Nom qu'ont eu à Rome plusieurs collèges de trois magistrats ou commissaires, soit extraordinaires soit ordinaires.

Dans la première catégorie on connait :

I. - 1° Les tresviii mensarii. 2° Les tresviri sacris perquirendis donisque persignandis. 3° Les triumviri aedibus reficiendis [Magistratus extra ordinem creati].

II. - Les triumviri agris dandis adsignandis et coloniae deducendae, chargés sous la République à la fois de fonder une colonie et d'assigner les terres aux colons. Ils ont la mission de constituer la ville nouvelle, de lui donner sa loi, d'y faire le premier cens, d'en nommer les premiers prêtres, les premiers sénateurs ; ils en sont les patrons, eux et leurs descendants. Les triumvirs créés par la loi Sempronia de 133, annuels et renouvelables, ne furent pas chargés d'établir des colonies, mais seulement d'assigner des terres et de juger les litiges ; dépouillés de cette dernière compétence en 129, ils furent supprimés par la loi Toria de 119 ou de 118 [Magistratus extra ordinem creati].

III. - Les triumviri legendi senatus, sénateurs tirés au sort sur une liste de dix et adjoints plusieurs fois à Auguste comme auxiliaires pour réviser la liste du Sénat ; et les triumviri ou decemviri recognoscendi turmas equitum, sénateurs adjoints également à Auguste pour l'inspection et la révision de l'ordre équestre [Senatus ; Equites].

IV. - Les triumviri rei publicae constituendae. Le premier triumvirat de César, de Pompée et de Crassus, en 60, n'avait pas été une institution officielle. C'est seulement le second triumvirat, formé entre Octave, Antoine et Lépide à l'entrevue de Bologne, qui reçut une forme légale et constitua une sorte de dictature, analogue à celles de Sylla et de César, le 27 novembre 43, en vertu de la loi proposée par le tribun P. Titius. Si ce triumvirat fut théoriquement un pouvoir constituant extraordinaire, en fait, oeuvre de la force et non du droit, il représenta une véritable tyrannie qui échappe à toute définition. Les triumvirs, égaux entre eux, collègues, pourvus de la puissance proconsulaire, telle que l'avait eue César, obtenaient pour cinq ans des pouvoirs illimités, entre autres le droit de conférer eux-mêmes les magistratures, de faire des décrets sans la confirmation du Sénat ni du peuple, de se partager les provinces, de mettre leur effigie sur les monnaies. Ils exercent en outre la juridiction criminelle, sans limite, sans appel au peuple ; ils ordonnent les proscriptions qui accordent pour chaque tête aux hommes libres 25000 deniers, aux esclaves 10 000 avec la liberté et le droit de cité, et qui amènent la mort de plus de 300 sénateurs et de 2000 chevaliers [Proscriptio]; ils lèvent des impôts extraordinaires [Tributum], fondent des colonies pour leurs vétérans [Colonia], nomment les magistrats et les décurions dans les villes de droit romain. Octave ne parait pas avoir encore nommé de praefectus urbi, car c'est plutôt comme son homme de confiance qu'avec un mandat officiel que Mécène surveille et gouverne Rome. Lépide eut d'abord la Narbonnaise et l'Espagne citérieure, Antoine les deux Gaules, Octave l'Afrique, la Sicile et la Sardaigne ; l'Italie et l'Orient restaient indivis. Après la bataille de Philippes, en 42, Octave prit l'Espagne et la Numidie, Antoine la Gaule et l'Afrique ; la Cisalpine fut probablement alors incorporée à l'Italie, tout en gardant une situation spéciale ; Lépide fut exclu provisoirement du partage. Après la guerre de Pérouse, en 40, la paix de Brindes donne à Antoine l'Orient avec la direction de la guerre contre les Parthes, à Octave l'Occident avec la guerre contre Sextus Pompée, à Lépide l'Afrique. En 39 la paix de Misène, qui donne à Pompée la Sicile, la Sardaigne, la Corse et la Grèce, ne modifie pas la situation légale du triumvirat. Il devait finir en 38. Il y eut alors une lacune d'au moins six mois, pendant laquelle les triumvirs n'eurent même pas de titre légal. A l'entrevue de Tarente, une entente amiable, qui ne parait pas avoir été sanctionnée par un plébiscite, établit une prorogation pour cinq ans, c'est-à-dire probablement, en laissant de côté l'année 37, jusqu'à la fin de l'année 32. L'itération du triumvirat n'est indiquée ni sur les monnaies ni sur les inscriptions d'Antoine, qui garde le titre de triumvir jusqu'à sa mort, malgré sa destitution par le peuple en 32 ; mais Octave mentionne l'itération dans ses titres. Ce régime est profondément modifié après la défaite de Pompée, en 36, lorsque Lépide est obligé de déposer ses pouvoirs en ne gardant que le grand pontificat, et qu'Octave revoit l'inviolabilité et la puissance tribunicienne à vie.

Le triumvirat paraît avoir duré théoriquement onze ans, mais postérieurement Auguste ne parle que de dix ans, en dissimulant la lacune de l'année 37 et en y mettant fictivement le début de l'itération. On ne sait pas exactement sous quelle forme Octave a exercé le pouvoir depuis la début de 32 ou de 31 jusqu'à la déposition de ses pouvoirs extraordinaires en 27. Il avait déjà le consulat, la puissance tribunitienne à vie, le titre de princeps senatus, le titre d'imperator décerné par le Sénat en 29, date que plusieurs auteurs anciens considèrent comme le début de la monarchie. Il se peut qu'il ait gardé en outre le titre de triumvir. En 28 il abolit les lois d'exception du triumvirat.

Dans la deuxième catégorie on trouve deux des six collèges des vigintisexviri [Magistratus minores].

I. - Les tresviri, triumviri capitales, ou nocturni, quelquefois simplement tresviri. Créés entre 290 et 287, ils ont d'abord été nommés probablement parle préteur urbain, comme auxiliaires ; puis, soumis à l'élection populaire d'après une loi Papiria entre 242 et 124, ils deviennent alors magistrats ; portés à quatre par César, ils sont ramenés à trois par Auguste. Ils sont les aides des grands magistrats dans les fonctions judiciaires, avec l'assistance de viateurs.

Justice criminelle. - Les triumvirs capitales tirent leur nom de l'exécution des condamnations capitales auxquelles ils procèdent en personne, dans la prison, par strangulation, pour les personnes de qualité et les femmes, hors de la prison par la main du bourreau, et ils ont la surveillance des prisonniers. En second lieu, établis au Forum, à la colonne Maenia, prèsdela prison du Tullianum, sans avoir de juridiction criminelle propre, ils recoivent les dénonciations des crimes, procèdent à une première instruction, ordonnent la détention préventive, qui peut durer longtemps, même indéfiniment. Ils exercent aussi véritablement, quoique d'une facon insuffisante, la police de Rome en assurant le maintien de l'ordre, en faisant des rondes de nuit, en établissant des postes de gardes aux époques de troubles et de crises, avec l'assistance des quinqueviri cis Tiberim, en arrêtant et en frappant de peines corporelles les esclaves fugitifs, les malfaiteurs de bas étage, probablement en tenant des listes des gens dangereux, en aidant les consuls, les tribuns, les édiles dans les incendies et dans d'autres cas, en surveillant les pratiques extérieures des cultes de concert avec les édiles. Sous Domitien ils brûlent sur le Forum des livres condamnés d'Arulenus Rusticus et d'Herennius Senecio.

Justice civile. - Ils jugent les contestations relatives à l'obligation d'être juré ; ils recouvrent et versent au trésor les sacramenta perdus dans les procès civils. Jusqu'à l'époque où cette compétence passe aux quaestiones, ils recoivent et jugent, en matière d'usure et peut-être d'autres délits analogues, la plainte populaire, intentée par manus injectio et dont la peine est la restitution au quadruple.

Les triumvirs subsistent encore au IIe siècle de l'Empire, mais leurs attributions ont dû passer de bonne heure au Praefectus vigilium.

II. - Les tresviri, triumviri monetales, ainsi appelés du nom du temple de Juno Moneta, où était l'atelier monétaire, ou surtout, depuis Auguste, tresviri a(ere) a(rgento) a(uro) f(lando) f(eriundo) (III. VIR. A. A. A. F. F.). On ne connaît pas exactement la date de leur création. Le premier triumvir connu avec ce titre est un peu antérieur à 100 av. JC ; mais le texte de Pomponius donne environ la date de 289 av. JC. ; d'autre part, dès 250 apparaissent dans le champ des pièces d'argent et de bronze, à côté du type principal, des marques, lettres, symboles, monogrammes qui indiquent des magistrats responsables ; il a donc pu y avoir à une date assez reculée des monétaires, d'abord irréguliers, chargés de délégations temporaires et en nombre variable. Leur fonction primitive parait avoir été, avant l'introduction de la monnaie d'argent, de fondre et d'affiner les lingots d'or et d'argent qui provenaient des mines et des monnaies étrangères et constituaient la réserve du trésor ; c'est ainsi que s'explique le mot auro dans leur titre avant la frappe de la monnaie d'or qui ne commence qu'avec Sylla. Nous ne savons pas au juste quand les monétaires ont constitué une magistrature régulière de trois membres ; à partir de 217 environ, leur nom est plus clairement indiqué, d'abord avec des initiales, puis tout entier, et ils introduisent des types nouveaux, des allusions à leurs noms, à leurs souvenirs de famille, des différents spéciaux. On a les noms de plus de 400 monétaires pour la République. C'est probablement à la fin du IIs siècle av. JC. qu'ils ont constitué une magistrature régulière de trois membres. En 34 apparaît le titre du triumvir sur les monnaies à la suite de son nom. Cette fonction est gérée d'abord après, puis avant la questure, à laquelle elle est étroitement liée. Les monétaires, élus pour deux ans, ont la surveillance et la responsabilité de la fabrication des monnaies qu'ils livrent, soit aux questeurs, soit aux particuliers, en échange de lingots. Sous la direction de l'un d'entre eux, chef du collège par roulement, ils se partagent probablement la besogne ; aussi est-ce par exception qu'une pièce porte les noms des trois collègues ; des collèges entiers, qui n'ont vraisemblablement eu qu'à fondre des lingots, ne figurent sur aucune pièce. La partie technique des opérations paraît appartenir à une compagnie d'entrepreneurs. En 14, César porte le nombre des triumvirs à quatre ; Auguste le ramène à trois entre 32 et 20, probablement en 27. Les noms des triumvirs disparaissent vers 10 ou 12 av. JC. sur les pièces d'or et d'argent dont la frappe passe à l'empereur ; ils se maintiennent pendant quelques années, jusque vers 3 av. JC., sur la monnaie de bronze sénatoriale. Surveillés sans doute par l'exactor auri argenti aeris, ils dirigent alors le monnayage sénatorial du bronze, et probablement encore le monnayage impérial, jusqu'à la création des procuratores monetae à l'époque de Trajan ; c'est ce qui explique l'importance conservée jusqu'à Septime-Sévère par cette magistrature, la seule du vigintivirat que gèrent les patriciens. Elle subsiste, mais de plus en plus diminuée, jusque sous Gallien, et disparaît peut-être sous Aurélien.

On trouve aussi des tresviri dans les magistratures municipales, et parmi les Augustales.


Article de Ch. Lécrivain