I. Vous possédez sans doute tous les moyens de
réussir que peuvent donner l'esprit,
l'expérience et l'étude ; cependant notre
amitié m'impose, je crois, le devoir de vous soumettre
les idées que m'a inspirées une
méditation assidue sur votre candidature. Je me
propose, non de vous rien apprendre de nouveau, mais de vous
présenter rassemblées sous un seul point de
vue, et dans un ordre raisonné, des choses qui, dans
la pratique, semblent sans liaison entre elles et
multipliées à l'infini. Quelle est cette
cité ? Que demandez-vous ? Qu'êtes-vous ? Chaque
jour, en descendant au forum, méditez ces idées
: Je suis un homme nouveau (1) ; je demande le
consulat ; je suis dans Rome. L'éclat de votre
éloquence doit surtout relever la nouveauté de
votre nom. Le talent a toujours obtenu dans Rome une grande
considération ; et l'homme jugé digne de
défendre des accusés consulaires ne peut
être jugé indigne du consulat. Puisque cette
gloire est l'origine de votre élévation, et que
vous êtes par elle tout ce que vous êtes,
présentez-vous constamment préparé
à parler aussi bien que si chaque occasion devait
offrir l'épreuve décisive de votre
mérite. Les ressources que vous vous êtes, je le
sais, ménagées dans cet art, tenez-les toutes
prêtes et assurées au besoin ; et rappelez-vous
souvent ce qu'a écrit Démétrius (2) des études
de Démosthène et de ses exercices assidus.
Faites paraître ensuite le nombre et la qualité
de vos amis. Plus heureux qu'aucun homme nouveau, vous avez
pour vous tous les publicains, l'ordre équestre
presque entier, beaucoup de villes municipales, plusieurs
corporations (3), tant de personnes
de tous les ordres défendues par vous, une foule de
jeunes gens que vous attache l'amour de l'éloquence,
enfin des amis nombreux et assidus chaque jour près de
vous ; votre soin doit être de conserver ces avantages,
et, par les prières, par les recommandations, par tous
les moyens possibles, de persuader à ceux qui veulent
vous servir et à ceux qui le doivent, qu'ils ne
trouveront aucune autre occasion, les uns de vous prouver
leur reconnaissance, les autres d'acquérir des droits
à la vôtre. Rien ne seconde plus efficacement un
homme nouveau que l'assentiment des nobles (4), et surtout des
consulaires. Il importe que les personnages au nombre et au
rang desquels vous voulez parvenir, vous jugent digne de ce
rang et de cette association. Il faut les solliciter vivement
et les faire solliciter en votre faveur. Il faut leur
persuader que, pour nos sentiments politiques, nous avons
toujours été unis au parti des grands (5) et très
éloignés de celui du peuple ; que si jamais
nous avons parlé dans le sens populaire, nous ne
l'avons fait que pour nous concilier Pompée, afin
qu'un homme d'un si grand crédit secondât le
succès de notre candidature, ou du moins ne s'y
opposât pas. Un suffrage ajoutera beaucoup à
votre considération ; c'est celui des jeunes gens
nobles : sachez vous les acquérir et conserver ceux
qui déjà vous sont acquis. A ceux-ci, dont le
nombre est considérable, faites connaître
combien vous comptez sur leur appui ; et si vous amenez
à désirer votre élévation ceux
qui n'y sont point contraires, ils vous deviendront
très utiles.
II. Homme nouveau, il vous est
surtout avantageux d'avoir, pour concurrents, des nobles,
dont personne n'osera dire que leur qualité doit leur
servir plus qu'à vous votre mérite. P. Galba,
L. Cassius, sortent du sang le plus illustre : quelqu'un
sait-il, toutefois, qu'ils prétendent au consulat ?
Vous voyez donc combien vous sont inférieurs des
hommes de la première naissance, mais
dénués de moyens personnels. Antoine et
Catilina vous effrayent-ils davantage ? Bien au contraire !
un homme actif, habile, éloquent,
irréprochable, vu favorablement de tous les juges,
doit souhaiter de pareils compétiteurs : tous deux
assassins dès l'enfance, ruinés tous deux, tous
deux perdus de débauches. Nous avons vu vendre
judiciairement les biens d'Antoine ; nous l'avons entendu
affirmer avec serment qu'il ne pouvait, dans Rome, plaider
à crédit égal contre un Grec ; nous
l'avons vu expulsé du sénat (6). Noté si
avantageusement par les censeurs, il demanda la
préture en même temps que vous (7) : Sabidius et
Panthéra l'assistaient ; il n'avait pu trouver
d'autres amis pour surveiller les scrutins (8). Préteur,
il entretint publiquement chez lui une maîtresse
achetée dans la prison des esclaves. Candidat
consulaire, il a mieux aimé piller toutes les
hôtelleries, en voyageant sous le prétexte
honteux d'une légation libre (9), que d'être
à Rome et de solliciter les suffrages du peuple. De
quel éclat, grands dieux ! brille votre autre rival !
aussi noble que le premier, a-t-il plus de vertu ? Non ; mais
plus d'audace. Antoine craint jusqu'à son ombre :
Catilina ne craint pas même les lois. Né d'un
père ruiné, élevé par une soeur
adultère, c'est dans le carnage des citoyens qu'il a
fait l'essai de ses forces, et son premier pas dans les
affaires publiques a été le massacre des
chevaliers romains. Créé par Sylla seul chef de
ces Gaulois dont nous garderons longtemps le souvenir, et qui
égorgèrent alors les Titinius, les Nannius, les
Tanusius, ce fut au milieu d'eux qu'il assassina, de ses
propres mains, le mari de sa soeur, Q. Cécilius,
chevalier romain, homme irréprochable, étranger
à tous les partis, dévoué en tout temps
au repos par son caractère, et alors surtout par sa
vieillesse.
III. Dirai-je que cet homme
qui vous dispute le consulat est le même qui, aux yeux
du peuple, promena par toute la ville, en le battant de
verges, M. Marius, le citoyen le plus chéri du peuple
; qui le traîna au monument de Catulus (10), et l'y
déchira par les plus affreux supplices ; qui,
saisissant d'une main les cheveux de l'infortuné
encore palpitant, lui trancha la tête de l'autre main,
et porta en triomphe cette tête, qui inondait ses
doigts de ruisseaux de sang ? Le même qui, depuis, a
toujours vécu parmi des histrions et des gladiateurs,
ministres, les uns de ses débauches, les autres de ses
forfaits ; qui n'a jamais abordé les lieux les plus
saints, les plus vénérables, que sa
perversité n'y fît naître quelque
soupçon d'infamie (11), lors même
qu'il ne s'y trouvait pas d'autre coupable que lui ? Le
même qui choisit pour amis, dans le sénat, des
Curius et des Annius (12) ; dans l'ordre
équestre, des Vatius et des Pompilius ; et parmi nos
clients (13),
des Carvilius et des Sapala ? Le même enfin dont
l'audace, la scélératesse, la profondeur dans
l'art de corrompre sont telles, que ses débauches ont
souillé des enfants nobles, presque dans les bras de
leurs pères ?... Parlerai-je de sa préture en
Afrique (14),
des témoins entendus contre lui ? on a publié
leurs dépositions ; relisez-les sans cesse. Mais ce
que je ne dois pas omettre, c'est qu'il est sorti de ce
jugement aussi pauvre que quelques-uns de ses juges
l'étaient avant de l'absoudre, et si odieux, que
chaque jour on s'efforce de le remettre en jugement. Telle
est enfin sa position, qu'il redoute plus de dangers en
demeurant tranquille, qu'il n'en brave en excitant une
sédition. Combien vous êtes plus heureux que ne
l'était naguère C. Célius ! Homme
nouveau, il avait deux compétiteurs, dont la noblesse
insigne faisait le moindre éclat ; hommes d'un
très grand talent, de moeurs irréprochables,
distingués pour leurs services, habiles et attentifs
à tout dans leur candidature. Célius,
cependant, l'a emporté sur l'un d'eux à qui il
était bien inférieur par la naissance, et qu'il
ne surpassait presque par aucun autre avantage. Si donc vous
ne négligez aucun des moyens que vous donnent et la
nature, et les études auxquelles vous avez
consacré votre vie ; si vous faites ce que prescrit,
ce que veut la conjoncture, ce que vous pouvez, ce que vous
devez, vous lutterez avec avantage contre des
compétiteurs moins illustres par leur brillante
naissance, que fameux par leurs vices. Se trouvera-t-il en
effet un citoyen assez pervers pour vouloir, par un seul
vote, tourner à la fois deux poignards contre la
république ?
IV. Après avoir
exposé les avantages que vous possédez et ceux
que vous pouvez acquérir pour rehausser la
nouveauté de votre nom, je passe à l'importance
de votre demande. Vous demandez le consulat : tous vous en
jugent digne, beaucoup vous l'envient. Né dans l'ordre
équestre, le poste auquel vous aspirez est le plus
éminent de la république, et tel encore qu'il
élève plus que toute autre personne l'homme
à la fois irréprochable, éloquent et
courageux. Ne pensez point que la considération que
vous promet le consulat échappe à ceux qui ont
déjà obtenu cette dignité. Quant aux
rejetons de familles consulaires qui n'ont pas encore
égalé les honneurs de leurs ancêtres,
tous, je crois, hors ceux qui vous portent une affection
extrême, sont jaloux de votre élévation.
Parmi les hommes nouveaux parvenus à la
préture, ceux que ne vous attache point la
reconnaissance répugnent également à se
voir surpassés par vous en dignité. Dans le
peuple même, vous n'ignorez pas combien vous avez
d'envieux ; combien de gens, par une habitude
contractée dans ces derniers temps, sont peu
portés en faveur des hommes nouveaux (15). Il est
impossible encore que les causes que vous avez
défendues ne vous aient pas fait quelques ennemis.
Jugez enfin vous-même si, par votre zèle
extrême pour l'élévation de
Pompée, vous ne devez pas craindre de vous être
aliéné certaines personnes. Aspirant à
la première charge de l'état, et instruit que
bien des affections individuelles peuvent vous être
contraires, il vous est indispensable d'unir la politique et
la prévoyance à la persévérance
et à l'activité.
V. Deux moyens de
succès partagent les soins d'un candidat : le
zèle de ses amis et la bienveillance du peuple. L'un
est le prix des bienfaits, des services, de
l'ancienneté des liaisons, de l'obligeance et de
l'amabilité naturelle. Mais, dans la candidature, ce
nom d'amis souffre une acception plus étendue que dans
le reste de la vie : quiconque vous témoigne de la
bonne volonté, de la considération, quiconque
se montre fréquemment dans votre maison, doit
être compté au nombre de vos amis. Mais rien ne
sert davantage que d'être agréable et cher aux
personnes que nous attache une cause plus respectable, telle
que la parenté ou l'alliance, quelque liaison
politique (16) ou quelque
obligation. Plus ensuite un homme vous voit intimement et
vous approche dans votre intérieur, plus vous devez
tâcher qu'il vous aime et qu'il désire votre
succès. Inspirez le même sentiment aux citoyens
de votre tribu, à vos voisins, à vos clients,
à vos affranchis, à vos esclaves enfin ; car
notre réputation au forum émane presque
entière de propos domestiques. Acquérez, en un
mot, des amis de toutes les classes ; pour l'éclat,
des personnages qu'illustrent leurs noms et leurs
dignités, et qui honorent leur candidat, lors
même qu'ils ne travaillent point à lui obtenir
des suffrages ; pour être à l'abri de
l'injustice, des magistrats, tels surtout que les consuls
(17) et les
tribuns du peuple ; pour réussir auprès des
centuries, des hommes qui y jouissent d'un grand
crédit. Attachez-vous et confirmez dans leur bonne
volonté ceux qui peuvent payer des suffrages de leur
centurie un bienfait qu'ils ont reçu ou qu'ils
attendent de vous : car, de nos jours, des hommes
accrédités sont parvenus, à force de
soins et d'adresse, à pouvoir se promettre des
citoyens de leurs tribus tout ce qu'ils leur demandent.
Obtenez donc, par quelque moyen que ce soit, que de tels
hommes vous servent de coeur et avec cette volonté
efficacement prononcée. Si les hommes étaient
aussi reconnaissants qu'ils doivent l'être, ces
ressources vous seraient assurées. J'ose
espérer même qu'elles ne vous manqueront pas,
puisque, depuis deux ans, vous vous êtes acquis tous
les gens attachés aux quatre citoyens les plus
puissants dans nos comices, à M. Fundanius, à
Q. Gallius, à C. Orcininus (18), à C.
Cornélius. J'étais présent, lorsque
leurs amis vinrent vous confier leur défense : je sais
à quoi ils s'engagèrent, et ce qu'ils vous
garantirent. Vous devez aujourd'hui exiger d'eux qu'ils
remplissent leurs promesses : il faut les interpeller, les
prier, les presser, et leur faire bien sentir qu'ils ne
trouveront aucune autre occasion de se montrer
reconnaissants. Le souvenir de ces services récents,
l'espoir des services que vous pouvez encore leur rendre, les
exciteront sans doute à seconder votre demande. En
effet, celle-ci est étayée principalement par
les affections que vous concilie la défense des
accusés. Efforcez-vous de bien distribuer et de faire
bien remplir son emploi à chacun de ceux que vous avez
obligés ; et si, jusqu'à ce jour, vous n'avez,
comme je le sais, rien exigé d'eux, qu'ils sentent que
vous avez réservé pour le moment actuel tout ce
que vous pouviez attendre de leur reconnaissance.
VI. Trois choses surtout nous
acquièrent la bienveillance des hommes et les portent
à briguer pour nous des suffrages : les bienfaits,
l'espérance, l'affection volontaire ou née de
la conformité de sentiments. Il faut donc examiner
comment on doit mettre en oeuvre chacun de ces moyens. Les
moindres services suffisent pour engager les hommes à
seconder un candidat : à plus forte raison ceux qui
vous doivent leur salut (et ils sont nombreux) sentent que
si, dans une occasion qui vous est personnelle, ils ne
s'acquittent point envers vous, un blâme
général les frappera sans retour. Il faut
néanmoins les solliciter encore, et les induire
à penser que vous pouvez, à votre tour, avoir
des obligations à ceux qui vous en avaient eu
jusqu'à présent. Ceux que vous attache
l'espérance sont, de tous, les plus
zélés et les plus actifs. Qu'ils vous voient
toujours prêt et déterminé à les
servir, toujours attentif aux soins qu'ils se donnent,
toujours observateur exact et juste appréciateur des
services que chacun vous rend. Quant à ceux qui, par
choix, s'affectionnent à vous, employez, pour les
confirmer dans cette disposition, et les remercîments,
et les discours les plus appropriés aux motifs qui
semblent déterminer chacun d'eux en votre faveur, et
l'assurance d'une bienveillance réciproque, et enfin
l'espoir de conduire cette première liaison
jusqu'à l'attachement et l'amitié intime. Dans
ces diverses classes d'hommes, discernez soigneusement ce que
chacun peut faire, afin de savoir comment vous devez capter
sa bienveillance, et ce que vous pouvez en espérer et
en exiger. Il est des personnes très
accréditées dans leurs cités (19) et leurs
municipalités ; il en est d'autres pleines
d'activité et de moyens, qui, sans avoir auparavant
recherché ce crédit, peuvent néanmoins
sur-le-champ s'employer efficacement pour le candidat, objet
de leur gratitude ou de leur bienveillance : il faut les
cultiver toutes, de manière qu'elles voient bien que
vous savez ce que vous devez attendre de chacune d'elles, que
vous sentez ce que vous en recevez, que vous vous rappelez ce
que vous en avez reçu. Il est, au contraire, des
êtres sans crédit, ou même odieux dans
leurs tribus, dépourvus de l'énergie ou du
talent nécessaire pour se rendre utiles dans
l'occasion. Distinguez-les soigneusement, de peur de fonder
sur eux une espérance trop grande, à laquelle
leurs faibles secours ne répondraient pas.
VII. Quoiqu'il soit nécessaire de se présenter
assuré et soutenu d'affections déjà
formées et consolidées, on peut
néanmoins, dans la candidature même,
acquérir des amis nombreux et utiles. Au milieu de
tant de désagréments, cette position vous offre
du moins l'avantage de pouvoir, sans honte, vous unir
d'amitié avec qui vous voulez ; ce que vous ne sauriez
faire le reste de la vie. Vous paraissez absurde, en toute
autre occasion, si vous prodiguez l'offre de votre
amitié. Si aujourd'hui vous ne la prodiguez pas, et
très vivement, et à beaucoup de monde, personne
ne vous croira au nombre des candidats. Or, j'ose l'affirmer,
il n'est aucun homme, s'il ne tient par quelque affection
à l'un de vos compétiteurs, dont vous
n'obteniez facilement, dès que vous vous y efforcerez,
qu'il mérite, pour ses services, votre amitié
et votre reconnaissance, il suffira qu'il pense que vous
attachez un grand prix à ses bons offices, que vous
les ressentez sincèrement, qu'il les place bien, et
que, de cette occasion, doit naître une amitié
solide et durable, et non point passagère et
bornée au temps des comices. Non, il n'y aura
personne, pour peu qu'il ait de sentiments honnêtes,
qui laisse échapper cette occasion offerte
d'acquérir votre amitié, surtout lorsqu'un sort
favorable ne vous donne pour concurrents que des gens dont
l'amitié est à mépriser ou à
fuir, et qui, loin d'atteindre le but que je vous propose, ne
peuvent même y prétendre. Comment Antoine
essayerait-il de rechercher ses concitoyens, et de se les
attacher, lorsqu'il ne peut, de lui-même, les appeler
par leurs noms ? Quoi de moins sensé que
d'espérer qu'un homme que vous ne connaissez pas
s'empressera à vous servir ? Pour faire porter aux
honneurs un citoyen par des gens qu'il ne connaît pas
et dont on n'a point capté les suffrages en sa faveur,
le comble de la considération et de la gloire, et les
plus grandes actions, suffisent à peine ; comment donc
un homme méchant, inactif, noté d'infamie,
pourrait-il, sans talent, sans crédit et sans amis,
l'emporter sur vous, qu'étayent le zèle d'un
grand nombre d'hommes et l'estime de tous, si vous ne vous
rendiez coupable d'une impardonnable négligence
?
VIII. Sachez donc vous assurer
de toutes les centuries par des affections nombreuses et
variées. Recherchez d'abord ceux qui sont le plus
près de vous, les sénateurs, les chevaliers, et
les hommes actifs et accrédités dans les autres
ordres de l'état. On trouve dans les tribus urbaines
(20) beaucoup
d'hommes habiles, beaucoup d'affranchis adroits et influents
au forum. Ceux d'entre eux que vous pourrez gagner, soit par
vous-même, soit par des amis communs, travaillez de
toutes vos forces à vous les concilier ;
sollicitez-les, faites-les solliciter ; témoignez-leur
qu'ils vous rendent le service le plus important.
Occupez-vous ensuite de la ville entière, de toutes
les corporations, des villages, des hameaux voisins. Si vous
y intéressez en votre faveur les personnages
principaux, vous pourrez, grâce à leur
influence, compter sur le reste des citoyens. Ayez ensuite
toujours présentes à la pensée et
à la mémoire l'Italie entière et ses
divisions, afin de ne pas laisser une municipalité,
une colonie, une préfecture (21), un seul endroit
où vous ne vous assuriez un appui suffisant. Cherchez
même et découvrez des hommes de chacun de ces
pays ; faites connaissance avec eux, captez et affermissez
leur bienveillance, afin que parmi leurs compatriotes ils
sollicitent des suffrages, et se fassent, pour ainsi dire,
candidats en votre faveur. Ils vous désireront pour
ami, dès qu'ils croiront que vous désirez leur
amitié. Pour qu'ils n'en doutent pas, employez les
discours les plus propres à le leur persuader. Les
habitants des municipalités et de la campagne pensent
être nos amis dès qu'ils nous sont connus de nom
; et s'ils croient encore pouvoir s'assurer en nous un appui,
ils ne manquent point l'occasion de le mériter. Les
candidats en général, et vos
compétiteurs surtout, ne connaissent point ces
hommes-là ; vous les connaissez déjà, et
vous aurez peu de peine à les connaître
parfaitement ; ce qui est essentiel pour vous les attacher.
Mais quoique important, cela ne suffit pas, si vous ne leur
donnez l'espoir d'être affectionnés et servis
par vous ; si vous ne paraissez non seulement bon
nomenclateur (22), mais encore ami
reconnaissant. Inspirant ainsi le désir de vous servir
aux hommes qui ont du pouvoir sur quelque portion de leurs
concitoyens par des relations de municipalité, de
cité ou de corporation et en même temps
assuré, au sein des centuries, de ceux à qui
l'expérience de la brigue donne un grand poids dans
leurs tribus, vous pouvez concevoir des espérances
bien fondées. Il vous sera, je crois, plus aisé
encore de réussir auprès des centuries de
l'ordre équestre. Il faut connaître tous les
chevaliers (ils sont en petit nombre), vous les attacher :
l'âge même des jeunes gens rend leur
amitié plus facile à acquérir, et
d'ailleurs vous rassemblerez sans peine autour de vous les
sujets les plus distingués d'entre eux, et les plus
amis de l'éloquence : enfin, vous êtes
vous-même chevalier, et tous voteront dans le sens de
leur ordre si vous avez soin de vous en assurer les centuries
par l'affection de chaque individu, non moins que par le voeu
de l'ordre entier. Et rien n'est plus utile à la fois
et plus honorable que le zèle de ces jeunes gens qui
escortent un candidat, et, parcourant les centuries, lui
rapportent ce qui l'intéresse, et briguent pour lui
les suffrages.
IX. Puisque j'ai parlé du cortège d'un
candidat, j'observe qu'il est indispensable de réunir
chaque jour près de vous une multitude d'hommes de
toutes les classes, de tous les âges, et de tous les
ordres. Leur affluence est le présage de ce que vous
trouverez de crédit et de partisans dans les comices.
Trois sortes de personnes la composent : les clients qui
viennent vous saluer chez vous, ceux qui vous conduisent au
forum, et ceux qui vous suivent partout. Aux premiers, qui
prodiguent leur hommage à plus de monde, et qui,
grâce à l'usage établi, sont les plus
nombreux, montrez que vous attachez un grand prix à
cette légère marque de considération ;
prouvez à tous ceux qui viennent chez vous, que vous
les remarquez ; témoignez-le à leurs amis, qui
doivent le leur redire ; dites-le fréquemment à
eux-mêmes. Souvent ainsi les hommes qui vont saluer
plusieurs compétiteurs, s'ils en distinguent un plus
attentif à leurs soins, se livrent à
celui-là et abandonnent les autres ; et
insensiblement, à leur hommage banal et peu
sincère, succède, pour servir votre demande, un
zèle exclusif et inébranlable. Si vous
découvrez, ou si l'on vous fait apercevoir dans les
promesses d'un client l'intention de vous tromper, ayez grand
soin de dissimuler que vous le sachiez ou qu'on vous l'ait
dit. Si quelqu'un veut se justifier, comme craignant de vous
être suspect, affirmez que vous n'avez jamais eu, que
vous ne devez point avoir de doute sur son affection ; car
jamais celui qui se croit soupçonné par vous ne
vous sera sincèrement attaché. N'en cherchez
pas moins à pénétrer les intentions
réelles de chaque individu, afin d'y proportionner
votre confiance. Plus utiles que ceux qui se contentent de
vous saluer chez vous, ceux qui vous conduisent au forum
doivent recevoir le témoignage et la preuve que leurs
services vous sont aussi plus agréables. Autant que
vous le pourrez, descendez avec eux au forum à des
heures réglées : l'affluence qui, tous les
jours, y accompagne un candidat ajoute beaucoup à sa
réputation. La troisième classe est celle des
hommes qui vous escortent assidûment. A ceux qui le
font volontairement, témoignez qu'un si éminent
service vous inspire une éternelle reconnaissance.
Exigez de ceux qui vous doivent cet office qu'ils ne vous
quittent jamais, autant que le permettront leur âge et
leurs affaires. Quand ils ne pourront vous accompagner,
qu'ils chargent de ce soin les personnes qui leur sont
attachées. Je désire vivement, et je crois
très important pour votre succès, que vous
paraissiez toujours au milieu d'une foule nombreuse. Ce qui
vous acquerra une gloire et une considération
immenses, c'est que l'on voie autour de vous ceux dont vous
avez défendu les causes, et qui vous doivent leur
salut et leur absolution dans les tribunaux. Puisqu'ils ne
peuvent trouver aucune autre occasion de vous prouver leur
gratitude, demandez-leur franchement ce service, pour
récompense unique d'avoir conservé
gratuitement, aux uns l'honneur, aux autres la fortune et la
vie.
X. Cette partie de la
candidature dépend tout entière du zèle
de nos amis : je ne dois donc point passer sous silence les
précautions qu'elle exige. Partout sont à
craindre la ruse, les embûches, la perfidie. Ici sans
doute serait déplacée l'interminable discussion
des caractères auxquels on peut distinguer l'ami vrai
du faux ami : il suffit, sur ce point, d'éveiller
votre attention. L'excellence de vos vertus a forcé
les mêmes hommes à vous porter envie et à
feindre de vous aimer. Retenez donc ce précepte
d'Epicharme :
Ne point croire légèrement,
Voilà le nerf de la sagesse (23).
Après vous être assuré les services de
vos amis, il faut connaître les motifs et les diverses
classes de vos ennemis et de vos adversaires. Vous en avez de
trois sortes : ceux que vous avez offensés ; ceux qui
vous haïssent sans cause ; ceux qui sont fortement
attachés à vos compétiteurs.
Auprès de ceux que vous avez offensés en
plaidant contre eux pour un ami, excusez-vous de bonne foi
sur la nécessité où vous étiez
d'agir ainsi ; donnez-leur l'espoir, promettez-leur que,
s'ils veulent devenir vos amis, vous soutiendrez leurs
intérêts avec autant de zèle et
d'activité. Pour guérir de leur
prévention défavorable ceux qui vous
haïssent sans cause, adoucissez-les par de bons offices,
par des espérances, par l'assurance que vous
chercherez à leur être utile. Les mêmes
moyens vous serviront à l'égard de ceux que
vous rend contraires leur amitié pour vos
compétiteurs : montrez même pour ceux-ci de la
bienveillance, si vous pouvez le faire avec quelque
vraisemblance.
XI. Après avoir suffisamment parlé des moyens
de vous assurer des amis, je dois traiter de l'autre partie
de la candidature, qui a pour objet la faveur populaire. Elle
se compose de la nomenclation, de la complaisance, de
l'assiduité, de l'affabilité, de la
renommée et de l'espoir public. Faites d'abord
éclater le soin de bien connaître vos
concitoyens, perfectionnez cette connaissance pour en faire
chaque jour avec eux plus d'usage ; rien, suivant moi, ne
leur sera plus agréable et ne vous rendra plus
populaire. Gagnez ensuite sur vous de paraître agir
naturellement dans ce qui est le plus éloigné
de votre naturel. Quelque puissant que soit notre
caractère, il semble néanmoins, pendant
quelques mois que dure la candidature, pouvoir se ployer
à des ménagements politiques. Ainsi, vous ne
manquez pas de l'aménité qui convient à
un homme bon et aimable ; mais vous avez ici besoin d'une
sorte de complaisance qui, vicieuse et déshonorante
dans le reste de la vie, est indispensable dans la
candidature. Elle est coupable quand, par la flatterie, elle
corrompt l'homme à qui elle s'adresse ; on doit moins
la blâmer quand elle se borne à conquérir
sa bienveillance : un candidat ne peut s'en passer, lui dont
les traits, la physionomie, les discours, doivent se ployer
aux idées et aux affections de tous ceux qu'il aborde.
Il n'y a rien à prescrire concernant
l'assiduité : le mot seul explique quel est ce devoir.
Il est essentiel sans doute de ne pas s'absenter ; cependant
l'assiduité ne consiste pas uniquement à
être à Rome et dans la place publique, mais
à solliciter sans cesse, à rechercher souvent
les mêmes personnes, à empêcher qu'aucune
ne puisse dire : Que m'importe ce qu'obtiendra ce candidat
qui ne m'a rien demandé, qui ne demande point avec
instance, avec énergie ? L'affabilité se
répand dans un cercle immense : elle s'exerce d'abord
dans notre intérieur ; et, vantée par nos amis,
elle nous rend agréable à la multitude,
quoiqu'elle ne puisse s'étendre jusqu'à elle.
Votre affabilité paraîtra aussi par les festins
que vous donnerez et que donneront vos amis dans divers
quartiers et dans chaque tribu. Elle se manifestera enfin par
vos bons offices que vous devez prodiguer, et, pour ainsi
dire, rendre vulgaires. Que jour et nuit l'accès
près de vous paraisse facile, moins encore par
l'ouverture des portes de votre maison que par la
sérénité de votre front et de vos yeux,
qui sont les vraies portes de l'âme. Si votre
physionomie exprime peu de bienveillance et de
prévenance, il n'importe guère que vos portes
demeurent ouvertes. Les hommes, surtout quand ils s'adressent
à un candidat, veulent non seulement que l'on s'engage
à les satisfaire, mais que l'on s'y engage en leur
témoignant autant de zèle que de
considération. Il ne vous sera pas malaisé sans
doute, pour tout ce que vous devez faire, de témoigner
que vous le ferez avec zèle et avec plaisir ; il vous
le sera davantage (et ce conseil convient moins à
votre caractère qu'à la circonstance) de
refuser avec grâce ce que vous ne pouvez accorder :
l'un est d'un homme bon, l'autre d'un candidat habile.
XII. Vous demande-t-on une
chose que vous ne promettriez pas sans blesser l'honneur ou
nuire à vos intérêts, par exemple, de
plaider contre un ami ? Sachez refuser avec
aménité, en vous excusant sur les devoirs de
l'amitié ; témoignez que ce refus vous
coûte ; assurez que, dans toute autre occasion, vous
vous en dédommagerez. Un homme qui avait
présenté sa cause à divers orateurs
disait devant moi qu'il avait été plus
agréablement refusé par l'un qu'accepté
par l'autre. Ainsi l'on est plus sensible aux paroles et aux
manières, qu'au service même et à la
réalité. Il est possible encore de vous
persuader sur ce point, mais il reste un précepte plus
difficile à faire adopter à un platonicien tel
que vous ; je dois pourtant ce conseil à votre
position : l'homme que vous refusez de servir, parce que vos
liaisons avec ses adversaires s'y opposent, peut vous quitter
sans ressentiment et sans humeur ; si, au contraire, vous lui
dites seulement, pour excuser votre refus, que vous
êtes occupé tout entier des affaires de vos amis
ou de causes plus importantes antérieurement
entreprises, il se retire à coup sûr votre
ennemi. Tels sont les hommes ; tous aiment mieux un mensonge
qu'un refus. C. Cotta, cet homme consommé dans l'art
de la brigue (24), disait qu'il
promettait à tout lemonde tant qu'on ne lui demandait
rien de contraire à son devoir, et qu'il s'acquittait
envers ceux dont la reconnaissance lui semblait la plus
avantageuse. «Si je ne refuse personne, ajoutait-il,
c'est qu'il arrive souvent que celui qui a reçu ma
promesse n'en réclame point l'exécution ; c'est
souvent aussi que je me trouve moi-même plus de loisir
que je ne l'avais espéré. On n'emplit point sa
maison de clients, quand on n'accepte de causes qu'autant que
l'on en croit pouvoir terminer ; le hasard faisant arriver
celle sur laquelle on comptait le moins, et empêchant
de suivre celle qui semblait la plus instante. Le plus grand
risque enfin est d'offenser celui qu'a trompé votre
promesse ; mais cet inconvénient est incertain, est
éloigné, et ne s'étend qu'à peu
de gens, tandis que vous promettez à tous. Par des
refus, au contraire, vous indisposez certainement, et
dès à présent, un plus grand nombre de
personnes ; car les gens qui veulent pouvoir compter sur
votre assistance sont plus nombreux que ceux qui en usent. Il
vaut donc mieux offenser un jour, peut-être, quelques
clients dans le forum, que tous, et sur-le-champ, dans votre
maison. Les hommes sont plus irrités contre celui qui
les refuse que contre celui qu'ils voient
empêché, par une cause légitime, de tenir
sa promesse, mais plein du désir d'y satisfaire
aussitôt qu'il le pourra».
Pour ne point m'écarter de mon plan, je dois, en
traitant de la part qu'a la popularité dans la
candidature, observer que les soins que je viens de vous
prescrire influent moins encore sur le zèle de nos
partisans que sur notre réputation parmi la multitude.
Sans doute on enflamme ce zèle en répondant
avec affabilité, en se livrant avec chaleur aux
affaires et à la défense de ses amis : mais je
discute ici ces moyens comme propres à vous concilier
le peuple, à faire que votre maison se remplisse avant
le jour, que beaucoup d'hommes s'attachent à vous par
l'espoir de votre assistance, qu'ils vous quittent mieux
disposés encore qu'ils n'étaient venus ;
qu'enfin le plus grand nombre possible de citoyens entendent
parler de vous de la manière la plus
avantageuse.
XIII. Maintenant je dois
parler de la renommée, à laquelle il faut
attacher une grande importance. Mais, pour se la concilier,
tous les moyens dont j'ai parlé sont les plus
efficaces : la gloire de l'éloquence, l'affection des
publicains et de l'ordre équestre, la bienveillance
des nobles, un nombreux cortège de jeunes gens, les
assiduités des citoyens que vous avez défendus,
une foule d'habitants des municipalités accourus
évidemment dans le dessein de vous servir. Obtenez que
l'on dise et que l'on pense généralement de
vous que vous connaissez tous les citoyens, que vous les
interpellez d'une manière flatteuse ; que vous
sollicitez continuellement et avec habileté ; que vous
êtes affable et libéral. Faites que, longtemps
avant le jour, votre maison soit remplie de clients, et qu'on
y remarque en grand nombre des personnes de tous les rangs ;
satisfaites beaucoup de gens par des services réels,
et tous par vos discours ; parvenez enfin, comme cela est
possible en unissant les soins et l'adresse à
l'activité, non pas seulement à ce que votre
réputation, par tous ces moyens, arrive jusqu'au
peuple, mais à ce que le peuple même n'existe,
pour ainsi dire, qu'au milieu des affections qui vous sont
favorables. Il faut réchauffer aussi chez la multitude
urbaine, et parmi ceux qui dominent dans les
assemblées du peuple, cette popularité que vous
avez conquise en travaillant à
l'élévation de Pompée, en vous chargeant
de la cause de Manilius (25), en
défendant Cornélius ; popularité que
personne encore n'a possédée, sans être
assuré en même temps de la faveur et de
l'opinion publiques. Tâchons surtout que tout le monde
sache combien Pompée vous appuie, et combien importe
à ses intérêts le succès de votre
demande. Ayez soin enfin que toute votre candidature soit
pompeuse, brillante, mémorable, populaire, et qu'elle
unisse l'éclat à la dignité ; que
même, s'il est possible, vos compétiteurs ne
trouvent aucune occasion de faire tomber sur vous quelqu'un
des soupçons de crimes, de débauches ou de
coupables largesses, auxquels leurs moeurs les exposent. Mais
ce qui est le plus désirable, c'est que l'estime
générale fasse reposer sur vous
l'espérance de la république. Non que vous
deviez, dans la candidature, entreprendre de régir
l'état au sénat et aux comices. Faites
seulement que, d'après votre conduite
antérieure, le sénat espère trouver en
vous un défenseur de son autorité ; les
chevaliers et les gens riches et pacifiques, d'après
toutes vos actions, un ami de l'ordre et de la
tranquillité publique ; la multitude (mais uniquement
d'après la popularité de vos discours aux
assemblées et dans les tribunaux), un magistrat qui ne
sera point contraire à ses
intérêts.
XIV. Voilà ce que
j'avais à vous dire sur ces deux idées que,
tous les matins, en descendant au forum, vous devez, je
crois, méditer : Je suis un homme nouveau, je demande
le consulat.
Reste la troisième idée : je suis dans Rome.
Rome ! cette cité formée du concours des
nations, où l'on rencontre tant d'embûches, tant
de tromperies, tant de vices de tous genres ; où il
faut supporter l'arrogance, l'obstination, la malveillance,
l'orgueil, la haine et l'injustice de tant de personnes.
Combien, au milieu de la corruption si grande et si
variée d'un si grand nombre d'hommes, combien ne
faut-il pas de prudence et d'art pour échapper aux
pièges, aux bruits publics, au danger d'offenser ;
pour que le même homme se ploie à une
diversité si étrange de moeurs, de discours et
d'inclinations ! Ainsi donc, et plus que jamais, suivez la
route que vous avez choisie, excellez dans
l'éloquence. A Rome, c'est l'éloquence qui
attire et attache les hommes, et les détourne de vous
repousser et de vous nuire. Mais comme le vice le plus grand
peut-être de notre cité est que souvent les
largesses y triomphent de l'honneur et du mérite,
sentez sur ce point quelles sont vos forces ; songez que vous
êtes l'homme le plus propre à inspirer à
vos compétiteurs la crainte d'une accusation et d'un
jugement. Qu'ils sachent que vous les surveillez, que vous
les épiez ; qu'ils redoutent à la fois votre
activité, le poids et l'éloquence de vos
discours, et surtout le zèle de l'ordre
équestre (26) pour vos
intérêts. Ce n'est pas que je vous invite
à paraître à leurs yeux comme
méditant déjà leur accusation, mais bien
à la leur faire craindre assez pour prévenir de
leur part des largesses criminelles. C'est ainsi qu'il faut
user de toutes vos facultés, de toutes vos forces,
pour obtenir l'objet de votre demande. Je n'ai jamais vu, en
effet, de comices si achetés, où pourtant
quelques centuries ne votassent gratuitement en faveur des
candidats qu'elles affectionnaient le plus. Si donc nous
apportons à cette affaire un soin proportionné
à son importance ; si nous enflammons au plus haut
degré le zèle de ceux qui nous sont
attachés ; si, à chacun des hommes
accrédités et bien disposés en notre
faveur, nous savons assigner son emploi ; si nous
menaçons de la loi nos compétiteurs ; si nous
effrayons les dépositaires de leur argent (27) ; et si, par
quelque moyen, nous contenons dans le devoir les
distributeurs des bulletins ; nous pouvons obtenir qu'il n'y
ait point de largesses, ou qu'elles soient sans effet.
Voilà ce que je n'ai pas cru savoir mieux que vous,
mais pouvoir rassembler et écrire pour votre usage,
plus facilement que vous ne le feriez au milieu des soins qui
vous occupent. Quoique j'aie rédigé mes
idées de manière à servir les autres
candidats bien moins que vous seul et dans votre demande
actuelle, dites-moi pourtant si vous y trouvez quelque chose
à ajouter, à corriger, ou à retrancher ;
car je veux que cet Essai sur la candidature (28) acquière
toute la perfection dont il est susceptible.
Même fichier en format Word : Quintus.doc.
Texte latin sur le site The latin library :
http://www.thelatinlibrary.com/cicero/compet.shtml.
(1) Novus
sum. Un homme nouveau était celui qui, le
premier de sa famille, parvenait à une
magistrature curule. Des candidats qui, cette
année, briguaient le consulat, Cicéron seul
était un homme nouveau. |
|
(2) Demetrius.
Démétrios de Phalère. |
|
(3) Collegia.
Ce nom était commun aux collèges
d'aruspices et de prêtres et aux corporations
d'artisans. J'ai préféré ce dernier
sens, à cause de la place subordonnée que,
dans son énumération, Quintus donne aux
compagnies dont il parle, et aussi parce qu'il en indique
un certain nombre, aliquot. Ernesti (Clavis
Ciceron., verbo Collegium), dit positivement
que ce nom ne s'appliqua, dans l'origine, qu'aux
corporations plébéiennes. |
|
(4) Nobiles.
Lorsque les plébéiens purent parvenir
à toutes les dignités de l'état, le
titre de noble, très différent de
celui de patricien, désigna les familles dont le
chef, élevé à une magistrature
curule, avait acquis et transmis à ses descendants
le droit d'images, c'est-à-dire le droit de placer
dans leurs vestibules et de faire porter dans les pompes
funèbres les images de leurs ancêtres. |
|
(5) Nos
semper cum optimatibus sensisse. Dans ce passage,
Quintes s'associe aux opinions et à la conduite
politique de son frère : chez un peuple dont les
moeurs donnaient tant d'importance à l'espritde
famille, une union moins intime entre les deux
frères aurait pu porter préjudice à
la candidature de Cicéron. |
|
(6) Ex
senatu ejectum scimus. Accusé et
condamné pour les violences et les brigandages
qu'il avait commis en Achaïe, Antoine invoqua le
secours des tribuns du peuple, en faisant serment, aux
termes de la loi, qu'accablé par le crédit
de ses adversaires, il ne pouvait obtenir justice. Un tel
serment, prêté à Rome, par un noble,
dans un procès contre des étrangers,
était le comble de l'ignominie. |
|
(7) In
praetura competitorem. Ernesti (Clavis
Ciceron., verbo Sabidius) dit qu'Antoine fut
le compétiteur de Quintus. Mais Asconius, dans son
commentaire sur les fragments du discours In Toga
candida, ne permet point de douter qu'Antoine ait
brigué la préture en même temps que
Cicéron, puisque c'est à lui que s'adresse
cette apostrophe : «As-tu donc oublié que
lorsque nous briguions ensemble la préture,
etc.» Voyez Fragments du
discours in Toga candida. |
|
(8) Ad
tabulam quos poneret. Les personnages les plus
considérables se faisaient un devoir de surveiller
le dépouillement des suffrages, lorsqu'ils
favorisaient un des candidats. Antoine, quoique d'une
famille comblée d'illustration, ne put trouver que
des hommes de néant pour lui rendre ce bon
office. |
|
(9) Turpissimain
legationem. Les sénateurs qui voulaient
voyager se faisaient donner une légation libre :
en vertu de ce titre, qui ne leur imposait aucun devoir,
ils étaient défrayés de tout par les
villes où ils passaient. Cicéron
dévoila et fit restreindre l'abus des
légations libres. Ce passage, que Facciolati
traduit dans le même sens que moi, peut signifier
aussi que, pendant le temps de sa candidature, Antoine
exerça, de manière à se
déshonorer, quelques fonctions
déléguées par un magistrat
supérieur, et qu'il pillait les hôtelleries
où il se faisait défrayer. |
|
(10) Bustum.
Monument. Ce monument, placé au delà du
Tibre, était celui de Q. Lutatius Catulus.
(Senec., de Ira, III, 18 ; Valer. Max., IX, 1 ;
Paul. Oros., v , 21.) |
|
(11) Dedecoris
suspicionem relinqueret. La vestale Fabia, soeur de
Térentia, femme de Cicéron, fut
accusée d'inceste avec Catilina, et absoute. |
|
(12) Curios
et Annios. Q. Curius et Q. Annius entrèrent,
peu de temps après, dans la conjuration de
Catilina. Le premier avait été
ignominieusement expulsé du sénat par les
censeurs. |
|
(13) Atriis...
Salles de vente, suivant Facciolati : Carvilius et Sapala
y exerçaient les fonctions de crieurs publics ; ou
bien, selon l'opinion de Palermus, étant perdus de
dettes, ils y avaient vu vendre leurs biens à
l'encan. Ernesti (Clavis Ciceron., verbo
Sapala) dit que Sapala était un crieur
public. Malgré ces autorités, il me semble
qu'atria désigne plus probablement les
salles, les portiques, les vestibules où les
clients plébéiens attendaient le matin le
réveil de leurs patrons. Quintus commence une
énumération où figurent le
sénat et l'ordre équestre : pour la
compléter, pour qu'elle comprenne Rome
entière, il faut ajouter les
plébéiens, les affranchis, tous les
clients, dont la foule, chaque matin, remplissait les
atria des grands personnages de la
république. Après les deux premiers ordres
de l'état, citer uniquement les crieurs publics,
ce serait faire une disparate tout à fait
inadmissible. Remarquons enfin que, dans les bons
auteurs, atriarius, atriensis, désigne un
esclave attaché au service intérieur de la
maison, et surtout le gardien de l'atrium, du
vestibule où un noble recevait ses clients et
conservait les images de ses ancêtres. |
|
(14) Quid...,
nunc tibi de Africa ? Après avoir
dévasté l'Afrique qu'il gouvernait en
qualité de préteur, Catilina n'était
point encore de retour à Rome, que
déjà les plaintes élevées de
toutes parts contre lui parvinrent au sénat, et,
appuyées de témoignages convaincants, y
produisirent une impression assez forte pour que l'on
admît l'accusation intentée contre lui. Il
se présenta cependant pour solliciter le consulat
; mais la faculté de se mettre au rang des
candidats lui fut interdite dans une assemblée
présidée par le consul L. Volcatius. Ayant
réussi à acheter ses juges et même
son accusateur, Clodius, si digne de devenir un jour son
vengeur, Catilina fut absous. |
|
(15) Ab
hominibus novis alienati. Le souvenir des troubles
qui avaient suivi l'élévation de Marius,
homme nouveau, jetait sur les candidats de la même
classe une défaveur qu'augmentait encore la
prépondérance acquise par le parti
opposé. |
|
(16) Sodalitas.
Ce mot et celui de sodales signifient proprement
la confraternité qui existe entre les membres du
même corps civil, politique, et surtout religieux.
Sodales sunt qui ejusdem collegii sunt.
(Digest. lib. XLVII, t. XXII, L. 4). On donnait le
même nom au lien moral qui unissait un magistrat
inférieur au magistrat sous les ordres duquel il
servait, le questeur au préteur ou au consul.
Enfin, on appelait sodalitas, sodalitium, des
réunions où, par des festins et des
largesses, les candidats cherchaient à acheter des
suffrages. (Ernesti, Clavis Ciceron., verbis
Sodalis, Sodalitas, Sodalitium.) R.
Pétréius (in Q. Cic. de Petit. consul.
comment.) suppose que ces mots ont pu aussi
désigner les réunions où des hommes
de la même profession se concertaient sur le choix
du candidat à qui ils donneraient leurs
suffrages. |
|
(17) Ex
quibus maxime consules. Les consuls présidant
aux comices, et les tribuns ayant le droit de s'opposer
aux délibérations, leur bienveillance
était, pour un candidat, de la plus haute
importance. |
|
(18) C.
Orcinini. Il ne nous reste rien de la défense
de C. Orcininus par Cicéron, qui l'avait eu pour
collègue dans la préture. Quelques lignes
du discours de cet orateur pour M. Fundanius,
conservées par Priscien, Servius et Boëce, ne
laissent point deviner à quelles charges il devait
répondre. C. Cornélius était
accusé d'avoir, pendant son tribunat, violé
le droit d'intercession des tribuns. Quoique les
personnages les plus éminents déposassent
contre lui, Cicéron le fit absoudre. Les deux
discours qu'il prononça dans cette affaire, et
dont nous avons encore des fragments, passaient
généralement pour ses chefs-d'oeuvre. Q.
Gallius était poursuivi comme coupable de brigue ;
et son accusateur Calidius le taxait encore d'avoir voulu
l'empoisonner. Cicéron, réfutant cette
imputation, en prouva l'invraisemblance par le calme avec
lequel Calidius l'avait articulée. Cet argument
adroit, et quelques fragments peu importants, sont tout
ce qui reste de son discours. Q. Canins fut absous. |
|
(19) Civitatibus.
Je lis avec Facciolati civitatibus, au lieu de
vicinitatibus. Cicéron (pro Murena)
dit aussi : Homines in suis civitatibus et municipiis
gratiosi. Sous le nom de cité, les Romains
comprenaient un corps politique qui pouvait être
divisé en plusieurs villes et villages. Ainsi
César (De bello Gallico, I, 12) a dit :
omnis civitas Helvetiae in quatuor pagos divisa
est. |
|
(20) Homines
urbani. Les quatre tribus urbaines, composées
d'affranchis et d'hommes du plus bas étage,
n'avaient eu longtemps aucune influence politique. Mais,
dans le dernier siècle de la république,
l'habileté et les intrigues de quelques hommes de
ces tribus suppléaient à la
considération qui leur manquait, et leur
procuraient un crédit réel. |
|
(21) Municipium,
coloniam, praefecturam. Les habitants des
municipalités, des colonies, des
préfectures, jouissaient des prérogatives
de citoyens romains, mais avec quelques modifications,
dont la plus importante était l'exercice ou la
privation du droit de suffrage dans les comices, et du
droit de parvenir aux magistratures. Les
municipalités se gouvernaient par leurs propres
lois et leurs propres magistrats ; les colonies, par les
lois romaines, sous des magistrats de leur choix ; les
préfectures étaient régies par un
préfet que, chaque année, le peuple Romain
élisait, ou que déléguait le
préteur de la ville (praetor
urbanus). |
|
(22) Nomenclator.
La nomenclation était l'attention d'interpeller
chaque citoyen par son nom propre. Des esclaves, que
leurs fonctions faisaient appeler nomenclateurs,
aidaient sur ce point important la mémoire du
candidat. Si l'on en croit Plutarque (Vie de Caton
d'Utique), on fit une loi, bientôt sans doute
tombée en désuétude, pour
défendre aux candidats d'avoir près d'eux
un nomenclateur. Caton, qui briguait alors l'emploi de
tribun militaire, se conforma seul à la loi ; il
parvint à connaître et à retenir les
noms de tous les citoyens. P. Rutilius (cité pour
Cavisius, lib. II) nous apprend que Pompée avait
pris un soin extrême pour connaître et
pouvoir saluer, en appelant chacun par son nom, tout le
peuple Romain. |
|
(23 Non
temere credere. Il y a dans le latin : »Ne
point croire légèrement, voilà les
nerfs et les membres de la sagesse». Voici le vers
d'épicharme : «Soyez sobre, et souvenez-vous
de ne pas croire : c'est le nerf de la sagesse».
Nous pardonnera-t-on de transcrire ici la moralité
à laquelle appartiennent les deux vers
français insérés dans le texte :
«Le nerf de la guerre est l'argent, / Qui l'est
aussi de l'art charmant / De conserver une
maîtresse ; / L'ordre est le nerf de la richesse :
/ Ne point croire légèrement, /
Voilà le nerf de la sagesse». |
|
(24) In
ambitione artifex. Il est impossible de rendre dans
notre langue l'énergie de cette expression : on
risquerait trop de lui donner un sens défavorable
qu'elle n'avait point dans les moeurs romaines. C.
Aurélius Cotta fut consul l'an de Rome 678. |
|
(25) Manilii
causa. Manilius fut accusé de concussion,
suivant Plutarque (Vie de
Cicéron, § XIII), et, suivant
Pédianus, d'avoir troublé à main
armée le jugement de C. Cornélius. Ce
tribun était très cher au peuple, surtout
à cause de la loi dont il était l'auteur,
et dont Cicéron assura le succès par son
discours Pro lege Manilia. Le peuple entier, dit
Plutarque, pria Cicéron de se charger de la
défense de Manilius. Nous ne possédons
qu'une ligne du discours qu'il prononça en cette
occasion. Il paraît que Manilius s'éloigna
sans attendre son jugement. |
|
(26) Equestris
ordinis. Les chevaliers romains composaient les
tribunaux avec les sénateurs ; mais ils
n'étaient point, comme ceux-ci, passibles des
peines portées contre les juges
prévaricateurs : aussi leur influence y
était-elle prépondérante. |
|
(27) Sequestribus
metum injicimus. Dans ces temps de corruption, le
candidat qui marchandait les suffrages avait des
dépositaires connus (sequestres), entre les
mains de qui il versait les sommes destinées
à payer son élection. Les divisores
étaient chargés de distribuer les bulletins
aux votants : il leur était si facile de glisser
une pièce d'or avec le bulletin, qu'ils furent
souvent employés par les candidats comme agents de
corruption : en conséquence, leur nom devint
odieux ; il fut même regardé comme une
insulte. |
|
(28) Commentariolum
petitionis. Cette expression justifie le second litre
que j'ai donné au traité de la Demande
du Consulat. En substituant à l'idée de
consulat celle de magistrature, en général,
l'Essai de Cicéron devenait à Rome
le manuel de tous les candidats. |