Avertissement de l'édition Garnier - Paris (1865)

Nous n'avions pas d'abord l'intention de comprendre, dans cette édition de Salluste, les deux morceaux connus sous le titre Invective de Salluste contre Cicéron, et de Cicéron contre Salluste ; mais, en y réfléchissant, il nous a semblé qu'on ne serait pas fâché de trouver ici ces deux pièces qui, quelquefois publiées dans les oeuvres complètes de Cicéron, ne l'ont jamais été dans celles de Salluste. Ce sont, on le sait, deux déclamations violentes, sorties très probablement de l'école d'un rhéteur. Mais l'antiquité n'en jugeait pas ainsi. Quintilien les croyait originales, et il les cite comme telles. Saint Jérôme, Laurent Valla, plusieurs grammairiens anciens et modernes, sont de son avis. Mais la critique de nos jours ne se range point à l'opinion de Quintilien ; elle prétend que ces citations de Quintilien ne sont pas véritablement de lui ; que, mises par quelques copistes en marge des chapitres de Quintilien, où il est question du genre des déclamations en général, d'autres copistes les auront insérées dans le texte même. Le président de Brosses s'inscrit ouvertement en faux contre elles : suivant lui, elles impliquent contradiction en plusieurs endroits. On y suppose la destruction de la république, de même que la mort de César. Il y est aussi question de la maison de Tibur, que Salluste acheta de la succession de César. D'un autre côté, le prétendu Salluste maltraite beaucoup la femme de Cicéron ; il y parle de sa fille comme d'une personne vivante, et ne la traite pas mieux. Or tout ceci se contrarie visiblement. En 709, Terentia n'était plus la femme de Cicéron, mais bien de Salluste lui-même, qui n'aurait pas parlé de ce ton-là sur la vie passée de sa femme. Tullie mourut en 708, et César ne fut assassiné qu'en 710. Enfin, une dernière preuve de l'ignorance du déclamateur et de la fausseté de ces pièces se tire de ce qu'il y est question de vols faits par Salluste dans son gouvernement, et qu'il semble néanmoins que, dans le temps où l'on parle, il fut encore banni du sénat par ordonnance des censeurs. Dès lors, y est-il dit, nous ne l'avons plus revu ; cependant Salluste rentra au sénat plusieurs années avant d'avoir le gouvernement de Numidie.

 

Evidemment donc ces deux diatribes ne sont pas authentiques ; toutefois, comme témoignage historique, elles ne sont pas sans valeur. En effet, si elles ne sont contemporaines de Salluste et de Cicéron, elles ont certainement été écrites peu de temps après la mort de ces deux personnages ; elles sont un reflet fidèle de l'opinion populaire qui aimait à s'entretenir de ces grandes haines de l'historien et de l'orateur, haines qui n'étaient pas seulement un profond dissentiment particulier, mais l'expression de deux partis : le parti de César et celui de la république. Au point de vue littéraire, elles offrent aussi quelque intérêt, car elles appartiennent à ce moment incertain et brillant encore des lettres latines où l'éloquence et la liberté, bannies du Forum, s'étaient réfugiées dans les écoles des rhéteurs ; où Sénèque le père, par la bouche de ses élèves, maudissait les tyrans, et exaltait le courage de Labiénus, qui, fidèle à Pompée, alors même que le calme de l'empire avait amorti toutes les résistances, et privé de cette liberté qui était dans son caractère et dans son génie, s'ensevelit, en quelque sorte volontairement, au milieu de ces flammes auxquelles, premier exemple de la violence exercée sur la pensée, on avait condamné ses ouvrages.

Nous avons donc cru que l'on verrait ici avec plaisir ces deux déclamations, traduites séparément en 1557 par Pierre Saliat, en 1547 par Victor de la Roche, en 1629 par J. Baudoin. Nous donnons ici la traduction qu'en a faite M. A. Péricaud, bibliothécaire de la ville de Lyon, dans le tome XXXVI des Oeuvres complètes de Cicéron, collection Panckoucke.