Livre X - Lettres 40 et 41


PLINE A L'EMPEREUR TRAJAN

La permission que vous m'avez donnée, seigneur, de vous informer de mes doutes, me fait espérer que vous ne croirez point trop vous abaisser, si je vous supplie de descendre jusqu'à mes petits embarras. Dans la plupart des villes, particulièrement à Nicomédie et à Nicée, quelques gens, quoique condamnés, soit aux mines, soit à servir de gladiateurs, soit à d'autres peines semblables, non seulement servent comme esclaves publics, mais en reçoivent même les gages. En ayant été averti, j'ai beaucoup hésité sur ce que je devais faire. D'un côté, je trouvais trop rigoureux de renvoyer au supplice, après un long temps, des hommes dont la plupart sont vieux, et qui mènent une vie fort sage et fort réglée, ainsi qu'on me l'assure ; de l'autre, je ne croyais pas honnête de retenir au service de la république des criminels condamnés ; mais aussi je jugeais qu'il lui serait onéreux de les nourrir oisifs, et dangereux de ne les nourrir pas. J'ai donc été contraint de suspendre ma décision jusqu'à la vôtre. Vous demanderez peut-être comment il a pu se faire qu'ils se soient dérobés à leur condamnation. Je m'en suis informé, sans en avoir pu rien découvrir ; c'est ce que je puis vous certifier. Les décrets de leur condamnation m'ont été représentés ; mais je n'ai vu nul acte par lequel il paraisse que la peine leur ait été remise. Il y en a pourtant quelques-uns qui m'ont dit qu'à leurs très instantes supplications, les gouverneurs ou leurs lieutenants les avaient fait mettre en liberté : ce qui pourrait donner lieu de le penser, c'est qu'il n'est pas croyable que personne eût osé l'entreprendre sans y être autorisé.

TRAJAN A PLINE

Souvenez-vous que vous avez été envoyé dans cette province, principalement parce qu'il y avait beaucoup d'abus à réformer. C'est un des plus grands qui se puisse imaginer, que des criminels, condamnés à des peines capitales, nonseulement en aient été affranchis, sans qu'aucune puissance légitime s'en soit mêlée, mais qu'ils aient encore été constitués dans des emplois qui ne doivent être remplis que par des esclaves exempts de tous reproches. Il faut donc faire subir leur condamnation à ceux qui ont été jugés pendant ces dix années dernières, et qui n'en ont pas été valablement déchargés. Que s'il s'en trouve de condamnés avant dix ans, qui soient vieux et caduques, il faut les employer à des usages qui approchent le plus de leurs peines. Ordinairement on charge ces sortes de gens de soigner les bains, de nettoyer les égouts, de travailler aux réparations des grands chemins et des rues.

© Agnès Vinas

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