La vie publique de Cicéron
La vie publique de Cicéron est d'ordinaire
sévèrement jugée par les historiens de
nos jours. Il paye la peine de sa modération. Comme on
n'étudie plus cette époque qu'avec des
arrière-pensées politiques, un homme comme lui,
qui a essayé de fuir toute extrémité, ne
satisfait pleinement personne. Tous les partis s'entendent
pour l'attaquer ; de tous les côtés on le raille
ou on l'insulte. Les partisans fanatiques de Brutus
l'accusent d'être timide, les amis passionnés de
César l'appellent un sot. C'est encore en Angleterre
et chez nous qu'il est le moins malmené (1). Les traditions
classiques ont été là plus
respectées qu'ailleurs ; les savants persistent
davantage dans leurs vieilles habitudes, dans leurs anciennes
admirations, et au milieu de tant de bouleversements la
critique au moins est demeurée conservatrice.
Peut-être aussi cette indulgence qu'on témoigne
à Cicéron dans ces deux pays vient-elle de
l'habitude qu'ils ont de la vie politique. Quand on a
vécu dans la pratique des affaires, au milieu des
manoeuvres des partis, on est plus disposé à
comprendre les sacrifices que peuvent exiger d'un homme
d'Etat les nécessités du moment,
l'intérêt de ses amis, le salut de sa cause. Au
contraire en devient trop dur pour lui quand on ne juge sa
conduite qu'avec ces théories inflexibles qu'on
imagine dans la solitude, et qui n'ont pas subi
l'épreuve de la vie. Voilà sans doute pourquoi
les savants de l'Allemagne lui font une si rude guerre. A
l'exception de M. Aheken (2), qui le traite
humainement, les autres sont sans pitié. Drumann
(3) surtout ne lui
passe rien. Il a fouillé ses oeuvres et sa vie avec la
minutie et la sagacité d'un homme d'affaires qui
cherche les éléments d'un procès. C'est
dans cet esprit de malveillance consciencieuse qu'il a
dépouillé toute sa correspondance. Il a
courageusement résisté au charme de ces
confidences intimes qui nous font admirer l'écrivain
et aimer l'homme malgré ses faiblesses, et, en
opposant l'un à l'autre des fragments
détachés de ses lettres et de ses discours, il
est parvenu à dresser un acte d'accusation en
règle où rien n'est omis, et qui tient presque
un volume. M. Mommsen (4) n'est guère
plus doux, seulement il est moins long. Comme il voit les
choses de haut, il ne se perd pas dans le détail. En
deux de ces pages serrées et pleines de faits, comme
il sait les écrire, il a trouvé moyen
d'accumuler plus d'outrages pour Cicéron que n'en
contient tout le volume de Drumann. On y voit notamment que
ce prétendu homme d'Etat n'était qu'un
égoïste et un myope, et que ce grand
écrivain ne se compose que d'un feuilletoniste et d'un
avocat. Voilà bien la même plume qui vient
d'appeler Caton un don Quichotte et Pompée un caporal.
Comme il est toujours préoccupé du
présent dans ses études du passé, on
dirait qu'il poursuit dans l'aristocratie romaine les
hobereaux de la Prusse et qu'il salue d'avance dans
César ce despote populaire dont la main ferme peut
seule donner à l'Allemagne son unité.
Qu'y a-t-il de vrai dans ces violences ? Quelle confiance
doit-on avoir dans ces hardiesses d'une critique
révolutionnaire ? Quel jugement faut-il porter sur la
conduite politique de Cicéron ? L'étude des
faits va nous l'apprendre.
I
Trois causes contribuent d'ordinaire à former les
opinions politiques d'un homme, sa naissance, ses
réflexions personnelles et son tempérament. Si
je ne parlais pas seulement ici des convictions
sincères, j'en ajouterais volontiers une
quatrième, qui fait plus de conversions encore que les
autres, l'intérêt, c'est-à-dire ce
penchant qu'on éprouve, presque malgré soi,
à trouver que le parti le plus avantageux est aussi le
plus juste, et à conformer ses sentiments aux
positions qu'on occupe ou à celles qu'on souhaite.
Cherchons à démêler quelle fut
l'influence de ces causes sur les préférences
politiques et la conduite de Cicéron.
Longtemps à Rome la
naissance avait souverainement décidé des
opinions. Dans une ville où les traditions
étaient si respectées, on héritait des
idées de ses pères comme de leurs biens ou de
leur nom, et l'on mettait son honneur à continuer
fidèlement leur politique ; mais au temps de
Cicéron ces coutumes commençaient à se
perdre. Les familles les plus anciennes ne se faisaient plus
scrupule de manquer à leurs engagements
héréditaires. Dans le parti du sénat, on
trouve alors bien des noms qui s'étaient
illustrés à défendre les
intérêts du peuple, et le démagogue le
plus audacieux de cette époque s'appelait Clodius. En
aucun temps, du reste, Cicéron n'aurait pu trouver une
direction politique dans sa naissance. Il n'appartenait pas
à une famille connue. Il était le premier de
tous les siens qui s'occupât des affaires publiques, et
le nom qu'il portait ne l'engageait d'avance dans aucun
parti. Enfin il n'était pas né à Rome.
Son père habitait un de ces petits municipes de la
campagne dont les beaux esprits se moquaient volontiers,
parce qu'on y parlait un latin douteux et qu'on y connaissait
mal les belles manières, mais qui n'en faisaient pas
moins la force et l'honneur de la république. Ce
peuple grossier, mais vaillant et sobre, qui occupait les
pauvres villes délaissées de la Campanie, du
Latium, de la Sabine, et chez qui les habitudes de la vie
rustique avaient conservé quelque reste des anciennes
vertus (5),
était bien véritablement le peuple romain.
Celui qui remplissait les rues et les places de la grande
ville, qui perdait son temps au théâtre, qui
figurait dans les émeutes du forum et vendait sa voix
au champ de Mars, n'était qu'un ramassis d'affranchis
et d'étrangers, et l'on ne pouvait apprendre avec lui
que le désordre, l'intrigue et la corruption. La vie
était plus honnête et plus saine dans les
municipes. Les citoyens qui les habitaient restaient
étrangers à la plupart des questions qui
s'agitaient à Rome, et le bruit des affaires publiques
ne parvenait guère jusqu'à eux. On les voyait
quelquefois arriver au champ de Mars ou sur le forum, quand
il s'agissait de voter pour quelqu'un de leurs compatriotes
ou de le défendre par leur présence devant les
tribunaux ; mais d'ordinaire ils ne se souciaient pas
d'exercer leurs droits et restaient chez eux. Ils n'en
étaient pas moins dévoués à leur
pays, jaloux de leurs priviléges, même quand ils
n'en faisaient rien, fiers du titre qu'ils portaient de
citoyens romains, et fort attachés au gouvernement
républicain qui le leur avait donné. La
république avait conservé pour eux son prestige
parce qu'en vivant loin d'elle ils en voyaient moins les
faiblesses, et qu'ils se souvenaient toujours de son ancienne
gloire. C'est au milieu de ces populations rustiques,
arriérées dans leurs idées comme dans
leurs manières, que s'écoula l'enfance de
Cicéron. Il apprit d'elles à aimer le
passé plus qu'à connaître le
présent. Ce fut la première impression et le
premier enseignement qu'il reçut des lieux comme des
gens parmi lesquels il passa ses jeunes années. Il a
parlé plus tard avec attendrissement de cette modeste
maison que son aïeul avait construite près du
Liris, et qui rappelait par sa simplicité
austère celle du vieux Curius (6). Il me semble que ceux
qui l'habitaient devaient se croire reportés à
un siècle en arrière, et qu'en les faisant
vivre avec les souvenirs du passé, elle leur donnait
l'habitude et le goût des choses anciennes.
Voilà sans doute ce que Cicéron doit à
sa naissance, s'il lui doit quelque chose. Il a pu prendre
dans sa famille le respect du passé, l'amour de son
pays et une préférence instinctive pour le
gouvernement républicain ; mais il n'y trouva pas de
tradition précise ni d'engagement positif avec aucun
parti. Quand il entra dans la vie politique, il fut
forcé de se décider seul, grande épreuve
pour un caractère irrésolu ! et pour choisir
entre tant d'opinions contraires il lui fallut de bonne heure
étudier et réfléchir.
Cicéron avait
consigné le résultat de ses réflexions
et de ses études dans des écrits politiques
dont le plus important, la République, ne nous
est parvenu que très mutilé. Ce qui en reste
nous montre qu'il est là, comme partout, disciple
fervent des Grecs. C'est à Platon qu'il s'attache de
préférence, et son admiration est si vive pour
lui qu'il voudrait souvent nous faire croire qu'il se
contente de le traduire. En général,
Cicéron ne paraît pas se soucier beaucoup de la
gloire d'être original. C'est à peu près
la seule vanité qui lui manque. Il y a même
à ce propos, dans sa correspondance, un aveu
singulier, dont on a fort abusé contre lui. Pour faire
comprendre à son ami Atticus comment ses ouvrages lui
coûtent si peu de peine, il lui dit : «Je ne
fournis que les mots, dont je né manque pas (7)» ; mais
Cicéron, contre son habitude, s'est ici
calomnié. Il n'est pas traducteur aussi servile qu'il
voudrait le faire croire, et dans ses ouvrages politiques
notamment la différence est grande entre Platon et
lui. Leurs livres portent bien le même titre, mais
dès qu'on les a ouverts, on s'aperçoit qu'au
fond ils ne se ressemblent pas. C'est le propre d'un
philosophe spéculatif comme Platon de viser en toute
chose à l'absolu. S'il veut faire une constitution, au
lieu d'étudier d'abord les peuples qu'elle doit
régir, il part d'un principe de la raison et le suit
avec une rigueur inflexible jusque dans ses dernières
conséquences. Il arrive ainsi à former un de
ces systèmes politiques où tout se tient et
s'enchaîne, et qui, par leur admirable unité,
charment l'esprit du sage qui les étudie, comme la
régularité d'un bel édifice
séduit les yeux qui le regardent. Malheureusement ces
sortes de gouvernements, imaginés dans des
réflexions solitaires et fondus tout d'une
pièce, sont d'une application difficile. Quand on veut
les mettre en pratique, il survient de tous
côtés des résistances auxquelles on ne
s'attendait pas. Les traditions des peuples, leur
caractère, leurs souvenirs, toutes les forces
sociales, dont on n'a pas tenu compte, ne veulent pas se
soumettre aux lois rigoureuses qu'on leur impose. On
s'aperçoit alors qu'on ne les façonne pas comme
on veut, et puisqu'elles refusent absolument de céder,
il faut bien qu'on se résigne à modifier cette
constitution qui semblait si belle quand on ne s'en servait
pas. Mais ici encore l'embarras est grand. Il n'est pas
facile de rien changer dans ces sortes de systèmes
serrés et logiques où tout est si habilement
lié que la moindre pièce qu'on dérange
ébranle le reste. D'ailleurs les philosophes sont
naturellement impérieux et absolus ; ils n'aiment pas
qu'on les contrarie. Pour éviter ces oppositions qui
les impatientent, pour échapper autant que possible
aux exigences de la réalité, ils imitent cet
Athénien dont parle Aristophane, qui,
désespérant de trouver ici-bas une
république qui lui convînt, allait en chercher
une à sa fantaisie jusque dans les nuages. Eux aussi
construisent des cités en l'air, c'est-à-dire
des républiques idéales gouvernées par
des lois imaginaires. Ils rédigent des constitutions
admirables, mais qui ont le tort de ne s'appliquer à
aucun pays en particulier, parce qu'elles sont faites pour le
genre humain tout entier.
Ce n'est pas ainsi qu'agit
Cicéron. Il connaît le public auquel il
s'adresse, il sait que cette race froide et sensée, la
plus prompte à prendre les choses par leur
côté pratique, serait peu satisfaite de toutes
ces chimères. Aussi s'égare-t-il moins dans ces
rêves de l'idéal et de l'absolu. Il n'a pas la
prétention d'écrire des lois pour tout
l'univers; il songe surtout à son pays et à son
temps, et, quoiqu'il ait l'air de tracer le plan d'une
république parfaite, c'est-à-dire qui ne peut
pas exister, on voit bien qu'il a les yeux sur une
constitution qui existe réellement. Voici quelles sont
à peu près ses théories politiques. Des
trois formes de gouvernement qu'on distingue d'ordinaire,
aucune ne le contente tout à fait quand elle est
isolée. Je n'ai pas besoin de parler du gouvernement
absolu d'un seul, il est mort pour s'y être
opposé (8).
Les deux autres, le gouvernement de tous ou de quelques-uns,
c'est-à-dire l'aristocratie et la démocratie,
ne lui semblent pas non plus sans défauts. Il est
difficile qu'on s'accommode tout à fait de
l'aristocratie quand on n'a pas l'avantage d'être de
grande maison. Celle de Rome, malgré les
qualités qu'elle déploya dans la conquête
et le gouvernement du monde, était comme les autres
impertinente et exclusive. Les échecs qu'elle avait
subis depuis un siècle, sa décadence visible et
le sentiment qu'elle devait avoir de sa fin prochaine, loin
de guérir son orgueil, le rendaient intraitable. Il
semble que les préjugés deviennent plus
obstinés et plus étroits quand ils n'ont plus
que quelque temps à vivre. On sait comment nos
émigrés, en présence de la
révolution victorieuse, usaient leurs dernières
forces à de vaines luttes de préséance.
De même la noblesse romaine, au moment où le
pouvoir lui échappait, semblait prendre à
tâche d'exagérer ses défauts et de
décourager par ses dédains les honnêtes
gens qui s'offraient à la défendre.
Cicéron se sentait attiré vers elle par ce
goût qu'il avait pour la distinction des
manières et pour les plaisirs élégants;
niais il ne pouvait pas se faire à ses insolences.
Aussi, même en la servant, a-t-il toujours
conservé contre elle des rancunes de bourgeois
mécontent. Il savait bien qu'elle ne lui pardonnait
pas sa naissance et qu'on l'appelait un parvenu (homo
novus), en revanche, il ne tarissait pas de railleries
contre ces gens heureux qui sont dispensés d'avoir du
mérite, qui n'ont pas besoin de prendre de la peine,
et à qui les premières dignités de la
république viennent en dormant (quibus omnia populi
romani beneficia dormientibus deferuntur (9).
Mais si l'aristocratie lui
plaisait peu, il aimait encore moins le gouvernement
populaire. C'est le pire de tous, disait-il avant Corneille
(10), et en le
disant il suivait l'opinion de la plupart des philosophes
grecs, ses maîtres. Presque tous ont manifesté
une grande aversion pour la démocratie. Non seulement
la nature de leurs études poursuivies dans le silence
et la solitude les éloignait de la foule, mais ils la
fuyaient avec soin, de peur qu'elle ne leur communiquât
ses erreurs et ses préjuges. Leur préoccupation
constante était de se tenir en dehors et au-dessus
d'elle. L'orgueil que cet isolement même nourrissait en
eux les empêchait de voir un égal dans un homme
du peuple, étranger à ces études dont
ils étaient si fiers. Aussi répugnaient-ils
à la souveraineté du nombre, qui donne la
même importance à un ignorant et à un
sage. Cicéron dit positivement que
l'égalité entendue de cette façon est la
plus grande de toutes les inégalités, ipsa
cequitas iniquissima est (11). Ce n'était
pas le seul reproche, ni même le plus grand que les
philosophes grecs et Cicéron avec eux faisaient
à la démocratie. Ils trouvaient qu'elle est de
sa nature agitée et tumultueuse, ennemie du
recueillement, et qu'elle n'offre pas au savant et au sage
ces beaux loisirs qui leur sont nécessaires pour les
ouvrages qu'ils méditent. Quand Cicéron
songeait au gouvernement populaire, il n'avait à
l'esprit que luttes et combats. Il se rappelait les
séditions plébéiennes et les
scènes orageuses du forum. Il croyait entendre ces
plaintes menaçantes des débiteurs et des
dépossédés qui pendant trois
siècles troublèrent le repos des riches. Quel
moyen, parmi ces tempêtes, de se livrer à des
travaux qui réclament le calme et la paix ? Les
plaisirs de l'esprit sont à chaque instant interrompus
dans ce régime de violence qui arrache sans cesse les
honnêtes gens au silence de leur bibliothèque
pour les jeter sur la voie publique. Cette vie tumultueuse et
incertaine ne pouvait pas convenir à un ami aussi
résolu de l'étude, et si la morgue des grands
seigneurs le rejetait quelquefois vers le parti populaire, la
haine de la violence et du bruit ne lui permettait pas d'y
rester.
Quelle était donc
la forme de gouvernement qui lui semblait la meilleure ? Il
le dit très nettement dans sa
République, celle qui les réunit toutes
dans un juste équilibre. «Je veux, dit-il, qu'il
y ait dans l'ltat un pouvoir suprême et royal, qu'une
autre part soit réservée à
l'autorité des premiers citoyens, et que certaines
choses soient abandonnées au jugement et à la
volonté du peuple (12)». Or, ce
gouvernement mixte et tempéré, qui contient les
qualités des autres, n'est pas, selon lui, un
système imaginaire, comme la république de
Platon. Il existe et il fonctionne ; c'est celui de son pays.
Cette opinion a été fort attaquée. M.
Mommsen la trouve aussi peu conforme à la philosophie
qu'à l'histoire. Il est certain qu'à la prendre
dans sa rigueur elle est plus patriotique que juste. C'est
aller bien loin que de nous donner la constitution romaine
pour un modèle irréprochable et de fermer les
yeux sur ses défauts au moment où elle
périssait par ses défauts mêmes.
Cependant il faut bien reconnaître qu'avec toutes ses
imperfections elle n'en était pas moins une des plus
sages des temps anciens, qu'aucune peut-être n'avait
fait encore autant d'efforts pour satisfaire aux deux grands
besoins des sociétés, l'ordre et la
liberté. On ne peut pas nier non plus que son
principal mérite ne consiste à essayer de
réunir les diverses formes de gouvernement et à
les concilier ensemble malgré leurs oppositions
apparentes : Polybe l'avait aperçu avant
Cicéron ; et ce mérite, elle le tient de son
origine même et de la façon dont elle s'est
formée. Les constitutions de la Grèce avaient
été presque toutes l'improvisation d'un homme ;
celle de Rome fut l'ceuvre du temps. Cette pondération
savante des pouvoirs qu'admirait tant Polybe n'avait pas
été imaginée par une volonté
prévoyante. Il ne s'était pas trouvé un
législateur aux premiers temps de Rome qui
réglât d'avance la part que chaque
élément social devait avoir dans la combinaison
générale ; c'étaient ces
éléments qui se l'étaient faite à
eux-mêmes. Les séditions
plébéiennes, les luttes acharnées du
tribunat contre les patriciens, qui épouvantaient
Cicéron, avaient précisément
contribué plus que tout le reste à achever
cette constitution qu'il admire. Après un combat de
près de deux siècles, quand ces forces
opposées s'aperçurent qu'elles ne pouvaient pas
se détruire, elles se résignèrent
à s'unir, et des efforts qu'elles firent pour
s'accommoder ensemble sortit un gouvernement imparfait sans
doute, - peut-il y en avoir de parfait ? - mais qui n'en
reste pas moins le meilleur peut-être de l'ancien
monde. Il est bien entendu que ce n'était pas à
la constitution romaine telle qu'elle était de son
temps que Cicéron donnait tous ces éloges. Son
admiration remontait plus haut. Il reconnaissait qu'elle
avait été profondement modifiée depuis
les Gracques, mais il croyait qu'avant d'avoir subi ces
altérations elle était irréprochable.
C'est ainsi que les études et les réflexions de
son âge mûr le ramenaient à ces
premières impressions qu'il avait gardées de
son enfance, et qu'elles fortifiaient en lui l'amour des
anciens temps et le respect des anciens usages. A mesure
qu'il avança dans la vie, tous ses mécomptes et
tous ses malheurs le rejetèrent encore de ce
côté. Plus le présent était triste
et l'avenir menaçant, plus il se retournait avec
regret vers le passé. Si on lui avait demandé
en quel temps il aurait voulu naître, je crois qu'il
aurait choisi sans hésitation l'époque qui
suivit les guerres puniques, c'est-à-dire le moment ou
Rome, fière de sa victoire, assurée de
l'avenir, redoutée du monde, entrevoit pour la
première fois les beautés de la Grèce et
commence à se laisser toucher par le charme des
lettres et des arts. C'est le plus beau temps de Rome pour
Cicéron, celui où il place de
préférence la scène de ses dialogues. Il
aurait certainement aimé à vivre parmi ces
grands hommes qu'il fait si bien parler, auprès de
Scipion, de Fabius et du vieux Caton, à
côté de Lucilius et de Térence ; et, dans
ce groupe illustre le personnage dont la vie et le rôle
devaient le plus le tenter, celui qu'il aurait voulu
être, si l'on pouvait choisir son temps et se faire sa
destinée, c'est le sage et savant Laelius (13). Unir, comme lui,
une grande situation politique au culte des lettres, joindre
à l'autorité souveraine de la parole quelques
succès militaires que les plus grands prôneurs
des triomphes pacifiques ne dédaignent pas, arriver
dans des temps calmes et réguliers aux
premières dignités de la république, et
après une vie honorable jouir longtemps d'une
vieillesse respectée, voilà quel était
l'idéal de Cicéron. Que de regrets et de
tristesse n'éprouvait-il pas quand il retombait de ce
beau rêve aux mécomptes de la
réalité, et qu'au lieu de vivre au sein d'une
république tranquille et dans la familiarité
des Scipions, il lui fallait être le rival de Catilina,
la victime de Clodius et le sujet de César !
Le tempérament de Cicéron eut, je crois, plus
de part encore à ses préférences
politiques que sa naissance et ses réflexions. Il n'y
a plus rien à apprendre à personne sur les
faiblesses de son caractère ; on a pris plaisir
à les mettre à nu, on les exagère
même volontiers, et depuis Montaigne c'est un lieu
commun chez nous que de s'en moquer. Je n'ai donc pas besoin
de répéter ce qu'on a dit tant de fois, qu'il
était timide, hésitant, irrésolu ; je
reconnais avec tout le monde que la nature l'avait fait homme
de lettres bien plus qu'homme politique. Je crois seulement
que cet aveu ne lui fait pas autant de tort qu'on pense, car
il me semble que l'homme de lettres a souvent l'esprit plus
complet, plus compréhensif, plus étendu que
l'autre, et que c'est précisément cette
étendue qui le gêne et le contrarie quand il met
la main aux affaires. On se demande quelles sont les
qualités qu'il faut avoir pour être un homme
d'état ; ne serait-il pas plus juste de chercher
quelles sont celles dont il est bon de manquer, et n'est-ce
pas quelquefois par des limites et des exclusions que la
capacité politique se révèle ? Une vue
des choses trop fine et trop pénétrante peut
embarrasser un homme d'action, qui doit se décider
vite, par la multitude des raisons contraires qu'elle lui
présente. Trop de vivacité d'imagination, en le
promenant sur beaucoup de projets à la fois,
l'empêche de se fixer sur aucun. L'obstination vient
souvent de l'étroitesse d'esprit, et c'est une des
plus grandes vertus du politique. Une conscience trop
exigeante, en le rendant trop difficile sur le choix de ses
alliés, le priverait de secours puissants. Il faut
qu'il se méfie de ces élans de
générosité qui le portent à
rendre justice même à ses ennemis : dans les
luttes acharnées qui se livrent autour du pouvoir, on
court le risque de se désarmer soi-même et de
laisser prendre sur soi quelque avantage, si l'on a le
malheur d'être juste et tolérant. Il n'y a pas
jusqu'à cette rectitude naturelle de l'esprit, la
première qualité d'un homme d'Etat, qui ne
puisse devenir un danger pour lui. S'il est trop sensible aux
excès et aux injustices de son parti, il le servira
mollement. Pour que son dévouement soit à toute
épreuve, il ne faut pas seulement qu'il les excuse, il
doit être capable de ne pas les voir. Voilà
quelques-unes des imperfections du coeur et de l'esprit par
lesquelles il achète ses succès. S'il est vrai,
comme je le crois, que dans le gouvernement d'un Etat l'homme
politique réussisse souvent par ses défauts, et
que ce soient ses qualités mêmes qui fassent
échouer l'homme de lettres, quand on dit qu'il n'est
pas propre aux affaires, c'est presque un compliment qu'on
lui fait.
On peut donc avouer, sans trop humilier Cicéron, que
la vie publique ne lui convenait pas. Les raisons qui firent
de lui un incomparable écrivain ne lui permettaient
pas d'être un bompolitique. Cette vivacité
d'impressions, cette sensibilité délicate et
irritable, source principale de son talent littéraire,
ne le laissaient pas assez maître de sa volonté.
Les choses avaient trop de prise sur lui, et il faut pouvoir
se détacher d'elles pour les dominer. Son imagination
mobile et féconde, en le dissipant de tous les
côtés à la fois, le rendait peu capable
de desseins suivis. Il ne savait pas assez s'abuser sur les
hommes et s'étourdir sur les entreprises, aussi
était-il sujet à des défaillances
soudaines. Il s'est vanté souvent d'avoir prévu
et prédit l'avenir. Ce n'était pas certainement
en sa qualité d'augure, mais par une sorte de
perspicacité fâcheuse qui lui montrait les
conséquences des événements, et
plutôt les mauvaises que les bonnes. Aux nones de
décembre, quand il fit périr les complices de
Catilina, il n'ignorait pas les vengeances auxquelles il
s'exposait, et il prévoyait son exil : il eut donc ce
jour-là, malgré les hésitations qu'on
lui a reprochées, plus de courage qu'un autre qui,
dans un moment d'exaltation, n'aurait pas vu le danger. Ce
qui fut surtout pour lui une cause
d'infériorité et de faiblesse, c'est qu'il
était modéré, modéré par
tempérament plus que par principes,
c'est-à-dire avec cette impatience nerveuse et
irritée qui finit par employer la violence à
défendre la modération. Il est rare qu'on
évite tous les excès dans les luttes
politiques. Ordinairement les partis sont injustes dans leurs
plaintes quand ils sont vaincus, cruels dans leurs
représailles quand ils sont vainqueurs, et prêts
à se permettre sans scrupule dès qu'ils le
peuvent ce qu'ils blâmaient. sévèrement
chez leurs ennemis. S'il est alors des gens dans le parti
victorieux qui s'aperçoivent qu'on va trop loin, et
qui osent le dire, il leur arrive inévitablement
d'irriter contre eux tout le monde. On les accuse de
timidité et d'inconstance, on dit qu'ils sont
légers et changeants ; mais ce reproche est-il bien
mérité ? Cicéron s'est-il démenti
lui-même lorsqu'après avoir défendu les
malheureux que frappait l'aristocratie sous Sylla, il
défendait, trente ans après, les victimes de la
démocratie sous César ? N'était-il pas
au contraire plus conséquent avec lui-même que
ceux qui, après s'être plaints amèrement
d'être exilés, exilèrent leurs ennemis
dès qu'ils en eurent le pouvoir ? Seulement il faut
avouer que, si ce vif sentiment de la justice honore un homme
privé, il peut être dangereux pour un politique.
Les partis n'aiment pas ces gens qui refusent de s'associer
à leurs excès, et qui, au milieu de
l'exagération générale, affichent la
prétention de rester seuls dans la vraie mesure. Ce
fut un malheur pour Cicéron de n'avoir pas de ces
résolutions franches qui engagent pour toujours un
homme dans son opinion, et de vouloir flotter de l'une
à l'autre, parce qu'il voyait trop le bien et le mal
de toutes. Il faut être bien sûr de soi pour
essayer de se passer de tout le monde. Cet isolement suppose
une décision et une énergie qui manquaient
à Cicéron. S'il s'était attaché
résolûment à un parti, il y aurait
trouvé des traditions et des principes fixes, des amis
certains, une direction assurée, et il n'aurait eu
qu'à se laisser conduire. Au contraire, en
entreprenant de marcher seul, il risquait de se faire des
ennemis de tous les autres et il n'avait pas devant lui de
route tracée. Il suffit de parcourir les principaux
événements de sa vie politique pour
reconnaître que ce fut là l'origine d'une partie
de ses malheurs et de ses fautes.
II
Ce que je viens de dire du caractère de
Cicéron donne la raison de ses premières
opinions politiques. C'est sous la domination de Sylla qu'il
commença à paraître au forum.
L'aristocratie était toute puissante alors, et elle
abusait étrangement de son pouvoir. Vaincue un moment
par Marius, ses représailles avaient été
terribles. Des massacres tumultueux et
désordonnés n'avaient pas suffi à sa
colère. Appliquant au meurtre même son
génie froid et régulier, elle avait
imaginé les proscriptions, qui n'étaient qu'une
manière de réglementer l'assassinat.
Après avoir pourvu ainsi à sa vengeance, elle
s'était occupée à fortifier son
autorité. Elle avait dépossédé de
leurs biens les municipes les plus riches de l'Italie, exclu
les chevaliers des tribunaux, diminué les attributions
des comices populaires, dépouillé les tribuns
du droit d'appel, c'est-à-dire qu'elle n'avait rien
laissé debout à côté d'elle. Quand
elle eut brisé toutes les résistances par la
mort de ses ennemis et concentré tout le pouvoir en
ses mains, elle déclara solennellement que la
révolution était finie, qu'on allait revenir
à un gouvernement légal, et «qu'on
cesserait de tuer à partir des calendes de
juin». Mais malgré ces pompeuses
déclarations les massacres continuèrent
longtemps encore. Des assassins, protégés par
les affranchis de Sylla, qui partageaient le profit avec eux,
se répandaient le soir, dans les rues obscures et
tortueuses de la vieille ville, jusqu'au pied du Palatin. Ils
frappaient les gens riches qui rentraient chez eux, et, sous
quelque prétexte, se faisaient adjuger leur fortune,
sans que personne osât se plaindre. Tel était le
régime sous lequel on vivait à Rome à
l'époque où Cicéron plaida ses
premières causes. Un modéré comme lui,
à qui les excès répugnaient, devait
avoir horreur de ces violences. Une tyrannie aristocratique
ne pouvait pas plus lui convenir qu'une tyrannie populaire.
En présence de tous ces abus d'autorité que se
permettait la noblesse, il se sentit naturellement
porté à tendre la main à la
démocratie, et ce fut dans les rangs de ses
défenseurs qu'il fit ses premières armes.
Ses débuts furent
pleins d'audace et d'éclat. Au milieu de cette terreur
muette qu'entretenait le souvenir des proscriptions, il osa
parler, et le silence universel donna plus de retentissement
à sa parole. Son importance politique date de la
défense de Roscius. Ce malheureux, à qui on
avait enlevé d'abord toute sa fortune et qu'on
accusait ensuite d'avoir assassiné son père, ne
trouvait pas d'avocat. Cicéron se proposa pour le
défendre. Il était jeune et inconnu, deux
grands avantages quand on veut tenter de ces coups hardis,
car l'obscurité diminue les périls qu'ils font
courir, et la jeunesse empêche de les apercevoir. Il
n'eut pas de peine à démontrer l'innocence de
son client, qu'on accusait sans preuve; mais ce succès
ne lui suffit pas. On savait que derrière l'accusation
se cachait l'un des affranchis les plus puissants de Sylla,
le riche et voluptueux Chrysogonus. Il se croyait sans doute
protégé contres les
témérités de la défense par
l'effroi qu'inspirait son nom. Cicéron le traîna
dans le débat. On retrouve dans son discours la trace
de l'épouvante qui saisit les auditeurs quand ils
entendirent prononcer ce nom redouté. Les accusateurs
étaient interdits, la foule restait muette. Seul, le
jeune orateur semble tranquille et maître de lui. Il
sourit, il plaisante, il ose railler ces terribles gens que
personne ne regardait en face, parce qu'on songeait toujours
en les voyant aux deux mille têtes de chevaliers et de
sénateurs qu'ils avaient fait couper. Il ne respecte
même pas tout à fait le maître
lui-même. Ce surnom d'heureux, que ses flatteurs lui
avaient donné, devient ici l'occasion d'un jeu de
mots. «Quel est l'homme assez heureux, dit-il, pour
n'avoir pas quelque coquin dans son entourage (14)?» Ce coquin
n'est autre que le tout puissant Chrysogonus. Cicéron
ne le ménage pas. Il dépeint son luxe et son
arrogance de parvenu. Il le montre entassant dans sa maison
du Palatin tous les objets précieux qu'il a
enlevés à ses victimes, fatiguant le voisinage
du bruit de ses chanteurs et de ses musiciens, «ou
voltigeant sur le forum, les cheveux bien peignés et
luisants de parfums (15)». A ces
plaisanteries se mêlent des accusations plus
sérieuses. Le nom des proscriptions est quelquefois
prononcé dans ce discours, le souvenir et l'impression
qu'elles ont laissés se retrouvent partout. On sent
que celui qui parle et qui les a vues en a l'âme encore
tout occupée, et que l'horreur qu'il en a ressentie et
dont il n'est pas le maître l'empêche de se
taire, quelque péril qu'il y ait à parler.
Cette émotion généreuse se fait jour
à chaque moment, malgré la réserve
qu'impose le voisinage des proscripteurs. Il ose dire, en
parlant de leurs victimes, qu'elles ont été
atrocement égorgées, quoiqu'il fût
d'usage de leur trouver toute sorte de crimes. Il voue
à la haine et au mépris public les
misérables qui se sont enrichis dans ces massacres, et
par un jeu de mots qui fit fortune il les appelle «des
coupeurs de tête et de bourse (16)». Il demande
enfin formellement qu'on mette un terme à ce
régime dont rougit l'humanité ; «sinon,
ajoute-t-il, il vaudra mieux aller vivre parmi les
bêtes féroces que de rester à Rome
(17)».
C'est à quelques pas de l'homme qui avait
ordonné les proscriptions, en face de ceux qui les
avaient faites et qui en profitaient, que Cicéron
parlait ainsi. Qu'on juge de l'effet que devaient produire
ses paroles ! Elles exprimaient les sentiments secrets de
tout le monde, elles soulageaient la conscience publique,
forcée de se taire et humiliée de son silence.
Aussi le parti démocratique éprouva-t-il depuis
ce jour la plus vive sympathie pour cet éloquent jeune
homme qui protestait avec tant de courage contre un
régime odieux. C'est ce souvenir qui jusqu'à
son consulat lui conserva si fidèlement la faveur
populaire. Toutes les fois qu'il souhaitait quelque
magistrature, les citoyens accouraient en foule au champ de
Mars pour lui donner leurs suffrages. Aucun homme politique
de ce temps, et il y en avait de bien plus grands que lui,
n'est arrivé aussi facilement aux premières
dignités. Caton a subi plus d'un échec.
César et Pompée ont eu besoin de coalitions et
de brigues pour être toujours heureux. Cicéron
est presque le seul dont toutes les candidatures aient
réussi du premier coup, et qui n'ait jamais
été forcé de recourir aux moyens
auxquels on demandait ordinairement le succès. Au
milieu de ces marchés scandaleux qui livraient les
honneurs aux plus riches, malgré ces traditions
tenaces qui semblaient les réserver aux plus nobles,
Cicéron, qui n'avait pas de naissance et qui avait peu
de fortune, a toujours vaincu tous les autres. Il a
été nommé questeur, édile ; il a
obtenu la préture urbaine, qui était la plus
honorable; il est arrivé au consulat la
première fois qu'il l'a demandé, aussitôt
que les lois lui permettaient d'y prétendre, sans
qu'aucune de ces dignités ait rien coûté
à son honneur ou à sa fortune.
Il importe de remarquer
qu'au moment où il fut nommé préteur, il
n'avait encore prononcé aucun discours politique.
Jusqu'à l'âge de quarante ans, il ne fut que ce
que nous appelons un avocat, et il n'éprouva pas le
besoin d'être autre chose. L'éloquence
judiciaire menait donc à tout ; quelques succès
brillants devant les tribunaux suffisaient pour pousser un
homme clans les dignités publiques, et personne ne
s'avisa de demander à Cicéron d'autre preuve de
sa capacité pour les affaires au moment où on
allait lui confier les premiers intérêts de son
pays et l'investir du pouvoir souverain. Toutefois, si ce
long séjour dans le barreau fut sans danger pour sa
carrière politique, je ne crois pas qu'il ait
été sans dommage pour son talent. Tous les
reproches qu'on adresse, à tort sans doute, à
l'avocat d'aujourd'hui étaient parfaitement
mérités par l'avocat d'autrefois. C'est de lui
qu'on peut vraiment dire qu'il se chargeait
indifféremment de toutes les causes, qu'il changeait
d'opinion avec chaque procès, qu'il mettait son art et
sa gloire à trouver d'excellentes raisons pour appuyer
tous les sophismes. Jamais, dans les écoles antiques,
le jeune homme qui s'exerçait à la parole
n'entendait dire qu'il est nécessaire d'être
convaincu et convenable de parler selon sa conscience. On lui
apprenait qu'il y a différentes espèces de
causes, celles qui sont honnêtes et celles qui ne le
sont pas (genera causarum sunt honestum, turpe, etc.)
(18), sans avoir
soin d'ajouter qu'il fallait éviter ces
dernières. Au contraire , on lui donnait le goût
de s'en charger de préférence, en
exagérant le mérite qu'il y avait à y
réussir. Après lui avoir appris comment on
défend et on sauve un coupable, on n'hésitait
pas à lui enseigner les moyens de
déconsidérer un honnête homme. Telle
était l'éducation que recevait
l'élève des rhéteurs, et, une fois qu'il
était sorti de leurs mains, il ne manquait pas une
occasion d'appliquer leurs préceptes. Par exemple, il
ne commettait pas la faute de garder quelque
modération et quelque retenue dans ses attaques. En se
condamnant à être juste, il se serait
privé d'un élément de succès
auprès de cette foule mobile et passionnée qui
applaudissait aux portraits satiriques et aux invectives
violentes. La vérité ne le préoccupait
pas plus que la justice. C'était un précepte
des écoles d'inventer, même dans les causes
criminelles , des détails piquants et imaginaires qui
réjouissaient l'auditoire (causam mendaciunculis
adspergere (19)). Cicéron
cite avec de grands éloges quelques-uns de ces
mensonges agréables qui ont peut-être
coûté l'honneur ou la vie à de pauvres
gens qui avaient le malheur d'avoir des adversaires trop
spirituels ; et, comme il avait lui-même en ce genre
l'imagination fertile, il ne se faisait pas faute d'avoir
recours à ce moyen facile de réussir. Rien
enfin n'était plus indifférent à
l'avocat antique que d être en contradiction avec
lui-même. On disait que l'orateur Antoine n'avait
jamais voulu écrire aucun de ses plaidoyers, de peur
qu'on ne s'avisât d'opposer à son opinion du
jour celle de la veille. Cicéron n'avait pas ces
scrupules. Il a passé sa vie à se contredire,
et ne s'en est jamais inquiété. Un jour qu'il
disait trop ouvertement le contraire de ce qu'il avait
autrefois soutenu, comme on le pressait d'expliquer ces
brusques changements, il répondit sans
s'émouvoir : «On se trompe si l'on croit trouver
dans nos discours l'expression de nos opinions personnelles ;
ils sont le langage de la cause et des circonstances, et non
celui de l'homme et de l'orateur (20)». Voilà
au moins un aveu sincère ; mais que ne perdent pas
l'orateur et l'homme à changer ainsi de langage avec
les circonstances ! Ils apprennent à ne plus se
soucier de mettre de l'ordre et de l'unité dans leur
vie, à se passer de sincérité dans leurs
opinions et de conviction dans leur parole, à faire
pour le mensonge les mêmes dépenses de talent
que pour la vérité, à ne
considérer jamais que les besoins du moment et le
succès de la cause présente. Voilà les
enseignements que le barreau de cette époque donnait
à Cicéron. Il y séjourna trop longtemps,
et quand il le quitta pour faire à quarante ans ses
débuts dans l'éloquence politique, il ne put
pas se délivrer des mauvaises habitudes qu'il y avait
prises.
Est-ce à dire qu'on doive rayer Cicéron de la
liste des orateurs politiques? Si l'on donne ce nom à
tout homme dont la parole a quelque action sur les affaires
de son pays, qui agit sur la foule pour l'entraîner ou
sur les honnêtes gens pour les convaincre, il me semble
difficile de le refuser à Cicéron. Il savait
parler au peuple et s'en faire écouter. Il l'a
quelquefois dominé dans ses emportements les plus
furieux. Il lui a fait accepter ou même applaudir des
opinions contraires à ses préférences.
Il a paru l'arracher à son apathie et réveiller
en lui, pour quelques moments, une apparence d'énergie
et de patriotisme. Ce n'est pas sa faute si ses succès
n'ont pas eu de lendemain, si après ces beaux
triomphes d'éloquence la force brutale est
restée maîtresse. Au moins a-t-il fait avec sa
parole tout ce que la parole pouvait faire alors. Je
reconnais cependant qu'il manque à son
éloquence politique ce qui manquait à son
caractère. Elle n'est nulle part assez résolue,
assez décidée, assez pratique. Elle est trop
préoccupée d'elle-même et pas assez des
questions qu'elle traite. Elle ne les aborde pas franchement
et par leurs grands côtés. Elle s'embarrasse de
phrases pompeuses, au lieu de s'appliquer à parler
cette langue précise et nette qui est celle des
affaires. Quand on la regarde de près et qu'on
entreprend de l'analyser, on trouve qu'elle se compose
surtout de beaucoup de rhétorique et d'un peu de
philosophie. C'est da la rhétorique que viennent tous
ces arguments agréables et piquants, toutes ces
finesses de discussion, et aussi toute cette ostentation de
pathétique qu'on y rencontre. La philosophie a fourni
ces grands lieux communs développés avec
talent, mais qui ne tiennent pas toujours très bien au
sujet. Il y a là trop d'artifice et de
procédé. Un débat serré et simple
conviendrait mieux à la discussion des affaires que
ces subtilités et ces émotions; ces grandes
tirades philosophiques seraient avantageusement
remplacées par une exposition nette et sensée
des principes politiques de l'orateur et des idées
générales qui règlent sa conduite.
Malheureusement, comme je l'ai dit, Cicéron a
conservé, en abordant la tribune, les habitudes qu'il
avait prises au barreau. C'est par des moyens d'avocat qu'il
attaque cette loi agraire si honnête, si
modérée, si sage, que le tribun Rullus avait
proposée. Dans la quatrième Catilinaire,
il avait à discuter cette question, une des plus
graves qui puissent être posées devant une
assemblée délibérante : jusqu'à
quel point est-il permis de sortir de la
légalité pour sauver son pays ? Il ne l'a pas
même abordée. On souffre de voir comme il recule
devant elle, comme il la fuit et l'évite, pour
développer de petites raisons et se perdre dans un
pathétique vulgaire. Evidemment ce genre grave et
sérieux d'éloquence n'était pas celui
que préférait Cicéron et où il se
sentait le plus à l'aise. Si l'on veut connaitre les
véritables aptitudes de son talent, qu'on lise,
immédiatement après la quatrième
Catilinaire, le discours pour Muraena qu'il
prononça à la même époque. Il n'y
en a pas de plus agréable dans la collection de ses
plaidoyers, et l'on admire comment un homme qui était
consul et qui avait alors de si grands embarras s'est
trouvé l'esprit assez libre pour plaisanter avec tant
d'aisance et d'à-propos. C'est qu'il est vraiment
là dans son élément. Aussi, quoique
consul ou consulaire, revenait-il au barreau le plus souvent
qu'il le pouvait. C'était, disait-il, pour obliger ses
amis. Je crois qu'il voulait encore plus se plaire à
lui-même, tant il parait heureux, tant sa verve et son
esprit s'épanouissent librement quand il a quelque
affaire agréable et piquante à plaider. Non
seulement il ne manquait aucune occasion de paraître
devant les juges, mais il enfermait autant que possible ses
discours politiques dans le cadre des plaidoyers ordinaires.
Par exemple, tout se tournait chez lui en questions
personnelles. La discussion des idées le laisse froid
d'ordinaire. Pour qu'il retrouve tous ses avantages, il faut
qu'il soit aux prises avec quelqu'un. Les plus beaux discours
qu'il ait prononcés au forum ou dans le sénat
sont des éloges ou des invectives. C'est là
qu'il est sans rival, c'est là que, suivant une de ses
expressions , son éloquence s'exalte et triomphe ;
mais des invectives et des éloges, si beaux qu'ils
soient, ne sont pas tout à fait pour nous
l'idéal de l'éloquence politique, et nous
réclamons d'elle autre chose aujourd'hui. Tout ce
qu'on peut dire pour justifier les discours de
Cicéron, c'est qu'ils étaient parfaitement
appropriés à son temps, et que leur
caractère s'explique par celui des circonstances au
milieu desquelles ils furent prononcés. La parole
alors ne menait plus l'état, comme aux beaux temps de
la république. D'autres influences l'avaient
remplacée : c'était, dans les élections,
l'argent et les brigues des candidats ; dans les discussions
de la place publique, le pouvoir occulte et terrible des
sociétés populaires ; c'était surtout
l'armée, qui, depuis Sylla, élève ou
renverse tous les gouvernements. Au milieu de ces forces qui
la dominent, l'éloquence se sent impuissante. Comment
pourrait-elle conserver encore cet accent qui commande, ce
ton impérieux et résolu de quelqu'un qui sait
son pouvoir ? A-t-elle besoin de faire appel à la
raison et à la logique, d'essayer de s'imposer aux
convictions par un débat serré et nerveux,
quand elle sait que les questions qu'elle traite se
décident ailleurs ? M. Mommsen fait malignement
remarquer que, dans la plupart de ses grands discours
politiques, Cicéron plaide des causes
déjà gagnées. Quand il publia les Verrines, les lois
de Sylla sur la composition des tribunaux venaient
d'être abolies. Il savait bien que Catilina
était décidé à quitter Rome
lorsqu'il prononça la première
Catilinaire, où il le conjurait si
pathétiquement de s'en aller. La seconde
Philippique, qui semble si courageuse quand on la
suppose prononcée en face d'Antoine tout puissant, ne
fut rendue publique qu'au moment où Antoine s'enfuyait
vers la Gaule cisalpine. A quoi donc ont servi tous ces beaux
discours ? Ils n'ont pas servi à faire prendre de
décisions, puisque ces décisions étaient
déjà prises ; mais ils les ont fait accepter de
la foule, ils ont soulevé et passionné pour
elles l'opinion publique, ce qui est bien quelque chose. Il
faut s'y résigner, on ne gouverne plus alors par la
parole, l'éloquence ne peut plus espérer de
diriger les événements ; mais elle agit sur eux
d'une façon indirecte, elle essaye de faire
naître ces grands mouvements d'opinion qui les
préparent ou les achèvent : «elle ne
provoque pas des votes et des actes, elle sollicite des
émotions (21)». Si cet effet
moral est le seul but qu'elle se propose à ce moment,
celle de Cicéron, par son abondance et sa pompe, par
son éclat et son pathétique, était faite
pour l'atteindre.
Il avait d'abord mis sa parole au service du parti populaire
: on a vu que c'est dans les rangs de ce parti qu'il fit ses
débuts politiques ; mais quoiqu'il l'ait
fidèlement servi pendant dix-sept ans, je suis
porté à croire qu'il ne le servait pas toujours
de bon coeur. C'étaient les excès du
régime aristocratique qui l'avaient rejeté vers
la démocratie ; il dut trouver que la
démocratie, surtout quand elle fut victorieuse,
n'était pas beaucoup plus sage. Elle lui envoyait
quelquefois de terribles clients à défendre. Il
lui fallait faire l'apologie de brouillons et de
séditieux qui troublaient sans cesse la paix publique.
Il plaida même un jour ou fut sur le point de plaider
pour Catilina. Il est probable que ces complaisances lui
coûtaient et que les emportements de la
démocratie lui donnèrent plus d'une fois la
tentation de se séparer d'elle. Malheureusement il ne
savait où aller en la quittant, et si les
plébéiens le blessaient par leurs violences,
l'aristocratie avec sa morgue et ses préjugés
ne l'attirait guère. Puisque, dans les partis qui
existaient alors, il n'en trouvait aucun qui
représentât exactement ses opinions et qui
convînt tout à fait à son
tempérament, il ne lui restait plus d'autre ressource
que d'en former un exprès pour lui. C'est ce qu'il
essaya de faire. Quand il sentit que l'éclat de sa
parole, les fonctions qu'il avait remplies, la
popularité qui l'entourait, faisaient de lui un
personnage important, pour s'assurer du lendemain, pour
prendre dans la république une situation à la
fois plus solide et plus haute, pour s'affranchir des
exigences de ses anciens protecteurs, pour n'être pas
forcé de tendre la main à ses anciens
adversaires, il chercha à créer un parti
nouveau, formé des modérés de tous les
autres, et dont il serait le chef. Mais il comprit bien qu'il
ne pouvait pas tout à fait improviser ce parti et le
faire naître de rien. Il fallait qu'il y eût
comme un noyau autour duquel les nouvelles recrues qu'il
espérait viendraient se ranger. Il crut l'avoir
trouvé dans cette classe de citoyens dont il faisait
partie par sa naissance et qu'on appelait les
chevaliers.
Rome a toujours
manqué de ce que nous api dons aujourd'hui une classe
moyenne et bourgeoise. A mesure que les petits cultivateurs
des campagnes abandonnèrent leurs champs pour venir
habiter la ville, et «que ces mains qui travaillaient
le froment et la vigne ne furent plus occupées
qu'à applaudir au théâtre et au cirque
(22)», le
vide devint de plus en plus grand entre l'opulente
aristocratie qui possédait presque toute la fortune
publique et ce peuple indigent et affamé qui se
recrutait sans cesse dans l'esclavage. Le seul
intermédiaire qui existait entre eux était les
chevaliers. Ce nom, à l'époque dont nous nous
occupons, ne désignait pas seulement les citoyens
auxquels l'Etat donnait un cheval (equites equo
publico) et qui votaient à part dans les
élections ; on le donnait aussi à tous ceux qui
possédaient le cens équestre,
c'est-à-dire à ceux dont la fortune
dépassait 400,000 sesterces (80,000 fr.). On pense
bien que la noblesse maltraitait fort ces
plébéiens obscurs que le hasard ou
l'économie avait enrichis ; elle tenait ces parvenus
à distance ; elle leur distribuait ses mépris
aussi libéralement qu'aux pauvres gens de la
plèbe; elle leur fermait avec obstination
l'entrée des dignités publiques. Quand
Cicéron fut nominé consul, il y avait trente
ans qu'un homme nouveau, pas plus un chevalier qu'un
plébéien, n'était arrivé au
consulat. Eloignés de la vie politique par la jalousie
des grands seigneurs, les chevaliers furent forcés de
tourner leur activité ailleurs. Au lieu de perdre leur
temps à tenter des candidatures malheureuses, ils
s'occupèrent à faire fortune. Quand Rome eut
conquis le monde, ce furent les chevaliers surtout qui
profitèrent de ces conquêtes. Ils formaient une
classe industrieuse et éclairée, ils
étaient déjà à leur aise et
pouvaient faire quelques avances de fonds, ils
songèrent à exploiter à leur profit les
pays vaincus. Pénétrant partout où se
montraient les armes romaines, ils se firent
négociants, banquiers, fermiers de l'impôt, et
finirent par amasser d'immenses richesses. Comme Rome
n'était plus alors au temps des Curius et des
Cincinnatus, et qu'on n'allait plus prendre les dictateurs
à la charrue, la fortune leur donna de la
considération et de l'importance. On commença
dès lors à parler d'eux avec plus de respect.
Les Gracques, qui voulaient s'en faire des alliés dans
la lutte qu'ils livraient à l'aristocratie, firent
décider qu'on prendrait les juges dans leurs rangs.
Cicéron alla plus loin ; il tenta de faire d'eux le
fond de ce grand parti modéré qu'il voulait
créer. Il savait qu'il pouvait compter sur leur
dévouement. Il leur appartenait par la naissance ; il
avait fait rejaillir sur eux l'éclat qui entourait son
nom ; il n'avait jamais négligé de
défendre leurs intérêts devant les
tribunaux ou dans le sénat. Il comptait bien aussi
qu'ils lui sauraient gré de vouloir augmenter leur
importance et les appeler à un grand avenir
politique.
Toutes ces combinaisons de
Cicéron semblèrent d'abord très
heureusement réussir ; mais, à dire le vrai, le
mérite de ce succès revient surtout aux
circonstances. Cette grande coalition des
modérés, dont il s'est applaudi comme de son
plus bel ouvrage, se fit presque d'elle-même sous
l'empire de la peur. Une révolution sociale semblait
imminente. La lie de tous les anciens partis,
plébéiens misérables et grands seigneurs
ruinés, vieux soldats de Marius et proscripteurs de
Sylla , s'était réunie sous la conduite d'un
chef audacieux et habile qui leur promettait une
répartition nouvelle de la fortune publique. Cette
réunion décida ceux qu'ils menaçaient
à s'unir aussi pour se défendre. La frayeur fut
plus efficace que ne l'auraient été sans elle
les plus beaux discours, et l'on peut dire en ce sens que
Cicéron fut peut-être plus redevable de cette
fusion, qu'il regardait comme le salut de sa politique,
à Catilina qu'à lui-même. La
communauté des intérêts amena donc, au
moins pour un temps, la conciliation des opinions. Ce furent
les plus riches et par suite les plus compromis,
c'est-à dire les chevaliers, qui naturellement furent
l'âme du parti nouveau. A côté d'eux se
rangèrent les plébéiens honnêtes,
qui ne voulaient pas qu'on allât au delà des
réformes politiques, et ces grands seigneurs que leurs
plaisirs menacés arrachaient à leur apathie,
qui auraient laissé périr la république
sans la défendre, mais qui ne voulaient pas qu'on
touchât à leurs murènes et à leurs
viviers. Le parti nouveau ne chercha pas longtemps pour se
donner un chef. Pompée était en Asie,
César et Crassus favorisaient secrètement la
conjuration. Après eux, il n'y avait pas de plus grand
nom que celui de Cicéron. C'est ce qui explique ce
grand courant d'opinion qui le nomma consul. Son
élection fut presque un triomphe. Je ne dirai rien de
son consulat, dont il a eu le tort de beaucoup trop parler
lui-même. Ce n'est pas que je veuille rabaisser la
victoire qu'il remporta sur Catilina et ses complices. Le
danger était sérieux. Salluste, son ennemi, le
déclare. Derrière le complot se tenaient
cachés des ambitieux politiques prêts à
profiter des événements. César savait
bien que le règne de l'anarchie ne pouvait pas
être long. Après quelques pillages et quelques
massacres, Rome serait revenue de sa surprise, et les
honnêtes gens, retrouvant quelque énergie dans
leur désespoir, auraient repris le dessus. Seulement
il est probable qu'il se serait produit alors une de ces
réactions qui suivent d'ordinaire ces grandes
épreuves. Le souvenir des maux dont ils étaient
si malaisément sortis aurait disposé bien des
gens à sacrifier la liberté qui les exposait
à tant de périls, et César se tenait
prêt à leur offrir le remède souverain du
pouvoir absolu. Eu coupant le mal dans sa racine, en
surprenant et en punissant la conjuration avant qu'elle
eût éclaté, peut être
Cicéron retarda-t-il de quinze ans l'avènement
du régime monarchique à Rome. Il n'a donc pas
eu tort de vanter les services qu'il rendit alors à la
liberté de son pays, et il faut reconnaître avec
Sénèque que, s'il a loué son consulat
sans mesure, il ne l'a pas loué sans motif (23).
Malheureusement il est
rare que ces sortes de coalitions survivent beaucoup aux
circonstances qui les ont fait naître. Quand ces
intérêts qu'un danger commun avait réunis
commencèrent à se rassurer, ils reprirent entre
eux leur ancienne guerre. Les plébéiens, qui
n'avaient plus peur, sentirent renaître leur rancune
contre la noblesse. Les nobles recommencèrent à
jalouser la fortune des chevaliers. Quant aux chevaliers, ils
n'avaient rien de ce qu'il faut pour devenir, comme
Cicéron l'avait voulu, l'âme d'un parti
politique. Ils étaient plus occupés de leurs
affaires privées que de celles de la
république. Ils n'avaient pas la force du nombre,
comme les plébéiens, et manquaient de ces
grandes traditions de gouvernement qui conservèrent si
longtemps l'autorité à la noblesse. Pour toute
règle de conduite, ils avaient cet instinct ordinaire
aux grandes fortunes qui leur fait préférer
l'ordre à la liberté. Ils cherchaient avant
tout un pouvoir fort qui sût les défendre, et
César n'eut pas dans la suite de partisans plus
dévoués qu'eux. Dans ce désarroi de son
parti, Cicéron, qui ne pouvait pas rester seul, se
demanda de quel côté, il devait se ranger.
L'effroi que Catilina lui avait causé, la
présence de César et de Crassus dans les rangs
de la démocratie l'empêchèrent d'y
revenir, et il finit par s'attacher à la noblesse
malgré ses répugnances. A partir de son
consulat, il se tourne résolûment vers elle. On
sait comment la démocratie se vengea de ce qu'elle
regardait comme une trahison. Trois ans après, elle
fit condamner son ancien chef, devenu son ennemi, à
l'exil, et ne consentit à le rappeler que pour le
jeter aux pieds de César et de Pompée, que leur
union avait rendus les maîtres de Rome (24).
III
La crise politique la plus grave que Cicéron ait
traversée, après les grandes luttes de son
consulat, est certainement celle qui se termina par la chute
de la république romaine à Pharsale. On sait
qu'il ne s'engagea pas volontiers dans ce terrible
débat, dont il prévoyait l'issue, et qu'il
flotta près d'un an entre les deux partis avant de se
décider. Il n'y a pas à être surpris
qu'il ait hésité si longtemps. Il
n'était plus jeune et obscur comme au temps où
il plaida pour Roscius. Il avait une grande position et un
nom illustre qu'il ne voulait pas compromettre, et il est
bien permis de réfléchir quand on joue d'un
coup sa fortune, sa gloire et peut-être sa vie.
D'ailleurs la question n'était pas aussi simple et le
droit aussi évident qu'il le paraît d'abord.
Lucain, dont les sympathies ne sont pas douteuses, disait
pourtant qu'on ne peut pas savoir de quel côté
était la justice, et cette obscurité ne semble
pas s'être tout à fait dissipée,
puisqu'après dix-huit siècles de discussions la
postérité n'a pas réussi encore à
se mettre d'accord. Ce qu'il y a de curieux, c'est que chez
nous, au dix-septième siècle, en plein
régime monarchique, les savants se prononçaient
tous sans hésiter contre César. Des magistrats
de cours souveraines, hommes timides et modérés
par leurs fonctions et leurs caractères, qui
approchaient du roi et ne lui ménageaient pas les
flatteries, se permettaient d'être des pompéiens
dans l'intimité et même des pompéiens
fougueux. «M. le premier président, dit
Guy-Patin, est si fort du parti de Pompée qu'il me
témoigna un jour de la joie de ce que j'en
étais, lui ayant dit, dans son beau jardin de
Bâville, que si j'eusse été, quand on tua
Jules César, dans le sénat, je lui aurais
donné le vingt-quatrième coup de
poignard». Au contraire, c'est de nos jours, dans une
époque toute démocratique, après la
révolution française, qu'au nom même de
la révolution et de la démocratie on a soutenu
avec le plus d'avantage le parti de César, et qu'on a
mis dans tout son jour le profit que l'humanité a
tiré de sa victoire.
Je n'ai pas l'intention de rouvrir ce débat, il est
trop fertile en discussions orageuses. Je n'en veux prendre
ici que ce qui est indispensable pour faire connaître
la vie politique de Cicéron. Il y a, je crois, deux
façons très différentes d'envisager la
question : - la nôtre d'abord, c'est-à-dire
celle des gens désintéressés dans ces
querelles d'autrefois, qui les abordent en historiens ou en
philosophes après que le temps les a refroidies, qui
les jugent moins sur les causes que sur les résultats,
et qui se demandent surtout le bien ou le mal qu'elles ont
fait au monde ; - ensuite celle des contemporains, qui les
apprécient avec leurs passions et leurs
préjugés, d'après les idées de
leur temps, dans leurs rapports avec eux-mêmes, et sans
en connaître les conséquences
éloignées. C'est uniquement à ce dernier
point de vue que je vais me placer, quoique l'autre me semble
bien plus grand et bien plus fécond ; mais comme mon
seul dessein est de demander compte à Cicéron
de ses actes politiques, et qu'on ne pouvait pas
raisonnablement exiger de lui qu'il devinât l'avenir,
je me bornerai à montrer comment la question se posa
de son temps, quelles raisons on alléguait des deux
côtés, et de quelle façon il était
naturel qu'un homme sage et qui aimait son pays
appréciât ces raisons. Oublions donc les
dix-huit siècles qui nous séparent de ces
événements, supposons que nous sommes à
Formies où à Tusculum pendant ces longues
journées d'anxiété et d'incertitude qu'y
passa Cicéron, et que nous l'entendons discuter, avec
Atticus ou Curion, les motifs que lui donnaient les deux
partis pour l'attirer dans leurs rangs.
Ce qui fait bien voir que le jugement des contemporains sur
les événements auxquels ils assistent n'est pas
le même que celui de la postérité, c'est
que les amis de César, quand ils voulaient gagner
Cicéron, n'employaient pas l'argument qui nous semble
le meilleur. Aujourd'hui la principale raison qu'on invoque
pour justifier sa victoire, c'est qu'à tout prendre,
si Rome y a perdu quelques-uns de ses privilèges,
c'est au profit du reste de l'univers qu'elle en a
été dépouillée. Qu'importe qu'on
ait privé de leur liberté politique quelques
milliers d'hommes qui n'en faisaient pas un très bon
usage, si on a du même coup arraché le monde
presque entier au pillage, à l'asservissement et
à la ruine ? Il est certain que les provinces et leurs
habitants, si rudement traités par les proconsuls de
la république, se sont bien trouvés du
régime inauguré par César. Son
armée était ouverte à tous les
étrangers ; il avait avec lui des Germains, des
Gaulois, des Espagnols. Ils l'aidèrent à
vaincre, et naturellement ils profitèrent de sa
victoire : ce fut, sans qu'il l'ait souhaité
peut-être, une revanche des peuples vaincus. Ces
peuples ne tenaient pas à recouvrer leur ancienne
indépendance ; ils en avaient perdu le goût avec
leur défaite. Leur ambition était toute
contraire : ils voulaient qu'on leur permît de devenir
Romains. Jusque-là pourtant cette aristocratie
fière et avide aux mains de laquelle était le
pouvoir, et qui entendait exploiter le genre humain au profit
de ses plaisirs ou de sa grandeur, avait obstinément
refusé de l'élever jusqu'à elle, sans
doute pour conserver le droit de le traiter selon ses
caprices. En renversant l'aristocratie, César abaissa
la barrière qui fermait Rome au reste des nations.
L'empire a fait le monde entier romain ; il a
réconcilié, dit un poète, et confondu
dans un même nom tous les peuples de l'univers. Ce sont
assurément là de grandes choses, et il ne nous
convient pas de les oublier, nous qui sommes les fils de ces
vaincus appelés par César à partager sa
victoire. Mais qui songeait, au temps de Cicéron,
qu'il en devait être ainsi ? qui pouvait prévoir
et indiquer ces conséquences lointaines ? La question
ne se présenta pas alors comme elle se pose pour nous,
qui l'étudions à distance. César, dans
les motifs qu'il donne de son entreprise, n'allègue
nulle part l'intérêt des peuples vaincus. Le
sénat n'a jamais prétendu être le
représentant de la nationalité romaine
menacée par une invasion des barbares, et l'on ne voit
pas que les provinces se soient soulevées en faveur de
celui qui venait les défendre : au contraire, elles se
partagèrent d'une façon presque égale
entre les deux rivaux. Si l'Occident combattait avec
César, tout l'Orient se rendit dans le camp de
Pompée. C'est ce qui prouve que quand la lutte
s'engagea, les conséquences n'en étaient pas
connues, même de ceux qui devaient en profiter, et que
leur intérêt aurait dû rendre
clairvoyants. D'ailleurs, quand Cicéron aurait
soupçonné les bienfaits que le monde allait
tirer du triomphe de César, pense-t-on que cette
raison pouvait suffire à le décider ? Il
n'était pas de ces gens qui aiment l'humanité
tout entière pour se dispenser de servir leur pays. Il
se serait difficilement résigné à
sacrifier sa liberté, sous prétexte que ce
sacrifice profiterait aux Gaulois, aux Bretons et aux
Sarmates. Sans doute l'intérêt du monde ne lui
était pas indifférent, mais celui de Rome le
touchait plus encore. II était doux et humain de
caractère, il avait écrit dans de beaux
ouvrages que toutes les nations ne sont qu'une même
famille, il s'était fait chérir dans la
province qu'il avait gouvernée ; cependant, quand
César ouvrit aux étrangers qui l'accompagnaient
la cité et même le sénat, il se montra
très mécontent, et attaqua ces barbares de ses
railleries les plus cruelles. C'est qu'il voyait bien que ces
Espagnols et ces Gaulois qui se promenaient la tête
haute sur le forum triomphaient de Rome. Sa fierté de
Romain se révoltait à ce spectacle, et je ne
vois pas de motif de l'en blâmer. S'il put deviner
alors ou seulelement entrevoir l'émancipation
générale des peuples vaincus qui se
préparait, il comprit aussi que cette
émancipation entraînerait la perte de
l'existence indépendante, originale et distincte de
son pays. Il était naturel qu'un Romain ne
voulût pas payer de ce prix même la
prospérité du monde.
Cette raison
écartée, il y en avait une autre,
spécieuse sinon vraie, dont on se servait beaucoup
pour entraîner les irrésolus. On leur disait que
la république et la liberté n'étaient
pas intéressées dans la guerre, que
c'était simplement une lutte entre deux ambitieux qui
se disputaient le pouvoir. Il y avait dans cette assertion
une part de vérité capable de tromper les
esprits légers. Il est certain que les questions
personnelles tenaient une grande place dans ce débat.
Les soldats de César se battaient uniquement pour lui,
et Pompée traînait à sa suite beaucoup
d'amis et de créatures que lui avaient faits trente
ans de prospérité et de puissance.
Cicéron lui-même nous fait plusieurs fois
entendre que c'est sa vieille amitié pour
Pompée qui l'a conduit dans son camp. «C'est
à lui, à lui seul que je me sacrifie»,
disait-il quand il se préparait à quitter
l'Italie (25). Il
y a des moments où il semble prendre plaisir à
restreindre cette querelle dans laquelle il va s'engager, et
où, en écrivant à ses amis, il leur
répète ce que disaient les partisans de
César : «C'est un conflit d'ambition,
regnandi contentio est (26)». Mais il faut
bien prendre garde quand on lit sa correspondance à
cette époque, et la lire avec précaution.
Jamais il n'a été plus irrésolu. 11
change d'opinion chaque jour, il attaque et il défend
tous les partis, en sorte qu'en réunissant avec
adresse tous ces mots échappés à ces
mécontentements et à ces incertitudes, on peut
trouver dans ses lettres de quoi faire le procès
à tout le monde. Ce ne sont là que des boutades
d'un esprit inquiet et effrayé dont il ne faut abuser
ni contre les autres ni contre lui-même. Ici, par
exemple, quand il prétend que la république n'a
rien à faire dans le débat, il ne dit pas ce
qu'il pense réellement. Ce n'est qu'un de ces
prétextes qu'il imagine pour justifier ses
hésitations aux yeux de ses amis et aux siens. Il est
si rare d'être tout à fait sincère, je ne
dis pas seulement avec les autres, mais avec soi ! On est si
ingénieux à se prouver qu'on a mille raisons
pour faire ce qu'on fait sans raison, par
intérêt ou par caprice ! Mais quand
Cicéron veut être franc, quand il n'a plus aucun
matif de se tromper lui-même ou d'abuser les autres, il
parle d'une autre façon. Alors la cause de
Pompée devient bien réellement celle de la
justice et du droit, celle des honnêtes gens et de la
liberté. Sans doute Pompée avait rendu de bien
mauvais services à la république avant
d'être amené par les circonstances à la
défendre. On ne pouvait pas se fier entièrement
à lui, et l'on redoutait son ambition. Dans son camp,
il affectait des airs de souverain, il avait des flatteurs et
des ministres. «C'est un petit Sylla, dit
Cicéron, qui rêve aussi à des
proscriptions, sullaturit, proscripturit (27)». Le parti
républicain aurait certainement pris un autre
défenseur, s'il avait été libre de
choisir ; mais au moment où César rassembla ses
troupes, ce parti, qui n'avait ni soldats ni
généraux, fut bien forcé d'accepter les
secours de Pompée. I1 les accepta comme ceux d'un
allié dont on se défie et qu'on surveille, qui
deviendra peut-être un ennemi après la victoire,
mais dont on ne peut pas se passer pendant le combat. Au
reste, quoique Pompée ne rassurât pas tout
à fait la liberté, on savait bien qu'avec lui
elle courait moins de dangers qu'avec César. Il
était ambitieux sans doute, mais plus ambitieux
d'honneurs que de pouvoir. Deux fois on l'avait vu arriver
aux portes de Rome avec une armée. La
démocratie l'appelait, il n'avait qu'à le
vouloir pour se faire roi, et deux fois il avait
licencié ses troupes et déposé les
faisceaux. On l'avait fait consul unique, c'est-à-dire
presque dictateur, et au bout de six mois il s'était
volontairement donné un collègue. Ces
précédents faisaient croire aux
républicains sincères qu'après la
victoire il se contenterait de titres sonores et
d'éloges pompeux, et que l'on payerait ses services,
sans danger pour personne, avec de la pourpre et des
lauriers. En tout cas, s'il avait réclamé autre
chose, on peut être certain qu'on le lui aurait
refusé et qu'il aurait trouvé des adversaires
dans la plupart de ceux qui s'étaient faits ses
alliés. Il y avait dans son camp bien des gens qui
n'étaient pas ses amis et qu'on ne peut pas
soupçonner d'avoir pris les armes pour lui
conquérir un trône. Caton se méfiait de
lui et l'avait toujours combattu. Brutus, dont il avait
tué le père, le détestait.
L'aristocratie ne lui pardonnait pas d'avoir relevé le
pouvoir des tribuns et de s'être uni contre elle avec
César. Est-il vraisemblable que tous ces grands
personnages, exercés aux affaires, aient
été les dupes de ce politique médiocre
qui n'a jamais trompé personne, et que, sans le
savoir, ils aient travaillé pour lui seul ? ou faut-il
admettre, ce qui est moins probable encore, qu'ils le
savaient, et qu'ils abandonnaient volontairement leur pays,
risquaient leur fortune et donnaient leur vie pour servir les
intérêts et l'ambition d'un homme qu'ils
n'aimaient pas ? Assurément il s'agissait pour eux
d'autre chose. Quand ils passaient la mer, quand ils se
décidaient, malgré leurs répugnances,
à commencer une guerre civile, quand ils venaient se
mettre sous les ordres d'un général auquel ils
avaient tant de raisons d'en vouloir, ils ne pensaient pas
intervenir seulement dans une querelle personnelle, mais
venir au secours de la république et de la
liberté menacées.
«Mais ici,
ajoute-t-on, vous vous trompez encore. Ces noms de
liberté et de république vous abusent. Ce
n'était pas la liberté qu'on défendait
dans le camp de Pompée, c'était l'oppression
d'une caste sur un peuple. On voulait maintenir les
priviléges d'une aristocratie pesante et injuste. On
se battait pour lui conserver le droit d'opprimer la
plèbe et d'écraser le monde». A ce
compte, les amis de la liberté doivent garder pour
César les sympathies qu'ils accordent
généralement à Pompée, car il est
le libéral et le démocrate, l'homme de la
plèbe, le successeur des Gracques et de Marius. C'est
bien en effet le rôle qu'il s'attribuait depuis le jour
où, presque enfant, il avait tenu tête à
Sylla. Préteur et consul, il avait paru servir avec
dévouement la cause populaire, et au moment où
il marchait sur Rome abandonnée par le Sénat,
il disait encore : «Je viens délivrer le peuple
romain d'une faction qui l'opprime (28)».
Qu'y a-t-il de vrai dans cette prétention qu'il
affiche d'être le défenseur de la
démocratie ? Qu'en devait penser, je ne dis pas un
patricien, qui naturellement en pensait beaucoup de mal, mais
un ennemi de la noblesse, un homme nouveau comme
Cicéron ? Quelque colère qu'aient causée
à Cicéron les dédains de l'aristocratie,
quelque impatience qu'il ait ressentie à trouver
toujours sur son chemin, dans ses candidatures, un de ces
grands seigneurs à qui les honneurs venaient en
dormant, je ne vois pas que sa mauvaise humeur l'ait jamais
porté à prétendre que le peuple
fût opprimé (29), et je suppose que,
lorsqu'on soutenait devant lui que César prenait les
armes pour lui rendre la liberté, il demandait depuis
quand il l'avait perdue, et quels priviléges nouveaux
on voulait ajouter à ceux qu'il possédait
déjà. Il rappelait alors que le peuple
jouissait d'une organisation légale, qu'il avait des
magistrats particuliers, auxquels il faisait appel des
décisions des autres, magistrats inviolables et
sacrés, que la loi armait du pouvoir énorme
d'arrêter le gouvernement par leur intercession, et
d'interrompre la vie politique ; qu'il avait la
liberté de la tribune et de la parole, le droit de
suffrage, dont il trafiquait pour vivre, enfin le libre
accès à toutes les magistratures, et il n'avait
qu'à citer son exemple pour démontrer qu'il
était possible à un homme sans aïeux et
presque sans fortune de parvenir même au consulat. A la
vérité, de pareils succès étaient
rares. L'égalité inscrite dans la loi souffrait
beaucoup dans l'application. Les fastes consulaires à
cette époque ne contiennent guère que des noms
illustres. Quelques grandes familles semblaient s'être
établies dans les premières dignités de
l'Etat : elles en gardaient lés abords et n'en
laissaient approcher personne; mais était-il besoin
pour briser ces obstacles, que l'habileté de quelques
ambitieux opposait au jeu régulier des institutions,
de détruire ces institutions elles-mêmes ? Le
mal était-il si grand qu'on fût forcé
d'avoir recours au remède radical du pouvoir absolu ?
était-il défendu de croire qu'il serait plus
sûrement guéri par la liberté que par le
despotisme ? N'avait-on
pas vu, par des exemples récents, qu'un grand courant
d'opinion populaire suffisait pour renverser toutes ces
résistances aristocratiques ? Les lois offraient au
peuple le moyen de reconquérir son influence, s'il
l'avait énergiquement voulu. Avec la liberté
des suffrages et celle de la tribune, avec l'intercession des
tribuns et la force invincible du nombre, il devait toujours
finir par être le maître. S'il laissait à
d'autres le pouvoir, c'était sa faute, et il
méritait l'abaissement où le tenait la
noblesse, puisqu'il ne faisait pas d'efforts pour en sortir.
Cicéron avait peu d'estime pour le peuple de son temps
; il le croyait de sa nature indifférent et apathique.
«Il ne demande rien, disait-il, il ne souhaite rien
(30)» et
toutes les fois qu'il le voyait s'agiter sur la place
publique, il soupçonnait que c'étaient les
largesses de quelques ambitieux qui faisaient ce miracle. Il
n'était donc pas porté à croire qu'il
fallût lui accorder des droits nouveaux quand il le
voyait si peu ou si mal user de ses droits anciens. Aussi ne
regardait-il pas comme sérieux le prétexte
invoqué par César pour prendre les armes.
Jamais il ne consentit à voir en lui le successeur des
Gracques venant émanciper la plèbe
opprimée ; jamais la guerre qui se préparait ne
lui parut être le renouvellement des anciennes luttes,
dont l'histoire romaine est pleine, entre le peuple et
l'aristocratie. En effet, une réunion de grands
seigneurs ruinés, les Dolabella, les Antoine, les
Curion, marchant sous la conduite de celui qui se glorifiait
d'être le fils des dieux et des rois, méritait
peu le nom de parti populaire, et il s'agissait d'autre chose
que de défendre les privilèges de la naissance
dans un camp où s'étaient rendus tant de
chevaliers et de plébéiens, et qui comptait
parmi ses chefs Varron, Cicéron et Caton,
c'est-à-dire deux petits bourgeois d'Arpinum et de
Réate, et le descendant du paysan de Tusculum.
Du reste, César ne
semble pas s'être beaucoup préoccupé
lui-même de ce rôle de champion de la
démocratie. Quand on lit avec soin ses
mémoires, on ne voit pas qu'il y parle beaucoup des
intérêts du peuple. La phrase que j'ai
citée tout à l'heure est à peu
près la seule où il en soit question. Il est
plus franc dans tout le reste. Au début de la guerre
civile, quand il expose les raisons qu'il a de la commencer,
il se plaint qu'on lui refuse le consulat, qu'on lui
enlève sa province, qu'on l'arrache à son
armée ; il ne dit pas un mot du peuple, de ses droits
méconnus, de sa liberté qu'on opprime.
C'était pourtant le moment d'en parler pour justifier
une entreprise que tant de gens, et les plus honnêtes,
condamnaient. Dans les dernières conditions qu'il
posait au sénat avant de marcher sur Rome, que
réclamait-il ? Toujours son consulat, son
armée, sa province ; il défendait ses
intérêts personnels, il stipulait pour lui ;
jamais il ne lui vint dans la pensée de demander
aucune garantie pour ce peuple dont il se disait le
défenseur. Autour de lui, dans son camp, on ne pensait
pas plus au peuple qu'il ne s'en occupait lui-même. Ses
meilleurs amis, ses plus braves généraux,
n'avaient pas la prétention d'être des
réformateurs ni des démocrates. Ils ne
croyaient pas en le suivant qu'ils allaient rendre la
liberté à leurs concitoyens ; ils voulaient
venger leur chef outragé et lui conquérir la
puissance. «Nous sommes les soldats de
César», disaient-ils avec Curion (31). Ils n'avaient pas
d'autre titre, ils ne connaissaient pas d'autre nom. Quand on
venait parler à ces vieux centurions qui avaient vu la
Germanie et la Bretagne, qui avaient pris Alésia et
Gergovie, d'abandonner César et de passer du
côté des lois et de la république, ils ne
répondaient pas qu'ils défendaient le peuple et
ses droits. «Nous, disaient-ils, nous quitterions notre
général, qui nous a donné tous nos
grades, nous prendrions les armes contre une armée
dans laquelle nous servons et nous sommes victorieux depuis
trente-six ans ! Nous ne le ferons jamais (32)». Ces
gens-là n'étaient plus citoyens, mais soldats.
Après trente-six ans de victoires, ils avaient perdu
les traditions et le goût de la vie civile ; les droits
du peuple leur étaient devenus indifférents, et
la gloire remplaçait pour eux la liberté.
Cicéron et ses amis pensaient que cet entourage n'est
pas celui d'un chef populaire qui vient rendre la
liberté à ses concitoyens, mais celui d'un
ambitieux qui vient établir par les armes un pouvoir
absolu, et ils ne se trompaient pas. Ce qui le prouve plus
que tout le reste, c'est la conduite que tint César
après la guerre. De quelle façon a-t-il
usé de sa victoire ? comment en a-t-il fait profiter
le peuple dont il prétendait défendre les
intérêts ? Je ne parle pas de ce qu'il a pu
faire pour son bien-être et ses plaisirs, des
fêtes somptueuses, des repas publics qu'il lui a
donnés, du blé et de l'huile qu'il a si
généreusement distribués aux plus
pauvres, des 400 sesterces (80 francs) qu'il a payés
à chaque citoyen le jour de son triomphe si ces
aumônes suffisaient aux plébéiens de ce
temps, s'ils consentaient à sacrifier leur
liberté à ce prix, je pardonne à
Cicéron de n'avoir pas fait d'eux plus d'estime et de
ne s'être pas rangé de leur côté ;
mais s'ils réclamaient autre chose, s'ils voulaient
une indépendance plus complète, plus de part
aux affaires de leur pays, de nouveaux droits politiques, ils
ne les ont pas obtenus, et la victoire de César,
malgré ses promesses, ne les a rendus ni plus
influents ni plus libres. César a humilié
l'aristocratie, mais il ne l'a humiliée qu'à
son profit. Il a enlevé le pouvoir exécutif des
mains du sénat, mais pour le mettre dans les siennes.
Il a établi l'égalité entre tous les
ordres, mais c'était une égalité de
servitude, et tout le monde a été confondu
désormais dans la même obéissance. Je
sais bien qu'après qu'il eut fait taire la tribune,
privé le peuple du droit de suffrage et réuni
dans sa main tous les pouvoirs publics, le sénat qu'il
avait nommé, à bout de flatteries, lui
décerna solenneilement le nom de libérateur et
vota l'érection d'un temple à la
liberté. Si c'est contre cette liberté qu'on
accuse Cicéron et ses amis d'avoir pris les armes, je
ne crois pas que ce soit la peine de les défendre de
ce reproche. Rendons aux choses leur vrai nom. C'est pour
lui, et non pas pour le peuple, que César travaillait,
et Cicéron, en le combattant, pensait défendre
la république et non les priviléges de
l'aristocratie. Mais cette république
méritait-elle d'être défendue ? Y
avait-il quelque espoir de la conserver? N'était-il
pas manifeste que sa ruine était inévitable ?
C'est la dernière objection qu'on fait à ceux
qui suivirent le parti de Pompée. J'avoue qu'il n'est
pas facile d'y répondre. Le mal dont Rome souffrait et
qui se trahissait par ces désordres et ces violences
dont les lettres de Cicéron nous font un si triste
tableau, n'était pas de ceux qu'on peut conjurer avec
quelques sages réformes. Il était ancien et
profond. Il s'aggravait tous les jours sans qu'aucune loi
pût le prévenir ni l'arrêter. Pouvait-on
espérer le guérir avec ces changements timides
que proposaient les plus hardis ? A quoi servait de diminuer,
comme on le voulait, les priviléges de l'aristocratie
et d'augmenter les droits des plébéiens ? Les
sources mêmes de la vie publique étaient
gravement altérées. Le mal venait de la
façon dont se recrutaient les citoyens.
Pendant longtemps, Rome
avait tiré sa force du peuple des campagnes.
C'était des tribus rustiques, les plus honorées
de toutes, qu'étaient sortis ces vaillants soldats qui
avaient conquis l'Italie et vaincu Carthage; mais ce peuple
agriculteur et guerrier qui avait si bien détendu la
république n'avait pas su se défendre
lui-même contre l'envahissement de la grande
propriété. Resserré peu à peu par
ces immenses domaines où la culture est plus facile,
le pauvre paysan avait longtemps combattu contre la
misère et les usuriers ; puis, découragé
de la lutte, il avait fini par vendre son champ à son
riche voisin, qui le convoitait pour s'arrondir. Il avait
essayé alors de se faire fermier, métayer,
mercenaire, sur ce domaine où il avait
été si longtemps le maître; mais
là il avait rencontré la concurrence de
l'esclave, travailleur plus sobre, qui ne discute pas son
prix, qui ne fait pas ses conditions, qu'on peut traiter
comme on veut (33). C'est ainsi que
chassé deux fois de son champ, comme
propriétaire et comme fermier, sans travail et sans
ressource, il avait été forcé
d'émigrer à la ville. A Rome, cependant, la vie
n'était pas pour lui plus facile. Qu'y pouvait-il
faire ? Il y avait peu d'industrie, et
généralement elle n'était pas aux mains
des hommes libres. Dans les pays où fleurit
l'esclavage, le travail est déconsidéré
; l'homme libre regarde comme son privilége et son
honneur de mourir de faim sans rien faire. D'ailleurs chaque
grand seigneur avait des gens de tous les métiers
parmi ses esclaves, et comme c'était trop de tant
d'ouvriers pour lui seul, il les louait à ceux qui
n'en avaient pas ou leur faisait tenir boutique, dans un coin
de sa maison, à son profit. Là encore, la
concurrence de l'esclavage avait tué le travail libre.
Heureusement à cette époque, Marius avait
ouvert les rangs de l'armée aux plus pauvres citoyens
(capite censi). Ces malheureux, ne trouvant pas
d'autre ressource, s'étaient faits soldats. Faute de
mieux, ils avaient achevé la conquête du monde,
soumis l'Afrique, la Gaule et l'Orient, visité la
Bretagne et la Germanie, et la plupart d'entre eux, les plus
braves et les meilleurs, étaient restés dans
ces lointaines expéditions. Pendant ce temps, les
vides que faisaient dans la cité tous ceux qui
partaient et ne revenaient pas se remplissaient mal. Depuis
que Rome était puissante, il y venait des gens de
toutes les parties du monde, et l'on pense bien que ce
n'étaient pas les plus honnêtes. A plusieurs
reprises elle essaya de se défendre contre ces
invasions d'étrangers ; mais elle avait beau faire des
loin sévères pour les éloigner, ils
revenaient toujours se cacher dans cette immense ville sans
police, et une fois qu'ils y étaient établis,
les plus riches avec de l'argent, les autres avec des
complaisances ou des ruses, finissaient par obtonir le titre
de citoyens. Ceux qui l'avaient plus naturellement encore et
sans avoir besoin de le demander, c'étaient les
affranchis. Sans doute la loi ne leur accordait pas du
premier coup tous les droits politiques ; mais après
une ou deux générations, toutes ces
réserves disparaissaient, et le petit-fils de celui
qui avait tourné la meule et qu'on avait venau sur le
marché des esclaves votait les lois et nommait les
consuls comme un Romain de vieille race. C'est de ce
mélange d'affranchis et d'étrangers que se
formait alors ce qu'on appelait encore par habitude le peuple
romain, peuple misérable, qui vivait des
libéralités des particuliers ou des
aumônes de l'état, qui n'avait plus ni
souvenirs, ni traditions, ni esprit politique, ni
caractère national, ni même moralité, car
il ne connaissait pas ce qui fait l'honneur et la
dignité de la vie dans les conditions les plus basses,
le travail. Avec un peuple pareil, la république
n'était plus possible. C'est de tous les gouvernements
celui qui demande le plus d'honnêteté et de sens
politique dans ceux qui en jouissent. Plus il confère
de priviléges, plus il réclame de
dévouement et d'intelligence. Des gens qui n'usaient
pas de leurs droits ou ne s'en servaient que pour les vendre
n'étaient pas dignes de les conserver. Le pouvoir
absolu qu'ils ont appelé de leurs voeux, qu'ils ont
accueilli de leurs applaudissements, était fait pour
eux, et l'on comprend que l'historien qui étudie de
loin les événements du passé, quand il
voit disparaître la liberté à Rome, se
console de sa chute en disant qu'elle était
méritée et inévitable, et qu'il pardonne
ou même qu'il applaudisse à l'homme qui, en la
renversant, ne fut qu'un instrument de la
nécessité ou de la justice.
Mais les gens qui vivaient alors, qui étaient
attachés au gouvernement républicain par
tradition et par souvenir, qui se rappelaient les grandes
choses qu'il avait faites, qui lui devaient leurs
dignités, leur position et leur renommée,
pouvaient-ils penser comme nous et prendre aussi facilement
leur parti de sa chute ? D'abord ce gouvernement existait. On
était familiarisé avec ses défauts
depuis si longtemps qu'on vivait avec eux. On en souffrait
moins par l'habitude qu'on avait de les supporter. Au
contraire on ne savait pas ce que serait ce pouvoir nouveau
qui voulait remplacer la république. La royauté
inspirait une répugnance instinctive aux Romains,
surtout depuis qu'ils avaient conquis l'Orient. Ils avaient
trouvé là, sous ce nom, le plus odieux des
régimes, l'asservissement le plus complet au milieu de
la civilisation la plus raffinée, tous les plaisirs du
luxe et des arts, le plus bel épanouissement de
l'intelligence avec la tyrannie la plus lourde et la plus
basse, des princes accoutumés à se jouer de la
fortune, de l'honneur, de la vie des hommes, sortes d'enfants
gâtés cruels comme on n'en rencontre plus que
dans les déserts de l'Afrique.
Ce tableau n'était
pas fait pour les séduire, et quelques
inconvénients qu'eùt la république, ils
se demandaient s'il valait la peine de les échanger
contre ceux que pouvait avoir la royauté. De plus, il
était naturel que la chute de la république ne
leur parût pas aussi prochaine et aussi sûre
qu'à nous. Il en est des Etats comme des hommes,
auxquels, après leur mort, on trouve mille raisons de
mourir que personne ne soupçonnait de leur vivant.
Quand les rouages de ce vieux gouvernement fonctionnaient
encore, on ne pouvait pas voir combien la machine
était délabrée. Cicéron a
quelquefois des moments de profond désespoir où
il annonce à ses amis que tout est perdu; mais ces
moments ne durent pas, et il reprend vite courage. Il lui
semble qu'une main ferme, qu'une parole éloquente, que
l'accord des bons citoyens peuvent tout réparer et que
la liberté guérira facilement les abus et les
fautes de la liberté. Jamais il n'aperçoit
toute la gravité du danger. Dans les plus mauvais
jours, sa pensée ne va pas au delà des
intrigants et des ambitieux qui troublent le repos public ;
c'est toujours Catilina, César ou Clodius qu'il
accuse, et il pense que tout sera sauvé, si l'on
réussit à les vaincre. Il se trompait. Catilina
et Clodius n'étaient que les symptômes d'un mal
plus profond, qu'on ne pouvait pas guérir ; mais
faut-il le blâmer d'avoir nourri cette
espérance, toute chimérique qu'elle
était ? Est-il coupable d'avoir pensé qu'il y
avait d'autres moyens de sauver la république que de
sacrifier la liberté ? Un honnête homme et un
bon citoyen ne doivent pas accepter du premier coup ces
extrémités. On a beau leur dire que les
arrêts du destin condamnent à périr le
gouvernement qu'ils préfèrent et qu'ils ont
promis de défendre, ils font bien de ne le croire tout
à fait perdu que lorsqu'il est à terre. Qu'on
les appelle, si l'on veut, aveugles ou dupes, il est
honorable pour eux de n'être pas trop perspicaces, et
il y a des erreurs et des illusions qui valent mieux qu'une
résignation trop facile. La liberté
réelle n'existait plus à Rome, je le crois : il
n'en restait que l'ombre ; mais l'ombre est quelque chose
encore. On ne peut en vouloir à ceux qui s'y attachent
et qui font des efforts désespérés pour
ne pas la laisser périr, car cette ombre, cette
apparence les console de la liberté perdue et leur
donne quelque espoir de la reconquérir. C'est ce que
pensaient les honnêtes gens comme Cicéron, qui,
après avoir mûrement réfléchi,
sans entraînement, saris passion et même sans
espérance, allèrent retrouver Pompée ;
c'est ce que Lucain fait dire à Caton dans ces vers
admirables qui me semblent exprimer les sentiments de tous
ceux qui, sans se dissimuler le triste état de la
république, s'obstinèrent jusqu'à la fin
à la défendre : «Comme un père,
qui vient de perdre son enfant, se plaît à
conduire ses funérailles, allume de ses mains le
bûcher funèbre, ne le quitte qu'à regret
et le plus tard qu'il peut, ainsi, Rome, je ne t'abandonnerai
pas avant de t'avoir tenue morte dans mes bras. Je suivrai
jusqu'au bout ton nom seul, ô liberté,
même quand tu ne seras plus qu'une ombre vaine (34) !»
IV
Pharsale ne fut pas la fin de la carrière politique
de Cicéron, comme il semblait le croire. Les
événements devaient le ramener encore une fois
au pouvoir et le replacer à la tête de la
république. Sa vie retirée, son silence pendant
les premiers temps de la dictature de César, loin de
nuire à sa réputation, l'avaient au contraire
augmentée. Les hommes d'état ne perdent pas
autant qu'ils le pensent à rester quelque temps en
dehors des affaires. La retraite, dignement supportée,
les grandit. Il suffit qu'ils ne soient plus au pouvoir pour
qu'on se trouve quelque penchant à les regretter. On a
moins de raisons d'être sévère pour eux
quand on ne convoite pas leur place, et, comme on ne souffre
plus de leurs défauts, on en perd facilement le
souvenir pour ne plus songer qu'à leurs
qualités. C'est ce qui arriva à Cicéron.
Sa disgrâce désarma tous les ennemis que lui
avait faits sa puissance, et jamais sa popularité ne
fut plus grande qu'à ce moment où il se tenait
volontairement loin des yeux du public. Dans la suite, quand
il crut devoir se rapprocher davantage de César, il se
conduisit avec tant d'adresse, il accommoda si habilement
ensemble la soumission et l'indépendance, il sut si
bien conserver, jusque dans ses éloges et ses
flatteries, un air d'opposition, que l'opinion publique ne
cessa pas de lui être favorable. D'ailleurs les plus
illustres défenseurs de la cause vaincue,
Pompée, Caton, Scipion, Bibulus, étaient morts.
De tous ceux qui avaient occupé avec honneur de
grandes fonctions sous l'ancien gouvernement, il ne restait
guère plus que lui ; aussi s'habitua-t-on à le
regarder comme le dernier représentant de la
république. On sait qu'aux ides de mars Brutus et ses
amis, après avoir frappé César,
appelèrent Cicéron en agitant leurs
épées sanglantes. Ils semblaient ainsi le
reconnaître pour le chef de leur parti et lui faire
honneur du sang qu'ils venaient de verser. Ce sont donc les
circonstances plus encore que sa volonté qui lui ont
fait jouer un si grand rôle dans les
événements qui suivirent la mort de
César. Je raconterai plus tard (35) comment il fut
amené à livrer contre Antoine cette lutte
où il devait périr. Je montrerai que ce n'est
pas de lui-même et volontairement qu'il la
commença. Il avait quitté Rome et ne voulait
pas y revenir. Il pensait que le temps des résistances
légales était passé, qu'il fallait
opposer aux vétérans d'Antoine de bons soldats
plutôt que de bonnes raisons, et il n'avait pas tort.
Convaincu que son rôle était fini et que celui
des gens de guerre allait commencer, il partait pour la
Grèce quand un coup de vent le rejeta sur la
côte de Rhégium. De là il se rendit au
port de Vélie, où il trouva Brutus, qui se
préparait aussi à quitter l'Italie, et ce fut
lui qui, toujours scrupuleux, toujours ennemi de la violence,
lui demanda de faire encore quelques efforts pour ranimer le
peuple, et de tenter une dernière fois la lutte sur le
terrain de la loi. Cicéron céda aux
prières de son ami, et quoiqu'il
n'espérât guère réussir, il
s'empressa de retourner à Rome pour y livrer ce
dernier combat. C'était la seconde fois «qu'il
venait, comme Amphiaraüs, se jeter vivant dans le
gouffre».
Brutus lui rendit ce jour-là un grand service.
L'entreprise désespérée dans laquelle il
l'engagea presque malgré lui ne pouvait pas être
utile à la république, mais elle profita
à la gloire de Cicéron. Ce moment fut le plus
beau peut-être de sa vie politique. D'abord nous avons
le plaisir et presque la surprise de le trouver ferme et
décidé. Il semble s'être
délivré de toutes ces hésitations qui
embarrassaient ordinairement sa conduite. C'est qu'aussi il
n'était guère possible d'hésiter alors.
Jamais la question ne s'était aussi nettement
posée. A chaque évolution nouvelle des
événements, les partis se dessinaient
davantage. Une première fois l'ambition de
César, qui n'était ignorée de personne,
en ralliant autour de l'aristocratie romaine tous ceux qui
voulaient, comme elle, conserver les anciennes institutions,
avait élargi les cadres de ce vieux parti et
modifié son programme. Eu s'augmentant
d'éléments nouveaux, il changea de nom comme de
caractère ; il devint le parti de l'ordre, le parti
des honnêtes gens, optimates. C'est ainsi que
Cicéron aime à le désigner. Cette
dénomination était encore un peu vague ; elle
se précise après Pharsale. Comme en ce moment
il n'y a plus de doute sur les intentions du vainqueur, comme
on le voit substituer ouvertement son autorité
à celle du sénat et du peuple, le parti qui lui
résiste prend le nom qui lui convient et que personne
ne peut plus lui refuser; il devient le parti
républicain. La lutte s'établit donc
franchement entre la république et le despotisme. Et
pour que le doute soit encore moins possible, le despotisme,
après la mort de César, se montre aux Romains
sous sa forme la moins déguisée et pour ainsi
dire la plus brutale. C'est un soldat sans génie
politique, sans distinction de manières, sans
élévation d'âme, à la fois
grossier, débauché et cruel, qui réclame
par la force l'héritage du grand dictateur. Il ne
prend pas la peine de cacher ses desseins, et Cicéron
ni personne ne peut plus s'y tromper. Ce dut être un
grand soulagement pour cette âme d'ordinaire si
indécise et si incertaine de voir si clairement la
vérité, de ne plus sentir d'ombres entre son
esprit et elle, d'avoir une confiance si complète dans
la justice de sa cause, et, après tant de doutes et
d'obscurités, de combattre enfin au grand jour. Aussi,
comme on sent qu'il a le coeur à l'aise! comme il est
plus libre et plus vif ! quelle ardeur dans ce vieillard, et
quelle passion de combat! Aucun des jeunes gens qui
l'entourent ne montre autant de décision que lui, et
lui-même est plus jeune assurément qu'à
l'époque où il combattait Catilina ou Clodius.
Non seulement il entame résolûment la lutte,
mais, ce qui est plus rare chez lui, il la poursuit jusqu'au
bout sans faiblir. Par un contraste étrange,
l'entreprise la plus périlleuse qu'il ait jamais
tentée, et qui devait lui coûter la vie, est
précisément celle où il a le mieux
résisté à ses découragements et
à ses défaillances ordinaires.
Dès son retour
à Rome, encore tout animé de cette ardeur qu'il
avait puisée à Vélie dans les entretiens
de Brutus, il se rendit au sénat, et il osa y parler.
La première Philippique, si on la rapproche des
autres, parait timide et pâle ; quel courage cependant
n'a-t-il pas fallu pour la prononcer dans cette ville
indifférente, devant ces sénateurs
effrayés, à quelques pas d'Antoine furieux,
menaçant, et qui, par ses émissaires,
écoutait tous les propos qu'on tenait contre lui !
Cicéron finissait donc comme il avait commencé.
Deux fois, à trente-cinq ans d'intervalle, il
protestait seul, au milieu du silence général,
contre un pouvoir redouté, qui ne souffrait pas de
résistance. Le courage est contagieux comme la peur.
Celui que Cicéron montra dans son discours en fit
trouver aux autres. Cette parole libre surprit d'abord, puis
rendit honteux ceux qui se taisaient. Cicéron profita
de ces premiers élans, bien timides encore, pour
rassembler quelques personnes autour de lui et trouver des
défenseurs à la république presque
oubliée. C'était là le difficile. De
républicains, il n'en restait guère, et les
plus résolus allaient rejoindre Brutus en
Grèce. Tout ce qu'on pouvait faire, c'était de
s'adresser aux modérés de tous les partis,
à tous ceux que blessaient les emportements d'Antoine.
Cicéron les adjura d'oublier leurs anciennes
inimitiés et de se réunir. «Maintenant,
leur disait-il, il n'y a plus qu'un seul vaisseau pour tous
les honnêtes gens (36)». On
reconnaît là sa politique ordinaire. C'est
encore une coalition qu'il essaye de former comme à
l'époque de son consulat. Ce rôle est
décidément celui pour lequel il a le plus de
goût et qui lui convient le mieux. Par la souplesse de
son caractère et de ses principes, il était
plus propre que personne à concilier les opinions, et
l'habitude qu'il avait prise de côtoyer tous les partis
faisait qu'il n'était étranger à aucun,
et qu'il avait partout des amis. Aussi son entreprise
parut-elle d'abord assez bien réussir. Plusieurs des
généraux de César l'écoutaient
volontiers, ceux surtout qui trouvaient qu'en somme ils
perdaient moins à rester citoyens d'un Etat libre
qu'à devenir sujets d'Antoine, et les ambitieux
subalternes, comme Hirtius et Pansa, qui, après la
mort du maître, ne se sentaient pas assez forts pour
convoiter la première place et ne voulaient pas
cependant se contenter de la seconde. Malheureusement ce
n'était encore qu'une réunion de chefs sans
soldats, et jamais on n'avait eu plus besoin de soldats qu'en
ce moment. Antoine était à Brindes, où
il attendait des légions qu'il avait fait venir de la
Macédoine. Furieux de la résistance inattendue
qu'il avait rencontrée, il annonçait qu'il s'en
vengerait par le pillage et le meurtre. On le savait homme
à le faire. Chacun croyait voir déjà sa
maison saccagée, son champ partagé, sa famille
proscrite. La terreur était partout. On tremblait, on
se cachait, on fuyait. Les plus intrépides cherchaient
de tous les côtés quelqu'un qu'on pût
appeler à la défense de la république.
Il n'y avait d'aide à espérer que de Decimus
Brutus, qui occupait la Gaule cisalpine avec quelques
légions, ou de Sextus Pompée, qui
réorganisait ses troupes en Sicile ; mais
c'étaient des secours douteux, lointains, et la ruine
était sûre et prochaine. Au milieu de cet effroi
général, le neveu de César, le jeune
Octave, que la jalousie d'Antoine et la défiance des
républicains avaient jusque-là tenu à
l'écart, et qui attendait avec impatience l'occasion
de se faire connaître, pensa qu'elle était
venue. Il parcourut les environs de Rome, appelant aux armes
les vétérans de son oncle qui y étaient
établis. Son nom, ses largesses, les promesses dont il
était prodigue, lui amenèrent vite des soldats.
A Calatia, à Casilinum, en quel. ques jours il en
trouva trois mille. Alors il s'adressa aux chefs du
sénat, leur offrit l'appui de ses
vétérans, leur demandant pour tout salaire de
l'avouer dans les efforts qu'il allait faire pour les sauver.
Dans une telle détresse, il n'y avait pas moyen de
refuser ce secours sans lequel on périssait, et
Cicéron lui-même, qui avait
témoigné d'abord quelques défiances, se
laissa séduire à la fin par ce jeune homme qui
le consultait, le flattait et l'appelait son père.
Quand on fut sauvé grâce à lui, quand on
vit Antoine, abandonné de plusieurs de ses
légions, forcé de quitter Rome, où
Octave le tenait en échec, la reconnaissance du
sénat fut aussi prodigue que sa frayeur avait
été grande. On combla le libérateur de
dignités et de compliments. Cicéron
l'éleva dans ses éloges bien au-dessus de son
oncle ; il l'appela un divin jeune homme suscité par
le ciel pour la défense de la patrie : il se fit le
garant de son patriotisme et de sa fidélité
ï imprudentes paroles que Brutus lui reprocha bien
durement, et que l'événement ne devait pas
tarder à démentir !
On connaît trop les
faits qui suivirent pour que j'aie besoin de les raconter.
Jamais Cicéron n'a joué un plus grand
rôle politique qu'à ce moment; jamais il n'a
mieux mérité ce nom d'homme d'état que
ses ennemis lui refusent. Pendant six mois, il fut
l'âme du parti républicain, qui se recomposait
à sa voix. «C'est moi, disait-il avec orgueil,
qui ai donné le signal de ce réveil (37)» et il avait
raison de le dire. Sa parole sembla rendre quelque
patriotisme et quelque énergie à ce peuple
indifférent. Il lui fit applaudir encore une fois ces
grands mots de patrie et de liberté que le forum
allait bientôt ne plus entendre. De Rome, l'ardeur
gagna les municipes voisins, et de proche en proche toute
l'Italie fut remuée. Ce n'est pourtant pas assez pour
lui, et il va chercher plus loin encore des ennemis à
Antoine et des défenseurs à la
république. Il écrit aux proconsuls des
provinces et aux généraux des armées.
D'un bout du monde à l'autre, il gronde les
tièdes, il flatte les ambitieux, il félicite
les énergiques. C'est lui qui pousse Brutus, toujours
hésitant, à s'emparer de la Grèce. Il
applaudit au coup de main hardi de Cassius qui le rend
maître de l'Asie, il excite Cornificius à
chasser d'Afrique les soldats d'Antoine ; il donne du coeur
à Decimus Brutus pour résister dans
Modène. Les adhésions qu'il sollicite avec tant
de passion lui arrivent de tous côtés.
Même ceux qui sont des ennemis et des traîtres
n'osent pas lui refuser ouvertement leurs concours.
Lépide et Plancus font des protestations emphatiques
de fidélité. Pollion lui écrit d'un ton
solennel «qu'il jure d'être l'ennemi de tous les
tyrans (38)». De toutes
parts on demande son amité, on sollicite son appui, on
se met sous sa protection. Ses Philippiques,
qu'heureusement il n'a pas le temps de refaire, se
répandent dans le monde entier à peu
près comme il les prononce, et gardant, avec les
vivacités du premier jet, la trace des interruptions
et des applaudissements du peuple. Ces improvisations
passionnées vont porter partout l'émotion de
ces grandespopulaires. On les lit dans les provinces, on les
dévore dans les armées, et des pays les plus
lointains arrive à Cicéron le témoignage
de l'admiration qu'elles inspirent ! «Votre toge est
encore plus heureuse que nos armes», lui dit un
général victorieux, et il ajoute : «Chez
vous le consulaire a vaincu le consul (39)». - «Mes
soldats sont à vous», lui écrit un autre
(40). On lui
rapporte la gloire de tout ce qui arrive d'heureux à
la république. C'est lui qu'on félicite et
qu'on remercie de tous les succès qu'elle obtient. Le
soir où l'on sut à Rome la victoire de
Modène, le peuple entier vint le prendre à sa
maison, le conduisit en triomphe au Capitole, et voulut
entendre de sa bouche le récit de la bataille.
«Ce jour, écrit-il à Brutus, m'a
payé de toutes mes peines (41)».
Ce fut le dernier triomphe
de la république et de Cicéron. Le
succès est quelquefois plus fatal aux coalitions que
les revers. Quand l'ennemi commun, dont la haine les
réunissait, est vaincu, les dissentiments particuliers
paraissent. Octave voulait affaiblir Antoine pour en obtenir
ce qu'il désirait; il ne voulait pas le
détruire. Lorsqu'il le vit fuyant vers les Alpes, il
lui tendit, la main, et tous les deux marchèrent
ensemble sur Rome. Dès lors il ne restait plus
à Cicéron «qu'à imiter les braves
gladiateurs, et à chercher comme eux à bien
mourir (42)».
Sa mort fut courageuse,
quoi qu'ait prétendu Pollion, qui, l'ayant trahi,
avait intérêt à le calomnier. J'aime
mieux croire au témoignage de Tite-Live, qui
n'était pas de ses amis et qui vivait à la cour
d'Auguste : «De tous ses malheurs, dit-il, la mort est
le seul qu'il supporta comme un homme (43)». C'est bien
quelque chose, il faut l'avouer. Il pouvait se sauver, et un
moment il l'essaya. Il voulut partir pour la Grèce,
où il aurait retrouvé Brutus ; mais
après quelques jours de navigation, contrarié
par le vent, souffrant de la mer, tourmenté surtout de
regrets et de tristesses, découragé de vivre,
il se fit descendre à Caïète, et revint
dans sa maison de Formies pour y mourir. Il a souvent
reniercié le coup de vent qui le ramena à
Vélie la première fois qu'il voulait fuir en
Grèce. C'est ce qui lui a donné l'occasion de
prononcer ses Philippiques. Celui qui le rejeta dans
Caïète n'a pas moins servi sa renommée. Sa
mort me semble racheter les faiblesses de sa vie. C'est
beaucoup pour un homme comme lui, qui ne se piquait pas
d'être un Caton, d'avoir été si ferme
à ce terrible moment; plus il était timide de
caractère, plus je suis touché de le trouver si
résolu pour mourir. Aussi , lorsqu'en étudiant
son histoire je suis tenté de lui reprocher ses
irrésolutions et ses défaillances, je songe
à sa fin, je le vois, comme Plutarque l'a si bien
dépeint, «la barbe et les cheveux sales, le
visage fatigué, prenant son menton avec la main
gauche, par un geste qui lui était ordinaire, et
regardant fixement ses meurtriers (44)», et je n'ose
plus être sévère. Malgré ses
défauts, c'était un honnête homme,
«qui aimait bien son pays», comme le disait
Auguste lui-même un jour de franchise et de remords.
S'il fut quelque ois trop hésitant et trop faible, il
a toujours fini par défendre ce qu'il regardait comme
la cause de la justice et du droit, et quand elle a
été vaincue pour jamais, il lui a rendu le
dernier service qu'elle pût réclamer de ses
défenseurs, il l'a honorée par sa mort.
(1) Forsyth.
Life of Cicero. London, Murray, 1864. - Merivale,
Hist. of the Roman under the emp., t. I et
II. |
|
(2) Abeken,
Cicero in seinen Briefen. Hannover, 1835. |
|
(3) Drumann,
Geschichte Roms, etc., t. V et VI. |
|
(4) Mommsen,
Römische Geschichte. t. III. |
|
(5) Pro
Rosc. Amer., 10. |
|
(6) De
leg., II, 1. |
|
(7) Ad
Att., XII, 52. |
|
(8) On a
remarqué que, dans sa République,
Cicéron parle avec beaucoup d'estime et même
une sorte d'attendrissement de la royauté, ce qui
ne laisse pas de surprendre chez un républicain
comme lui ; mais il entend par là une sorte de
gouvernement patriarcal et primitif, et il exige tant de
vertus du roi et de ses sujets, qu'on voit bien qu'il ne
croit pas que cette royauté soit facile ou
même possible. Il ne faut donc pas admettre, comme
on l'a fait, que Cicéron voulait annoncer et
approuver par avance la révolution que
César accomplit quelques années plus tard.
Au contraire, il indique en termes très vifs ce
qu'il pensera de César et de son gouvernement,
quand il attaque ces tyrans, avides de domination, qui
veulent gouverner seuls, au mépris des droits du
peuple. «Le tyran peut être clément,
ajoute-t-il ; mais qu'importe d'avoir un maître
indulgent ou un maître barbare ? Avec l'un et
l'autre, on n'en est pas moins esclave». (De
Rep., I, 33.) |
|
(9) In
Verr. act. sec., V, 70. |
|
(10) De
Rep., I, 26. |
|
(11) De
Rep., I,34. |
|
(12) De
Rep., I, 45. |
|
(13) Dans
cette curieuse lettre qu'il écrivit à
Pompée après son consulat (ad fam.,
V, 7), et où il semble lui proposer une sorte
d'alliance, il lui attribue le rôle de Scipion et
prend pour lui celui de Laelius. |
|
(14) Pro
Rosc. Amer., 8. |
|
(15) Pro.
Rosc. Amer., 46. |
|
(16) Pro
Rosc. Amer., 29. |
|
(17) Pro
Rosc. Amer., 52. |
|
(18) Ad
Herenn. I, 3 |
|
(19) De
orat. II, 59. |
|
(20) Pro
Cluent., 50. |
|
(21) J'emploie
ici les expressions mêmes de M. Havet, qui a mis
cette idée en tout son jour dans un des trop rares
écrits qu'il a publiés sur Cicéron.
A ce propos, qu'il nous soit permis de regretter que M.
Berger et lui n'aient pas cru devoir donner au public les
excellents cours qu'ils ont fait au Collège de
France et à la Sorbonne, et dont Cicéron a
été si souvent le sujet. S'ils avaient
cédé aux voeux de leurs auditeurs et aux
instances de tous les amis des lettres, la France
n'aurait rien à envier à l'Allemagne sur
cette importante question. |
|
(22) Varron,
De re rust., II, 1. |
|
(23) De
brevit. vitae, 5. Non sine causa, sed sine fine
laudatus. |
|
(24) Voir,
sur l'exil de Cicéron et la politique qu'il suivit
après son retour, l'étude sur
César et Cicéron, Ire partie. |
|
(25) Ad
Att. IX, 1 |
|
(26) Ad
Att. X, 7. |
|
(27) Ad
Att. IX, 10 |
|
(28) De
bello civ., I, 22. |
|
(29) Il a
même semblé dire plusieurs fois que la
situation des plébéiens dans la
République était, à tout prendre,
meilleure que celle des patriciens. (Pro Cluent.,
40. Pro domo sua, 14.) |
|
(30) Pro
Sext., 49. |
|
(31) De
bello civil. II, 32 |
|
(32) De
bello afric. 45 |
|
(33) Voyez
l'Histoire de l'esclavage dans l'antiquité
de M. Wallon, t. II, ch. IX. |
|
(34) Luc.,
Phars., II, 300 Non ante revellar Exanimem quam te complectar, Roma, tuumque Nomen, libertas, et inanem prosequar umbram. |
|
(35) Dans
l'étude sur Brutus. |
|
(36) Ad
fam., XII, 25. |
|
(37) Philipp.,
XIV, 7. |
|
(38) Ad
fam. X, 31. |
|
(39) Ad
fam. XII, 13 |
|
(40) Ad
fam. XII, 12. |
|
(41) Ad
Brut. 3 |
|
(42) Philipp.
III, 14. |
|
(43) Apud
Senec. Suas, 6. |
|
(44) Plut.,
Cic., 64. |