Livre II |
I. La trois cent soixante-cinquième année
après la fondation de Rome, et la première
après que les Gaulois s'en furent emparés, on
changea les magistratures, et, au lieu de deux consuls, on
créa des tribuns militaires, investis du
pouvoir consulaire. De cette époque date
l'accroissement de la république. Cette
année-là, en effet, Camille réduisit la
capitale des Volsques, qui avait soutenu la guerre pendant
soixante-dix ans. Il prit aussi la capitale des Eques et
celle des Sutrins, dont il avait entièrement
détruit les armées, et il fut honoré de
trois triomphes à la fois.
II. (An de R. 375) De même, Titus Quinctius Cincinnatus
repoussa les Prénestins, qui étaient venus
porter la guerre jusqu'aux portes de Rome, et les vainquit.
près du fleuve Allia. Il ajouta huit de leurs villes
au territoire des Romains, et alla lui-même attaquer
Préneste, dont il reçut la soumission ; tous
avantages qu'il obtint en vingt jours, et qui lui firent
décerner le triomphe.
III. Mais la dignité des tribuns militaires ne fut pas
de longue durée. Peu de temps après qu'on l'eut
instituée (An de R. 379), on en décida
l'abolition, et Rome vit s'écouler quatre
années sans magistrats supérieurs. Toutefois
les tribuns militaires reprirent leurs fonctions avec le
pouvoir consulaire (An de R. 383), et cette institution
subsista encore trois années, après lesquelles
on nomma de nouveau des consuls (An de R. 387).
IV. (II) (An de R. 389) Sous le consulat de L.
Génucius et de Q. Servilius, mourut Camille, qui fut
honoré comme un second Romulus.
V. (An de R. 394) T. Quinctius, nommé dictateur, fut
envoyé contre les Gaulois, qui avaient
pénétré en Italie. Ils s'étaient
arrêtés à quatre milles de Rome, au
delà du fleuve Anio. Là, un des plus nobles
sénateurs, le jeune T. Manlius, provoqué par un
Gaulois à un combat singulier, s'avança contre
lui, le tua, lui enleva son collier d'or, et, se
l'étant passé au cou, en garda le surnom de
Torquatus, qu'il transmit à ses descendants. Les
Gaulois furent mis en fuite, et presque aussitôt
vaincus encore par le dictateur C. Sulpitius. Peu de temps
après, C. Martius vainquit les Toscans : il leur fit
huit mille prisonniers, qui ornèrent son
triomphe.
VI. (III) (An de R. 404) On fit encore une fois le cens.
Comme les Latins, soumis pourtant par les Romains, refusaient
de leur fournir des soldats, ceux-ci firent de nouvelles
levées sur leur propre territoire, et formèrent
ainsi dix légions (An de R. 406). Cette mesure porta
l'armée à soixante mille hommes, et même
au delà ; tant la république, encore faible,
déployait d'énergie pour la guerre. Ces troupes
marchèrent contre les Gaulois, sous la conduite de L.
Furius ; et l'un d'eux ayant défié celui des
Romains qui passait pour le plus brave, M. Valérius,
tribun des soldats, s'offrit pour le combattre. Comme il
s'avançait tout armé, un corbeau vint se poser
sur son bras droit, et pendant la lutte de ces deux ennemis
le même corbeau se mit à frapper le Gaulois au
visage avec ses ailes et ses ongles, pour l'empêcher de
voir son adversaire. Le Gaulois fut tué ainsi par le
tribun Valérius, qui ne remporta pas seulement la
victoire, mais aussi un surnom ; car dans la suite on
l'appela Corvus ; et, à cause de cet exploit,
il fut fait consul à l'âge de vingt-trois
ans.
VII. (An de R. 413) Les Latins, qui n'avaient pas voulu
fournir de soldats, élevèrent une nouvelle
prétention, et demandèrent que, des deux
consuls, l'un fût choisi parmi eux et l'autre parmi les
Romains. Cette demande ayant été
rejetée, il fallut leur faire la guerre. On les
vainquit dans une grande bataille, et leur défaite fut
l'occasion d'un nouveau triomphe (An de R. 416). Des statues
furent élevées aux consuls dans le forum, en
récompense de cette victoire. C'est aussi dans cette
année qu'Alexandrie fut fondée par Alexandre de
Macédoine (An de R. 422).
VIII. (IV) De cette époque date la puissance des
Romains. En effet, ils faisaient la guerre à environ
cent trente milles de Rome, sur le territoire des Samnites,
situé entre le Picénum, la Campanie et
l'Apulie. L. Papirius Cursor partit pour cette guerre avec le
titre de dictateur. (An de R. 430). Forcé de revenir
à Rome, il laissa le commandement de l'armée
à Q. Fabius Maximus, maître de la cavalerie, et
lui défendit d'en venir aux mains en son absence.
Celui–ci, profitant d'une occasion favorable, remporta
sur les Samnites une victoire complète. Il fut
condamné à mort par le dictateur, pour avoir
combattu malgré sa défense ; mais il fut
sauvé par les soldats et par le peuple, dont il
s'était concilié la faveur, et qui avaient
excité contre Papirius une telle sédition,
qu'il faillit être tué lui-même.
IX. (An de R. 433) Quelque temps après, sous le
consulat de T. Véturius et de Sp. Postumius, les
Samnites firent essuyer aux Romains la plus honteuse des
défaites dans le défilé des Fourches
Caudines, où ils les avaient enfermés, et ils
les firent passer sous le joug. Mais le sénat et le
peuple rompirent le traité de paix que la
nécessité avait fait conclure avec eux. Les
Samnites furent ensuite vaincus par le consul L. Papirius (An
de R. 434) sept mille d'entre eux passèrent sous le
joug à leur tour, et Papirius triompha de ce peuple. A
cette même époque, le censeur Appius Claudius
fit construire l'aqueduc appelé Claudien, et paver la
voie Appienne (An de R. 442). (V) Les Samnites, ayant
recommencé la guerre, vain-quirent Q. Fabius Maximus,
et lui tuèrent trois mille hommes (An de R. 462). Son
père, Fabius Maximus, lui ayant ensuite
été donné pour lieutenant, il vainquit
les Samnites, et leur prit plusieurs villes. Enfin, P.
Cornélius Rufinus et Manius Curius Dentatus, tous deux
consuls, furent envoyés contre les Samnites, et les
écrasèrent dans de grandes batailles. Ils
terminèrent ainsi la guerre des Samnites, qui avait
duré quarante-neuf ans. De tous les ennemis qu'on
avait eu a combattre en Italie, aucun n'avait fatigué
davantage la valeur romaine.
X. Quelques années après, les Gaulois s'unirent
de nouveau contre les Romains avec les Toscans et les
Samnites. Mais comme ils s'avançaient vers Rome, ils
furent taillés en pièces par le consul Cn.
Cornelius Dolabella (An de R. 471).
XI. (VI) (An deR. 473) Vers le même temps on
déclara la guerre aux Tarentins, qui sont à
l'extrémité de l'Italie, et qui avaient fait
une grave injure aux ambassadeurs de Rome. Les Tarentins
implorèrent contre les Romains le secours de Pyrrhus,
roi d'Epire, dont l'origine remontait à Achille. Ce
prince passa aussitôt en Italie, et les Romains
combattirent alors pour la première fois contre mi
ennemi venu d'au delà des mers. On envoya contre lui
le consul P. Valérius Lévinus, qui, ayant saisi
des espions de Pyrrhus, les fit conduire par tout le camp,
leur montra toute l'armée, et ensuite les renvoya,
pour qu'ils l'informassent de tout ce qu'ils avaient vu.
Bientôt on livra bataille ; et Pyrrhus, qui fuyait
déjà, resta pourtant vainqueur, grâce
à la frayeur causée aux Romains par les
éléphants, qui leur étaient encore
inconnus. La nuit mit fin au combat ; mais Lévinus en
profita pour fuir, Pyrrhus fit sur les Romains dix-huit cents
prisonniers, qu'il traita avec les plus grands égards
; il fit enterrer les morts. Voyant qu'ils avaient tous
été blessés par devant, et que la mort
même ne leur avait pas ôté leur air
terrible, il s'écria, dit-on, en levant les mains au
ciel, «qu'il aurait pu devenir le maître du monde
avec de tels soldats».
XII. (VII) (An de R. 474) Pyrrhus, ayant joint ensuite
à son armée les Samnites, les Lucaniens et les
Bruttiens, marcha vers Rome, mettant tout à feu et
à sang. Il dévasta la Campanie, et vint
jusqu'à Préneste, à dix-huit milles de
Rome. Mais la crainte de l'armée romaine, qui le
suivait avec le consul, l'obligea bientôt de se retirer
dans la Campanie. On lui envoya des députés
pour le rachat des prisonniers ; il les reçut
honorablement, et renvoya les captifs sans rançon. Il
conçut même une telle estime pour Fabricius,
l'un de ces députés, que, le sachant pauvre, il
lui offrit, dans l'espoir de se l'attacher, le quart de son
royaume. Fabricius méprisa ses offres. Aussi Pyrrhus,
pénétré de la plus vive admiration pour
les Romains, leur envoya comme ambassadeur, pour traiter de
la paix à des conditions équitables, l'homme le
plus distingué de ses Etats, nommé
Cinéas, mais en se réservant la partie de
l'Italie dont il s'était déjà
emparé.
XIII. La paix ne fut point acceptée, et le
sénat fit répondre à Pyrrhus qu'il n'y
avait pas de paix possible avec les Romains tant qu'il ne
serait pas sorti de l'Italie. Alors on décréta
que tous les prisonniers rendus par Pyrrhus seraient
réputés infâmes, pour avoir
été pris les armes à la main, et qu'ils
ne seraient réhabilités qu'après avoir
rapporté les dépouilles de deux ennemis
tués par eux. Ainsi s'en retourna l'ambassadeur de
Pyrrhus. Ce prince lui ayant demandé «comment il
avait trouvé Rome», Cinéas
répondit qu'il avait vu la patrie des rois ;
c'est-à-dire que là, presque tous les hommes
lui avaient semblé aussi grands que le seul Pyrrhus le
paraissait dans l'Epire et dans le reste de la Grèce.
(VIII) On envoya contre Pyrrhus, avec une armée, les
consuls P. Sulpicius et Décius Mus (An de R. 475).
Dans la bataille qui se donna, Pyrrhus fut blessé, ses
éléphants tués, vingt mille ennemis
taillés en pièces ; la perte, du
côté des Romains, ne fut que de cinq mille
hommes. Pyrrhus s'enfuit à Tarente.
XIV. (An de R. 476) Un an après, on envoya contre lui
Fabricius, ce même député qu'il n'avait
pu corrompre par la promesse du quart de son royaume. Comme
les deux camps ennemis étaient voisins, le
médecin de Pyrrhus vint, pendant la nuit, offrir
à Fabricius d'empoisonner le roi, dans l'espoir d'une
récompense. Fabricius le fit reconduire chargé
de chaînes à son maître, et informa
Pyrrhus des criminelles intentions de son médecin. Le
roi, transporté d'admiration, dit alors : «Je
reconnais là Fabricius, qui serait plus difficilement
détourné du chemin de l'honneur que le soleil
ne le serait de sa course». Le roi partit
aussitôt pour la Sicile ; et Fabricius, ayant vaincu
les Samnites et les Lucaniens, eut les honneurs du triomphe
(An de R. 477). Les consuls Curius Dentatus et
Cornélius Lentulus furent ensuite envoyés
contre Pyrrhus (An de R. 479). Curius lui livra bataille,
tailla son armée en pièces, le força de
s'enfuir à Tarente, et prit son camp. Vingt-trois
mille ennemis restèrent, ce jour-là, sur le
champ de bataille. Curius triompha pendant son consulat ; il
fut le premier qui amena quatre éléphants
à Rome. Pyrrhus quitta bientôt Tarente, et fut
tué dans Argos, ville de la Grèce.
XV. (IX) (An de R. 481) Sous le consulat de C. Fabius Licinus
et de C. Claudius Canina, la quatre cent
soixante-dix-neuvième année de la fondation de
Rome, des députés d'Alexandrie, envoyés
par Ptolémée, vinrent à Rome demander
l'amitié des Romains, qu'ils obtinrent.
XVI. (An de R. 485) Sous le consulat de Quintus Ogulnius et
de C. Fabius Pictor, les Picentins prirent les armes contre
nous : ils furent vaincus par les consuls de l'année
suivante, P. Sempronius et Appius Glandius (An de R. 486) ;
et leur défaite fut célébrée par
un triomphe. C'est alors que les Romains fondèrent les
villes de Rimini dans la Gaule, et de Bénévent
dans le Samnium.
XVII. (An de R. 487) Sous le consulat de M. Atilius
Régulus et de L. Julius Libon, l'on déclara la
guerre aux Sallentins, peuple de l'Apulie. Ils furent
défaits, et l'on prit la ville de Brindes : nouveau
triomphe dans Rome (An de R. 488).
XVIII. (X) (An de R. 490) L'an quatre cent quatre-vingt-huit,
Rome, dont le nom était déjà fameux,
n'avait pourtant pas encore porté ses armes au
delà de l'Italie. On fit le cens, pour savoir quelles
étaient les forces des Romains, et il se trouva deux
cent quatre-vingt-douze mille trois cent trente-quatre
citoyens, quoique la guerre n'eût jamais cessé
depuis la fondation de Rome. C'est alors pour la
première fois qu'on fit la guerre aux Africains, sous
le consulat d'Appius Claudius et de Q. Fulvius, et c'est en
Sicile qu'on leur livra bataille. Appius Claudius triompha
d'eux et de Hiéron, roi de Sicile.
XIX. (An de R. 491) L'année suivante, sous le consulat
de Valérius Maximus et de M. Otacilius, les Romains
remportèrent de grands avantages en Sicile. Les
Tauroménitains, les Cataniens, et, de plus, cinquante
villes, leur prêtèrent le serment de
fidélité. La troisième année, on
ter-mina la guerre dans ce pays contre Hiéron. Ce
prince, avec toute la noblesse de Syracuse, obtint la paix
des Romains, et donna deux cents talents d'argent. Les
Africains furent vaincus en Sicile, et l'on eu triompha pour
la seconde fois à Rome.
XX. (An de R. 494) La cinquième année de la
guerre punique, faite contre les Africains, les Romains, sous
les consuls C. Duilius et Cn. Cornélius Asina,
combattirent pour la première fois sur mer, avec des
vaisseaux à éperons, que l'on appelle
Liburniens. Le consul Cornélius se laissa surprendre.
Duilius, ayant livré bataille, vainquit le chef des
Carthaginois, lui prit trente et un vaisseaux, en coula
quatorze, fit sept mille prisonniers et tua trois mille
ennemis. Aucune victoire ne causa plus de joie aux Romains,
qui, déjà invincibles sur terre, se voyaient
encore puissants sur mer. Sous le consulat de C. Aquillius
Florus et de L. Scipion (An de R. 495), ce dernier ravagea la
Corse et la Sardaigne, en ramena plusieurs milliers de
captifs, et rentra triomphant à Rome.
XXI. (XI) (An de R. 498) Sous le consulat de L. Manlius
Vulson et de M. Atilius Régulus, la guerre fut
transportée en Afrique. On combattit sur mer contre
Hamilcar, chef des Carthaginois, qui fut vaincu : il se
retira, ayant perdu soixante-quatre vaisseaux. Les Romains en
perdirent vingt-deux. Mais étant passés en
Afrique, ils reçurent la soumission de Clypée,
la première ville de cette contrée. Les consuls
s'avancèrent jusqu'à Carthage, et, après
avoir saccagé quantité de villes, Manlius
revint victorieux à Rome, où il ramena
vingt-sept mille prisonniers. Atilius Régulus resta en
Afrique, et y continua la guerre. Il eut à lutter
contre trois généraux carthaginois ; il les
défit, leur tua dix-huit mille hommes, fit cinq mille
prisonniers, prit dix-huit éléphants, et
réduisit soixante-quatorze villes. Les Carthaginois
vaincus demandèrent la paix aux Romains ;
Régulus n'y voulant consentir qu'à des
conditions très dures, ils sollicitèrent le
secours des Lacédémoniens, et, sous le
commandement de Xanthippe, que ceux-ci leur avaient
envoyé, ils firent essuyer au général
romain Régulus une entière et
irréparable défaite. Il ne resta, en effet, de
toute l'armée romaine que deux mille hommes ; quinze
mille furent faits prisonniers avec leur
général Régulus ; il y en eut trente
mille de tués ; Régulus lui-même fut
jeté dans les fers.
XXII. (XII) (An de R. 499) Sous le consulat de M. Emilius
Paullus et de Servius Fulvius Nobilior, ces mêmes
consuls partirent tous deux pour l'Afrique, avec une flotte
de trois cents vaisseaux. Ils vainquirent d'abord les
Africains dans une bataille navale. Le consul Emilius coula
à fond cent quatre vaisseaux ennemis ; il en prit
trente avec les combattants ; il tua ou fit prisonniers
quinze mille hommes, et il enrichit ses soldats d'un immense
butin. L'Afrique eût alors été
subjuguée, si une horrible famine n'eût
forcé l'armée de se retirer. Les consuls,
revenant avec leur flotte victorieuse, firent naufrage sur
les côtes de la Sicile ; et la tempête qui les
assaillit fut si violente, que, de quatre cent
soixante-quatre vaisseaux, on put a peine en sauver
quatre-vingts. On n'avait entendu parler, en aucun temps,
d'un aussi grand désastre maritirne. Toutefois les
Romains équipèrent aussitôt deux cents
navires, et cet échec n'abattit aucunement leur
courage.
XXIIi. (XIII) (An de R. 501) Les consuls Cn. Servilius
Cépion et C. Sempronius Blésus firent voile
vers l'Afrique avec deux cent soixante vaisseaux. Ils prirent
quelques villes ; mais comme ils revenaient avec un riche
butin, ils firent aussi naufrage. Cette continuité de
malheurs inquiétant les Romains, le sénat
décréta que l'on ne combattrait plus sur mer,
et que l'on entretiendrait soixante vaisseaux seulement pour
la garde de l'Italie.
XXIV. (An de R. 503) Sous le consulat de L. Cécilius
Métellus et de C. Furius Pacilus, Métellus
défit en Sicile le général des
Carthaginois, qui s'avançait contre lui avec cent
trente éléphants et de grandes forces. Il
tailla en pièces vingt mille ennemis, prit vingt-six
éléphants, et avec l'aide des Numides, ses
auxiliaires, il rassembla les autres qui erraient
çà et là, et les emmena tous à
Rome en grande pompe ; en sorte que cent trente
éléphants remplissaient tous les chemins par
lesquels il passait.
XXV. (XIV) Après ces revers, les Carthaginois
sollicitèrent Régulus, leur captif, d'aller
à Rome, pour obtenir la paix des Romains et faire
l'échange des prisonniers. Arrivé à Rome
et introduit dans le sénat, il ne voulut rien faire en
qualité de Romain, et dit «qu'il avait
cessé de l'être, du jour où il
était tombé au pouvoir des Africains».
Ainsi, il se refusa aux embrassements de sa femme, et il
donna au sénat le conseil de ne point faire la paix
avec les Carthaginois, disant «que ceux-ci,
épuisés par tant de défaites, n'avaient
plus aucune ressource, et qu'il n'était pas
lui-même assez nécessaire pour qu'on
rendît des milliers de prisonniers en échange
d'un seul vieillard et du petit nombre de Romains qui avaient
été pris avec lui». On se rendit à
son avis, et personne n'écouta les propositions de
paix des Carthaginois. Régulus retourna donc à
Carthage, après avoir répondu, à l'offre
que lui faisaient les Romains de le retenir à Rome,
qu'il ne resterait pas dans une ville où, après
sa captivité chez les Carthaginois, il ne pouvait
avoir la dignité d'un honorable citoyen. De retour en
Afrique, il mourut au milieu des plus horribles
supplices.
XXV(. (XV) (An de R. 505) Sous le consulat de P. Claudius
Pulcher et de L. Junius, Claudius combattit malgré les
auspices, et fut vaincu par les Carthaginois. Il avait deux
cent vingt vaisseaux ; il s'enfuit avec trente :
quatre-vingt-dix furent pris avec les combattants ; les
autres, coulés à fond. L'autre consul perdit
aussi sa flotte dans un naufrage ; il put toutefois sauver
l'armée, à cause de la proximité du
rivage.
XXVII. (XVI) (An de R. 512) Sous le consulat de C. Lutatius
Catulus et de A. Postumius Albinus, la vingt-troisième
année de la guerre punique, on confia à Catulus
la conduite de la guerre contre les Carthaginois. Il passa en
Sicile avec trois cents vaisseaux. Les Carthaginois lui en
opposèrent quatre cents. Jamais on n'avait combattu
sur mer avec des forces aussi considérables. Lutatius
Catulus s'embarqua, quoique malade ; car il avait
été blessé dans un combat
précédent. Il se donna vis-à-vis de
Lilybée, ville de Sicile, une bataille où les
Romains déployèrent le plus grand courage ; ils
prirent aux Carthaginois soixante-treize vaisseaux, en
coulèrent cent vingt-cinq, firent trente-deux mille
prisonniers, tuèrent treize mille hommes, et
s'emparèrent d'une immense quantité d'or et
d'argent. La flotte romaine perdit douze vais-seaux,
coulés par l'ennemi. Le combat fut livré le 6
des ides de mars. Les Carthaginois demandèrent
aussitôt la paix, et l'obtinrent. Ils rendirent les
prisonniers qu'ils avaient faits sur les Romains ; ils
demandèrent aussi qu'il leur fût permis de
racheter les prisonniers que les Romains avaient faits sur
eux. Le sénat leur fit rendre sans rançon ceux
qu'on gardait dans la prison publique : quant à ceux
qui étaient au pouvoir des particuliers, on ne leur
permit de retourner à Carthage qu'après avoir
payé une rançon à leurs maîtres ;
rançon qui devait être à la charge du
trésor, plutôt que des Carthaginois
eux-mêmes.
XXVIII. (An de R. 513) Les consuls Q. Lutatius et A. Manlius
marchèrent contre les Falisques, dont la capitale
était autrefois une des plus riches villes de
l'Italie. Les deux consuls terminèrent cette guerre en
six jours ; ils tuèrent quinze mille hommes, et l'on
accorda la paix à ceux qui restaient, après
leur avoir pris néanmoins la moitié de leur
territoire, du côté de Rome.