Livre I

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AU TRES GRAND EMPEREUR VALENS, PERPETUELLEMENT AUGUSTE

J'ai, d'après la volonté de votre mansuétude, rassemblé dans une narration brève et concise, en suivant l'ordre des temps, les principaux événements de l'histoire romaine qui se sont passés pendant la guerre ou pendant la paix, depuis la fondation de Rome jusqu'à nos jours. J'y ai joint les faits les plus remarquables de la vie des princes, afin que le divin génie de votre sérénité pût s'applaudir d'avoir suivi, dans l'administration de l'empire, les exemples des hommes illustres, avant que la lecture les lui eût fait connaître.


I. L'empire romain, de tous les empires du monde le plus petit peut-être à son origine, et ensuite le plus grand dont les hommes aient pu garder le souvenir, fut fondé par RomuLus, fils de Mars (on le crut du moins), et de la vestale Réa Silvia, qui donna le jour à son frère Rémus et à lui dans un même enfantement. Après avoir exercé le métier de brigand parmi des pâtres, il fonda, vers l'âge de dix-huit ans, une petite ville sur le mont Palatin, le 11 des calendes de mai, la troisième année de la sixième olympiade, et, suivant la tradition, la trois cent quatre-vingt-quatorzième, plus ou moins, après la ruine de Troie.

II. (I) Quand il eut fondé cette ville, que, de son nom, il appela Rome, voici à peu près ce qu'il fit. Il y reçut comme citoyens une foule d'étrangers des environs ; puis il en choisit cent des plus âgés, dont les conseils devaient régler en tout sa conduite et auxquels il donna le nom de sénateurs, à cause de leur vieillesse. Comme son peuple et lui manquaient de femmes, il invita au spectacle de ses jeux les peuplades voisines de Rome, et il fit enlever les jeunes filles. Cette violence lui suscita de tous côtés des ennemis, et il vainquit les Céniniens, les Antemnates, les Crustumins, les Sabins, les Fidénates, les Véiens, dont les villes entourent celle de Rome. Il disparut soudain pendant une tempête, la trente-septième année de son règne : on crut alors qu'il avait gagné le séjour des dieux, et on lui donna une place parmi eux. Les sénateurs commandèrent ensuite à Rome chacun pendant cinq jours, et la durée de cet interrègne fut d'un an.

III. (II) (An de R. 38) Numa Pompilius fut ensuite créé roi. Il ne fit, il est vrai, aucune guerre ; mais il ne fut pas moins utile à l'Etat que Romulus, car il donna des lois et des moeurs aux Romains, que leur ardeur guerrière faisait passer pour des brigands et presque pour eues barbares. Il assigna douze mois à l'année, où le défaut de règle fixe avait mis la confusion. Rome lui dut aussi un grand nombre de temples et de cérémonies religieuses. Il mourut de maladie, la quarante-troisième année de son règne.

IV. (III) (An de R. 82) Il eut pour successeur Tullus Hostilius. Celui-ci recommença la guerre, et vainquit les Albains, qui sont à douze milles de Rome : il soumit aussi les Véiens et les Fidénates, qui sont, les uns à six milles de Rome, et les autres à dix-huit. Il agrandit la ville, en y ajoutant le mont Célius. Après un règne de trente-deux ans, il fut frappé de la foudre et consumé avec son palais.

V. (IV) (An de R. 114) L'empire échut après lui à Ancus Marcius, petit-fils de Numa par la fille de celui-ci. Il fit la guerre aux Latins. Il joignit à la ville le mont Aventin et le Janicule et il en fonda une autre, à l'embouchure du Tibre, au bord de la mer, à seize milles de Rone. Il mourut de maladie, la vingt-quatrième année de son règne.

VI. (V) (An de R. 138) Tarquin l'Ancien fut ensuite appelé au trône. Il doubla le nombre des sénateurs, construisit le cirque de Rome, institua les jeux romains, qui subsistent encore de nos jours. Il vainquit aussi les Sabins, leur prit une assez grande étendue de territoire, qu'il réunit à celui des Romains, et entra le premier dans Rome avec les honneurs du triomphe. Il fit des murs et des égouts, et il commença le Capitole. Il périt ia trente-huitième année de son règne, par le crime des fils d'Ancus, de ce roi auquel il avait lui-même succédé.

VII (VI) (An de R. 176) Après lui, le trône fut occupé par Servius Tullius, né d'une femme noble, mais captive et réduite à la domesticité. Il soumit aussi les Sabins ; il ajouta trois monts à la ville, le Quirinal, le Viminal et l'Esquilin, et il entoura de fossés les murailles. Le premier de tous, il institua le cens, que ne connaissait encore aucun peuple de la terre. Le dénombrement général qui eut lieu sous son règne donna quatre-vingt-trois mille citoyens romains, y compris ceux des campagnes. Il périt dans la quarante-cinquième année de son règne, par le crime de son gendre Tarquin, fils du roi dont il était le successeur, et par celui de sa propre fille, épouse de Tarquin.

VIII. (VII) (An de R. 220) Lucius Tarquin le Superbe, septième et dernier roi, vainquit les Volsques, peuple voisin de Rome, sur le chemin de la Campanie. Il s'empara de Gabies et de Suessa Pométia ; il fit la paix avec les Toscans, et bâtit un temple à Jupiter sur le Capitole. Mais tandis qu'il assiégeait Ardée, ville située à dix-huit milles de Rome, il perdit son trône. En effet, le plus jeune de ses fils, nommé aussi Tarquin, ayant déshonoré Lucrèce, épouse de Collatin, la plus noble et en même temps la plus vertueuse des femmes, elle se plaignit de cet outrage à son mari, à son père, à leurs amis, et se tua en leur présence. Alors Brutus, allié lui-même à Tarquin, souleva le peuple, et dépouilla Tarquin du trône. Bientôt aussi l'armée, qui assiégeait avec le roi la ville d'Ardée, l'abandonna ; et quand il revint à Rome, il n'y put rentrer, les portes lui en ayant été fermées. Il fut donc, après un règne de vingt-cinq années, obligé de fuir avec sa femme et ses enfants. Rome fut ainsi gouvernée par sept rois pendant deux cent quarante-trois ans, et, à cette époque, elle possédait à peine, tout compté, un territoire de quinze milles.

IX. (VIII) On créa ensuite, à la place d'un seul roi, deux consuls, afin que celui des deux qui voudrait se conduire mal fût contenu par l'autre, investi d'une même autorité. On eut soin aussi de borner à un an la durée de leur puissance, de peur qu'un plus long usage du pouvoir ne les rendît insolents ; danger que devait prévenir la certitude de rentrer après un an dans la condition privée (An de R. 245). Dans la première année qui suivit l'abolition de la royauté, les consuls furent L. Junius Brutus, le principal auteur de l'expulsion de Tarquin, et Tarquin Collatin, mari de Lucrèce. Mais celui-ci fut dépouillé aussitôt de sa dignité, parce qu'on ne voulut laisser dans Rome personne qui portât le nom de Tarquin. Il en sortit donc, avec tout son patrimoine qu'on lui laissa, et Valérius Publicola fut fait consul à sa place. (IX) Cependant le roi Tarquin, chassé de Rome, suscita une guerre contre cette ville, et, à la tête de plusieurs peuples réunis, il combattit pour rentrer en possession du trône.

X. Dans le premier combat, le consul Brutus et Aruns, fils de Tarquin, se tuèrent mutuellement. Toutefois, les Romains se retirèrent vainqueurs. Les matrones romaines portèrent pendant un an le deuil de Brutus, le défenseur de leur vertu, et, pour ainsi dire, leur père commun (An de R. 246). Valérius Publicola se donna pour collègue Sp. Lucrétius Tricipitin, père de Lucrèce ; et, celui-ci étant mort de maladie, il choisit pour les mêmes fonctions Horatius Pulvillus. Il y eut ainsi cinq consuls dans la première année, Tarquin Collatin étant sorti de Rome à cause de son nom, Brutus ayant péri sur le champ de bataille, et Sp. Lucrétius étant mort de maladie.

XI. (X) Dans la seconde année, Tarquin, aidé de Porsena, rai de Toscane, fit de nouveau la guerre aux Romains pour reconquérir son trône ; et peu s'en fallut qu'il ne prît Rome. Mais il fut encore vaincu (An de R. 247). La troisième année après l'expulsion des rois, Tarquin ne pouvant ressaisir le pouvoir, et se voyant privé du secours de Porsenna, qui avait fait la paix avec les Romains, se retira à Tusculum, ville peu distante de Rome, et il y vécut quatorze ans avec sa femme, en simple particulier (An de R. 248). La quatrième année après l'expulsion des rois, les Sabins firent la guerre aux Romains ; mais ils furent vaincus, et leur défaite fut l'occasion d'un triomphe. La cinquième année, Valérius, le collègue de Brutus dans le consulat, qu'il avait exercé quatre fois, mourut : il était si pauvre, que le peuple fournit, par une contribution volontaire, aux frais de sa sépulture. Il fut pleuré un an, comme Brutus, par les matrones romaines.

XII. (XI) La neuvième année après l'expulsion des rois, le gendre de Tarquin ayant rassemblé une armée formidable pour venger l'outrage fait à son beau-père, on créa dans Rome une dignité nouvelle, appelée dictature, et supérieure au consulat (An de R. 254). On fit, la même année, un maître de la cavalerie, soumis aux ordres du dictateur. Aucune dignité ne ressemble plus que cette dictature antique à la puissance impériale, dont votre sérénité est maintenant revêtue, puisque Auguste Octavien, dont nous parlerons dans la suite, et, avant lui, Caïus César, ont régné sous le nom de dictateurs. Le premier dictateur de Rome fut Lartius ; le premier maître de la cavalerie, Sp. Cassius.

XIII. (XII) (An de R. 260) La seizième année après l'expulsion des rois, le peuple de Rome émut une sédition, se disant opprimé par le sénat et par les consuls. Alors il créa lui-même des tribuns du peuple, dont il fit ses propres juges et ses défenseurs, et qui devaient le protéger contre les consuls et contre le sénat.

XIV. (An de R. 261) L'année suivante, les Volsques recommencèrent la guerre ; et, vaincus dans une bataille, ils perdirent Corioles, la plus importante de leurs villes.

XV. (XIII) (An de R. 263) Dix-huit ans après l'expulsion des rois, Q. Martius, général des Romains, fut chassé de Rome. C'est lui qui avait pris Corioles, ville des Volsques. Il se retira, plein de ressentiment, chez ce peuple, et il en reçut des secours contre les Romains, auxquels il fit essuyer de fréquentes défaites. Il s'avança jusqu'à cinq milles de Rome ; et il aurait même assiégé sa patrie, dont il avait renvoyé les députés et rejeté les propositions de paix, si Véturie sa mère, et sa femme Volumnie, n'étaient venues l'implorer. Vaincu par leurs larmes et par leurs prières, il renvoya ses troupes. Il fut, après Tarquin, le second Romain qui conduisit une armée contre Rome.

XVI. (XIV) (An de R. 275) Sous le consulat de Céson Fabius et de Titus Virginius, trois cents nobles citoyens de la famille Fabia se chargèrent seuls de la guerre contre les Véiens, promettant au sénat et au peuple de l'achever avec leurs seules ressources. On laissa donc partir ces illustres soldats, dignes d'être chacun le chef d'une puissante armée ; et ils périrent tous en combattant. De cette nombreuse famille un seul survécut, que son bas âge avait empêché de marcher au combat. On fit ensuite à Rome le dénombrement des citoyens, et il s'en trouva cent dix-neuf mille trois cent dix-neuf.

XVII. (XV) L'année suivante l'armée romaine étant cernée sur le mont Algide, à environ douze milles de Rome, on nomma dictateur L. Quinctius Cincinnatus (An de R. 296). Il possédait un champ de quatre arpents, qu'il cultivait de ses mains. C'est là qu'on le trouva, occupé à labourer la terre : il essuya la sueur de son front et revêtit la toge prétexte. Il tailla en pièces les ennemis et délivra l'armée.

XVIII. (XVI) Le pouvoir consulaire cessa trois cent et un ans après la fondation de Rome, et, au lieu de deux consuls, on revêtit de l'autorité souveraine dix magistrats, qui prirent le nom de Décembirs (An de R. 303). Ils se conduisirent bien la première année ; mais, la seconde, Appius Claudius, l'un d'eux, voulut déshonorer une jeune fille, dont le père, nommé Virginius, servait honorablement dans l'armée qui faisait tête aux Latins sur le mont Algide. Son père la tua pour la soustraire à la violence du décemvir ; et étant retourné vers ses compagnons d'armes, il excita une sédition. Les décemvirs furent dépouillés de leur pouvoir, et même condamnés.

XIX. (XVII) (An de R. 316) L'an trois cent quinze de Rome, les Fidénates se soulevèrent contre les Romains. Ils avaient pour auxiliaires les Véiens et leur roi Tolumnius. Ces deux peuples sont si voisins de Rome, que Fidènes en est à six milles et Véies à dix-huit. A eux se joignirent aussi les Volsques ; mais ils furent vaincus par le dictateur Mamercus Emilius et par L. Quinctius Cincinnatus, maître de la cavalerie ; ils perdirent mème leur roi. Fidènes fut prise et rasée (An de R. 328).

XX. (XVIII) Vingt ans après, les Véiens se soulevèrent encore (An de R. 349). On envoya contre eux le dictateur Furius Camille, qui les défit d'abord en bataille rangée, et qui, après un long siège, prit leur capitale, la plus ancienne ville de l'Italie et la plus riche (An de R. 359). Il s'empara ensuite de la capitale des Falisques, ville non moins célèbre que l'autre (An de R. 360). Mais on l'accusa d'avoir mal partagé le butin, et, condamné pour ce fait, il fut chassé de la république. Les Gaulois Sénons marchèrent bientôt contre Rome (An de R. 364), et à onze milles de là, près du fleuve Allia, ils vainquirent les Romains, les pour-suivirent, et se rendirent maîtres de la ville. On ne put défendre que le Capitole. Ils l'assiégeaient depuis longtemps, et la famine pressait déjà les Romains, lorsque Camille, exilé dans une ville voisine, vint se jeter sur les Gaulois, et leur fit essuyer une sanglante défaite (An de R. 365). Ce fut toutefois après avoir reçu de l'or pour lever le siége du Capitole, qu'ils se retirèrent ; mais Camille, qui les suivit, en fit un tel carnage, qu'il reprit l'or qu'on leur avait donné, et toutes les enseignes militaires dont ils s'étaient emparés. Il entra dans Rome en triomphe pour la troisième fois, et il fut appelé le second Romulus, comme s'il eût été lui-même le fondateur de Rome.


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