rappelle celle qui est donnée au taureau, dans le 99e vers de la XIIIe olympique. | |
(5) La fille d'Epaphus. C'est la nymphe Libye, par laquelle le poète désigne aussi la ville de Cyrène. | |
(6) Nous avions dessein. Il est évident que Médée parle ici au nom des Argonautes, avec lesquels elle revint en effet de la conquête de la Toison d'or, et passa près de file Théra, où une portion de la glèbe fut retenue sur le rivage par Eurypyle, fils de Neptune. | |
(7) Vers le coucher de l'astre du jour. L'expression grecque pouvait s'entendre, soit de la direction, à l'occident, soit du temps où le soleil se couche ; j'ai voulu conserver, dans ma traduction, la même amphibolie. | |
(8) Du soupirail de Pluton. Tenare, ville du territoire de Sparte, avait, disent les poètes, près de son enceinte, une ouverture par laquelle on pouvait descendre aux enfers. Il s'agit donc ici d'une colonie lacédémonienne en Libye. (Voyez, pour complément de cette note et de la suivante, l'argument de l'ode). | |
(9) A la quatrième génération, sans doute à compter depuis Euphémus ; car, lors de cette 4e génération, une colonie d'Argos et de Lacédémone alla peupler une première fois la Libye. | |
(10) Du fils de Saturne. Pindare se sert de l'épithète de Saturnien, qu'il donne au Nil, parce que ce fleuve recevait parmi les Egyptiens le même honneur que Jupiter parmi les Grecs et les Latins. | |
(11) La Mélisse, prêtresse de Delphes. Nom générique des prêtresses d'Apollon, de Cérès et aussi des nymphes. Ce mot signifie abeille. Soit qu'on voulût désigner par l'épithète de Mélisse la pureté des prêtresses que l'on comparait au miel tiré de fleurs choisies, soit parce que des nymphes trouvèrent pour la première fois le miel, ou plutôt enseignèrent à élever des abeilles. | |
(12) Enfants des Minyens. Le poète les nomme ainsi, parce que plusieurs d'entre eux tiraient leur origine de Minyas, fils de Neptune. | |
(13) Des vaillants Eolides. Jason descendait d'Eole, père de Crethée. | |
(14) Au milieu de la terre nourricière des hommes. On dit que Jupiter, ayant fait partir en même temps deux aigles, l'un de l'orient, l'autre de l'occident, trouva que ces deux aigles s'étaient rencontrés justement à Delphes, qui passa dès lors pour être le milieu de la terre. | |
(15) Ni le dieu favori de Vénus. Le poète fait ici allusion au récit qu'Homère fait des amours de Mars avec Vénus. | |
(16) Ces géants, enfants d'Iphimédée. Homère raconte qu'ils grandirent chaque année d'une aulne pendant neuf ans. Diane, qu'ils avaient méprisée, s'étant transformée en cerf, dirigea contre eux les traits qu'ils lui lançaient ; elle les tua ainsi dans l'île de Naxos. | |
(17) Moins Tityus. Le même que Tithius, géant tué par Latone, pour avoir osé attenter à l'honneur de cette déesse. Après sa mort, son corps, étendit, couvrait neuf arpents de terre. Il subit, dit-on, dans les enfers, le supplice de Prométhée. | |
(18) Noble rejeton de Neptune Pétréen, ainsi nommé, disent quelques auteurs, parce qu'il perça des rochers dans la Thessalie pour y faire passer les eaux du fleuve Pénée qui ravageaient la campagne. Du reste, Pélias descendait de Neptune, comme on le verra plus loin. | |
(19) Allaita Créthée. Créthée et Salmonée avaient pour mère commune Enarée. Le poète fait dire à Jason, «une même vache, nous, etc». L'ancien traducteur champenois, Marin, accompagne son texte d'une note que je transcrirai. «Je crois qu'il y a quelque mystère en ce mot (vache). Il est possible que Pindare parle à la façon des enfants Troglodytes, qui, comme témoigne Agothracides, chez Photius, n'appelaient point leurs pères et mères autrement que Boeufs et Vaches. C'est chose assez commune de savoir l'état que les anciens faisaient de ces animaux, comme de n'être point permis en plusieurs endroits de les sacrifier, etc». Au reste, la descendance des deux héros, au 5e degré de parenté, s'établit ainsi : Salmonée a eu pour fille Tyro, qui fut la mère de Pélias. D'autre part, Créthée, frère de Salmonée, a eu pour fils Eson qui fut le père de Jason. | |
(20) D'un sombre azur. Cette couleur est le ceruleum des Latins. Il est naturel que le poète, en donnant des ailes aux vents qui accompagnèrent les Argonautes, ait en même temps donné à ces ailes la couleur des eaux de la mer, ceruleum mare. | |
(21) Sur la foi de sorts jetés. Le scoliaste remarque qu'on consultait le sort par le jet des dés. | |
(22) La mer inhospitalière, anciennement nommée ainsi, principalement à cause de la férocité des peuples qui habitaient cette côte, et peut-être aussi à cause des dangers qu'offrait cette mer dans un temps où l'on avait peu d'expérience de la navigation. On la nomma depuis le Pont-Euxin, c'est-à-dire la mer favorable aux étrangers. Les uns veulent que ce fut par antonomase et par conséquent dans la même signification qu'autrefois ; les autres prétendent qu'elle changea de nom, parce que les peuples de ces côtes avaient pris un autre caractère. (Voyez Strabon, Géogr., et Pline, VI, 4). | |
(23) Deux roches vives ou animées. On s'accorde à reconnaître ici les îles Cyanées, décrites à peu près dans les mêmes termes par Homère (Odyssée).Voyez aussi Pline (IV, 13). | |
(24) La pétulante bergeronne ou bergeronette. Le nom français de cet oiseau figure mal dans une ode ; il correspond à l'iynx des Grecs, au moticilla des Latins, à notre bergerette ou bergeronette, qui tire son nom de ce qu'on la trouve souvent à la suite des bergers on des troupeaux. On l'appelle aussi en notre langue torcol et hochequeue, à cause des mouvemens vifs et fréquents qu'on lui voit faire. Les Grecs, si spirituels, en ont fait un oiseau lubrique, et propre à faire naître la passion de l'amour, lorsqu'on sait l'employer dans l'art des enchantements. Les règles de la traduction veulent donc ici qu'on désigne l'oiseau par son véritable nom. Certes, si Pindare et les autres poètes l'eussent désigné par une périphrase, au lieu de l'appeler par son nom, nous aurions été fort embarrassés pour deviner à quel oiseau conviendrait la périphrase. Quelques traducteurs français laissent le mot sans le traduire, ou plutôt ils le francisent en iyunque, ce qui me paraît un peu barbare et surtout inutile, puisqu'il faut alors une note pour dire que l'iyunque est une bergerette. Ceci ressemblerait assez au peintre qui, après avoir mal dessiné les parties d'un corps, mettrait au bas de son portrait, ceci est un nez, ceci est un pied, etc. | |
(25) Profondeur de quatre coudées. On lit en grec la profondeur d'une orgye. L'orgye des Grecs répondait à quatre coudées (ou à notre toise de 6 pieds). Le mot toise, comme trop commun, et celui d'orgye comme inintelligible, et d'ailleurs équivoque en notre langue, n'ont pu entrer dans la traduction de ce passage. Le héros, traçant des sillons droits , déchirait la terre au point d'en soulever et renverser sur le côté, des glèbes , de la profondeur d'une orgye, c'est-à-dire d'une mesure de trois à quatre coudées ; autrement, d'autant que peuvent s'étendre les deux bras d'un homme d'une taille ordinaire, ainsi que le disent Hésychius et les vocabulistes grecs. J'ignore comment le traducteur Gin a pu prendre dans ses notes l'orgye pour un arpent. | |
(26) Quitte son manteau de pourpre. Le texte n'étant point équivoque et devant d'ailleurs s'accorder avec ce que l'on a vu plus haut, que Jason était couvert d'une peau de léopard, il en faut conclure, ou qu'il avait pris les ornements de la dignité royale, ou que dès le moment de son départ, se regardant déjà comme roi de Colchos parce qu'il était sûr de remplir les conditions exigées par Pélias, ou qu'il s'en revêtit pour paraître à la cour du roi de la Colchide. | |
(27) Cinquante rangs de rames. Pindare n'ignorait pas qu'on n'avait jamais construit de navire d'une telle dimension ; aussi parle-t-il hypothétiquement et par comparaison, pour faire juger de la forme qu'il supposait au monstre. | |
(28) Aux yeux pers. Je rajeunis cette expression, qui n'a point de synonyme en notre langue. Pourquoi l'avoir laissé vieillir ? Je lui associe le mot tavelé qui fait image, et que ne remplacerait pas ici le mot moucheté. | |
(29) La mer Erythrée. Les meilleurs critiques ne voyent ici, sous la dénomination de mer rouge de Pindare, que la mer voisine des côtes d'Espagne, où l'on connaissait alors l'île, d'autres disent le royaume d'Erythie, lieu d'où Hercule emmena les boeufs de Géryon. | |
(30) Ton aïeul. Cet aïeul était Battus. | |
(31) Pean, fils d'Apollon. Dans le même sens, Esculape, fils d'Apollon, est surnommé Paeon par Aristophane (sur Pluton). | |
(32) Homérique. Le vers d'Homère est ainsi conçu : «Il est toujours avantageux qu'un messager porte de bonnes nouvelles». | |
(33) En aucune affaire. Le poète donne ici à entendre que Démophile exerçait quelqu'emploi public qui demandait une certaine habitude dans le maniement des affaires. | |
(34) Les Titans coupables. La mythologie des Grecs nous est mal connue en général ; leurs traditions varient à l'infini ; il est donc plus que probable qu'une de ces traditions que suivait Pindare mentionnait la délivrance des Titans par Jupiter. On sait par exemple que Prométhée, attaché par les ordres de Jupiter sur le Caucase où un aigle dévorait son foie toujours renaissant, fut enfin délié par Hercule, fils de Jupiter, et sans doute du consentement de ce dernier, comme le rapporte Hésiode. Son crime était d'avoir aussi escaladé le ciel, et d'en avoir dérobé le feu. |